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Le cadre paroissial est commode pour visualiser au mieux les foyers de recrutement. Les doyennés pourraient être un cadre pratique d’analyse puisqu’ils constituent un cran intermédiaire situé entre la paroisse et le diocèse. Mais tracer les contours de ces espaces est une véritable gageure à laquelle je n’ai pas pu m’atteler1. À l’échelle de la Bretagne, la paroisse peut sembler être une échelle trop grande. Cependant elle a l’avantage d’être repérable facilement et d’être comparable aux autres cartes de densité ou d’activités économiques sur plusieurs siècles2.

1. Réservoirs humains et prospérité économique

Plusieurs tendances bien repérables se dégagent de la carte des origines des missionnaires bretons3. Tout d’abord on constate que le recrutement est inégalement réparti sur le territoire. Aux foyers missionnaires rassemblant des dizaines d’individus, succèdent de grands vides. Ils sont aisément repérables : tout le pays nantais est absolument vide ; même constat pour la côte de Penthièvre, de Saint-Malo à Saint-Brieuc, poursuivi sur l’ensemble côtier du Goëlo ; la côte du Bas-Léon et le Pays Pagan sont tout aussi déserts ; pareil pour le pays dolois et le Coglais ; un large centre-Bretagne, réunissant le nord-ouest du diocèse de Vannes à la Haute- Cornouaille, apparaît délaissé ; le sud du Trégor est également vide. Si on confronte cette carte des recrutements avec la carte des densités4, l’analogie est troublante. Outre les villes dont on reparlera plus loin, on retrouve exactement les mêmes vides et pleins. On remarque bien la concentration du recrutement le long du littoral. Environ 283 paroisses de l’échantillon sont situées sur la côte ou reliées à elle par un fleuve5 ce qui représente environ deux-tiers des paroisses localisées. C’est bien sur les littoraux que se concentre une grande partie de la population bretonne et que se recrutent les candidats aux missions : le Croisic et Guérande où la densité de population s’élève à plus de 100 habitants/km² ont donné chacune quatre missionnaires sur les deux siècles, la Baie de Saint-Brieuc fournit 17 missionnaires6, le littoral

1 Un tel tracé donnerait-il des résultats probants ? Pour le quotient missionnaire, peut-être la présentation d’une

telle carte aurait-elle un intérêt ?

Par ailleurs je n’ai pas réalisé la carte de Bretagne sous QGis qui permettrait de lier la base de données Excel à une carte géolocalisée. On se contentera donc d’une carte dessinée.

2 Les actuelles communes bretonnes sont les héritières presque trait pour trait des paroisses d’Ancien-Régime. 3 Voir Annexes Figure 2, p. 249 : Origine des missionnaires bretons par paroisse (1492-1800)

4

Voir les trois cartes des densités de 1667, 1696 et 1770 dans CROIX, Alain, La Bretagne aux 16e… op. cit. pp. 126-128.

5 Les villes de Dinan, Landerneau, Lannion, La Roche-Bernard, Nantes, Quimperlé, Redon, Tréguier etc. sont

situées dans des estuaires ou rattachées à la mer par les voies fluviales qui leur permettent d’avoir un port actif.

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de Cancale trois et le Golfe du Morbihan concentre, sans Vannes, sept missionnaires. D’autres plus petits centres s’égrènent le long du littoral qui enfantent le plus souvent un seul missionnaire : Pléneuf, Le Conquet, Crozon, Pont-L’Abbé, Riec, Port-Louis, Saint-Michel- Chef-Chef…

Mais cette densité littorale n’est pas exclusive et les terres disposent aussi d’une bonne densité en certains endroits. Le diocèse qui arrive en tête du recrutement est d’ailleurs celui de Rennes, le seul diocèse breton qui n’a aucun accès direct à la côte. De même on distingue assez nettement le couloir qui s’étend sur les franges du diocèse de Saint-Brieuc à la confluence des diocèses de Tréguier et Quimper et qui donne treize individus. Le dense Vignoble nantais, autour de Clisson, donne dix à quatorze religieux. Les raisons d’une telle densité dans ces zones tiennent simplement à des raisons économiques1. Les côtes sont des lieux d’échanges commerciaux majeurs en Bretagne où s’activent les nombreux ports des côtes et des abers, ce qui est surtout vrai pour le XVIIe siècle2. Ce milieu maritime est propice au recrutement puisqu’on trouve onze fils de marchands et négociants installés sur la côte parmi les candidats et deux fils de marins3. Les fortes densités à l’intérieur de la province sont liées aux productions proto-industrielles et/ou spéculatives comme la toile produite dans le Léon, le pays de Loudéac et le pays de Vitré et l’industrie papetière en Léon et Trégor4, activité à laquelle se trouve lié Jean-Louis Leloutre, fils d’un papetier reconnu de Morlaix. La culture de la vigne est réservée au pays nantais mais fait la prospérité des habitants de la région. La région bordant les diocèses de Vannes et Saint-Malo sur la ligne Josselin-Ploërmel- Malestroit n’est pas très dense mais elle est un passage obligé dans les échanges entre Bretagne Nord et Bretagne Sud5. Les espaces vides de tout recrutement sont quant à eux moyennement ou peu denses et ne disposent pas de ressources suffisantes comme c’est le cas de la majeure partie du diocèse nantais qui a du mal à assurer sa propre subsistance en grain6.

Le lien entre l’économique et le démographique, soulevé par Alain Croix, est une explication importante pour le recrutement missionnaire : les réservoirs humains et la prospérité d’une région font que les habitants orientent plus favorablement leur surplus de

1 CROIX Alain, La Bretagne aux 16e et 17e siècles, la vie, la mort, la foi, Volume 1, Paris, Maloine, 1981, p. 129.

2 Ibid. pp. 58-59.

3 Parmi les 11 marchands-négociants, seul Gilles Séré, père du Sulpicien François Séré, est marchand dans les

terres à Vitré, mais il fait du commerce de toile. La côte est surreprésentée dans l’échantillon mais il est trop faible pour conclure de manière certaine.

4 CROIX Alain, La Bretagne aux 16e… op. cit. pp. 52-56.

5

Ibid. p. 149.

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naissances vers la religion. De telles remarques ne suffisent pas puisqu’elles sont les explications avancées pour l’accès aux fonctions sacerdotales, tant qu’elles restent attrayantes et que le candidat peut se constituer un titre clérical1. Elles ne concernent pas les missionnaires dont la vocation paraît motivée par autre chose que le bénéfice de la carrière. Des zones peuplées et potentiellement riches ne donnent aucun ou peu de missionnaires comme c’est le cas du Coglais et du Dolois2, compris dans le doyenné de Fougères qui contribue pourtant au quart du recrutement du diocèse de Rennes3. D’ailleurs ne concluons surtout pas que la richesse ou la condition sociale soient des éléments décisifs dans le recrutement et la vocation missionnaire. On trouve des missionnaires d’humble origine, issus de paroisses modestes. L’explication de la densité et de l’économie n’est pas suffisante et il faut alors chercher d’autres facteurs vers les villes qui polarisent les vocations.

2. Un fait urbain

L’autre fait majeur du recrutement missionnaire est la force du recrutement urbain. L’analyse proposée dans cette section portera sur les 444 missionnaires pour lesquels une paroisse d’origine est connue4

. Sur les neuf diocèses, les missionnaires issus des villes représentent 78,3 % de l’effectif total. On peut déterminer le caractère rural ou urbain pour 442 d’entre eux. Il se peut que la part du rural soit plus importante tout d’abord parce qu’on ne dispose pas du lieu de naissance de 162 des missionnaires du total du recensement, ensuite parce que des religieux et religieuses appartenant aux Capucins, Dominicains, Ursulines ou Augustines voient leurs origines liées à leur couvent de profession, le plus souvent urbain. Il n’en reste pas moins que ce chiffre important met quoi qu’il en soit la ville à l’honneur dans le recrutement par rapport à la force du fait urbain en Bretagne. Quand on sait que la Bretagne

1 MINOIS Georges, La Bretagne des prêtres en Trégor d’Ancien-Régime, Brasparts, Beltan, 1987, pp. 203-206.

BERTHELOT DU CHESNAY Charles, Les prêtres séculiers en Haute-Bretagne au XVIIIe siècle, Rennes, PUR

2, 1974, pp. 52-54.

2

Ces mêmes espaces qui au XIXe siècle fournissent pourtant un grand nombre de missionnaires. MICHEL Joseph, Missionnaires bretons d’outre-mer (XIXe-XXe siècles), Rennes, PUR, 1996 (éd. de sa thèse de 1946), p.

276.

3 CROIX Alain, « Le recrutement du Clergé au 18e siècle » in CROIX Alain (dir.), Les Bretons et Dieu : atlas

d'histoire religieuse (1300-1800), Rennes, PUR 2, 1982 ; LAGRÉE Michel, « La géographie du recrutement

sacerdotal : permanences ? » Ibid.; BERTHELOT DU CHESNAY Charles, Les prêtres… op. cit. pp. 74, 88.

4 Nous disposons d’informations en réalité pour 442 d’entre eux. En effet deux problèmes se posent pour

Accurse de Châteauneuf (Châteauneuf d’Ille-et-Vilaine ou Châteauneuf-du-Faou ?) et pour Étienne Le Vallet dont la paroisse d’origine est Eurtevan (?) dans le diocèse de Saint-Pol-de-Léon selon Allaire (je suppose qu’il s’agit d’un problème de transcription). On ne peut ni les localiser, ni leur donner un caractère urbain ou rural.

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ne dispose pas d’un réseau hiérarchisé de villes et que la population urbaine ne représente que 15,3% de la population bretonne à la fin du XVIIe siècle1, un tel constat a de quoi étonner.

Figure 3 : Recrutement rural et urbain parmi les missionnaires bretons.

Qu’entend-on au juste par ville à l’époque moderne ? Alain Croix dénombrait 253 bourgs mais seulement 39 villes à partir des critères des services rares, de la population et des fonctions (économique, politique, administrative, religieuse) pour les XVIe-XVIIe siècles2. Claude Nières, sur les mêmes critères, retenait 72 villes pour le XVIIIe siècle3. Entre le bourg et la ville, la frontière est parfois floue. Le statut de ville peut se résumer à la présence d’un château ou d’un port plus ou moins actif, à un rôle politique et historique traditionnel ou effectif, à l’aspect physique de l’agglomération, au nombre d’habitants agglomérés en un seul endroit. Par ailleurs les évolutions entre les deux siècles sont évidentes et doivent être prises en compte, certaines villes perdant leur statut au profit d’anciens bourgs comme c’est le cas de Loudéac qui n’est plus vraiment une ville au XVIIIe

siècle alors que Rostrenen accède à ce statut au cours du même siècle. Des cas insolvables peuvent se poser telle la ville de Cancale qui dispose d’un port, du Faouët, qui profite de halles, ou de Combourg et de son château. Là encore, la définition est fluctuante et il faut faire des choix. Une fois de plus les doutes ne sont pas majoritaires. Ils se restreignent à moins d’une dizaine de cas ce qui limite de trop lourdes répercussions sur les estimations.

1 Ibid. p. 32. 2

CROIX Alain, La Bretagne aux 16e… op. cit. pp. 144-148

3 NIÈRES Claude, Les villes de Bretagne au XVIIIe siècle, Rennes, PUR, 2004, p. 21 346

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