• Aucun résultat trouvé

La reconnaissance des femmes en tant qu’exploitantes agricoles n’est pas effective parce que l’accès à la terre demeure toujours un problème pour bon nombre de femmes en milieu rural sénégalais. En effet malgré les déclarations et l’adoption de la loi sur le Domaine National en 1964, les pratiques de gestion des terres agricoles continuent de se faire selon le régime traditionnel. Pourtant la loi garantit l’égalité d’accès à tous les Sénégalais, des terres du Domaine National. Les terroirs agricoles non immatriculés c’est-à-dire qui ne font pas l’objet d’un titre foncier, font partie du Domaine National. Ces terres représentent plus de 90% du territoire national. Mais dans la réalité l’application sur le terrain de la loi n’est pas effective. Même la loi reste ignorée par une bonne partie de la population surtout féminine. Ces blocages sont aussi « liés d’une part à l’ignorance des possibilités des recours devant

l’autorité administrative compétente (gouverneur de région) chaque fois qu’elles se sentent lésées dans leurs droits d’accéder à la terre, à cause de l’analphabétisme très poussé des femmes en milieu rural »193. La loi ajoute que « la femme sénégalaise, même mariée peut

accéder à la terre librement. Elle peut acquérir toute propriété sans l’assistance de l’homme qu’il soit mari, père, frère, etc. »194

Il ne sert à rien de voter qu’on n’est pas en mesure de faire appliquer ? Pour acquérir une parcelle de culture, les femmes sont presque entièrement dépendantes de leurs époux ou du chef de carré qui alloue les terres. L’emplacement et la taille des parcelles des femmes dépendent de la disponibilité foncière. Comme pour le matériel agricole (machine), la femme est toujours la dernière servie. Les jeunes filles n’ont souvent pas de lopin de terre. En général, elles suivent et aident leurs parents dans les champs.

Le mode de transmission patriarcal actuel de la terre est aussi défavorable aux femmes et aux filles puisque les terres de culture sont transmises de père en fils. Comme la fille est

193 (REPUBLIQUE DU SENEGAL. Ministère de la femme, de l’enfant et de la famille, 1991, p. 17). Stratégies

du gouvernement du Sénégal visant à mieux répondre aux besoins des femmes rurales. FIDA. Conférence

régionale sur « la promotion économique des femmes. Dakar, 27 p.

194 (SYLLA E., JUTEAU L. et SARR A., 1995, p. 25). Guide des femmes. Sénégal. Dakar: CECI (Centre Canadien d’Etude de Coopération Internationale), 103 p.

133 censée quitter un jour le foyer parental, elle n’a pas droit à l’héritage des champs. Avec l’accaparement des terres, même l’accès à une parcelle devient de plus en plus problématique. Dans certains villages surtout dans la CR de Thiakhar, le problème de terres de culture se pose même pour les hommes, même si avec le départ des populations vers Touba, ce problème devrait s’atténuer.

Faute de terre, certaines femmes insèrent leurs cultures de bissap ou niébé dans les parcelles des hommes. La loi donne une égalité d’accès à la terre mais avec l’obligation de la mettre en valeur. A ce propos ; Diagne Abdoulaye écrit : « A l’échelle nationale, même si la

loi garantit un accès démocratique à la propriété et proscrit les restrictions coutumières de l’accès de la femme à la terre, la capacité de valorisation adéquate des parcelles par les femmes n’est tout de même pas effective ».195

En effet, l’obligation de mise en valeur a entraîné une ruée à l’exploitation du moindre espace disponible. Résultat, il reste peu de terres vacantes. Chaque année, (excepté quelques parcelles mises en jachère paturée), presque toutes les terres sont mises en culture. Par conséquent la fonction de la commission domaniale du conseil rural (organe chargée de la redistribution des terres vacantes) reste limitée par ce manque de terres. Ce problème est particulièrement plus important dans la CR de Thiakhar où à l’exception des bas-fonds et quelques friches, toutes les terres sont entièrement cultivées. Même les parcelles des villageois qui sont définitivement installés à Touba sont mises en valeur par d’autres membres de leur famille qui sont restés sur le terroir. Nous avons rencontré une femme du village de Séo Leff qui a repris possession des champs de son oncle.

Le problème de terres de culture est moins pesant pour les paysans de la CR de Touba Mosquée qui est beaucoup plus vaste et moins peuplée dans sa zone agro-pastorale. Ici les superficies moyennes cultivées par les hommes varient entre 2 et 3 ha tandis qu’à Thiakhar, elles sont en moyenne de l’ordre d’un hectare. Mais dans tous les cas, la superficie des lopins de terre des femmes reste insuffisante par rapport à celle des hommes.

En plus les femmes n’ont qu’un droit d’usufruit précaire. La terre continue dêtre gérée de façon coutumière et lignagère. Diagne A., souligne également les conditions de précarité chez les veuves et les femmes divorcées en matière d’accès à la terre notamment. « Il peut

arriver des situations exceptionnelles où la femme détient des terres car le mari est décédé. La veuve en qualité de détentrice de l’autorité parentale, en lieu et place de l’oncle paternel ou maternel et en attente de remariage, se charge de l’exploitation des parcelles jusqu’à la majorité des enfants garçons. Quant à la femme divorcée, même si elle avait des garçons avec

195

134

son mari, elle doit abandonner les parcelles qu’elle cultivait, sans compensation aucune, pour le « travail » qu’elle y a effectué durant des années pour améliorer leur productivité. Elle est généralement coupée de la communauté de son mari et ne peut rester au village s’il n’y a pas de famille. Une divorcée doit chercher d’autres moyens de subsistance ou retourner dans son village où elle pourra obtenir une terre de son groupe familial. »196 Cette situation reflètent les contraintes socioculturelles locales.

Comme nous l’avions signalé, le mode d’attribution des terres d’habitation à Touba, discrimine les femmes. En effet, ces dernières ne peuvent acquérir une parcelle d’habitation que sous la tutelle de leur époux. La femme qui est sous la dépendance de son époux, est supposée être entretenue et logée par ce dernier ou son frère. Mais les femmes sont très habiles pour contourner ces obstacles. Le recours au « prête-nom », la médiation d’un marabout par les femmes, ou l’achat par une tierce personne, font partie de leurs stratégies. Nous avons aussi l’exemple donné à Ngoye par Diagne Abdoulaye. des femmes sérères « pileuses » qui font tout pour acquérir un droit d’usufruit durable sur les parcelles de cultures. « Sur ce terroir, de moins en moins élastique, ces actrices sont entrain de faire une

incursion douce et discrète jusque là quasi masculine, en l’occurrence celle de l’acquisition d’une parcelle de culture par la mise en gage […] la mise en gage est proscrite par le conseil rural, mais un paysan qui met une parcelle en valeur 3 ans de suite jouit d’un droit d’usufruit permanent. » 197 Mais cette situation, même si elle leur permet de résoudre un besoin, reste précaire.

Certains groupements de femmes par le biais du conseil rural peuvent avoir accès à des parcelles destinées à leurs cultures de champs collectifs. Mais des exemples de ce type d’acquisition restent peu nombreux en raison de l’accaparement des terres. Beaucoup de demandes auprès de la commission domaniale ne sont pas satisfaites.

Au niveau national, selon le laboratoire genre de l’IFAN, les indicateurs dans le secteur agricole font défaut. La seule étude faite au niveau national date de 1999 par la FAO et porte sur l’agriculture pluviale. Toutefois, tout indique que les disparités n’ont pas fondamentalement changé. Les femmes chefs de ménage ne disposent que de 13,4% des terres cultivables. En plus, elles sont plus dépendantes des prêts avec 31% qui en ont recours contre 14,9% pour les hommes. Les femmes chef d’exploitation ont moins accès aux intrants et fertilisants. Le tableau qui suit montre la disparité au niveau de la répartition des parcelles cultivées selon le mode de cultures et le sexe au niveau national. Il révèle que les ¾ des parcelles d’arachide (69%) et des terres cultivées (73%) sont entre les mains des hommes.

196 Ibid., p. 249.

197

135 (Voir annexe n°11 : Répartition des parcelles cultivées, superficie totale cultivée selon la culture pratiquée par sexe et par région).

Tableau 7: la répartition des parcelles cultivées selon le mode de cultures et le sexe

Type de cultures Parcelles

appartenant aux hommes Parcelles appartenant aux femmes Ensemble

Effectif % Effectif % Effectif

Arachide 444 743 69,58 194 458 30,42 639 201 Mil 933 281 87,90 128 419 12,10 1 061 700 Autres céréales 182 914 50,42 179 843 49,58 362 758 Niébé 186 096 66,43 94 063 33,57 280 159 Autres culture 183 312 67,11 89 830 32,89 273 142 Ensemble de cultures 1 930 346 73,76 686 614 26,24 2 616 960

Source : Sénégal, Recensement national de l'agriculture 1998-99198

L’inégal accès des femmes à la terre comme moyen de production et comme bien immobilier est un problème auquel les pouvoirs publics qui sont les garants de la liberté et des droits de tous les citoyens, doivent mettre fin.

2-1-2- L’accès difficile des femmes au matériel