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Nombre des départs en mission des missionnaires bretons

95 a. Le temps des expérimentations (XVIe siècle)

Le XVIe siècle n’a pas donné beaucoup de religieux missionnaires : quatre tout au plus et encore sont-ils incertains1. Cette période est marquée par la découverte de l’Amérique et par l’intrusion progressive des Européens dans les Indes orientales. La France ne lance qu’un seul projet d’envergure de colonisation au XVIe

siècle autour de Jacques Cartier, dans les années 1530-1540, sans succès apparent. C’est d’ailleurs dans son expédition qu’on trouve deux prêtres séculiers. Les Nouveaux Mondes ne semblent pas franchement attirer la Bretagne à la différence de la Normandie ou de la région lyonnaise qui paraissent plus impliquées2. S’y ajoute le fait que l’idée de mission est encore mal définie en France. L’extension de la foi se caractérise encore par un esprit de croisade fort face aux Turcs qui étendent leur influence toujours plus en avant en Europe. Parmi les Bretons, on trouve quatre Chevaliers de Malte morts à Rhodes en 1480 et quatre autres qui défendaient cette même île en 15223. Ils devaient selon les mots du Commandeur de la Feuillée en 1574 partir « pour la tuition et défence de la

foy catholique contre les Turcs infidèles et ennemi d’icelle et de la chrétienté, et y exposer sa vie quand la nécessité y est »4. À partir du XVe siècle, l’ordre des Chevaliers de Malte servait uniquement à la lutte contre les musulmans. Ces hommes étaient nourris de valeurs guerrières et se plaçaient en cela en héritier des anciennes croisades médiévales, fermant la voie pacifique de l’extension de la foi c’est-à-dire de la mission. La guerre physique primait encore sur le combat spirituel.

Outre le fait que la France ne se soit pas investie dans la colonisation, le XVIe siècle est un siècle de réforme religieuse, après la crise de l’institution pontificale du XVe siècle et l’émergence de la Réforme protestante. Les Réguliers sont à la pointe de la Réforme catholique, décidés à lutter contre l’hérésie et les superstitions. De nouveaux ordres apparaissent à partir des noyaux mendiants, franciscains en particulier : les Capucins se

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Ils se résument au vœu d’envoyer deux religieux aux Indes en 1516 et à deux prêtres incertains inscrits sur les rôles d’embarquement de Jacques Cartier en 1535-1536.

2 Ce sont des Normands qu’on retrouve dans l’expédition de Villegagnon. Les premiers missionnaires jésuites en

Acadie sont les Lyonnais Pierre Biard et Énnemond Massé, présents dès 1611.

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COUFFON DE KERDELLECH Alexandre, Recherches sur la chevalerie du duché de Bretagne, Volume 2, Nantes-Paris, Vincent Forest et Émile Grimaud-Dumoulin, 1878, pp. 399, 442, 502-505 ; GUILLOTIN DE CORSON Amédée, Les Templiers en Bretagne et les hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, Fouesnant, Yoran Embanner, 2002 (1ère éd. 1902), pp. 332-333. Jacques Bardoul, Yves Milon, Hardy Pantin de la Hamelinaye et Charles Chaperon sont morts à Rhodes en 1480 ; Guillaume de Kéralio, Julien Lestourbeillon, Jean de Cahideuc et Nicolas Fontlebon défendaient l’île de Rhodes en 1522, les deux premiers y laissant sa vie. On trouve aussi un François de Tournemine, qui n’était pas chevalier de Malte, mais qui passa deux fois à Jérusalem et défendit aussi l’île de Rhodes où il mourut en 1529.

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Archives de Loire-Atlantique B187 cité dans GUILLOTIN DE CORSON Amédée, Les Templiers… op. cit. p. 62.

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scindent de l’ordre de Saint-François en 1525 en Italie, s’installent en France en 1575 et arrivent en Bretagne, à Nantes, en 1593. Ils fondent des couvents en Bretagne dans les années 1620-1630. Les Jésuites, apparus en 1540, après le serment de Montmartre, s’installent à Rennes en Bretagne en 16041.

Des ordres anciens se réforment à leur tour comme les Franciscains récollets en Espagne en 1489 qui arrivent en France vers 1583. Ils ne sont détachés de la tutelle franciscaine qu’au début du XVIIe siècle2. Les Dominicains se réforment à partir de 1593 et étendent leur réforme au cours du XVIIe siècle3. Les Carmes déchaux, réforme des Grands Carmes entamée dès 1564, s’installent en Bretagne vers 1618. Pour les Grands Carmes la réforme de l’Observance rennaise a été lancée dès 1604 à Rennes et a été étendue en Europe et au Brésil4

. Les deux ordres les plus actifs au XVIIe siècle sont sans aucun doute les Capucins, suivis des Carmes et des Jésuites dans le cas breton5. On ne les voit pas agir avant dans les missions du fait premièrement de l’absence de la France dans le tableau colonial mais aussi en raison de leur installation « décalée » en Bretagne. Quant aux séculiers, ils subissent les conséquences des Guerres de Religion qui ont entraîné une première chute de leur nombre6. Les réformes axées sur la reconquête religieuse, et par conséquent sur la mission, retardent encore l’échéance du départ en mission.

Les troubles intérieurs liés aux Guerres de la Ligue qui provoquent des ravages dans la province à la fin du XVIe siècle amènent à repousser les tentations coloniales à des lendemains plus heureux. De même la primauté donnée à la réforme religieuse intérieure, conjuguée à l’installation plus tardive des ordres en Bretagne sont autant de facteurs qui ont joué sur la quasi-absence de missionnaires bretons au XVIe siècle. Après 1535, et la première expérience missionnaire bretonne, succède presque un siècle d’absence pendant lequel aucun religieux n’a ressenti l’appel de la mission.

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Pour voir les implantations religieuses en Bretagne aux XVIIe-XVIIIe siècle voir QUÉNIART Jean, « Les fondations… art. cit. Carte 10a.

2 MEYER Frédéric, « Pour faire l'histoire des Récollets en France (XVIe-XIXe siècles) » Chrétiens et sociétés,

Vol. 2, 1995, pp. 83-99.

3 VANTARD Amélie, Les vocations pour les missions ad gentes (France 1650-1750), CEHRIO, Le Mans,

Université du Maine, (Thèse de doctorat dirigée par Pierre-Antoine FABRE et Frédérique PITOU), 2010, pp. 160-162.

4 BESNARD Antonin… op. cit. Vol. 1, pp. 11-12. 5

Le cas des Carmes est exceptionnel à l’échelle de la France.

97 b. De l’éveil au réveil missionnaire (1620-1690)

Il faut attendre 1623 pour que soit mentionné le premier missionnaire breton, le Jésuite Jean Le Dirou1, suivi en 1629 par un groupe de Capucins, tous stationnés au Levant. De sept missionnaires en 1620-1630, on passe à 29 la décennie suivante soit une multiplication par quatre. Les années 1620 correspondent à l’institutionnalisation de la mission par la création du Dicastère de la Propagande à Rome en 1622. De 1620 à 1660 les places sont monopolisées par les Réguliers dont deux-tiers de Capucins. Le nombre de départs augmente à 46 en 1660- 1670, décennie qui voit apparaître dix séculiers ; ces derniers triplent leurs effectifs par rapport à la décennie précédente. Cette période constitue en plus le pic de recrutement au XVIIe siècle pour le recrutement des missionnaires en Bretagne. Malgré un tassement en 1670-1680 avec 39 religieux, la décennie 1680-1690 compte tout de même 44 nouveaux missionnaires, puis 38 à la décennie suivante2.

Cet essor missionnaire breton est à mettre en relation avec l’extension de l’empire colonial français qui se déroule sans interruption depuis les prétentions d’Henri IV jusqu’à la mort de Colbert en 1683, puis de son fils Seignelay en 1690. Avant l’Empire colonial, un débouché existait déjà dans le Levant. Les Capitulations contractées avec l’Empire ottoman par François Ier en 1535 et revues sous Henri IV en 1604 confèrent le titre de « Protecteur des Lieux Saints et chrétiens d’Orient » au roi de France. Elles permettent aussi aux Franciscains français de s’installer dans les Lieux Saints et dans les consulats. Ils n’ont cependant pas l’autorisation d’évangéliser quiconque3

. Les premiers soubresauts interviennent sous Henri IV qui prend conscience de l’existence et du profit des colonies canadiennes et tourne son regard vers l’Amérique méridionale. Il est interpellé par des individus comme Marc Lescarbot qui en appelle à une évangélisation du Canada ou Antoine de Montchrétien qui dans une phrase énonce les deux choix qui s’ouvrent au souverain concernant la colonisation et la mission : « Vous avez, Sire, deux grands chemins ouverts à l’acquisition de la gloire : l’un qui vous

porte directement contre les Turcs et mécréants, desquels la force s’affaiblit de jour en jour à mesure que leurs ordres s’abâtardissent, et l’autre qui s’ouvre largement aux peuples qu’il

1 ARSI, Franc. 21a ; LEBON Gabriel, Missionnaires jésuites du Levant dans l’ancienne Compagnie 1523-1820,

dact., 1935, pp. 74-75. Il est mentionné dans SÉJOURNÉ Xavier-Auguste, Histoire du vénérable serviteur de

Dieu, Julien Maunoir, de la Compagnie de Jésus, Volume 1, Paris-Poitiers, Librairie religieuse H. Oudin, 1895,

pp. 109-110. Cependant aucun document de cette mission et des Jésuites ne le mentionne.

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39 si on ajoute le pasteur protestant qui s’exile avec ses coreligionnaires après la révocation de l’Édit de Nantes en 1685.

3 PLANTÉ Romain, Propager la foi catholique et la grandeur du roi en Orient. Conditions de vie des

missionnaires et interactions avec les populations locales, Mémoire, sous la direction de Georges Provost,

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vous plaira envoyer dans ce nouveau monde, où vous pouvez planter et provigner de nouvelles Frances »1. Les deux voies seront finalement suivies de manière timide sous Richelieu et Mazarin, puis de manière assurée sous Colbert de 1669 à 1683. La Guerre de Trente Ans (1618-1648) à laquelle la France participe à partir de 1635 et la Guerre de Hollande (1672-1678) viennent légèrement perturber le cours normal du recrutement. La courbe réalisée selon le premier départ offre une vision a posteriori des mécanismes de recrutement. Néanmoins la courbe des vocations, malgré ses défauts, vient confirmer de manière plus abrupte encore le constat précédent pour les deux périodes. En 1630-1640, les ordinations et professions sont pratiquement divisées par deux par rapport à la décennie précédente (de 31 à 17 religieux). Une même division par deux des effectifs survient en 1670- 1680 par rapport à la décennie 1660-16702. Si on prend les Capucins, leurs effectifs chutent également alors que ceux des Jésuites stagnent.

Cette extension territoriale ne suffit pas à elle seule à expliquer cette tendance puisqu’il faut des religieux prêts à partir. Les ordres réformés au XVIe

ou à l’aurée du XVIIe siècle s’introduisent partout en Bretagne fondant couvents, collèges, prenant en charge les séminaires et la formation des prêtres. De 1550 à 1700, 174 couvents sont fondés en Bretagne qui attirent toujours plus de candidats3.

Cela reviendrait à dire que cette période d’extension coloniale, maximale pour la France en 16834, a été primordiale dans le recrutement des missionnaires. On assiste à un éveil d’une conscience missionnaire développée par les missions intérieures et par l’institutionnalisation de la mission ce qui contribue à faire exister la mission dans les consciences. En Bretagne l’implication d’un clergé plus nombreux et la prise de possession de plus de territoires par la monarchie française ont fait germer des idées de départ chez des religieux que seules des crises ponctuelles liées au contexte géopolitique ont fait vaciller, peut-être en raison de la dangerosité du voyage ou de l’impossibilité de prévoir des départs.

1 Phrase citée dans PLUCHON Pierre, Histoire de la colonisation française, Tome premier : le premier empire

colonial des origines à la Restauration, Paris, Fayard, 1991, p. 71

2 La courbe des vocations doit être utilisée avec prudence à cause des lacunes documentaires mais elle peut

fournir des ordres de grandeur.

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MINOIS Georges, Histoire religieuse de la Bretagne, Luçon, Jean-Paul Gisserot, 1991, p. 64

99 c. Une crise des vocations ? (1691-1710)

La deuxième période de 1690 à 1710 est marquée par une diminution importante des effectifs engagés. La légère diminution observée en 1690-1700 est un prélude à la diminution de la décennie 1700-1710 pendant laquelle deux fois moins de missionnaires sont partis par rapport à la décennie précédente (de 38 à 20). Comment expliquer une telle chute ?

Une explication liée au recrutement en Bretagne peut être avancée. Dans le cas du Trégor, les années 1660-1730 n’ont donné lieu à aucune création de couvents et les effectifs réguliers diminuent déjà1. Malgré les tentatives de réforme, les couvents français et bretons souffrent d’un relâchement ou en tout cas d’une tiédeur routinière, prémices peut-être du mouvement anti-régulier qui marque la seconde moitié du XVIIIe siècle. La conséquence serait une sorte de désintérêt pour la mission. Cette tendance est bien visible chez les Capucins car de 20 nouvelles recrues en 1680-1690, on passe à 12 en 1690-1700 et à une seule en 1700-1710 ! Pour les Carmes, on observe une absence de nouveaux religieux entre 1700 et 17302. Ces faiblesses sont très partiellement compensées par la stabilisation relative des missionnaires Dominicains et l’afflux des Récollets et des Jésuites à partir de 1700.

Pourtant les décennies 1710 et 1740 sont une période de plein-recrutement pour les séculiers en Haute-Bretagne3, tout comme dans le Trégor en 1700-17104. En plus les compagnies de prêtres sont installées depuis une cinquantaine d’années en France et sont mieux structurées. On pourrait avancer aussi un désintérêt pour la mission chez les séculiers. Si on prend les MEP, on remarque que le recrutement est à son plus bas niveau entre 1700 et 17205 et qu’aucun Breton n’est entré à cette période. Le même creux pour les Bretons se retrouve chez les Lazaristes et les Sulpiciens. Au XVIIIe siècle, la Bretagne n’est pas un réservoir de prêtres6. Peut-être que la volonté de mieux former le clergé, qui amène à refuser des candidats, ne se concilie pas avec le désir d’encadrement de la population. Les effectifs diocésains diminuent ce qui se répercute ensuite sur la mission. On pourrait alors penser à une crise des vocations missionnaires à cette période d’autant que les Réguliers sont moins nombreux et que les Séculiers ne peuvent pas ou plus se tourner vers la mission.

1 MINOIS Georges, Les religieux… op. cit. pp. 147-150 2

La faute peut-être au manque de sources…

3 BERTHELOT DU CHESNAY Charles, Les prêtres… op. cit. pp. 47-54 4 MINOIS Georges, La Bretagne… op. cit. p. 198

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HIET-GUIHUR Évelyne, Le voyage… op. cit. p. 48

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Une autre explication à cette chute importante serait liée au contexte géopolitique. La Guerre de la Ligue d’Augsbourg et la Guerre de Succession d’Espagne qui se jouent au niveau mondial perturbent l’empire colonial français et le commerce international. Un empire qui en plus n’intéresse plus vraiment le pouvoir depuis la mort de Seignelay en 1690 à qui succèdent les Pontchartrain, plus réservés dans leurs ambitions coloniales1. À l’issue de la guerre, la France perd l’Acadie conquise par les Anglais et par conséquent un terrain de mission.

d. L’éclat missionnaire ? (1711-1740)

La troisième période s’étalant des années 1720 aux années 1760 est marquée par un nouvel élan missionnaire, pic de la période étudiée. La décennie 1710-1720 débute par une timide reprise de 27 missionnaires poursuivie à la décennie suivante par 43 nouveaux envois. La décennie 1730-1740 constitue le paroxysme des envois missionnaires avec pas moins de 66 nouveaux missionnaires bretons impliqués dans les colonies et terres infidèles. En une vingtaine d’années, les effectifs ont plus que doublé. On passe des années 1700-1710 où la situation est quasi-comparable à celle du début du XVIIe siècle, au point le plus haut de la mission pour les Bretons en moins d’une trentaine d’années.

En totale opposition avec la période précédente, comment expliquer cette fois-ci un tel essor ? Tout d’abord la perte de Terre-Neuve, si elle a été néfaste un temps pour les missions françaises, s’avère être une nouvelle opportunité pour les missionnaires. Et ce sont les Récollets bretons qui sont chargés de s’occuper de la mission dans la nouvelle localité de l’Île Royale à partir de 17132. Reconstruire une mission nécessite des moyens plus importants et l’envoi de nombreux missionnaires. Les Bretons obtiennent même le monopole sur l’île après que les Récollets de Saint-Denis se sont retirés en 17313. Aux Récollets s’ajoutent les séculiers spiritains qui agissent dans le même secteur à partir de 1750. De plus les Ursulines bretonnes et normandes commencent à s’investir dans la mission à partir de 1727 : cinq d’entre elles sont envoyées en Louisiane. Mais ces effectifs, s’ils atteignent 58 Récollets de 1700 à 1760, dont 14 et 16 envois en 1720-1730 et en 1730-1740, accompagnés de 7 Spiritains de 1740 à 1760, ne suffisent pas à expliquer l’augmentation progressive des

1 PLUCHON Pierre, Histoire de la colonisation… op. cit. pp. 99-100

2 JOHNSTON A.J.B, Life and Religion at Louisbourg, 1713-1758, Canada, McGill-Queen’s Press - MQUP,

1996, pp. 23-25

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effectifs envoyés et le total de 62 missionnaires en 1730-1740. On remarque que c’est l’ensemble des ordres et instituts séculiers qui s’investit. L’explication la plus probable serait que la période 1686-1715, marquée par une période de guerre à outrance, a retenu une grande partie des vocations missionnaires sur le territoire français et breton. Ainsi ce ne serait pas une crise des vocations qu’on observerait en 1690-1710, mais une crise des départs liée à la situation militaire et coloniale. Les départs annulés durant cette période se répercuteraient donc sur les décennies suivantes faisant croire à une explosion des effectifs après la paix retrouvée. À moins que la guerre n’ait fait abandonner l’idée à certains de partir.

Illusions trompeuses donc que la baisse et la reprise fulgurante des départs durant le cycle 1690-1760. Cette hypothèse serait confirmée par la courbe des déplacements où le creux de 1690-1720 est visible, mais pas béant1. De plus si on analyse les départs pendant la période 1700-1710, ils ont lieu au tout début de la période : 14 sur 20 partent avant 1702 marquant la défaite navale française de Vigo ; pour 1710-1720, 25 départs ont lieu à partir de 1713, date où cessent tous les combats, sur un total de 27 départs.

Les phases 1690-1710 et 1711-1740 apparaissent nuancées en raison des guerres qui ont retenu nombre de missionnaires sur le continent voire ont amené des religieux à abandonner leur vocation aux missions pour se tourner vers les travaux habituels de pastorale. La rétention d’hommes pendant les deux guerres, du fait d’une situation maritime calamiteuse, a déporté le flux de recrutement aux périodes ultérieures. Les départs sont également stimulés par une reprise en main des colonies sous Louis XV qui ne souffre aucun conflit colonial jusqu’en 1740 et la Guerre de Succession d’Autriche.

e. Déclin et léthargie de la mission (1741-1840)

La dernière période est celle de la crise de la mission, débutée dès les années 1740 mais accentuée dans les années 1760. La crise se poursuit pendant toute la période, jusqu’en 1830.

Une première crise a lieu en 1740-1750 pendant laquelle les effectifs ont diminué de moitié passant de 66 à 35 envois. La raison est une nouvelle fois à mettre en relation avec un nouveau conflit : la Guerre de Succession d’Autriche (1740-1748) qui se joue également dans les colonies. Les Britanniques n’étaient pas parvenus à conquérir toute l’Acadie et le Traité

1 La courbe des déplacements recense 673 mouvements outre-mer. Les deux décennies 1700-1710 et 1710-1720

accusent chacune 31 déplacements, contre 57 en 1680-1690 et 45 en 1690-1700 soit une baisse de moitié tout de même. Voir Annexes Figure 4 : Courbe des déplacements des missionnaires bretons (XVIIe-XVIIIe siècle), p. 251.

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d’Utrecht laissait un flou quant à la délimitation des frontières1

. Le conflit tourne au désavantage des Français qui perdent leur solide place forte de Louisbourg en 1745, où s’activaient les Récollets bretons. Les Antilles en mauvaise posture survivent également. Suit une reprise des départs dans les années 1750 que vient interrompre la Guerre de Sept Ans (1756-1763) qui scelle définitivement le sort de l’empire colonial français en Amérique. Tout comme la récupération de l’empire en 1748 et la rétrocession de Louisbourg en 1749 par le traité d’Aix-la-Chapelle, l’augmentation des envois missionnaires en 1750-1760 ne fut qu’une brève illusion. À la décennie suivante, on constate une division par quatre des effectifs : de 42 à 11 individus. Une chute liée d’abord à la perte de la Nouvelle-France et secondairement de l’Inde où les missionnaires bretons n’étaient pas aussi nombreux.

Cette crise est amplifiée par la suppression inattendue de la Compagnie de Jésus en France en 1762 et par un relâchement total des Réguliers qui se désengagent peu à peu de la mission.