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2-2-3- Une répartition démographique: l’hypertrophie de la Cité religieuse de Touba

L’examen de la répartition de la population de la région de Diourbel, met en lumière l’hypertrophie de la cité religieuse de Touba que certains qualifient de ville, de capitale des mourides ou de « zone tampon ». Cette partie constitue l’espace urbain actuel bâti qui regroupe environ une quinzaine de villages ou quartiers gravitant autour du centre historique qui abrite la Grande Mosquée. (Voir figure n°3 : CR de Touba Mosquée : limites et sous-zones).

DIOUF Awa, 2012

54 Cette « zone tampon » représente en gros le tissu urbain que Cheikh Guèye décrit dans son ouvrage intitulé : Touba, la capitale des mourides (2002). Ouvrage auquel nous avons beaucoup fait référence et où il démontre la territorialisation de la confrérie, l’impressionnante transformation de la cité religieuse sous la direction des marabouts bâtisseurs et urbanisants, la spécificité de la ville de Touba qui bénéficie d’un statut particulier qui lui confère une certaine immunité. Touba est une ville franche non reconnue officiellement et aux limites résultant d’appropriations conquérantes souvent illégales. Le centre historique de Touba Mosquée qui constitue le carrefour incontournable où se joignent les différents axes routiers qui desservent les villages-satellites de la ville, est créé en 1887 par Cheikh Ahmadou Bamba. (Voir figure ci-dessous : Touba et ses centres).

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Source : Cheikh GUEYE, actualisation : DIOUF Awa, 2011

Figure 6: Touba-Mbacké et ses centres

Touba est une zone où l’alcool, la cigarette, le football, la drogue, la musique et les jeux de hasard sont interdits. Progressivement et sous l’impulsion des différents khalifes qui ont favorisé l’extension et l’occupation spatiale continue et le développement d’infrastructures socio-économiques, les villages-satellites ont rejoint le centre historique formant ainsi le tissu urbain presque continu. Cette transformation de la Cité religieuse a complètement modifié son mode de vie et son fonctionnement.

56 La communauté rurale de Touba Mosquée compte soixante quatorze villages (74) dont la majorité a été fondée soit par Serigne Touba, soit par ses frères, ses fils ou dignitaires. Cette distribution spatiale « traduit une volonté politique d’occupation de l’espace et de

territorialisation de la communauté mouride. » 82

La cité religieuse connaît un taux de croissance annuel qui est resté pendant prés de 30 ans de l’ordre de 15% alors que celui des villes du Sénégal n’est que de 3,5% par an en moyenne. Malgré son taux de croissance le plus élevé du pays et son poids démographique, Touba reste toujours administrativement un ensemble de villages. Le développement fulgurant de la cité a dépouillé à la ville de Mbacké pourtant la capitale départementale, son attraction.

Touba attire du monde pour de multiples raisons :

Touba est un espace économique pas toujours légal et un abri spirituel qui s’appuie sur un lieu de culte et des structures d’éducation constituées essentiellement de daara. Touba représente pour les mourides un symbole identitaire et un refuge moral. La représentation symbolique identitaire de Touba même si elle est parfois exagérée chez les mourides, est un sentiment profond. Acquérir une parcelle de terre à Touba ou être enterré dans son fameux cimetière signifie pour les mourides avoir une place au paradis. Outre la Grande Mosquée, le mausolée de Cheikh Ahmadou Bamba, la ville sainte de Touba regorge de lieux de mémoire comme, le puits Aïnou Rakhmati (le puits de la miséricorde), « Gouye Tekhé » ou le baobab de la rédemption, « Gouye Mbind », Darou Miname (la demeure des bienfaits), etc.

Un autre atout de Touba est la facilité foncière favorisée par la politique volontariste de peuplement de l’espace toubien des khalifes successifs. Touba bénéficie d’un statut particulier qui confère aux khalifes une certaine liberté ou autonomie dans la gestion de la cité. En effet, Touba possède un titre foncier qui s’entend aujourd’hui sur près de 30 000 ha de la communauté rurale. C'était au départ un bail établi le 11 août 1930 et ne concernait qu’un espace de 400 ha qui entourait la Grande Mosquée. Cheikh Guèye considère que « ce

titre foncier constitue l’instrument juridique de sécurisation de la propriété issue « du droit de hache » que détient collectivement la famille de Cheikh Ahmadou Bamba depuis 1887. »83

Le Khalife Général considéré comme le représentant de Serigne Touba, détient un pouvoir politique et spirituel sur toute la communauté mouride. Situé à la tête de la hiérarchie

82 (DIOP Omar, 2005, p. 16) La mobilité à Touba comme révélateur d’un entre-deux. Tradition et modernité. Mémoire de DEA. Université Gaston Berger. UFR des Lettres et Sciences Humaines. Formation doctorale de géographie. Saint Louis: Université Gaston Berger, 81 p.

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57 maraboutique, il est responsable de la gestion de la cité, du contrôle de ce territoire et son autorité s’étend même au delà du domaine de Touba.

En principe, les parcelles d’habitation sont distribuées gratuitement aux disciples et à toute personne qui veut s’installer à Touba et qui en fait la demande au niveau de la commission domaniale nommée par le Khalife mais avec obligation de mise en valeur. Cependant, ce principe n’est pas souvent respecté et représente à nos yeux une inégalité en matière d’accès à la terre, en tous cas pour les femmes célibataires. En effet « pour avoir une

parcelle, il faut que la femme soit accompagnée par son époux ». Certaines femmes ont

développé des stratégies pour contourner cet obstacle qui ne fait que confiner la femme dans un statut de mineure. C’est comme si elle est considérée femme que lorsqu’elle est mariée. Les populations n'ont cependant qu'un droit d'usufruit parce que «Touba a un statut foncier

unique au nom du Marabout…»84

La gratuité des terres a entrainé une spéculation foncière sans précédent à Touba. L’action des migrants internationaux qui n’hésitent pas à dépenser des sommes énormes pour acquérir certaines parcelles, a conduit à rendre inaccessibles les parcelles qui longent les grands axes routiers et les boulevards ou qui bordent les carrefours ou les marchés. Ces zones sont très recherchées pour les activités commerciales.

Un autre avantage concerne la gratuité de l’eau à Touba qui est distribuée à travers un réseau de près de 19 forages (en 2011) même si elle est dans la plupart des cas un peu salée. Cette gratuité combinée à la forte densité humaine dans la « zone tampon» surtout n'est pas sans conséquence sur la gestion, la qualité ou la quantité de l’eau, et les problèmes de santé et d’assainissement qui demeurent le casse-tête des toubiens85

.

Depuis les appels répétés des différents khalifes mais surtout du troisième, Serigne Abdou Lahat surnommé le « bâtisseur » qui a favorisé la première vague de lotissements massifs vers les années 1975, la ville de Touba accueille tous les jours de nouveaux arrivants. La venue spontanée de nouveaux habitants constitue entre autres un réel problème pour le recensement correct de la population. Ce qui fait que même les chefs de villages ont du mal à connaître le nombre exact de la population de leur village. D’ailleurs les résultats du dernier Recensement Général de la Population et de l’Habitat de 2002) sont fortement contestés par les chefs de village et le conseil rural parce qu’ils estiment que certains villages ont été mal

84 (GNING Khady, 2010, p. 356). Dynamiques et stratégies territotiales dans le bassin arachidier sénégéalais:

colonisation, urbanisation, développement et redéploiements. Thèse de géographie. Université Michel de

Montaigne-Bordeaux3. Pessac. UMR 5185 ADES CNRS. Pessac: ADES, 467 p.

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58 comptabilisés, que certaines réalités n’étaient pas prises en compte par exemple découpage de certains villages qui ont été remodelés.

En plus du motif identitaire religieux qui a permis ce que certains qualifient « d’exode

religieux », d’autres raisons ont poussé les populations à venir s’installer à Touba. En effet,

Touba offre des opportunités, d’emplois, économiques et commerciaux surtout. « Touba est

devenue une place commerciale pour les produits de consommation courante polarisant son arrière-pays rural dont il constitue le grenier. »86 Touba constitue un carrefour et « un pôle

d’échange approvisionné de partout » et les produits de contrebande venant de la Gambie y

sont bien écoulés malgré la présence de la poste de la Douane nationale à la sortie de la ville à Ndame. Malgré sont statut rural, Touba présente toutes les caractéristiques d'une ville très dynamique sur les plans démographique, socioculturel, économique et commercial. De ce fait, « elle [la ville de Touba] constitue une opportunité majeure pour la région de Diourbel qui

d'ailleurs s'identifie à elle. D'où une certaine polarisation de Touba par rapport à la capitale régionale qui s'explique par des facteurs religieux et un dynamisme économique important.»87.

Le ″malaise paysan″ est dû à la crise des zones rurales de départ et aux contraintes qui pèsent sur l’agriculture. Ces dernières sont liées aux déficits pluviométriques, à l'insuffisance ou à la faiblesse des rendements, à la crise alimentaire, à la pression foncière et au désengagement de l’État. Elles font partie des raisons qui ont poussé les paysans mourides à venir s'installer à Touba, à la recherche de solutions. Dans ce cas, on parle de « migration de survie » qui peut être saisonnier ou définitif le plus souvent et individuel ou villageois. Ceci fait que Touba est majoritairement peuplée d’habitants originaires des zones rurales.

Concernant l’origine des migrants de Touba « les départements de Kébémer, Louga,

Bambey, Diourbel, Mbacké, Tivaouane et Gossas fournissent l’essentiel des migrants vers Touba. » […] « Cette migration concerne d’abord des zones rurales anciennement conquises » 88. Selon Cheikh Guèye si la plupart des chefs de ménage toubiens sont des immigrants, 59% de la population toubienne est quand même née dans le département de Mbacké. La majorité des migrants internationaux originaires des départements de Mbacké et de Louga pour leurs investissements immobiliers choisissent Touba au détriment de leur village d’origine.89

C’est le même constat dans la communauté rurale de Thiakhar. En effet,

86 (GUEYE Cheikh, 2002, p. 433). Op. cit.

87

(GNING Khady, 2010, p. 356). Dynamiques et stratégies territotiales dans le bassin arachidier sénégéalais:

colonisation, urbanisation, développement et redéploiements…. Op. cit.

88 (GUEYE Cheikh, 2002, p. 429). Op. cit.

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59 dès qu’un fils émigré a les moyens de construire une maison, les parents mourides l’orientent le plus souvent vers Touba. Cette pratique est devenue très courante dans les villages wolof qui semblent moins attachés à leur terroir d’origine que les serer. Chaque année des familles entières quittent définitivement leurs villages et changent brutalement leur mode de vie. Ceci influe fortement sur l’évolution des densités des zones d’accueil avec tous les problèmes que cela engendre.

Les densités moyennes de la région de Diourbel ont fortement évolué en passant du simple au double entre les recensements de 1976 et 2006. En effet, entre ces deux dates, les densités sont passées respectivement de 103 à 226 habitants au km2.90 En 2009, la moyenne régionale était de 275 habitants au km².

La comparaison des effectifs de l’évolution de la population et des densités des communautés rurales de Thiakhar et de Touba Mosquée confirme le dynamisme démographique de la « ville » de Touba. La population de la communauté rurale de Thiakhar ne fait pas 26 000 habitants tandis que celle de Touba dépasse les 600 000 habitants. La densité régionale peut atteindre 800 habitants/km² ou plus dans les quartiers centraux de Touba contre 166 habitants au km² pour la communauté rurale de Thiakhar. Par rapport à la moyenne nationale qui était de 59 habitants au Km2 en 2002, ces deux communautés rurales sont densément peuplées par rapport au reste du Sénégal, sauf la région de Dakar qui a une densité qui peut dépasser 4000 habitants au km2.91 En dehors de ces caractéristiques, la population toubienne est jeune et se féminise.

2-2-4- Une tendance au rajeunissement, à la féminisation et à