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L’influence maritime et l’ouverture sur les Nouveaux Mondes : l’acclimatation à la mission ?

Effectifs des religieux bretons partis en mission selon leur institut

A- L’influence maritime et l’ouverture sur les Nouveaux Mondes : l’acclimatation à la mission ?

1. L’ouverture maritime : un appel du large ?

La question de l’influence du littoral mérite d’être posée dans le cas de la Bretagne puisqu’elle est une province péninsulaire où se succèdent les ports, plus ou moins grands et plus ou moins actifs. L’expression « appel du large » est souvent attachée à la carrière maritime, notamment aux pêcheurs. Est-elle valable dans le cas des missionnaires, dont le

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rapport à la mer paraît presque identique à celui des marins, les deux côtoyant cet espace, exprimant un désir de partir ailleurs, traversant les mers et étant confrontés aux mêmes maux ?

a. La proximité du monde maritime

On l’a vu précédemment, le littoral breton est un riche pourvoyeur en missionnaires puisque plus de la moitié des religieux partis en mission sont originaires de paroisses jouxtant les côtes. On constate aussi que les grands ports bretons sont bien représentés dans notre échantillon, en particulier Morlaix qui rassemble 22 missionnaires et qui se hisse à la quatrième place des villes bretonnes en terme de candidats donnés, loin devant certains sièges d’évêchés littoraux comme Quimper, Saint-Brieuc ou Tréguier et à égalité avec les cités malouine et vannetaise. D’autres ports plus modestes, du moins qui n’ont pas une vocation internationale et ne brillent pas au niveau national, fournissent des missionnaires comme Pordic, Cancale, Le Faou, Dinan ou Lannion1. Les deux derniers dépassent même des villes secondaires comme Bécherel, Vitré, Fougères… Il peut y avoir un côté « naturel » à se tourner vers la mer pour les populations maritimes du fait de la proximité physique de la mer et de la profession des parents2. Parmi nos religieux, plusieurs familles ont des liens privilégiées avec la mer comme Jean-François Gleyo dont le père était capitaine au long- cours3, Joseph Le Pavec4 et Pierre Belgarde dont les pères étaient marins et Noël Jouin, dont le père était charpentier de marine5. D’autres individus étaient liés aux milieux maritimes par leur famille. Ainsi Louis-Joseph Lefebvre6, Jean-Baptiste Curatteau7, Hyacinthe de Quimper, de la famille des Kerguelen8, Joseph-Louis Coudé9 et Guillaume-Alexis Grinne1 avaient des

1

Tous donnent plus de trois missionnaires.

2 CHARPENTIER Emmanuelle, Le peuple du rivage : le littoral nord de la Bretagne au XVIIIe siècle, Rennes, PUR, 2013, pp. 266-268.

3

LOBINEAU Guy (Dom), TRESVAUX François-Marie (éd.), Les Vies des Saints de Bretagne… op. cit. Vol. 5, p. 465.

4 HIET-GUIHUR Évelyne, « Les réseaux "asiatiques" et les missionnaires vannetais de la Société des Missions

Étrangères de Paris au XVIIIe siècle » Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, Vol.116 n°3, 2009, p. 29.

5

DUPONT Étienne, L'aumônier des corsaires. L'Abbé Jouin (1672-1720), Rennes, La Découvrance, 1999 (1ère éd. 1926), p. 30.

6 Son père était dans la Marine. DEHERGNE Joseph, Répertoire des Jésuites de Chine, de 1542 à 1800, Rome,

Presses de l'Université grégorienne, 1973, p. 148.

7 Son frère aîné, Pierre, était capitaine de négrier. HAREL J.-Bruno, « Curatteau, Jean-Baptiste » in Dictionnaire

biographique du Canada, Volume 4 1771-1800, Université Laval/University of Toronto, 2003 (en ligne)

URL : http://www.biographi.ca/fr/bio/curatteau_jean_baptiste_4F.html

8 « Coudé Louis-Marie » in AVRIL Jean-Loup, Mille Bretons. Dictionnaire biographique, Rennes, Les Portes

du large 2002, p. 104.

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frères ou des proches dans la Marine. S’y ajoutent des personnes liées au commerce maritime ou au négoce international comme François-Auguste Magon de Terlaye, Charles Le Gobien ou Pierre-Joseph Picot de Clorivière2. Mieux encore Pierre Belgarde avait navigué sur un négrier dans sa jeunesse et abandonna ses études de droit pour se tourner vers la carrière de missionnaire3, à l’instar de Louis Quéméner qui navigua en compagnie de son père qui le destinait à devenir marchand4 et de Jean-Baptiste Curatteau qui fit deux voyages en Guinée dans sa jeunesse5. Olivier-Simon Lebon avait semble-t-il des connaissances en navigation héritées de sa jeunesse tout comme Colombin de Nantes et Noël Jouin qui passèrent un temps dans une école d’hydrographie6

ainsi que le Jésuite Jean-François Légalais qui avait des connaissances nautiques7. Le frère René Forest avait quant à lui vécu à Madagascar avant son entrée chez les Lazaristes qui le contraignit à faire un aller-retour entre l’île et la France8. Ces hommes avaient des connaissances pratiques et/ou théoriques de la mer qui les ont peut-être fait envisager la carrière de missionnaire en raison de l’épreuve de l’éloignement de leur patrie à laquelle ils s’étaient confrontés. D’ailleurs l’aventure n’est pas inconnue à nos religieux. Olivier-Simon Lebon avait le goût pour les sciences et la géographie et ne craignait pas les épreuves de la navigation9. François Le Guerne, lui, qui pensait déjà à l’Amérique dans son enfance10.

1 Son frère Joseph fonda une famille à Bourbon et son second frère Jérôme-Vincent, passa comme prêtre à

Bourbon vers la fin XVIIIe-début XIXe siècle. HIET-GUIHUR Évelyne, Le voyage dans la formation des

missionnaires de la Société des Missions Étrangères (1660-1791), Thèse, sous la direction de Gérard Le

Bouëdec, Université de Bretagne-Sud, Lorient, 2011, p. 115.

2 Charles Le Gobien n’est jamais parti tout comme Picot de Clorivière qui était sur le point d’embarquer en

1790-1791 avant de se détourner de ce projet.

3

PROYART Liévin-Bonaventure, Histoire de Loango, Kakongo, et autres royaumes d'Afrique, Paris-Lyon, C.P. Berton et N. Crapart-Bruyset – Ponthus, 1776, pp. 204-205.

4 Abrégé de la vie de M. Louis de Quéméner. AMEP, Vol.112, p. 78.

5 HAREL J.-Bruno, « Curatteau, Jean-Baptiste » in Dictionnaire biographique du Canada, Volume 4 : 1771-

1800, Université Laval/University of Toronto, 2003 (en ligne).

6 MARIN Catherine, « Les missionnaires malouins au Tonkin, Siam et Cochinchine au XVIIIe siècle » Annales

de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Saint-Malo, 2003, pp. 169 ; WILTGEN Ralph, Gold Coast mission history… op. cit. p. 32 ; DUPONT Étienne, L'aumônier des corsaires… op. cit. pp. 35-36.

7 ARSI Catalogus Primus 1743, 118-10. 8

THIEFFRY Marc, La mission lazariste de Madagascar de 1648 à 1674, Archives lazaristes, Maison Mère, 2013, p. 534.

9 MARIN Catherine, « Les missionnaires malouins… art. cit. p. 169. 10

GAGNON Charles-Octave, (éd.), LE GUERNE François, Lettre de M. l'abbé Le Guerne, missionnaire de

150 b. La Bretagne, espace d’embarquement majeur

Concernant le recrutement côtier, il faut réfléchir à partir du concept « d’aires portuaires » proposé par Gérard le Bouëdec1 et se demander si ces aires portuaires forment des bassins de recrutement pour les missionnaires. En comparant les deux cartes de recrutement missionnaire et des aires portuaires des trois bassins lorientais, nantais, malouins auquel on pourrait ajouter l’arsenal brestois, les lignes principales semblent se recouper, bien que des ports de moyenne importance comme Morlaix ou Quimperlé semblent eux aussi jouer un rôle dans cette polarisation du recrutement. Sans parler des infrastructures urbaines et scolaires que nous avons évoquées, on remarque que les petites entités se situent à proximité d’un port d’estuaire ou de fond de ria qui recrute nettement plus. Si on prend le cas du recrutement des marins à Lorient au XVIIIe siècle, un bassin d’accueil se dessine jusqu’à 40 voire 50 km de la ville2. Il en va de même pour les autres ports bretons comme Saint-Malo, Brest et Nantes où 15 à 20 % des marins recrutés viennent de paroisses situées à 50 km du port3. Le recrutement missionnaire n’est évidemment pas comparable à cette situation car le système des classes est une obligation, ce que l’entrée dans les ordres n’est pas. De plus les modalités de recrutement diffèrent, la carrière ecclésiastique nécessitant une formation intellectuelle plus poussée que la carrière maritime, plus pratique dans son approche. Cependant, on constate que le monde maritime s’introduit dans les terres bretonnes et que le rapport à la mer touche même les Bretons les plus terriens4. En prenant en compte le fait qu’aucun point en Bretagne n’est situé à plus de 60 km des côtés, alors, chaque Breton se trouve confronté plus ou moins directement et fortement au monde de la mer. Notons aussi que les couvents sont situés dans les villes les plus opulentes du royaume ou capables de supporter une installation, ce qui concerne en Bretagne les villes côtières. La présence de religieux au contact de la mer et les liens tissés avec les marchands ou officiels qui se rendent dans les Nouveaux Mondes contribuent sans aucun doute au mouvement missionnaire, comme c’est le cas des Franciscains, capucins ou récollets5. Par exemple, les marchands de la Compagnie des Indes-Orientales « ont demandé

1 Ce concept avait été proposé dès 2001. Voir la carte du réseau portuaire breton au XVIIIe siècle dans LE

BOUËDEC Gérard, « Les trajectoires portuaires en Bretagne du XVe au XXe siècle », Nuevo Mundo Mundos

Nuevos (en ligne), Colloques, (consulté le 03/02/2017) URL : http://nuevomundo.revues.org/69922

2

GUILLEVIC Catherine, L’impact d’une ville… op. cit. p. 24.

3 LE MAO Caroline, FIGEAC Michel, Les villes portuaires maritimes dans la France moderne (XVIe-XVIIIe

siècles), Paris, Armand Colin, 2015, p. 143.

4

GUILLEVIC Catherine, L’impact d’une ville… op. cit. pp. 344-349.

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des frères à la province des Récollets de Saint-Yves en Bretagne1, vu qu’elle peut plus commodément fournir ces frères parce que, dans sa quasi-totalité, elle est installée à proximité des ports »2. Le recrutement des missionnaires près des côtes pourrait également relever d’un choix purement pratique, en raison de la présence des couvents à côté ou dans les ports qui permet de mettre à disposition rapidement et en nombre, les religieux demandés pour les voyages ou la desserte de cures coloniales.

Les ports en eux-mêmes ont-ils un rôle dans ces vocations ? La Bretagne a été le siège de plusieurs compagnies de commerce, a vu s’installer un arsenal à Brest et la Compagnie des Indes à Lorient, et a été le point de départ vers de nouveaux horizons où se sont exprimées des relations particulières entre Cancale et la Guyane dans les années 1600-16203, entre Nantes et les Antilles aux XVIIe-XVIIIe siècles, entre la côte nord de la Bretagne et Terre-Neuve pour la pêche morutière etc. Tous ces éléments n’ont pas directement joué sur la vocation missionnaire mais ils ont pu y contribuer indirectement. Les ports bretons sont importants dans les armements vers les colonies4. Parmi ces ports, plusieurs font des armements outre- mer et ont une vocation internationale : Lorient est le siège de la Compagnie des Indes orientales à partir de 1664 et une nouvelle fois en 1719, Brest est un arsenal royal, Nantes et Saint-Malo sont des ports ouverts sur les colonies, le premier armant pour les Antilles au XVIIe siècle et se distinguant dans la traite négrière au XVIIIe siècle, le second se démarquant par ses expéditions outre-mer audacieuses et comme siège de la seconde Compagnie des Indes de manière temporaire. Pour le transport et le commerce, la Bretagne a l’avantage d’être un point d’embarquement sûr, bien qu’éloigné, puisqu’à la différence de la Normandie elle ne fait pas face à l’Angleterre. Ainsi, les MEP favorisent les départs de Bretagne puisque 71 % des envois se font de Port-Louis, et 10 % d’autres ports bretons (Saint-Malo, Brest, Saint- Nazaire)5. Pour les 120 religieux dont nous connaissons le port d’embarquement, la Bretagne figure aux premiers rangs, concentrant à elle seule 71 départs, soit 59 % du total6. Cependant les ports de La Rochelle, Marseille et Rochefort sont très actifs dans les embarquements de

1 La province Saint-Yves semble être un autre nom donné à la province de Bretagne, normalement appelée Saint-

Pierre.

2

Lettre 03/12/1701. ADF 23H16.

3 Sur ce sujet voir ROMAN Alain, « De Cancale au Brésil : la France équinoxiale » in Encyclopédie de la

Bretagne, Volume VI : La Bretagne et la mer, Rennes, EURL Encyclopédie de la Bretagne, 2013, pp. 491-493.

4 Nantes représente 44 % des importations coloniales antillaises en 1730. MICHON Bernard, « Les "aires

portuaires" françaises au XVIIIe siècle : approche comparative », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, (en ligne), Colloques, (consulté le 04/02/2017) URL : http://nuevomundo.revues.org/69935

5 HIET-GUIHUR Évelyne, Le voyage… op. cit. pp. 591-593.

6 Ne sont pris en compte que les premiers départs. On compte 563 départs ce qui signifie qu’on ne connaît le lieu

d’embarquement que d’1/5e

du total. Les départs des Capucins au Brésil et des Jésuites avant 1686 se faisaient depuis le Portugal. À la fin du XVIIIe siècle, des religieux exilés partent depuis l’Angleterre.

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religieux : dans notre corpus, La Rochelle envoie autant de religieux que Lorient et Port- Louis ; Marseille envoie sûrement plus de religieux que les trois ports réunis si on considère que tous les Capucins sont passés par Marseille ou La Ciotat1 pour rejoindre le Proche-Orient. Une spécialisation par port semble se dessiner : le complexe Lorient-Port-Louis se tournant vers l’Extrême-Orient et l’Afrique, Marseille vers le Proche-Orient, La Rochelle et Rochefort2

vers l’Amérique bien que des ports bretons arment également dans cette direction de manière notable. La place de la Bretagne dans les armements outre-mer est prégnante et la disponibilité des navires en partance pour les Nouveaux Mondes fait que les supérieurs orientent en priorité leurs candidats vers ces ports, où l’offre des départs est importante.

c. Le passage des missionnaires : un essor des vocations ?

Et justement, l’orientation des missionnaires vers ces ports a pour conséquence des mouvements à l’intérieur même de la France. Les religieux font un premier voyage avant un plus grand voyage. Ils traversent différents territoires, de Paris jusqu’au lieu d’embarquement. Sachant l’importance de la Bretagne dans les départs outre-mer, on peut penser que les habitants voient passer des cortèges de religieux sur les routes, dans les campagnes et dans les villes, puis, en attente d’un navire, dans les ports ou dans les alentours. On n’a pas d’informations sur la réaction des populations dans les relations de nos missionnaires, quant au passage des religieux dans une ville ; comme si cette population était inexistante. Sur le chemin de Paris à Rochefort, effectué par Joseph Dargent, l’arrivée dans les villes donnait lieu à une entrée musicale de la part des soldats qui les accompagnaient, sans que l’auteur ait noté de réactions3 alors que la compagnie toute religieuse de M. Dubreil de Pontbriand chantait des hymnes sur la route4, ce qui ne devait pas manquer d’intriguer les badauds. On sait par les instructions données aux prêtres des MEP que le voyage est l’occasion pour les missionnaires d’« édifier tout le monde sur le chemin et dans les hotelleries, et feront l’aumône aux pauvres

en les instruisant et distribuant quelq[ues] chapelets et images aux valets et servantes » c’est-

1 Lettre du P. Agathange de Morlaix au P. Raphaël de Nantes 16/11/1640. Ms.1533, p. 539. 2

Seuls 135 religieux sont passés par Rochefort, principalement en direction de l’Amérique du Nord, au XVIIIe siècle, sachant que les MEP ont fait passer au moins 114 religieux sur la même période par Lorient et Port-Louis. MARTIN Sébastien, « Partir au nom du Roi. Le voyage transatlantique sur les navires de guerre au XVIIIe siècle » in HRODEJ Philippe, MICHAUD Marie-Christine, Entre mer et ciel : le voyage transatlantique de

l’Ancien au Nouveau monde (XVIe-XXIe siècle), Rennes, PUR, 2016, p. 122 ; HIET-GUIHUR Évelyne, Le

voyage… op. cit.

3 ROY Pierre-Georges (éd.), DARGENT Joseph, « Relation d'un voyage de Paris en Canada en 1737 » RAPQ,

1947-1948, pp. 10-11.

4

ROY Pierre-Georges (éd.), PAGÈS Clément, « Relation d'un voyage de Paris en Canada par M. Clément Pagès, p. s.s. 1741 » RAPQ, 1947-1948, p. 21.

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à-dire d’être des exemples vivants. Cependant il est noté qu’« ils tacheront d’éviter tout le

monde sur le chemin et dans les hotelleries »1. Les embarquements ne semblent pas non plus donner lieu à des réjouissances de la part de la population. La discrétion est de mise pour tous les religieux qui mangent isolément dans les auberges2, se retirent dans des communautés religieuses ou chez des amis et ne pensent qu’à rejoindre le lieu de leur embarquement le plus vite possible afin de ne pas manquer leur départ. Il n’est pas étonnant que dans ces relations, le voyage se limite aux mentions des auberges, aux villes traversées, aux paysages et aux incidents qui peuvent survenir. Parfois ils arrivent dans les villes de nuit et ne croisent donc personne3. Les contacts avec les populations sont limités et le voyage vers les ports ne permet pas vraiment de faire éclore d’éventuelles vocations parmi les habitants. La Bretagne, comme les autres provinces, ne bénéficie aucunement d’un afflux de vocations suite au passage de missionnaires jusqu’à leur port d’embarquement.

La mission est un sujet propre aux religieux comme semblent le confirment les nombreux arrêts dans les communautés religieuses. Lors du voyage de Marie-Madeleine Hachard de Rouen à Paris puis de Paris à Lorient, les sœurs parties du couvent des Ursulines de Rouen, passèrent chez les Ursulines de Magny, de Saint-Jacques à Paris, Vitré, Rennes, Hennebont mais ne dérangèrent pas celles de Laval car arrivées trop tard dans la nuit4. Joseph Dargent visita les religieux du séminaire d'Orléans et les chanoines de la Rochelle5. Les arrêts dans les communautés religieuses relèvent de la solidarité religieuse, comme ils constituent un moyen pour faire diminuer le coût du trajet en France. Lors de ces arrêts, qui peuvent durer de quelques heures à une journée, les candidats aux missions sont peut-être touchés de voir ces religieux donner leur vie et s’abandonner totalement à Dieu, ce qui expliquerait les bonnes attentions reçues par les Ursulines de la part des religieuses de Rennes et d’Hennebont6. Les missionnaires entretiendraient la flamme missionnaire lors de leur passage dans les communautés, sans que ces arrêts soient conçus comme des campagnes de recrutement.

Ce qui ressort de cette digression sur le voyage en France est que la traversée du pays par les religieux vers les ports n’est pas conçue comme un moyen de recruter. L’itinéraire français

1

Instructions pour les missionnaires qui vont par mer. Chapitre 2 – Ce qu’ils doivent faire jusqu’au lieu de

l’embarquement. AMEP, Vol.119, pp.15-16. Cité dans HIET-GUIHUR Évelyne, Le voyage… op. cit. p. 580.

2 ROY Pierre-Georges (éd.), DARGENT Joseph, « Relation d'un voyage… art. cit. p. 10.

3 Ces arrivées nocturnes sont communes dans la lettre. Lettre de Marie-Madeleine Hachard à son père,

22/02/1727. HACHARD Marie-Madeleine, Relation d'un voyage des religieuses ursulines de Rouen à la

Nouvelle-Orléans en 1727, Paris, 1872, p.9.

4 Ibid. pp. 1-18

5 ROY Pierre-Georges (éd.), DARGENT Joseph, « Relation d'un voyage… art. cit. pp. 9-13. 6

Lettre de Marie-Madeleine Hachard à son père, 22/02/1727. HACHARD Marie-Madeleine, Relation d'un

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n’est perçu que comme une contrainte dans le voyage, pendant lequel le religieux doit plus craindre et se cacher, que se mettre en avant.

La mer peut avoir une influence sur la vocation missionnaire mais elle paraît se limiter aux habitants des côtes, qui ne forment que la moitié de notre effectif. Paradoxalement, c’est le diocèse de Rennes, qui ne dispose d’aucune frontière littorale, et la ville de Rennes, qui recrutent le plus sur toute notre période. L’univers d’outre-mer s’introduirait-il dans les terres ? Ou bien les « terriens » n’idéaliseraient-ils pas trop le monde de la mer, les voyages et les terres lointaines, à la différence des « marins » plus au fait de la réalité ?

2. Du Nouveau Monde en Bretagne

La côte bretonne n’est pas seulement un lieu de départ vers les Nouveaux Mondes, c’est aussi la porte d’entrée de l’exotisme sur le Vieux Continent. L’altérité peut être importée vers le lieu même des vocations.

On trouve par exemple de non-Européens en Bretagne dès le XVIe siècle : Catherine du