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Un présupposé historiographique

1. La force du mouvement missionnaire breton aux XIXe-XXe siècles

L’investissement breton dans les missions au XIXe

siècle a été considérable et les chiffres viennent appuyer cette affirmation. Ainsi, Joseph Michel recensait pas moins de 8252 religieux et religieuses partis aux missions entre 1801 et 19401, ce qui correspond à l’envoi de 22 prêtres, 11 frères et 26 religieuses, autrement dit 59 missionnaires par an sur cette même période2. Des paroisses ont donné un grand nombre de missionnaires3, parfois à l’échelle de familles entières4. La quantité est une chose mais il apparaît que la qualité du personnel envoyé est une autre donnée à prendre en compte. En effet Yannick Essertel dénombrait un très grand nombre d’évêques venant de l’Ouest : de 1880 à 1970, 144 évêques missionnaires de l’Ouest de la France avaient été nommés5

soit 29 % des vicaires apostoliques et évêques missionnaires français de la période6. Beaucoup s’avérèrent même les pionniers d’Églises locales. Les Bretons y prenaient la part la plus importante puisque les cinq diocèses bretons arrivent en tête des promotions avec celui de Vendée7.

Si on reprend les caractéristiques du mouvement missionnaire breton du XIXe siècle déjà bien étudié, on pourrait supposer que la période précédente pourrait être tout aussi riche en envois. Les études portant sur l’époque contemporaine sont très étayées, plus encore que les travaux portant sur l’époque moderne. Les deux auteurs cités précédemment esquissent quelques traits pour l’époque moderne et leurs statistiques vont dans le même sens d’une participation active des Bretons. Mais les mentions sont partielles et l’analyse n’est pas poussée jusqu’au bout. Si André Lesort constatait en 1907 « dans le clergé du Canada au

1 MICHEL Joseph, Missionnaires bretons d’outre-mer (XIXe-XXe siècles), Rennes, PUR, 1996 (éd. de sa thèse de 1946), p. 243.

2 Ibid. p. 227. 3 Ibid. pp. 245-247.

4 Ibid. pp. 210, 221. De même, dans la famille de Joseph Michel, sur ses 9 frères et sœurs, 8 devinrent religieux,

dont un missionnaire spiritain.

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ESSERTEL Yannick, « Les vicaires apostoliques et évêques missionnaires partis de l’Ouest de la France (1880-1975) » Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 2005, Vol.112 n°2, p. 71 ; Cependant les chiffres qu’il donne concernent les diocèses de l’Ouest dont ceux de Vendée, du Maine et de Normandie.

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Ibid. p. 85.

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XVIIIe siècle, nous rencontrons des Bretons en très grand nombre »1, en 1982 Henry J. Koren affirmait à son tour « les plus nombreux et les meilleurs missionnaires (sont) Spiritains, en

majeure partie Bretons »2, chacun citant des exemples à l’envi. On pourrait retranscrire d’autres citations du même acabit qui sont autant de propositions de recherche non-suivies. Aucune statistique n’a été publiée3

malgré des suppositions qui ne demandaient qu’à être vérifiées. Mais en histoire comme dans toute science, sans preuves formelles, rien de certain ne peut être avancé.

2. Le Père Joseph Michel et ses travaux sur la Bretagne

Le Père Joseph Michel a été un des précurseurs de l’histoire du fait missionnaire et son travail s’est avéré très riche tant pour l’époque contemporaine que pour l’époque moderne. Son œuvre et son influence méritent qu’on s’arrête un instant sur la personne et son travail puisqu’une partie de ce mémoire en dépend justement.

Il était breton de naissance et fut élevé dans une famille pieuse. La majorité de ses frères et sœurs prirent l’habit religieux et lui-même fut missionnaire spiritain au Congo de 1946 à 19504. Il se distingua dans le milieu intellectuel par plusieurs travaux sur l’Église et les missions5, en particulier son Histoire missionnaire du diocèse de Rennes de 1939 complétée par sa thèse sur L’activité missionnaire de la Bretagne de 1800 à 1940, soutenue à Rennes en 1946, mais qui ne fut cependant publiée que 51 ans plus tard en 1997 en raison des problèmes liés à la guerre et à l’après-guerre. Un tel sujet faisait figure d’exception dans le paysage historiographique de l’époque - et fait toujours exception aujourd’hui - tout comme son choix de soutenir son travail dans une université, refusant par-là l’ancienne histoire édificatrice qui avait eu cours. Ce choix n’est pas anodin et se reflète bien dans cette étude sociale, culturelle et même des genres. De même son travail était extrêmement novateur et déjà salué à sa

1 LESORT André, « ROCHEMONTEIX (le P. Camille de). - Les Jésuites et la Nouvelle-France au XVIIIe

siècle, Paris, Picard, 1906, 2 vol. in-8°; carte [compte-rendu] » Annales de Bretagne, 1907, Vol. 23 n°1, p. 134.

2 KOREN Henry J., « Du séminaire du Saint-Esprit aux missions en terre d'Amérique au XVIIIe siècle » in

COULON Paul (dir.), Claude-François Poullart des Places et les Spiritains : de la fondation en 1703 à la

restauration par Libermann en 1848, Karthala, Paris, 2009, p. 275.

3 Mis à part les travaux de Joseph Michel.

4 Pour plus d’informations sur la vie de ce missionnaire voir sa notice biographique sur le site internet des

Spiritains (en ligne) URL : http://www.spiritains.org/qui/figures/carte/michelj.htm. Sinon voir le numéro qui lui est dédié dans Mémoire Spiritaine, Vol. 2 n°4, 1996, pp. 50-130.

5 Pour un rapide aperçu de ses travaux voir LAGRÉE Michel (dir.), Dictionnaire du monde religieux dans la

France contemporaine, Tome 3 : La Bretagne, Beauchesne-Institut culturel de Bretagne, Paris-Rennes, 1990 p.

310 ; pour plus de détails voir LAGRÉE Michel, « Joseph Michel : l'actualité d'une œuvre historique » Mémoire

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soutenance par la présentation de graphiques et tableaux et par l’érudition déployée1. Il reste d’ailleurs sujet à de nombreuses réflexions. Dans sa thèse et dans ses biographies, l’aspect culturel apparaît comme quelque chose de neuf qui vient expliquer la sèche statistique, complétée par une recontextualisation qui, elle, éclaire la réalité des mouvements missionnaires.

Plus porté sur l’histoire de la congrégation spiritaine à laquelle il appartenait, ses travaux se déployaient principalement vers elle. Le XIXe siècle constitua le champ principal de son travail, période majeure pour la Congrégation du Saint-Esprit et de la mission, tout comme le XVIIIe siècle qui correspondait quant à lui à la première fondation de l’institut2. Pourtant son travail ne se limita pas à cela puisqu’il s’attacha aussi aux missionnaires de l’époque moderne dans son premier travail. Il laissa tout un chapitre sur les premiers missionnaires bretons de l’époque moderne dans son Histoire missionnaire du diocèse de

Rennes et en mentionna de temps à autres des exemples dans sa thèse.

Moins connue est sa deuxième thèse complémentaire, réalisée au même moment que sa thèse principale, qui consistait en un Essai de répertoire des Bretons partis dans les missions

étrangères avant 18003. Cette thèse seconde recense tous les missionnaires de l’époque moderne dont il avait trouvé trace, à partir d’une large bibliographie et de quelques archives. Quelques statistiques simplesviennent compléter l’ensemble4. Malgré quelques erreurs et des manques, son travail reste considérable quand on pense aux moyens de l’époque puisqu’il présente quelques tendances et s’avère être une base de travail utile d’autant plus que les répertoires de religieux se concentrent dans la grande majorité des cas sur un ordre ou un terrain mais jamais sur une région ou un ensemble de diocèses.

La diaspora bretonne et l’importance des Bretons dans les missions au XIXe

siècle invitaient clairement à se pencher sur le mouvement méconnu des missionnaires bretons aux siècles précédents. Malgré l’ancienneté des travaux du Père Michel, les thèmes qu’il avait abordés restent d’actualité, ce que l’édition de sa thèse en 1996 est venue stimuler et confirmer. Les travaux de Joseph Michel et les autres plus récents offrent de belles perspectives de recherche.

1 Il en avait été de même pour son travail de 1939 sur les missions et le diocèse de Rennes.

2 Voir COULON Paul (dir.), Claude-François Poullart des Places… op. cit, pour une synthèse globale sur la

congrégation du Saint-Esprit.

3 Elle n’est même pas citée par Michel Lagrée dans les Mémoire Spiritaine ou son dictionnaire.

4 On ne trouve qu’un tableau des ordres investis dans les missions par décennie et un autre des destinations ;

MICHEL Joseph, Essai de répertoire des bretons partis dans les missions étrangères avant 1800, Rennes, 1946, pp. 7-8.

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