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La culture : une évolution constante

Partie I – Cadre théorique

Chapitre 1 : Imaginaire et culture populaire

1.2 La culture populaire

1.2.1 La culture : une évolution constante

La culture est une grille de lecture et d’interprétation du monde. Cette grille est modelée et remodelée constamment. Elle se transmet et évolue au fil des générations pour perpétuer et reproduire les références communes d’une société ou d’une communauté. Ces références englobent aussi bien les domaines de l’art, de la littérature et de la science que ceux de la consommation et des modes.

En général, la culture est définie plus comme un milieu qu’un objet, un processus plus qu’un produit. « La culture est une cible mouvante, un riche jardin d’interrelations et d’influences dynamiques, de thèmes et de motifs en évolution qui se nourrissent mutuellement dans une magnifique imprévisibilité » (Grant, 2004 : 413). Cette dynamique découle, en grande partie, de tensions et d’une volonté de distinction des individus.

23 Il existe un clivage fondamental lorsqu’on parle de culture. D’un côté, il y a une culture qui se qualifie de plusieurs façons : cultivée, artistique, noble, savante, érudite et, dans la littérature anglophone, high culture. De l’autre côté, on parle de culture de masse, de culture populaire et, encore une fois pour les anglophones, low culture. Cependant, ces distinctions ne sont pas toujours nettes.

Selon cette dichotomie, les individus adhèrent à des goûts culturels qui reflètent leur classe sociale et particulièrement le type d’éducation (Bourdieu, 1971; Gans, 1999). La culture populaire (low) est associée à un faible niveau d’éducation, tandis que la culture noble (high) est associée à une éducation qualifiée de bonne, supérieure ou prestigieuse. Mais cette association n’est pas figée. La vie concrète est teintée de nuances entre, d’une part, une culture héritée, assimilée au cours de l’enfance et des apprentissages spontanés par l’interaction quotidienne (culture première) et, d’autre part, le produit de la rétroaction réfléchie de la conscience critique sur la conscience, le construit d’un effort délibéré pour assimiler le monde et s’y assimiler (culture seconde) (Dumont, 2008). L’accession à cette « culture seconde » nécessite des conditions d’accès spécifiques, soit une socialisation qui pose les cadres de référence permettant une interprétation et une compréhension spécifique (Barthez, 1979).

On comprend donc que ceux qui ont un passé scolaire long et qui ont accédé à ses niveaux supérieurs forment le noyau majoritaire des pratiquants de la culture, grâce à l’accumulation des connaissances qu’ils ont pu y amorcer, et grâce surtout, à cet apprentissage des mécanismes d’abstraction, si marquants de la pensée cultivée (Barthez, 1979 : 44).

Cette socialisation passe par la maîtrise et l’acquisition d’un langage (posséder différents registres de langue), de temps disponible (nécessitant argent et contraintes pour accéder aux endroits prescrits et y consommer) et d’un type particulier de modes de relations (savoir alimenter les conversations d’usage, les convenances, s’introduire dans un réseau, entretenir des relations sociales et posséder un mode de pensée). Barthez décrit les codes de cette sphère sociale :

C’est un langage porteur d’informations générales, de symboles, d’abstraction, qui s’éloigne autant que possible de l’affectif. Son usage dans le cadre professionnel renforce la maîtrise qu’en donnent les études théoriques et longues qui prolongent un apprentissage déjà largement commencé au sein du milieu familial. Ainsi se conjuguent la situation au travail et les acquis antérieurs pour rendre ce langage accessible et habituel aux catégories du haut de l’échelle sociale et, en contrepartie, pour le rendre étranger aux catégories populaires (Barthez, 1979 : 49).

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Les conditions de la mise en œuvre de ces pratiques de haute culture apparaissent moins évidentes dans la mesure où elles sont devenues, pour ceux qui les exercent, comme une seconde nature. Pour Harouel (2002), l’accession à cette culture nécessiterait un effort, une distance à parcourir pour s’élever vers un modèle supérieur, voire d’éducation supérieure. À ce titre, une notion comme celle de la culture populaire n’est pas recevable dans l’acception académique du terme. Elle relèverait d’un emploi ethnologique et sociologique du terme, et désignerait les mœurs, les croyances, les mentalités et les sensibilités des milieux populaires. Bien que certains auteurs concèdent que l’on retrouve de la culture dans le peuple, ils ne reconnaissent pas le fait d’une culture populaire. « Il n’y a pas plus de culture populaire qu’il n’y a de culture bourgeoise, de culture de masse, de culture ouvrière ou de culture jeune. Il n’y a que la culture et l’inculture » (Harouel, 2002 : 25).5

La culture comme langage, comme manière de s’exprimer, s’associe donc fortement à un milieu social et à une classe particulière. Cela va également de pair avec la manière de s’habiller, d’organiser les loisirs, et, plus fondamentalement, la manière de percevoir, d’estimer, de juger les faits et les individus. En associant la haute culture à une classe sociale, on retrouve les clivages et les jeux de forces de la structure sociale en général (Barthez, 1979).

Il importe donc de distinguer les différentes acceptions du terme culture. Comme pour Harouel, il y a la culture comme éducation livresque abstraite qui s’oppose à l’inculture, à ne pas confondre avec les cultures, celles des ethnologues, qui correspondent dans les sciences sociales aux façons de faire et de penser de chaque communauté. Dans les deux cas, ce sont des outils intellectuels qui servent à comprendre le monde.

À ce point, force est de constater que nous ne pouvons définir la culture populaire hors de son rapport avec la haute culture. La culture populaire est ainsi parfois considérée comme un accès partiel ou morcelé à la haute culture par la grande majorité des individus qui n’en ont pas, a priori, les moyens.

L’ordre de la différence, de la culture plurielle, est escamoté et transmué en termes d’inégalité : inégalité d’accès au pouvoir, de partage des privilèges, d’appropriation d’un patrimoine dont la jouissance est étroitement conditionnée par la fortune et la position sociale (Imbert, 1979 : 13-14).

5 Pour Harouel (2002), un tel aplanissement du concept de culture peut devenir un frein à l’incitation et à la

motivation de se cultiver, puisque tous auraient déjà une culture. De plus, il affirme, non sans raison, qu’il est actuellement mal vu dans les sociétés occidentales de marquer la supériorité de la culture sur le divertissement médiatique. L’idéologie égalitariste dominante interprèterait ceux qui prônent l’intellectualisme cultivé comme une manifestation d’élitisme qui insulte le droit à l’égalité. Cette idéologie se veut populiste, car « constater qu’il y a fort peu de culture dans les prétendues pratiques culturelles, souhaiter que les gens lisent davantage et regardent moins la télévision sont des propos jugés élitistes » (Harouel, 2002 : 29).

25 Ce type de discours fait de la culture populaire une culture dominée, différenciée ou retardée, voire une négation (Besnard, 1979). Certains la nomment la « culture des autres » (Varine, 1976).

Cependant, il existe une autre dimension importante à la culture populaire, soit celle de la production industrielle de biens symboliques pour tous (Besnard, 1979). Par exemple, les traditions et les œuvres du terroir, entre autres, peuvent être manufacturées sous forme de biens de consommation. À ce processus industriel ont été accolés les termes « culture de masse » et « industrialisation ». Chacun de ces concepts suppose l’établissement d’une économie politique du signe, basé sur la production en série et la consommation en immense quantité de biens et de services dont la destination est avant tout symbolique, communicationnelle, expressive, virtuellement capable d’investir de sens la vie des êtres humains et le monde qui les entoure.