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Fonction du héros dans la postmodernité

Partie I – Cadre théorique

Chapitre 2 : Le cinéma

2.6 Le héros contemporain : du mythe au cinéma

2.6.4 Fonction du héros dans la postmodernité

Dans les sociétés contemporaines où l’individu est majoritairement cantonné à sa fonction de travailleur, les qualités de force et de puissance sont vécues au travers des héros qui incarnent le fantasme du déchaînement des passions et de la surpuissance (Eco, 1993). C’est dans ce contexte social que s’est produit le passage de la notion de héros à celle de superhéros, nécessitant l’addition de pouvoirs surhumains au héros pour compenser le besoin de contrôle et d’aliénation.

Clark Kent [alias Superman] incarne exactement le lecteur moyen type, bourré de complexes et méprisé par ses semblables; ainsi, par un évident processus d’identification, n’importe quel petit employé de n’importe quelle ville d’Amérique nourrit le secret espoir de voir fleurir un jour, sur les dépouilles de sa personnalité, un surhomme capable de racheter ses années de médiocrité (Eco, 1993 : 133).

Le héros devient alors un archétype : la somme des aspirations collectives reconnaissables par la majorité (Eco, 1993). Ainsi, le héros contemporain incarne les désirs d’une pluralité d’individus; des individus isolés qui doivent s’élever à la hauteur de leur sentiment d’aliénation symbolisée sous l’apparence d’adversaires. Pour ce faire, le héros doit trouver une arme secrète qui soit à la hauteur de la tâche qu’il s’est donnée.

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Cette arme s’acquiert par l’exercice de la volonté (Frigerio, 2002). Une volonté qui agit comme remède face au mal de vivre de l’individu contemporain (Ehrenberg, 2008). Ce vouloir signifie l’engagement dans les affaires du monde, mais aussi paradoxalement d’accepter de se noyer dans la passion, résultat d’une volonté débridée. Cette volonté sans bornes est à la solde de l’affectivité. L’intensité de l’affectivité nourrit proportionnellement la volonté qui assure l’énergie nécessaire à la quête du héros. Cependant, cette volonté énergisée échappe à tout conditionnement extérieur et est soumise au service des passions et des désirs du héros (Frigerio, 2002). L’ambiguïté et l’ambivalence caractérise ce concept d’énergie, car il appartient autant aux antagonistes (énergie négative) qu’aux héros (énergie positive) des récits.

Positivité et négativité échappent à des définitions immuables et demeurent des concepts flous susceptibles de changement ou même d’inversion selon l’horizon idéologique des auteurs, le développement de l’intrigue ou les conditions sociales d’écriture et de réception (Frigerio, 2002).

La démesure de ce pouvoir montre le rapprochement avec les figures divines et diaboliques ayant la capacité de créer ou de détruire l’ordre social. En effet, le manichéisme des récits met ces deux puissances sur le même plan. Dans ce jeu de force, l’individualité du héros est magnifiée d’une déification de sa personne. Cette possibilité de s’élever au niveau des dieux est la célébration du héros dans la postmodernité (Frigerio, 2002).

L’expression cinématographique du héros contemporain peut alors être considérée comme un produit culturel postmoderne parce que les auteurs, réalisateurs et producteurs peuvent désormais s’adonner à des créations et à des hybridations symboliques dont les limites du possible sont l’imagination elle-même. Le héros postmoderne se construit, entre autres, sur une revendication au droit de mélanger les références sociohistoriques et les inspirations créatrices orientées par la demande des publics. Une demande qui est tributaire d’un sentiment de manque de contrôle, de frustration diverses et d’aliénation. En fait, la postmodernité se conçoit en partie comme l’éloge d’un individualisme exacerbé où les choix de tous se réalisent dans l’esprit d’une sécularisation qui a reléguée à la sphère privée la moralité et le religieux. Cette sécularisation a laissé un vide qui a permis une organisation sociétale basée sur une économie globale capitaliste, délaissant la structure institutionnelle de la dite modernité et tout le bagage de la société traditionnelle. Ce contexte modifie la manière d’être des individus par une « perte de toute capacité d’orientation normative globale du système » (Freitag, 2002 : 116). En cela, le héros est une création de l’industrie cinématographique qui répond en quelque sorte à un besoin de purge des tensions de la population. Le mythe du héros est un des éléments régulateurs des sociétés traditionnelles qui a été récupéré et adapté pour

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La toute puissance prêtée au héros par un exercice absolu de la volonté, en dehors de toute limitation sociale, est en effet la conséquence d’une vision philosophique et (anti)religieuse qui met l’individu au centre de tout et qui, en le sortant d’une société précédemment considérée organique, le sort en même temps de la réalité telle qu’elle est pensée par les tenants de l’ordre traditionnel, le plongeant dans le seul domaine réservé exclusivement au moi : le rêve (Frigerio, 2002 : 251).

Dès lors, le moi du héros, comme celui du spectateur, aspire à retrouver une totalité, une cohérence holistique comme remède à la douleur de l’existence. Cette quête ne conduit le héros que vers deux possibilités : une fuite vers la nature ou une participation à la société. La fuite vers la nature est une fuite hors du monde. Cette fuite offre le calme et la tranquillité pour que le héros trouve son intériorité. Ainsi, il peut accéder à une contemplation du monde qui lui avait été arrachée, ou qu’il n’avait jusque-là jamais connue. En contrepartie, la participation à la société est, pour le héros, une nouvelle manière d’aborder le monde. Il s’agit d’une extériorisation de ses valeurs pour tenter de changer ou de transformer l’ordre du monde par l’élaboration de nouvelles formes de coopération et d’appartenance. Ces deux processus plutôt philosophico-religieux se concrétisent par l’identification du héros à un concept supérieur qu’il fait sien et qu’il utilise comme outil pour parvenir à son but ultime de reconstruction de totalité de soi, parallèlement à une cohérence holistique du monde (Frigerio, 2002).

Conclusion du chapitre 2

Finalement, aborder le cinéma comme objet d’étude n’est pas une mince affaire. Les pratiques du cinéma sont de plus en plus diverses et les écrits à son sujet rendent difficiles les généralisations et les conclusions (Ishaghpour, 1982). Le cinéma utilise conjointement plusieurs moyens d’expression : paroles, images, musique, etc. L’échelle des plans, les angles de prise de vue, le cadrage, le montage sont des moyens d’expression dont l’interprétation ouvre la porte à toutes les approximations. Les multiples significations de l’image entraînent la pluralité des lectures (Bazzo, 1986). Dès lors, l’intérêt du film est non pas d’avoir un sens, mais de constituer un support pour de multiples lignes de sens. Il n’existe donc pas une signification unique inhérente au film. Le sens d’un film est le résultat d’un processus interprétatif particulier. La sociologie révèle l’existence de cette multitude de significations, chacune d’elles résultant de la rencontre entre le film et un public spécifique (Esquenazi, 2007). Un film est alors plus qu’un filtre de lumière. À chaque étape du parcours du récit, son sens se déplace, se transforme, parfois se

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métamorphose. Dans ces récits, le héros est le point de rencontre des éléments constitutifs du film et le catalyseur des valeurs sociales transmises aux publics.

Déjà, nous pouvons dire que l’analyse de notre corpus de film portera sur le « message », sur le film comme « objet » en tant que tel et non sur les publics. Notre investigation des publics est nécessaire pour parler de la visée mercantile des scénarios et de l’intérêt des producteurs. Parler des publics comme objet d’analyse nécessiterait un autre type de recherche.

Voyons maintenant comment le monde du cinéma a usé de la thématique des arts martiaux pour en faire un produit culturel jusqu’ici apprécié de plusieurs publics. Les arts martiaux sont présentés comme l’arme secrète qui permet au héros contemporain d’exprimer sa puissance et d’imposer sa volonté passionnelle.

Chapitre 3 : Les arts martiaux au cinéma