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3-3 La femme, gardienne et moteur de la famille et des liens

sociaux

La femme vit dans un environnement bien défini et entretien des relations avec les autres personnes avec qui elle partage ce milieu. Si on raisonne en termes de distance physique les plus proches de ces personnes sont ses voisins. Un adage wolof dit même que les « tes voisins sont ta famille »227 puisque quand un problème survient chez toi ils seront les premiers à arriver sur les lieux. De ce point de vue, toute personne a intérêt donc à ménager et à cultiver la paix avec ses voisins.

L'examen des faits montre que de façon générale, les femmes ont plus de facilité de tisser des relations de voisinage et d'entretenir les liens de parenté que les hommes.

223 Cité par (ROTHE, Thomas, 2010, p. 101). Dakar, chemins de traverse. (Un lointain si proche). Paris: Téraèdre, 160 p .

224 Pour plus d'information sur le " ndëp ", Cf. ouvrage de Colette Le Cour Grandmaison (1972). Femmes dakaroises. Rôles traditionnels féminins et urbanisation, pp. 67-87.

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Cf.: La femme seereer, Issa Laye Thiaw. Op. Cit.

226 Homme qui a des connaissances mystiques chez les serer. Mais les femmes serer pensent que derrière chaque

saltigué se cache une femme.

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149 D’ailleurs Dans une étude sur l'agglomération dakaroise, P. Mercier, notait que “les

femmes ont entre elles plus de contacts personnels que les hommes et que les visites l'entraide éventuelle ont lieu presque exclusivement entre parentes par alliance et femmes du même groupe ethnique.”228 Entretenir de bonnes relations de voisinage ou de parenté, avoir des loisirs et des distractions, et participer dans les associations font partie intégrante de la vie sociale des femmes sénégalaises. En effet, malgré les nombreuses obligations domestiques, professionnelles ou économiques, les femmes trouvent toujours du temps pour organiser des rencontres et rendre des visites ou des services aux proches.

L’importance et la qualité des réseaux de voisinage est plus perceptible lors des cérémonies familiales au cours desquelles les femmes reçoivent en plus de la présence des amis et des parents, une aide financière, un appui moral et des cadeaux non négligeables. Plus ces réseaux sont élargis plus cette aide est importante et très utile dans les transactions financières ou échanges de cadeaux entre femmes où les griottes qui servent d'intermédiaires, tiennent une place importante. Colette Le Cour Grandmaison que nous allons paraphraser, distingue parmi les rôles féminins, en dehors de ceux qui relèvent du religieux, ”ceux qui

relèvent de l’appartenance de la femme a un groupe social déterminé tel que la caste des griots - appartenance qui leur désigne d'emblée des fonctions précises dans les rites et les évènements importants de la vie sociale et individuelle”.229 Chez certains serer, on ne célébré pas la cisconscision des garçons sans la participation des fils des griots de la lignée paternelle. Chez les Diouf Ndiokhobaye, chaque circoncis devra téter le sein de la griotte de la famille paternelle qui formuler des prières en leur souhaitant la bienvenue dans le monde des hommes.

Les femmes organisent des loisirs et des distractions à travers leurs rencontres collectives comme le “sabar” (séance de tam-tam), les “tour” de quartier, ou de famille, les fêtes traditionnelles comme le “ndawrabin”. Le “ndawrabin” comme les spectacles de luttes, est une fête traditionnelle collective et mixe organisée par la communauté lébou. Le “ndawrabin” est une cérémonie au cours de laquelle des groupes de jeunes, de femmes et d’hommes exécutent en fil indienne des danses traditionnelles au rythme des tam-tams et des chants. Dans la cité religieuse de Touba où le tam-tam est interdit, les femmes se contentent de chants, de danses et de mimes. Des danses érotiques et des jeux sexuels sont exécutés dans certaines rencontres organisées par les femmes de même classe d'âge. Le batteur de tam-tam est la seule personne masculine autorisée. Les femmes laobés qui font partie des gens de

228 Cité par (Le Cour Grandmaison, C., 1972, p. 120). Femmes dakaroises. Rôles traditionnels féminins et urbanisation. Abidjan: Université d'Abidjan. (Annales de l'université d'Abidjan, série F-Tome 4 - Ethnosociologie), 252 p. Op. cit.

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150 caste, excellent dans ces danses. Les dances, les chants et les plaisanteries à connotations sexuelles entre femmes, font partie de leurs distractions préférées.

La participation des femmes du milieu urbain surtout dans les sections féminines des parties politiques même si elles ne sont pas bien représentées dans les instances de décisions, présente un avantage. Elle leur permet d'élargir leur cercle de connaissances et de tisser de nouveaux liens qui leur seront utiles un jour. Donc le calcul aussi faisait parti de ce genre de relations. Les femmes sont très perspicaces et elles n'hésitent pas à mobiliser leurs réseaux de connaissances en cas de nécessité. Les femmes attendent des dons ou cadeaux en retour de leur soutien au responsable politique local. Éventuellement elles y gagnent un emploi ou une bourse d'étude pour leurs proches, soit un billet d’avion pour aller à la Mecque.

En dehors des voisins, la femme joue aussi un rôle déterminant dans le maintien et l'élargissement de la parenté. Chez les serer, les wolof et les autres groupes culturels et linguistiques, la parenté revêt un caractère sacré. Les visites parentales, le confiage des enfants font partie des stratégies féminines développées.

Les visites parentales se font plus dans le sens de la campagne vers la ville. En effet pendant la fin de l’hivernage, une fois les récoltes terminées, ou en cas de besoins urgents, les populations rurales faisaient des séjours périodiques chez leurs parents installés en villes. Cependant avec les problèmes économiques, cette périodicité des visites n’est plus respectée, puisque même pendant la saison agricole, les femmes partent en ville pour demander de l’aide ou se reposer chez un parent. Nous pouvons apporter notre témoignage sur ces séjours car notre maison familiale servait de point de chute et était rythmée par le passage de parents venant du Baol pendant toute l'année, en “nor” comme en “nawet”. Ces séjours de parents, qui pouvaient être courts comme longs, étaient à la fois dérangeants et bénéfiques. Dérangeants parfois, parce que vue l'étroitesse des maisons dakaroises, remplie de monde, nos parents nous obligeaient à céder nos lits et à dormir parfois sur une natte ou un matelas posé à même le sol. Ces séjours présentaient des avantages pour nous les citadins qui partaient très rarement en campagne. Ils nous permettaient de faire la connaissance des parents proches ou éloignés qui ne venaient jamais sans apporter quelques produits de leurs récoltes (mil, bissap, arachide, niébé) ou de la volaille.

La circulation des enfants dans la famille élargie est une pratique courante au Sénégal et peut avoir différentes formes comme en témoigne cette citation: «Elle prend des formes

multiples allant du prêt à la mise sous tutelle ou au don définitif. Ce mouvement, des villages surtout vers la ville, est permanent: des mères ont précédé des filles dans cette voie,

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“Éduquées disent-elles chez une parente, loin de leur mère biologique.”230

Ce sont les femmes qui assurent la reproduction de cette pratique. Jean Copans définit le confiage des enfants « comme mode d'éducation et de socialisation des enfants très répandu qui consiste à

confier son enfant à un parent qui dispose de ressources et de modalités d'accès à certaines ressources comme l'éducation. Traditionnellement, c'étaient des ruraux qui confiaient leurs enfants à des parents déjà installés en ville. »231 Cette définition ne reflète pas tous les aspects du terme.

En effet, le confiage des enfants peut revêtir plusieurs aspects et avoir des motivations différentes.

On peut confier son enfant dans un but éducatif mais aussi par calcul ou par solidarité familiale ou par compassion. Le confiage d’un enfant participe donc à son éducation et à sa sociabilité. Une femme ou son époux peut donner son enfant à un proche parent ou ami dont on loue les qualités morales pour parfaire son éducation. Ce type de pratique qu’on appelle “yarluwan” en wolof (le prêt d’enfant à éduquer) est plus observé dans les villes surtout comme Saint-Louis ou Dakar, que dans les villages où il est plus courant de voir des enfants confiés après leur sevrage à leur tante maternelle ou paternelle (badiane).

Il arrive aussi que des parents qui se trouvent dans une situation économique difficile confient leur enfant à d’autres proches plus aisés. Ce type de confiage n’est pas désintéressé. Comme autre aspect de la circulation des enfants, on peut citer le confiage par compassion ou par solidarité à un proche en mal d’enfants ou pour “dépanner” un proche qui, pour des raisons multiples, se sent seul(e) ou a besoin d’aide dans ses travaux ménagers ou dans ses activités économiques ou professionnelles. C’est le cas de Bigué, une jeune fille de la caste des forgerons que nous avons rencontrée à Touba Belel. Cette jeune fille d’une dizaine d’années a été confiée à une tante par alliance (“jigen” de son père) lorsque son unique fille partait poursuivre ses études à Mbacké. Mais Bigué, contrairement à beaucoup d’enfants confiés, rentrait chez ses parents tous les soirs. Ils habitaient tous dans le même village.

Le confiage des enfants peut être provisoire comme c’est le cas ici, ou définitif. Le prêt provisoire d’enfant est appelé “abal dom” en wolof et le don définitif d’enfant “may

dom”. Dans ce dernier cas, l’enfant est confié à vie.232 C’est un don irrévocable parce que l’enfant est confié jusqu’à la mort. Ce type de don est souvent organisé dans le cas où on

230 (LECARME-FRASSY, M., 2000, p. 146). Marchandes dakaroises entre maison et marché. Approche

anthropologique. Paris: l’Harmattan, 267 p.

231 (COPANS, J., 2010, p. 73). Mythologies des Afriques. (Collect. L'anthropologie au coin de la rue). Paris: Téraèdre, 130 p. (Collection : L'anthropologie au coin de la rue).

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152 donne son enfant à une proche en mal d’enfant soit par stérilité ou par accumulation de maternités malheureuses. Dans ce cas précis, on peut citer l’exemple d’Astou.

Astou est une femme de 45 ans habitant le village de Sokano (Thiakhar). Elle s’est remariée après le décès de son premier époux et n’a jamais été enceinte. Elle a élevé une nièce depuis son sevrage jusqu’à au mariage de cette dernière. Depuis que sa nièce est partie rejoindre son époux, elle s’est faite confié à nouveau, une autre nièce de quatre ans. En plus, ses deux coépouses lui ont prêté une fille et une belle-fille pour l’aider dans les travaux ménagers. Astou a bien apprécié le geste de ses proches, et de ses coépouses car elle vit dans une grande maison qui abrite également un daara, et où les travaux ménagers sont par conséquent énormes.

Cette forme d’adoption, si on peut l’appeler ainsi, est aussi une marque de compassion et de solidarité familiale. Elle est pratiquée chez toutes les ethnies du Sénégal, et même dans d’autres pays africains.

Il y a d’autres formes de circulation des enfants observées dans tout le pays, parmi toutes confessions religieuses confondues. C’est le cas des enfants confiés à leur homonyme ou “turando” en wolof. Généralement au Sénégal, les parents ou plutôt le père, choisit pour son enfant un prénom de l’un de ses proches parents ou amis. Le droit de donner un prénom revient au père mais la mère peut toujours le négocier. Même, Jusqu’au jour du baptême qui est célébré le huitième jour après la naissance, certaines mères ignorent le prénom de leur enfant. Le choix de celui-ci par la mère peut être perçu comme un signe d’entente dans le couple ou comme une marque d’affirmation ou de revendication de la femme. Mais au nom de quoi ce droit revient au père si l’on tient compte des souffrances endurées et des efforts consentis par une mère pour son enfant. Les talibés dévoués choisissent le prénom de leur marabout ou d’un des membres de sa famille, ou des grandes figures musulmanes pour montrer son appartenance confrérique ou religieuse. C’es ainsi que les prénoms comme Khadim ou Cheikh Ahmadou Bamba, El hadj Malick, Mame Diarra, Mamadou ou Mohamed, Ababacar, Ousmane, etc. sont courants au Sénégal. On croit même que, par ce don de prénom l’enfant peut acquérir quelques unes des sept qualités bonnes ou mauvaises de son “turando”. C’est pourquoi, il fallait bien choisir le “turando” de son enfant. Dans la tradition wolof, le prénom de la première fille née dans un couple revenait de droit à la “njëke” (ou une « sœur » (“jigèen”) choisie par l'époux pour accueillir la mariée au domicile conjugal). S’il s’agit d’un garçon, il revenait de droit à son demi-frère paternel. Le don de prénom est accompagné d’obligations sociales que le “turando” de l’enfant doit respecter. Ces obligations commencent par l’achat d’une valise de vêtements pour le nouveau-né. Les visites régulières au domicile du “turando”, l’achat d’habits pendant les fêtes de Tabaski ou de Korité et la

153 prise en charge des fournitures scolaires par exemple, font partie de ces obligations. Les enfants aiment exhiber avec fierté les habits achetés par leur “turando". Une fois grandi, l’enfant aussi devra s’occuper de son “turando”. Ces obligation sont donc réciproques, et concernent aussi les parents de l’enfant. Le but initial de cette pratique, était de raffermir les liens sociaux familiaux ou amicaux. Mais aujourd’hui, avec la crise, d’autres motivations purement économiques, sont venues s’y ajouter.

Le confiage désintéressé et même la solidarité familiale et parentale sont aujourd'hui remis en cause avec la crise économique qui secoue aussi bien les villes que les campagnes. Thomas Rothé souligne également l'érosion de cette solidarité familiale qu’il qualifie de

“dette intergénérationnelle.”233

En effet comme le signale aussi Jean Copans, “Il n’existe pas

de solidarité en soi. Les rapports sociaux produisent des formes extrêmement variées de

relations d’entraide et de soutien non seulement selon les références culturelles des

personnes, mais surtout selon les ressources disponibles et les conjonctures socio-économiques [...]. Les crises de l’emploi (chômage, augmentation du coût de la vie), les crises d’ordre politique ou religieux ont mis en péril la reconduction et la reproduction élargie de cet esprit familial. [...]. Les revendications ont exacerbé les échanges de réciprocité et ont décomposé les familles et les couples mettant en question le confiage des enfants.”234 Même la solidarité entre fratrie et entre conjoints n’est pas épargnée.

Les femmes qui jouent pourtant des rôles importants dans la société, subissent des inégalités dans beaucoup de domaines.

En plus de leur accès inégal à la terre et aux matériels agricoles, les femmes sont peu présentes dans les instances de décisions.