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Après avoir donné naissance, et assuré les soins à son enfant, la mère (tout comme le père), doit s'occuper d'éduquer son enfant. Le rôle du père ne se limite pas à pourvoir aux besoins matériels de sa famille. Tous les deux doivent s'acquitter de leur rôle d'éducateur. Mais en réalité la femme est au centre de l'éducation des enfants. Dans de nombreuses sociétés du monde pour ne pas dire toutes, elle en est le socle, la base. L'éducation des enfants fait partie de ses attributs traditionnels. En effet "La tradition africaine attribuait de grandes

responsabilités à la femme. C'est elle qui assurait l'éducation des enfants, qui transmettait la tradition et qui initiait les enfants à la religion et au respect du bien de la communauté."208

Cette tradition est toujours actuelle dans le Baol. Mais d'abord qu'est-ce que c'est que l'éducation?

Pour nous l’éducation est avant tout un moyen de contrôle social. Elle est l'ensemble des comportements, des manières inculquées ou apprises par une personne dans son enfance surtout, et à travers son entourage familial d'abord qui constitue en premier lieu son creuset, sa première école. L'éducation selon René Hubert cité par Pierre Erny209, est "l'ensemble des

actions et des influences exercées volontairement par un être humain sur un autre être humain, en principe par un adulte sur un jeune, et orientées vers un but qui consiste en la formation dans l'être jeune des dispositions de toute espèce correspondant aux fins auxquelles, parvenu à maturité, il est destiné". Cette définition ne couvre pas tous les aspects

de ce vaste champ et ne prend pas en compte la place et les influences venant de l'extérieur et aussi de la société dans laquelle évolue l’individu, et. En parlant des fonctions culturelles de l'éducation, Pierre Erny210 évoque les trois aspects de l'éducation dans la culture dont elle n'est qu'une expression, une fonction. Selon ses propos, l'éducation est d'abord dans sa dynamique, transmission d'un patrimoine ou d'un héritage d'une génération à l'autre et que les membres d'une société qui sont les porteurs s'assurent la continuité par l'apprentissage des conduites. Dans un second, lieu, il présente l'aspect statique de "l'éducation qui apparait

comme l'héritage, l'équipement que l'individu reçoit pour pouvoir s'intégrer dans sa communauté par les moyens d'un langage, d'un corps de connaissances, d'une échelle de

208 (MWAMINI NAFISA, Charlotte, 2008, p. 34). La femme commerçante en Afrique et l'éducation des enfants.

Le cas de la RDC. Paris: l'Harmattan, 107 p. (Collect.: Etudes africaines).

209 René Hubert (Traité de pédagogie général), cité par (ERNY, P., 1997, p. 15). L'enfant et son milieu en Afrique

noire. Paris: L'Harmattan, 310 p.

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valeurs, d'un cadre général de pensée et de référence, d'une sensibilité, d'un "ethos", d'un savoir vivre". Enfin, le caractère dynamique de l'éducation qui apparaît comme un facteur de

changement social car dit-il "l'univers mental d'une génération n'est jamais tout à fait

identique à celui des générations qui précédent ou suivent. En même temps qu'il devient porteur de culture, l'enfant devient aussi un élément transformateur de sa propre culture."

Présentée sous cet angle, l'éducation, comme les rapports sociaux, est largement imprégnée dans la culture, qui comme elle n'est pas une donnée qui est figée, mais qui évolue dans le temps et au contact d'influences externes véhiculées à travers les médias (télévision, radio, la presse), l'école, la rue, les voyages, etc. Nous confirmons avec Charlotte MWAMINI NAFISA que "Etymologiquement, "Eduquer" vient du latin "educare" ou mieux "ex-ducere",

et signifie "conduire l'enfant hors de l'enfance. En termes simple, et dans son acceptation ordinaire, éduquer l'enfant ou le jeune, cela revient à l'élever ou le conduire hors de l'état enfantin à l'état de maturité afin d'en faire un chef et maître de lui-même.211" Il s'agit d'un apprentissage qui se fait tout au long de son enfance et même de son adolescence, visant à préparer son futur en tout cas à vivre selon les normes de la société dans laquelle on est appelé à évoluer.

C'est par le biais de l'éducation que l'individu se forge, trouve ses marques et ses repères. Dans l'éducation, il y a cette notion de former quelqu'un, de pédagogie et d'éveil aussi. Dans une citation célèbre, Rousseau disait "On façonne les plantes par la culture, et les

hommes par l'éducation." On éduque un enfant pour qu'il réussisse dans la vie, qu'il sache

traverser les épreuves ou riposter aux défis de la vie, qu'il soit habilité à faire ses futures obligations mais aussi à reconnaître ses droits. L'éducation est aussi indispensable que la nourriture ou l'eau car sans elle l'homme ne pourrait pas vivre. Une vision très partagée dans la société sénégalaise ou en tout cas chez les wolof qui soutiennent cette définition qui dit que "éduquer un enfant, c'est lui apprendre à connaître le monde (en wolof: yar moy xamal gone

aduna). Le but final l'éducation n'est-il pas d'avoir un comportement socialement

irréprochable et une bonne intégration dans son milieu ?

Les parents et l'entourage familial constituent le support de l'éducation de base de tout enfant et ceci dès le plus jeune âge. Beaucoup pensent que l'éducation d'un enfant commence à sa naissance, mais des personnes âgées disent qu'elle débute bien avant sa conception et par le choix réfléchi de ses futurs parents pour leur qualité morale, leur éducation et leur milieu. Autrefois, nous disait un vieux rencontré lors d'un séjour à Thiakhar "le bon choix de

211 (MWAMINI NAFISA, Charlotte, 2008, p. 13). La femme commerçante en Afrique et l'éducation des

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sa future belle-fille ou de son futur gendre était primordial et était le garant d'un bon ménage et par delà d'une bonne éducation de ses futurs petits-enfants. Mais, aujourd'hui, les jeunes choisissent leur époux ou épouse n'importe comment."

Dès les premiers mois de la naissance de son enfant, la femme dans le Baol comme dans toute la société sénégalaise doit s'acquitter de sa mission de mère et d'éducatrice. C'est à elle que revient la tâche d'éduquer selon les valeurs propres et les repères de son milieu, Valeurs qui lui ont été inculquées. Il s'agit en fait d'une simple reproduction, de ce fait une transmission de comportements et de valeurs.

Ainsi, selon l'âge de l'enfant, un garçon et une fille ne sont pas éduqués de la même manière. Chez les wolof comme chez les serer, jusqu'au sevrage, garçons et filles restent attachés à leur mère, et reçoivent les mêmes soins et attentions. Si la fille reste toujours attachée à sa mère une fois la tétée arrêtée, ce n'est pas le cas du jeune garçon car c'est le père qui entre en jeu dans l'éducation de son garçon mais toujours sous l'œil attentif de la mère. Pour dire que ce sont les mères qui s'occupent essentiellement de l'éducation des enfants. En dehors de la mère, les cadettes sociales qui sont représentées surtout par l’entourage féminin familial ou immédiat ont une responsabilité importante dans l’assimilation des normes sociales. Elles représentent avec la mère, le maillon de transmission de ces normes sociales qu’elles soient avantageuses ou non pour la femme.

Le sevrage qui se passe en général vers l’âge de deux ans, représente donc une étape importante dans la vie d'un enfant car il marque le début d'une rupture mais aussi d'une ouverture vers le monde extérieur qui est une étape indispensable à sa socialisation. Cette épreuve marque aussi le début d'une évolution différente de l'éducation de l'enfant en fonction de son sexe. C'est ainsi que la mère prépare la jenue fille et l'initie aux tâches en rapport avec son futur rôle de femme, d'épouse et de mère. On lui apprend les comportements et les manières nécessaires pour pouvoir bien remplir plus tard sa mission dans son foyer.

Une fille doit apprendre comment tenir sa maison, s'occuper de son époux, de sa famille et de sa belle-famille et comment se comporter en tant que femme. Quand au garçon, on le prépare à être chef, à être brave et fort mais surtout à ne pas faire les tâches ménagères. C'est ainsi que les futurs rôles et comportements sont inculqués aux enfants. Etant petite je ne supportais pas que, pendant les grandes vacances après le petit-déjeuner ou le déjeuner, tandis que, je m’occupais du balayage, de la vaisselle ou parfois du linge, mon frère jumeau jouait au foot ou prenait tranquillement son thé avec ses camarades. Ce sont nous femmes, qui reproduisons à travers nous et nos enfants, sans le savoir, cette division sexuelle ou cet

142 héritage. On nous a enseigné que l'accomplissement des tâches ménagères fait partie de notre part du contrat avec la société.

De la naissance jusqu'au mariage, la mère est toujours présente dans les différentes étapes qui jalonnent la vie de la personne dont certains sont marquées par des rites. Dans son ouvrage intitulé la femme seereer, 212qui est une véritable archéologie de la société serer, Issa Laye Thiaw parle de ces moments importants du passage du jeune enfant à l'âge adulte. Ce sont des passages ponctués par des rites de protection et d'intégration dans la société serer. Rappelons que le Baol se trouve en pays wolof avec des villages serer localisés surtout vers le sud. Les wolof constituent avec ces derniers les deux groupes sociaux dominants dont la longue cohabitation a permis des influences mutuelles. Le statut de mère fait partie des premiers attributs de la femme, mais la conception d'un enfant n'est tolérée que dans le mariage. Dans notre étude, 90% des femmes interrogées ont des enfants contre 92% des hommes. Le nombre moyen d'enfants par femme qui est de 5, est très proche de l'indice synthétique de fécondité nationale qui est de 5,3.213

Dans le Baol comme ailleurs au Sénégal, l'enfant est indispensable à la stabilité du couple, et est même pour certains le garant du maintien des liens conjugaux. Quand le mariage est consommé, la femme est attendue d’enfanter. Une femme sans enfant est mal perçue. Que la femme soit stérile "dyasir" ou ait perdu ses enfants en couche ou à bas âge, le résultat est identique. L'absence d'enfant est un fait social mal vécu qui prive la femme de son rôle de mère. Elle est aussi non seulement un drame pour la femme, mais aussi une menace pour la lignée. L'enfant donne à sa mère un statut particulier. Deux des femmes sans enfants que nous avons rencontrées au cours de nos enquêtes ne me démentiront pas. Cependant, leurs familles respectives ont intervenu pour atténuer ce manque ou combler ce vide qui les a beaucoup marquées, en leur donnant des enfants qu'elles élèvent depuis leur plus jeune âge et qu'elles considèrent comme leurs propres enfants. Mais cela ne peut pas combler tout le vide laissé par le manque d’un enfant. Comme l’a écrit Issa Laye Thiaw : «Un enfant est le signe

de la fécondité des parents et de leur capacité à assurer la continuité de la lignée. […] Pour un seereer, le plus grand malheur n'est pas de vivre sans avoir d'enfant, mais de mourir sans laisser de descendant sur terre"214. Cette remarque serait aussi valable pour toutes les

212 (THIAW Issa Laye, 2005). La femme Seereer. Paris: L’Harmattan, 282 p. Op. cit.

213 Source: (REPUBLIQUE DU SENEGAL. Centre de Recherche pour le Développement Humain (CRDH), 2006, p. 58). Enquête Démographique et de Santé du Sénégal de 2005. (EDS-IV). Dakar: CRDH, 467 p.

Même si ce taux est en dessous de ce qu'espéraient les démographes défenseurs du planning familial, il faut souligner que l'indice synthétique de fécondité a un peu baissé au niveau national, à Dakar surtout.

143 communautés linguistiques sénégalaises et probablement africaines de manière générale, et pas seulement.

En plus de souligner l'importance de l'enfant dans la tradition serer, cet auteur met en exergue le rôle primordial de la mère dans l'éducation et la vie de l'enfant qui est une succession d'étapes accompagnées de rites qui sont importants pour sa protection et son intégration dans la communauté. Parmi ces étapes de l'enfance, on peut en citer quelques unes. En dehors des rites de naissance, il s'agit du rite du premier port sur le dos, de la première dentition, des rites des premiers pas et du rite du sevrage. Mais ces rites qui ont "pour vocation de faire de l'enfant un (e) adulte mûr (e) capable d'assumer son rôle dans la

vie communautaire"215, ont tendance à disparaître dans les villes surtout et sous l'influence de nombreux facteurs.

Après le sevrage comme nous l'avions souligné, l'orientation de l'éducation sera déterminée en fonction du sexe de l'enfant. C'est ainsi que les filles, sous la conduite de leur mère reçoivent une éducation particulièrement axée sur la vie conjugale, la fécondité et l'entretien du ménage comme il a été souligné. Jusqu'à la puberté, la formation morale, religieuse, physique et intellectuelle de la fille est une des tâches premières assignées à la mère. Cette dernièrre veille à ce que sa fille ait un comportement irréprochable aux yeux de la société qui ne tolère pas les filles qui ne sont pas accueillantes, patientes et discrètes ou qui ne savent pas cuisiner, qui sortent sans demander permission et surtout qui traînent avec les garçons. " Ce dernier point est important car une fille doit rester vierge jusqu'au mariage.

Le Cour Grandmaison (1972) en signalant l'absence de rite particulier qui marque l'accession à la puberté dans la société wolof et lébou, indique que :

"L'éducation donnée aux filles consiste à acquérir une conduite empreinte de réserve

et de pudeur, qualités essentielles à leur comportement de femme puisque ce sont elles qui domineront leurs relations conjugales. Mais elle souligne également que la

"liberté sexuelle des femmes mariées est aussi grande que celle des filles est réduite et

les adolescentes doivent feindre d'ignorer les rencontres entre femmes […] où elles donnent libre cours à leur sexualité […]. L'éducation sexuelle future se fait subrepticement. La virginité sera honorée lors du mariage et l'honneur en rejaillira sur la lignée, puisqu'elle sera connue de tous par la pratique de l'ostension du pagne

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— coutume vivement combattue par les jeunes filles et jeunes femmes en milieu urbain — mais qui sévit encore."216

Les plaisanteries érotiques dans les causeries des femmes très tolérées ne s'agissent que d'une liberté limitée aux paroles, vu l’opposition à toute activité sexuelle hors du mariage. Devant toutes ces exigences sociales, il faut que la mère inculque alors à ses filles des valeurs comme la pudeur "kersa", la patience "mugn" ou l'endurance et le respect qui sont des qualités essentielles dans la société. Les écarts de conduite ne sont pas aussi tolérés chez le garçon à qui on apprend à cacher ses sentiments et à être fort en toute circonstance pour devenir un jour un "borom ker" ou chef de famille. On lui interdit certains comportements et attitudes comme pleurer par exemple, se plaindre comme si c'étaient des traits innés chez la femme. Même si la mère occupe une place fondamentale dans l'éducation des enfants, elle n'est pas tout à fait isolée car l'enfant vit dans une maison souvent partagée avec le reste de la famille élargie, et dans un groupe au sens large.

Le groupe familial qui constitue la cellule de base, est le premier milieu éducatif. En effet, dès que l'enfant est sevré, beaucoup de personnes appartenant au groupe familial d'abord, participent à son éducation. Que ce soit, les tantes, les oncles, les grands parents, les aînés, les parents proches et même des voisins tous se sentent concernés par son futur et ces personnes n'hésitent pas à corriger l'enfant en cas de besoin car d'après ce proverbe wolof "un

enfant bien éduqué est la richesse de tous." Ainsi, l'éducation des enfants ne se limite pas

seulement à ses parents ou à son entourage familial. Autrefois, elle était l'affaire de tous. Maintenant avec les mutations observées dans les mentalités, un voisin réfléchira plusieurs fois avant de corriger un enfant qui n'est pas le sien. Même dans les écoles primaires qui sont dans les villes surtout, les instituteurs n'osent plus corriger physiquement leurs élèves.

L'éducation des enfants se fait à travers des actes pratiques et visuels, les conseils, la parole, la tendresse mais aussi la rigueur et de manière spontanée.

Autrefois, dans la tradition, les séances de contes occupaient une place de choix dans l'éducation des enfants. Le conte avait pour but d'éduquer et d'éveiller les enfants. Après le sevrage, l'enfant devra habiter quelques temps chez ses grands parents maternels qui n'habitent pas souvent la maison familiale. Ces grands parents, garants des traditions, jouent un rôle primordial dans l'intégration social de l'enfant et dans son éducation morale. Issa Thiaw Laye distingue deux sortes de contes et insiste sur leur rôle didactique: "D'une part les

216 (Le Cour Grandmaison, C., 1972, pp. 60-61). Femmes dakaroises. Rôles traditionnels féminins et

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contes destinés à la formation des garçons et d'autre part ceux destinés à la formation des futures mères. Tous ils incitaient à ne pas violer les prohibitions de la communauté et à respecter les coutumes ancestrales, surtout celles du mariage."217 Les séances nocturnes de contes qui étaient traditionnellement assurées par les mères, mais surtout les personnes âgées de la maison, se font rares aujourd'hui même dans les villages. Elles sont de plus en plus abandonnées dans les villes où les enfants comme les adultes d'ailleurs, ont tous les soirs, les yeux rivés devant les écrans de télévision qui diffusent des programmes peu instructifs et parfois destructeurs pour l'éducation des jeunes. A Touba par exemple, où à cause des émigrés, on observe une forte concentration d'antennes paraboliques captant les chaines de télévisions du monde entier. Ceci pourrait être un problème inquiétant pour l'éducation des enfants, car un enfant qui regarde tout peut copier tout parce qu'il n'a pas encore la capacité de discernement qu'il faut. Cette situation pourrait être amplifiée par le développement de l'internet qui ne faciliterait pas la tâche aux parents qui doivent surveiller en permanence les faits et gestes de leur progéniture. La réintroduction des séances nocturnes de contes et de devinettes, éléments de la formation intellectuelle et morale des garçons comme des filles, est plus que jamais nécessaire.

Nous n'ignorons pas le rôle du père dans l'éducation des enfants qui est tout aussi décisif mais il est souvent dissimulé dans la famille. Il s'agit du père en tant qu'autorité dont la présence et l'amour sont garant d'un équilibre moral, social et économique de toute la famille. Il est aussi un vecteur de transmission de connaissances et de savoirs aussi importants pour le passage de l'enfance à la maturité. C'est ce qui a amené la chanteuse sénégalaise Kiné Lam, à dire que le chef de maison (le père) est le pilier qui tient la tente, s'il n'est plus là, la tente s'écroule.218 Ceci est un hommage aux pères, époux, ou frères qui jouent aussi un rôle essentiel dans la cellule familiale et dans la société.

En dehors de son rôle dans l’éducation et la socialisation des enfants, la femme exerce