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Une République laïque

C'est la Révolution française qui, au premier chef, a remis en cause le pouvoir de l’Église en France. Ce n'est pas le plus ancien événement qui vient saper la puissance de l’Église, mais c'est à l'occasion de cette révolution qu'un renversement fut accompli. En effet, la confiscation des biens de l’Église et la cessation du défraiement des prêtres par l’État ont été menées entre mai 1789 (au moment où les États généraux se transforment en assemblée nationale, puis en assemblée constituante) et la fondation de la République en septembre 1792. Or, bien que la révolution devienne bourgeoise après la mort de Robespierre en juillet 1794 et avec la prise de pouvoir des Thermidoriens qui refusent d'appliquer enfin la Constitution de l'an I (dont ils n'étaient pas disposés à accepter la tendance égalitaire, ni surtout l'article 35 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1793122), préférant en écrire une autre, dite Constitution de l'an III (adoptée en août 1795123), en faveur des bourgeois, plus libérale et modérée (au sens de moins révolutionnaire), ils ne reviennent pas sur la mise à l'écart de l’Église. En effet, pourquoi auraient-ils travaillé contre leur intérêt ? Profitant de la révolution pour s'émanciper de la noblesse et du clergé, ils se coulent pourtant parfaitement dans le moule conservateur du moment qu'il s'agit de leur argent, de leur propriété. C'est avec l'empereur Napoléon Ier que viendra le 122 Article 35 - Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.

123 Celle-ci est précédée d'une nouvelle déclaration des droits et devoirs de l'Homme et du Citoyen, bien plus axée sur l'importance de l'inaliénabilité de la propriété.

rétablissement des liens diplomatiques avec le Saint-Siège et la signature du Concordat en 1801 (accord en vigueur déjà avant la révolution, bien qu'il fut renégocié à l'avantage de l'empereur). Plus jamais le peuple, pourtant issu du tiers état au même titre que la bourgeoisie, ne sera en capacité d'écrire une Constitution défendant ses droits, ses intérêts.

La comédie de 1905

C'est pourquoi nous pouvons parler, en suivant le raisonnement de Marx à propos de Napoléon Ier et de son neveu124, de redoublement comique de la laïcité en 1905, fruit de la bourgeoisie constitutive du parti radical valoisien125 qui n'a de gauchisant que son anticléricalisme farouche et son 124 Karl Marx, Le dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte, Op. Cit., p 20, sur le redoublement comique de la tragédie historique : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages de l’histoire mondiale surgissent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce ». Le mot farce étant écrit en français dans le texte original.

Marx fait ici référence à un passage des Leçons sur la philosophie de l'Histoire, Paris, Vrin, 1987, p 242, où Hegel parle de la transition opérée par Jules César entre la République romaine et ce qui sera l'empire. Il conclut ainsi cette leçon : « (...) d'ailleurs une révolution politique est, en général, sanctionnée par l'opinion des hommes quand elle se renouvelle. C'est ainsi que Napoléon succomba deux fois et que l'on a chassé deux fois les Bourbons. La répétition réalise et confirme ce qui au début paraissait seulement contingent et possible. »

125 Le Parti républicain, radical et radical-socialiste, est issu du radicalisme. C'est le premier parti fondé en France (1901). Avant son apparition, les députés étaient assemblés en groupes parlementaires (groupes qui existent encore de nos jours). Ce parti républicain est très attaché à la propriété privée et à la laïcité. Il est anti-catholique (laïcard) et partisan d'un régime douanier libre-échangiste. Quand les socialistes entreront au parlement, il sera farouchement opposé au collectivisme prôné par les marxistes.

Le radicalisme est un courant de pensée qui existe depuis les lumières, notamment avec Voltaire. Au cours de la Révolution française, il s'attache à la nouvelle forme politique. Les républicains radicaux sont les plus antimonarchistes et anticléricaux. Tout au long du XIXe siècle, ils cohabitent avec les républicains modérés, les républicains ralliés et les trois branches monarchistes ayant survécu aux révolutions : orléanistes, bonapartistes et légitimistes. Le radicalisme a une vision très spécifique de l’organisation sociale et humaine : il la fonde sur la primauté de l’individu. Doit-on y voir les prémices de l'individualisme exacerbé de notre temps ? Sans doute sont-ils dans la mouvance libérale.

Cependant, tout n'est pas négatif dans ce nouveau parti et il porte sur les bancs de l'assemblée cinq valeurs qui ne semblent pas délétères : la laïcité (bien que sous son habit de combat), la solidarité (partage du surplus), l'humanisme (issu des Lumières et séparant la pensée de la praxis, le savant de l’ouvrier), la tolérance (écho de Locke) et l'universalisme (de l’économie). De plus, la déclaration de clôture du congrès fondateur du parti insistait sur l'union à gauche, la séparation de l'Église et de l'État, la nationalisation des grands monopoles et la création d'un impôt égalitaire fondé sur le revenu.

Cependant, le parti radical vante les mérites de la propriété privée (comment pourrait-il en être autrement ?) : en effet, les radicaux croient que l’accession des

attachement à la République. Ils représentent ce qu'on a appelé la gauche républicaine, donc, la bourgeoisie attachée aux valeurs de la République et opposée à la monarchie (qui elle est soutenue par les républicains dits de droite qui sont à peu près tous monarchistes). Il s'agit du regroupement partisan des bourgeois contre-révolutionnaires qui ont pris le contrôle de l’État (une espèce de Thermidoriens de la troisième République, dont on peut dire qu'ils ne sont de gauche que parce qu'ils auraient voté la suppression des pouvoirs et privilèges royaux et nobiliaires, en ayant à l'esprit leur propre intérêt). Ils seront rattrapés sur leur gauche par ce qu'on appelle déjà alors l'extrême gauche, sans doute afin de la discréditer (comme c’est toujours le cas de nos jours) : les socialistes issus du mouvement ouvrier et portant des valeurs émancipatrices et des revendications sociales que les bourgeois, même radicaux, n'étaient pas disposés à accorder.

En somme, ce sont des parlementaires qui sont anticléricaux dans la mesure où le clergé et l’Église ont pris trop d'importance en France avec les accords concordataires et la loi Falloux (promulguée le 15 mars 1850), mais cette opposition s'arrête à la défense de leurs intérêts. Ils ne sont républicains que dans la mesure où la République protège leurs intérêts, c'est-à-dire la propriété de leurs biens, contre les tenants du pouvoir (politique et moral) antérieurs à la révolution : la noblesse et le clergé. La bourgeoisie s'émancipe en effet, en prenant des atours dits de gauche. Ils ne prendront un peu plus en compte la condition ouvrière qu'après le 1er mai 1906 qui fut explosif, réprimé dans le sang et suivi d'élections qui salariés à la propriété sera le remède aux problèmes de la société industrielle (cette croyance demanderait à elle seule toute une analyse de la propriété comme phamakon, car, à l'évidence, l'accession à la propriété n'a pas été un remède, mais bien plutôt un pis-aller, un privilège – celui de posséder, or, n'oublions pas que celui qui possède, c'est le revenant qui a volé le corps d'un vivant pour pouvoir agir dans le monde : le possédant hante le possédé. Bien vite exploitée par le capitalisme pour enchaîner l'ouvrier à son travail, la dette est le spectre de l'ouvrier, elle le possède et le hante).

Ce parti regroupe des tendances qui étaient alors rivales. C'est une composition hétéroclite de comités électoraux, de sections de la Ligue des droits de l’homme, de la Ligue française de l'enseignement et de loges maçonniques.

Sa politique anticléricale (laïciste) sera marquée par l’action du Président du Conseil Émile Combes (1902–1905). La loi de séparation des Églises et de l’État est adoptée grâce aux efforts du député socialiste Aristide Briand. Mais cela ne se passe pas dans le calme et cette fois ce sont les fidèles et curés qui s'insurgent et imitent les ouvriers émeutiers de ce début de siècle.

confortèrent la majorité radicale-socialiste en place (Georges Clémenceau sera appelé à la présidence du Conseil le 25 octobre 1906 et fondera le ministère du Travail), dans un esprit paternaliste visant, même inconsciemment, à éviter une autre révolution en apportant aux masses en ébullition le « juste » partage des richesses qu'ils produisent. C'est-à-dire, le minimum qu'il sera possible de leur céder en espérant leur retour au calme126 : le repos hebdomadaire obligatoire (loi du 10 juillet 1906). C'est dans ce contexte non pas insurrectionnel, mais émeutier, de la fin du XIXe siècle et du début du XXe que ce dont le peuple ne porte aucune revendication est adopté. La loi de 1905 nous apparaît alors comme une loi visant à protéger des intérêts des possédants.