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Réputation et préjugés envers le cinéma

Partie I – Cadre théorique

Chapitre 2 : Le cinéma

2.2 Réputation et préjugés envers le cinéma

L’un des critères pour qu’un film puisse plaire aux spectateurs, est de reprendre ou de combiner des images connues. L’écran révèle le monde tel qu’il est découpé et reconstruit, comme il est compris à une époque déterminée. La caméra montre ce qui est important pour tous et néglige ce qui est tenu pour secondaire. « Le film ne persuade que

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parce qu’il se conforme à un savoir antérieur qu’il vient en quelque sorte authentifier » (Sorlin, 1977 : 38).

À cette tendance cinématographique à montrer des images communes à tous, s’additionnent des présuppositions à propos des spectateurs. Pour certains analystes critiques, les spectateurs sont des êtres passifs recevant sans résistance des messages et subissant leur influence. Surtout lorsque ces spectateurs proviennent des classes sociales moins nanties (Jullier, 2005). Ils sont systématiquement associés à l’indigence critique et à la pauvreté intellectuelle. Les goûts populaires deviennent alors, sans plus de procès, l’expression d’un « mauvais goût » (Montebello, 1992).

En fait, les différents individus qui composent le public ne reçoivent pas les messages comme de simples automates. Ils comprennent les messages en fonction de leur vision du monde et des principes qui règlent les actes de leur vie quotidienne, toujours influencés par leurs conditions sociales (Montebello, 1992). On ne parle alors plus de « cinéma populaire », mais d’usages populaires du cinéma. Cette différence implique une acception plus large de la réception du film par les spectateurs. Il suffit de prendre l’événement de visionnement d’un film dans sa globalité, ne se réduisant pas au seul fait de le regarder. Cela comprend le fait de se le remémorer, d’en parler autour de soi, de la préparation d’autres visionnements. Alors pour saisir sociologiquement le cinéma comme phénomène, il faut tenir compte de l’avant et de l’après, de la somme des actes et des investissements dont les films sont l’objet de la part des spectateurs.

De plus, l’intérêt pour les films qualifiés de populaires va souvent de pair avec certaines appréhensions, notamment la peur que les gens subissent une mauvaise influence. Ce phénomène n’est pas nouveau. Déjà dans l’Antiquité, Platon présente, dans La

République, un Socrate qui souhaite expulser les poètes de la Cité parce que leurs

discours sont susceptibles d’influencer négativement les jeunes ou, à tout le moins, de corrompre leur morale. « Cette condamnation épouse des formes différentes dans le temps, elle atteint son apogée pour chaque média lorsque ce dernier devient socialement très visible » (Maigret, 2011 : 46). Dans notre société, la musique rock des années 1950- 1960 a été accusée d’accroître la délinquance juvénile. Le cinéma et la télévision sont maintenant taxés des mêmes maux. En fait, ils sont au sommet de la hiérarchie des médias considérés comme néfastes, supposés véhiculer la violence. Les jeux vidéo et Internet sont également au cœur de ces préoccupations. Cependant, ces critiques tirent davantage leur origine d’une inquiétude relative à une perte de pouvoir qui menace l’ordre établi par les anciennes générations (Maigret, 2011). Cette inquiétude se rapporte à l’insécurité ressentie face à un monde qui est différent et où les points de repère et les références morales ont changé. La plupart du temps, ces critiques identifient des groupes victimes qu’il faudrait prendre en charge et protéger. Par exemple, les plus âgés se disent qu’il faudrait mieux encadrer moralement les jeunes. En réalité, il s’agit d’un problème

35 qui se trouve ailleurs, soit dans les angoisses face à une remise en cause des relations entre les générations.

L’explosion de la violence urbaine et l’utilisation des armes à feu par les mineurs, au cours des années 1990, est souvent mise en relation avec l’explosion du câble, des jeux vidéo et des productions hollywoodiennes d’action, alors qu’elle est en rapport direct avec le délabrement économique et social de certaines villes, le retrait de la force publique, la constitution de gangs et la persistance d’une tradition individualiste qui autorise la vente libre des armes [aux États-Unis] (Maigret, 2011 : 49).

Le cinéma américain a réussi à créer une esthétique de la violence et à imposer au monde sa conception de la violence. Toutefois, il s’agit d’un certain type de violence : une violence physique, spectaculaire et presque toujours individuelle (Brulé, 1976). Les récits qui véhiculent ce type de violence montrent, le plus souvent, un individu sortant de l’ombre, menant son propre combat et qui arrive seul à vaincre les forces du mal. La violence du cinéma américain est fortement idéologisée et, comme tout discours idéologique, cette violence est porteuse d’une interprétation des valeurs de cette société. Chose certaine, la violence présentée dans les films américains est en grande partie déconnectée de la réalité, même américaine, mais cette violence fait partie de l’imaginaire des films d’action, dont les films d’arts martiaux. Cependant, la violence des images cinématographiques exacerbée sur les écrans est devenue des représentations stéréotypées du réel, un moule imaginaire reproductible. Ce modèle de violence active désormais la fascination des spectateurs et constitue un point de repère qui garantit la satisfaction. Cette violence figurative représentée produit un état de rêve (ou de cauchemar) chez le spectateur.

Dès lors, pour certains spectateurs, la violence n’amène plus à être apeuré, mais provoque une réaction apprivoisée et appréciative, voire une vibration émotive qui envahit le spectateur. Plus le travail de l’artiste-cinéaste sur les images s’étoffe et se peaufine, plus le spectateur en redemande (Warren, 1994).