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La question de la communauté

La communauté n'est, pour reprendre le vocabulaire d'Aristote, ni en acte, ni en puissance ; ou, ce qui revient au même, tout à la fois en acte et en puissance. Plus encore, il nous semble qu'il faut aller chercher une autre détermination de la communauté, car elle n'est pas simplement la conjonction de ces deux moments contradictoires, ou alors, dans leur dépassement, leur synthèse. Ainsi, pour parler avec Husserl220, il s'agit de corréler, de mettre en rapport des protentions (des attentes) et des rétentions (des souvenirs). Ces deux ensembles de moments encadrent le moment présent. C'est la relation (le rapport) entre les protentions et les rétentions qui est le maintenant du cum, en train de se constituer, à la fois en acte (maintenant) et en puissance (souvenirs orientant des attentes), car se projetant par ses attentes tout en se construisant à partir de ses rétentions. Phénoménologiquement, le cum serait alors l'attention221 219 Edmund Husserl, L'origine de la géométrie, Paris, PUF, 2010.

220 Edmund Husserl, Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps, Paris, PUF, 2002 (traduction Henri Dussort).

221 Voir à ce sujet le Vocabulaire d'Ars Industrialis, Op. Cit. Notamment l'entrée :

(comme modalité de la conscience, qui est toujours conjuguée au présent, immanente au présent)222, qui permet de relier la rétention (rapport au passé, ce qui est retenu par la conscience, la mémoire et le souvenir)223 à la protention (l'attente, ce qui est projeté, le désir, la confiance). Cette attention est alors un prendre soin de, attention à, à ce qui est en train d'advenir, à ce qui est venant au monde : c'est un processus, le processus de production de la communauté, toujours se faisant, toujours se défaisant ; se fermant sur elle-même en s'ouvrant simultanément sur son altérité.

Reprenons d'une autre manière notre raisonnement, en partant de ce que Marx nomme communisme224. Il semble que ce communisme pointe dans deux directions incompatibles : d'une part dans la direction du projet de fondation d'une communauté – qui n'échappe pas à ce que Jean-Luc Nancy nomme l'immanentisme225 –, et d'autre part, à notre sens, dans la direction même du désœuvrement (de l'en de l'en-commun). C'est cette difficulté, cette contradiction, que nous voulons exposer.

Jean-Luc Nancy nous dit que « le communisme » indique une idée, un projet, tandis que la « communauté » semble noter un fait, une donnée. Le « communisme » :

« se déclare en faveur d'une « communauté » qui n'est pas donnée, qu'il se donne comme but »226.

S'il est tout à fait vrai que le communisme a été pensé comme projet d'une

222 Nous entendons par conscience l'ensemble de ses graduations, de l'inconscience à la pleine conscience, tout comme l'attention est l'ensemble des degrés d'attention, de l'inattention à la pleine attention. Ni l'une ni l'autre de sont des états fixes, mais des réalités en constante évolution, connaissant des états métastables temporaires. 223 Il faut ici ajouter à la rétention et au souvenir d'Edmund Husserl (que Bernard

Stiegler nomme rétention secondaire), la rétention tertiaire stieglerienne, c'est-à-dire, le support technique de mémoire, dont l'écriture, mais aussi de nos jours toute l'écriture numérique, ne sont que des exemples limités. C'est aussi la photo de parents disparus qui marque notre mémoire et ravive des souvenirs, ou le marteau qui concentre dans sa forme et la matière dont il est façonné, toute l'histoire de la constitution de l'outil à percussion, depuis le galet ou l'os, en passant par le martinet (marteau de forge à cames actionné par la force hydraulique).

224 Cette partie de nos analyses contient des éléments repris et modifiés de notre mémoire de Master : Lecture du Dix-huit brumaire de Louis Bonaparte. Non publié. 225 Jean-Luc Nancy, La communauté désœuvrée, Op. Cit., p 15 : « c'est bien

l'immanence de l'homme à l'homme, ou encore c'est bien l'homme, absolument, considéré comme l'être immanent par excellence, qui constitue la pierre d'achoppement d'une pensée de la communauté. »

communauté par Marx, et surtout après lui, il semble pourtant que Marx tente de résister autant que faire se peut à cette tendance. Il ne semble pas vouloir retrouver une communauté perdue227. Par contre cet état d'esprit nostalgique est celui des romantiques allemands. Le communisme selon Marx n'échappe cependant pas complètement à la critique de Jean-Luc Nancy : il parle bien du communisme comme étant :

« le produit d’hommes qui se sont librement mis en société »228.

Cette affirmation ne lui permet pas de penser une activité humaine qui ne fasse pas œuvre, si l’on veut bien mettre sur le même plan la production d’une œuvre et la production d’une marchandise229 (l’œuvre est-elle marchandise ? Le marché de l’art contemporain semble nous répondre par l’affirmative).

Néanmoins, si la constitution d'une communauté se fait toujours en établissant la limite de ce qui est en-commun pour ceux qui sont d'emblée associés à cette communauté, ce geste fondateur est un geste d'exclusion. La communauté exclut ce qui ne se laisse pas identifier en elle (comme Athènes a exclu les autres cités pour se fonder en tant que communauté singulière), et ce qui est laissé en dehors est nommé « l'autre », elle exclut ainsi son propre fondement230. Cependant, et pour

227 Op. Cit., p 29 : « Jusqu'à nous, l'histoire aura été pensée sur fond de communauté perdue – et à retrouver ou à reconstituer. »

228 Karl Marx, Le Capital, Livre I, La marchandise, Paris, PUF « Quadrige », 1993, p 91 : « Le reflet religieux du monde réel ne peut disparaître de manière générale qu’une fois que les rapports de la vie pratique des travaux et des jours représentent pour les hommes, de manière quotidienne et transparente, des relations rationnelles entre eux et la nature. » C'est à dire des rapports non idéologiques, car la religion n'est que l'exemple type de l'idéologie en tant qu'elle en présente la forme universelle.

Marx poursuit : « la configuration du procès social d’existence, c’est-à-dire du procès de production matérielle, ne se débarrasse de son nébuleux voile mystique, qu’une fois qu’elle est là comme produit d’hommes qui se sont librement mis en société, sous leur propre contrôle conscient et selon leur plan délibéré. Mais cela requiert pour la société une autre base matérielle, c’est-à-dire toute une série de conditions matérielles d’existence qui sont elles-mêmes à leur tour le produit naturel d’un long et douloureux développement historique. »

229 Jean-Luc Nancy, La communauté désœuvrée, Op. Cit., p 13 : « c'est la base même de l'idéal [rappelons que Marx affirme que ce n'est pas un idéal] communiste qui finit par apparaître sous le jour le plus problématique : à savoir, l'homme, l'homme défini comme producteur (on pourrait dire aussi : l'homme défini, tout court), et fondamentalement comme producteur de sa propre essence sous les espèces de son travail ou de ses œuvres. »

230 Jean-Luc Nancy, La comparution, dans La comparution (avec Jean-Christophe Bailly), Paris, Bourgois, 1991, p 98.

bien distinguer les termes, ce que veut dire communisme, c'est que l'être est en commun.

« Il veut dire que nous sommes, autant que nous « sommes », en commun. Que nous sommes communément. Que chaque un de nous, d'entre nous, est en commun communément »231.

L'ontologie proposée par le communisme est celle de :

« l'être en tant qu'il n'est rien de ce qui est ».

Mais ceci est dit par Heidegger, ce n'est ni dans Marx, ni dans ses continuateurs232. A quoi il convient d'ajouter, selon Jean-Luc Nancy, que la praxis est essentiellement commune, ou en-commun, contrairement à la ποίησις, poíêsis. Une première distinction a été posée par Aristote selon l'agent et l'œuvre : on sait qu'Aristote les distingue, plaçant la praxis du côté de l'action morale et politique – action immanente n'ayant d'autre fin que le perfectionnement de l'agent –, et déterminant la poíêsis comme production d'une œuvre extérieure à l'agent, par le biais de techniques233. Une seconde distinction s'y ajoute, celle que fait Jean-Luc Nancy, selon le commun et le non-commun (que la poíêsis soit individuelle ou collective)234. Et si la praxis est ici en-commun, c'est sans doute parce que Marx, passant par la dialectique hégélienne, transforme la suppression qu'est la relève – aufheben – en réalisation : supprimer (dépasser, relever, c'est la synthèse hégélienne) devient réaliser ; et cette réalisation est l'objet même de la praxis du communisme. Ce qui se joue avec Marx, ce

231 Ibid., p 65. 232 Ibid.

233 Aristote, Éthique à Nicomaque, livre VI, 1139a 31, 1139b 6 (Traduction de Richard Bodéüs), Les principes de la décision : « Ainsi donc, l’action a pour point de départ la décision, laquelle est à l’origine du mouvement, mais n’est pas son objectif, tandis que la décision a pour point de départ le désir et la raison qui a un objectif. De ce fait, la décision ne peut se passer ni d’intelligence et de pensée, ni d’un état moral, car le succès ou son contraire dans l’action ne vont pas dans la pensée et un caractère.

Cependant, la pensée elle-même ne met rien en mouvement. Ce qui le fait au contraire, c’est la pensée qui a un certain objectif et peut l’exécuter. [1139b] Celle-ci commande en effet aussi à la pensée productive, car c’est toujours en fonction d’un certain objectif qu’un agent produit quelque chose, et la fin pure et simple, ce n’est pas ce qu’il peut produire (et qui n’est qu’une fin relative ayant encore en vue quelque chose), mais c’est l’action qu’il peut exécuter, puisque c’est le succès dans l’action qui constitue la fin. Or c’est cela que vise le désir. C’est pourquoi la décision est soit une intelligence désidérative, soit un désir intellectif. Et tel est le principe constitutif de l’homme. »

n'est pas que :

« la pensée soit mise en pratique, (...), mais que la praxis soit la pensée (...) »235.

Et si la praxis est la pensée, la nouvelle langue qu'il s'agit d'inventer pour satisfaire aux attentes de la poésie de l’avenir236 est la praxis même. Nous voyons bien que la question de l'en de l'en-commun, met à l'écart la poíêsis puisque celle-ci opère précisément cette mise en œuvre qui est critiquée ici. Le communisme ne doit donc pas être mis en œuvre, parce que sa mise en œuvre se règle sur un idéal immanent visant à la constitution d'une communauté particulière (invention d'un mythe, fondation nationale). Or, justement, la prétention universaliste de la praxis ici mise en lumière, n'autorise pas cette fragmentation de l'humanité en communautés (elle relève du même universalisme que la religion chrétienne). Est-elle dès lors réalisable ?

Puisque sa forme même interdit tout retour en arrière, toute réminiscence, reprise ou répétition d'un modèle antérieur, comment la « lutte » va-t-elle pouvoir s'organiser ? Car s'il s'agit de développer cette praxis universelle, il faut pouvoir lutter contre les formes de pressions communautaires dont nous sommes tous, et les agents, et les œuvres, ou, si l'on veut, les produits (mais aussi les victimes).

Sans prétendre résoudre ici cette question, nous allons tenter de déterminer les éléments essentiels de la révolution prolétarienne. Selon Marx, la praxis prolétarienne devra agir de façon tout à fait nouvelle en regardant vers l’avenir, sans poser de but et se donnant les moyens pratiques de se propager. Si l'on suit Marx, en gardant à l'esprit les réserves déjà évoquées, le danger de la mise en œuvre de sa propre

235 Ibid., p 75. Nous donnons le passage complet, car y surgit la question du sens : « Nul doute pourtant que chez Marx lui-même c'est autre chose qui se fraye la voie. Autre chose : non pas que la pensée soit mise en pratique, et qu'ainsi le réel soit le produit du sens que lui donne l'Idée, mais que la praxis soit la pensée, et que le “sens” paraisse avec le réel même et comme le réel. En d'autres termes, non pas un sens de l'existence, mais l'existence en tant que sens. »

Nous aborderons la question du sens comme question des sens et de l’orientation, au travers des analyses de Husserl. L'existence en tant que sens serait alors l’orientation dans le réel par le biais de nos sensations, c'est-à-dire, comme ensemble de nos kinesthèses : praxis des sens, possibilité d'une orientation (chapitre 17).

essence n'est pas écarté, car ce qui sera appelé le prolétariat par les marxistes est une classe en lutte, c'est donc, en tant qu'il est la classe ouvrière rassemblée (ce qui semble être une vue idéologique universaliste), une communauté s'instituant contre les autres classes (contre l'autre classe qui est la bourgeoisie). Cela constitue même le mode d'action des hommes « qui se sont librement mis en société », mais à un niveau d'abstraction moindre que la notion de classe (ou de prolétariat) : l'association peut être très locale et éphémère (par exemple, les ouvriers d'un atelier peuvent s'associer librement dans la grève). Toutefois, comme il s'agit de se déprendre des illusions idéologiques – si c'est seulement possible –, il ne s’agit plus ici d’imiter les Anciens, mais d’inventer le réel, de le produire concrètement, jour après jour.

Nous pensons que cette forme de μίμησις, mímêsis marxienne, en quoi consiste la répétition historique (imitation de ce qui est déjà survenu), peut correspondre à la seconde forme aristotélicienne, dite mímêsis générale237, qui trouve sa grandeur dans l’achèvement du travail de la nature. Et ce travail d’achèvement est créateur. Il s’agit de créer le réel, de l’inventer. C’est là que la poésie trouve sa force et son sens le plus fondamental. Cette mímêsis créative – ou mímêsis productive – ne pourrait plus alors se trouver enfermée dans l’ordre de la répétition du même : elle avancerait dans le monde en suivant le cours de l’histoire réelle238. C’est ce que nous désignons comme étant la poésie de l'avenir et

237 Aristote (en sa Physique, B, mais aussi dans sa Poétique) prolonge Platon, en soulignant l’importance de la mímêsis comme production d’images (copie de la nature, de ce qui est donné). Mais il lui donne aussi une autre orientation, plus générale, où la mímêsis supplée à un certain défaut de la nature, à son incapacité à tout produire : elle accomplit, finit la production de la nature – d’où son rapport à la

poíêsis (la force productrice). Il y a donc là un renversement du rapport nature/art (φύσις / τέχνη, phúsis / tékhnê), l’art devenant supérieur à la nature en ce qu’il l'imite pour suppléer à son incapacité. Chez Aristote, c’est le théâtre en tant que forme exemplaire de la mímêsis générale qui rend raison de la fonction de suppléance dévolue à l’art (la représentation se faisant par le son et la forme). Et c’est dans l’acte même de création que le poète – celui qui fait acte de poíêsis –, disons l’artiste – l’homme de la tékhnê –, imite la nature : il imite le processus de création. C’est ce second sens qui a le plus d’intérêt.

238 Nous ne suivons pas sur ce point essentiel l’analyse de Paul-Laurent Assoun lorsqu’il écrit que la répétition est également à l’origine de la poésie de l’avenir : « La répétition, comme retour au point de départ, loin d’avoir un simple effet annulateur (rétroactif), remplit une fonction créatrice – donc perspective », et plus loin « le retour au point de départ crée la nécessité de (re)créer un point départ radical (révolutionnaire) ». Paul-Laurent Assoun, Marx et la répétition historique, Paris, PUF, 1978 (édition 1999), p 158.

que Marx exprime ainsi :

« La révolution sociale du XIXe siècle ne peut pas tirer sa poésie du passé, mais seulement de l’avenir. Elle ne peut pas commencer sa propre tâche avant de s’être débarrassée de toute superstition à l’égard du passé. Les révolutions antérieures avaient besoin de réminiscences historiques pour se dissimuler à elles-mêmes leur propre contenu. La révolution du XIXe siècle doit laisser les morts enterrer les morts pour réaliser son propre objet »239.

Il est ainsi question, en se tournant vers l’avenir, de se défaire de la tradition mortifère, de conjurer les spectres qui nous hantent, de ne plus se laisser porter par les fantasmes de l'idéologie. Toutefois, la méthode proposée laisse perplexe devant le paradoxe qu’elle énonce : « laisser les morts enterrer les morts ». En effet, le bon sens nous rappelle que les morts n’enterrent pas les morts240 : ce sont les vivants qui se chargent de cette tâche, et cela implique le travail du deuil.

Cependant, ce que semble manquer Jacques Derrida (mais peut-être est-ce volontaire et ironique) c’est que Marx fait ici référenest-ce à une parole de Jésus, abondamment commentée, et que l’on peut lire dans l’Évangile de Luc241. Si Derrida tente de libérer la promesse révolutionnaire du messianisme religieux, l’évocation par Marx de la parole biblique nous y renvoie d’un trait. Cependant, il semble bien s’agir là d’une métaphore destinée à appuyer le geste marxien : geste de rupture d’avec le passé,

S’il y a répétition, elle nous semble plutôt placée du côté de la tentative bourgeoise d’occultation de l’événement et de réappropriation de l’inédit, renversé comme familier. La répétition est justement ce qu’il s’agit d’éviter, puisqu’elle réintroduit inévitablement de la hantise, du spectre : cette tradition dont il est précisément question de s’émanciper.

239 Karl Marx, Le Dix-huit Brumaire, Op. Cit., p 72.

240 Jacques Derrida, Spectres de Marx : l'état de la dette, le travail du deuil et la nouvelle Internationale, Paris, Éditions Galilée, 1993, p 277 : « Même si on le voulait on ne pourrait laisser les morts enterrer les morts ».

241 La Bible (la TOB, traduction œcuménique), Évangile de Luc, 9:57-62 : « 57Comme ils étaient en route, quelqu’un dit à Jésus en chemin : « je te suivrai partout où tu iras. » 58Jésus lui dit : « Les renards ont des terriers et les oiseaux du ciel des nids ; le Fils de l’homme, lui, n’a pas où poser la tête. » 59Il dit à un autre : « Suis-moi. » Celui-ci répondit : « Permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père. » 60Mais il lui dit : « Laisse les morts enterrer leurs morts ; mais toi, va annoncer le Règne de Dieu. » 61Un autre encore lui dit : « je vais te suivre Seigneur ; mais d’abord, permets-moi de faire mes adieux à ceux de ma maison. » 62Jesus lui dit : « Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour y rentrer. » (Il s‘agit de rentrer dans le règne de Dieu, selon une note. La traduction donne toutefois « n’est pas fait pour le Royaume de Dieu »).

La façon dont le règne de Dieu peut se substantifier en royaume est fort intéressante et appuie l’idée selon laquelle l’Église a voulu mettre en place en royaume pour l’après-vie. Ce sera la cité de Dieu d’Augustin.

afin de se libérer du poids de la tradition, de l'idéologie ; l’on pourrait donc dire aussi que ce geste nous libère également de la tradition biblique – puisque, selon Marx, la religion est le modèle de l'idéologie – ; sa forme seule serait similaire et nous renverrait à la forme messianique : « mais toi, va annoncer le Règne de Dieu » – forme qui est alors remplie par une promesse qui ne se rapporterait pas au messianisme biblique, mais à la praxis révolutionnaire242.

Cette métaphore veut indiquer que la coupure entre la tradition idéologique et la poésie de l’avenir doit être radicale. Il faut tout laisser derrière soi et ne pas en porter le deuil. Le passé est révolu, il n’appartient plus à notre présent, il est radicalement congédié. Et s’il appartient encore à notre mémoire, il ne faut pas le convoquer, mais le laisser dans cet oubli étrange et paradoxal d’une mémoire qui se souvient encore, mais ne doit pas prendre ses souvenirs comme modèles : ce n'est pas un oubli, c'est