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Les mutations identitaires regroupent toutes les changements sociaux dus aux influences interculturelles ou comportements acquis de l'extérieur ou au contact de moyens inhabituels. Ces mutations sont perceptibles à travers les changements des mœurs, du comportement, de l'habillement, du langage et des actes de l'individu.

Le baol baol se reconnait à son amour au travail, sa discipline, et au respect des « valeurs ancestrales ». Il est avant tout un fervent mouride qui n’attend que le « ndiguel » (ordre ou conseil) de son marabout. Autrefois, il ne connaissait que le travail de la terre, il était donc un grand cultivateur et fervent talibé. C’est ce que les marabouts ont compris et exploité pour développer leurs exploitations agricoles dominées par l’arachide. Lorsque les récoltes arachidières qui lui procuraient des revenus quoique modiques, avaient commencé à s’effondrer, le baol baol, est parti tenter sa chance dans la capitale nationale, d’abord uniquement pendant la morte saison. Une fois installé à Dakar, il prenait tout ce qui s’offrait à lui et ne refusait aucun métier et devenant ainsi le champion da la débrouillardise ou le "goor goorlu". Il était l’homme au « douze métiers » (vendeur, maçon, gardien, docker, etc.), mais était surtout doué dans les activités commerciales. Il était un génie de la fabrication et de la réparation de matelas en paille, d’objets ou de meubles endommagés souvent récupérés. Il était un recycleur avant l’heure. Avec, un grand sac, il sillonnait les quartiers de Dakar pour récupérer et collecter bouteilles et sacs de riz vides, ou la ferraille qu’il revendait sur le marché. Les souvenirs de notre enfance, qui relatent le passage des marchands baol baol qui criaient « Qui a des sacs ou des bouteilles à vendre ? »115, sont toujours présents dans notre mémoire. Il était dans le commerce et le bricolage. Certains baol baol ont bien réussi dans ce type d’activité de vente d’objets récupérés, et ont créé de grands lieux de négoce à Dakar. Le « paak Lambay » situé à l’entrée de Pikine et la « salle de vente » près du marché de Sandaga, qui accueillent et orientent les nouveaux venus, sont des signes qui montrent la parfaite insertion des baol baol dans le circuit économique de Dakar. Les exemples de parents baol

baol qui font partie de la première génération et qui ont réussi dans les affaires à Dakar sont

nombreux.

Après Dakar, d’autres tentent l’Europe, en commençant par l’Italie d’abord où ils font partie des communautés d’origine étrangère les plus nombreuses. Aujourd’hui, on retrouve les « modou modou » partout dans le monde (Espagne, Portugal, France, États-Unis, etc.). Et les marabouts les suivent aussi partout pour réclamer leur « Adiya ».

115 « saku wala bouteilles » en wolof. Les « modou modou » sont des migrants internationaux originaires du Baol surtout. Aujourd’hui le terme s’applique à l’ensemble des migrants originaires du bassin arachidier.

70 Le bao baol investit au pays. Mais il investit surtout dans la construction d’une belle maison à Touba au détriment de son village natal. L’argent du baol baol va aussi dans la polygamie et l’entretien et surtout la nourriture d’une famille nombreuse, car le vrai baol

baol, quand il déménage part avec toute la famille élargie, c'est-à-dire toutes les personnes qui

se trouvent dans la concession parentale. Puis, quand la famille est bien installée à Touba, il commence à investir dans le commerce de boutiques le plus souvent, et aujourd’hui dans le transport, la vente de marchandises d’occasion venant d’Europe (réfrigérateurs, voitures, matelas, friperie ou pièces détachées). C’est ainsi que les baol baol ont participé au boom immobilier, au développement économique, à l’explosion démographique de Touba. C’est quelqu’un de très méfiant et qui n’aime pas prendre des risques parce que comme il dit « mon

argent je ne l’ai pas ramassé par terre, je l’ai bien gagné ». A quelques exceptions près, Il

n’investit pas trop dans l’industrie ou la construction d’infrastructures collectives sociales de base (écoles, dispensaire, etc.) comme le font si bien ses compatriotes al Pular ou Soninké dans leur village natal. Cependant, aujourd’hui l’investissement dans l’immobilier à Dakar commence à intéresser certains d’entre eux.

Jusqu’à une période récente, rares sont les baol baol qui font venir leur famille à Dakar, encore moins à l’étranger où ils résident la majeure partie de leur temps, parce qu’ils n’aiment pas trop faire des dépenses, même pour eux-mêmes. Certains qui sont loin du pays rentrent de temps en temps au bercail. Ce qui fait qu’ils peuvent ainsi rester des années sans voir leur famille (femmes et enfants en particulier.). Le « gaspillage » est banni de son vocabulaire.

L’ardeur au travail, l’âpreté au gain, l’ingéniosité, la capacité de débrouillardise des

baol baol sont des valeurs qui ont séduit beaucoup de personnes si bien que le terme de « baol baol » est employé pour désigner plusieurs catégories de personnes à la fois. Il est employé

par extension pour toutes les personnes qui partagent ces valeurs et qui sont capables de vivre dans la peau d’un baol baol (parfois appelé « modou modou ») et excellent dans le secteur informel. Le baol baol n’est plus un simple terme qui désigne un habitant originaire du Baol que les citadins désignaient péjorativement par le terme de « kaw kaw » ou villageois pour faire allusion à son origine paysanne, à sa façon de parler, de s’habiller ou à son fanatisme. Mais il est une expression usuelle qui fait référence à un ensemble de comportements qui ne sont plus seulement propres aux ressortissants de l’ancien royaume du Baol. C’est ce qui a amené Malick NDIAYE (1997) à dire qu’aujourd’hui le terme baol baol est « un caractère

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penchant à l’épargne, un certain fanatisme, des mœurs rustiques, la facilité d’adaptation aux circonstances, la sobriété. »116 Le baol baol est souvent un illettré.

Il était quelqu’un de très respectueux surtout envers ses aînés. Un baol se mariait très rarement en dehors de sa lignée paternelle ou maternelle et jamais sans l'accord de ses deux parents. Mais les temps ont changé, nous dit un « vieux » que nous avions rencontré dans le village de Thiakhar. Dans un langage imagé, ce vieux au visage marqué par l'âge, nous disait: "De nos jours, les poussins ne suivent plus la poule, mais c'est la poule qui suit ses poussins". Ce qui veut dire en langage clair, que ce sont les parents qui se plient aux exigences de leurs enfants. Habituellement, ce sont les parents qui orientaient ou choisissaient femme ou mari pour leurs enfants. Ces choix obéissaient à un certain nombre de règles de valeur et de comportement que les personnes âgées veulent conserver jalousement. Mais, comme nous l’avons souligné, les parents se plient de plus en plus au souhait de leurs enfants, surtout pour ce qui est du choix de la deuxième épouse ou des femmes suivantes. Certains parents qui ont peur que leur fille tombe enceinte, capitulent. Ces changements dans les comportements matrimoniaux, déjà bien installés dans les villes, commencent à s'infiltrer en milieu rural. Ainsi, certains jeunes qui ont vécu longtemps en ville, acceptent de plus en plus difficilement de se marier avec une femme ou un homme qu’ils ou elles n’ont pas choisi (e), même si nous savons que les parents cherchent le meilleur pour leur enfant. Le mariage ne dure pas une journée, mais toute une vie. A propos toujours du mariage, les baol baol d’aujourd’hui par leur manière ostentatoire d’étaler leurs richesses lors qu’ils courtisent une fille, ont fait grimper le montant de la dot à des niveaux jamais atteints jusqu’ici. C’est ce qui explique pourquoi beaucoup de jeunes filles rêvent d’avoir un mari baol baol en particulier « modou

modou qui voyage » parce que comme elles disent « modou modou yi gnioko yor) ou ce sont

les modou modou qui ont l’argent. Cependant, il y a un grand écart entre être courtisée et être mariée et beaucoup de femmes de "modou modou" en savent quelque chose. Par ailleurs, avec la crise économique mondiale qui dure depuis trois ans, les "modou modou" ont-ils encore la cote chez les filles?

Un baol baol n’arborait jamais aucun signe de richesse. Il tournait même le dos quand il sortait de l’argent de son porte-monnaie ou sa poche.

Si l’on en croit les personnes rencontrées, les jeunes filles et garçons d’aujourd’hui n’écoutent plus les conseils, ni de leurs parents, ni de leurs aînés. Beaucoup de parents paysans ont du mal aujourd’hui à faire revenir leur fils pour cultiver les champs pendant

116 (NDIAYE M., 1997, p. 422 ). L’éthique ceddo et la société d’accaparement ou les conduites culturelles des sénégalais d’aujourd’hui. Paris : PUF.

72 l’hivernage. Les jeunes qui commencent à s’habituer à la ville, ne retournent au village que pendant les grandes fêtes musulmanes, surtout. Cette situation fait que les familles comptent de plus en plus sur la force de travail des personnes en place, qui se réduit de la sorte.

D’autres changements de comportement sont aussi notés chez les jeunes. Certaines jeunes filles qui sont parties se faire domestiques dans les villes rentrent avec un bébé dans les bras. Ce qui était inimaginable à une certaine époque comme l’avait souligné une vielle dame. Cela ne voudrait par dire que les grossesses hors mariage n’existaient pas dans les campagnes mais simplement qu’elles constituaient des faits très rares. Ainsi, les grossesses hors mariage qui sont en train de devenir un fait banal à Dakar où dans les autres grandes villes du pays, commencent à pénétrer petit à petit dans les zones rurales. Beaucoup de jeunes d’aujourd’hui, garçons et filles, développent un langage, des habitudes vestimentaires, des mentalités et des comportements nouveaux qui commencent à inquiéter les parents. Certains garçons sont devenus fêtards, boivent de l’alcool, se drogent. Beaucoup de parents déplorent ces nouveaux changements.

La dégradation des mœurs et de l'habillement notée surtout dans les villes, ont amené les dirigeants mourides à intervenir et à prendre des mesures. Pour éviter la « contamination » de la ville sainte de Touba qui accueille des populations venant de tous les horizons, une brigade spéciale des mœurs qui veille au respect des règles établies en matière de comportements, est créée. C’est le Dahira Safinatoul Amann, épaulé par la police et la gendarmerie nationales, qui se chargent de cette tâche. A Touba, l’alcool, la cigarette, les jeux de hasard, la prostitution, les tenues indécentes y compris le pantalon (fille), le tam-tam, la musique, le football, sont interdits. Récemment, ce Dahira117 a procédé à l’incinération publique de plusieurs articles parmi lesquels se trouvaient des bouteilles de boisson alcoolisée, des paquets de cigarettes, des cornets de chanvre indien, des comprimés stupéfiants, et d’autres instruments pouvant servir à faire de la musique (tam-tam, « bongo », bols, seaux), des ballons de football, des vidéos pornographiques et des armes blanches, etc. Durant ces saisies, des prostituées, des faux-marabouts, des voyous et « soulards » ont été interpelés. De l’avis du responsable de cette brigade spéciale, cité dans l’article de Mamadou M. Mbaye, toutes ces opérations ont été menées pour «assainir Touba de toutes ces souillures

qui lui sont étrangères. »118 Dans cet article, on nous dit que les prostituées viennent toutes de la ville de Mbacké, le lieu de transgression des interdits. Mais, nous avons entendu parler

117 Dahira ou Daïra est une association religieuse confrérique.

118

(MBAYE M. M., 2011a). Après avoir mis la main sur 16 342 objets proscrits : Touba se déleste de 3 «

yalla-yalla », 3 charlatans, 27 putes et 61 soulards. Quotidien : L’office du 11 mai 2011. Consulté sur

73 qu’il existe bel et bien des prostituées qui résident à Touba, mais qui sont très difficiles à démasquer. Les journaux, relatent souvent des cas de viols commis par des maîtres coraniques. Les agressions sont très nombreuses à Touba, surtout en période de Magal. Les excès observés ne vont-ils pas conduire à un intégrisme religieux ? Mais, le Dahira Safinatoul

Hamann qui en faisait un peu trop en voulant faire déguerpir tous les salons de beauté de

Touba, a vite été rappeler à l’ordre par le Khalife Général des Mourides.119 Certaines de ces mesures sont nécessaires, mais il ne faut pas tomber dans le fanatisme. Beaucoup de personnes qui n’ont pas l’habitude d’aller à Touba, ignorent toutes ces mesures. Une jeune enseignante dakaroise qui surveillait des examens à Mbacké, a fait escale à la gare routière de Touba pour rentrer à Dakar. Elle portait un pantalon comme la plupart des filles dakaroises. En descendant du véhicule, elle a été obligée d'emprunter un pagne pour se couvrir et pour pouvoir sortir et reprendre sa route. Elle n'a jamais mis les pieds à Touba et ne savait pas que le port du pantalon y est banni chez les filles. Mais où est la loi de la république. Que font la police et la gendarmerie nationales ? Sont-ils complices de ces agissements ?

Les changements de comportement relatés ici sont divers. Certains mauvais comportements nécessitent des études sérieuses pour pouvoir mesurer leur ampleur et trouver des moyens pour les endiguer.

Cet avant-propos par sa longueur et les points importants qui y sont soulevés aurait pu constituer un chapitre entier. Avec le titre identité du Baol, nous n’entendions par faire une description exhaustive car ce n’était pas notre objectif, et nous n’en avions pas les moyens. Nous voulions simplement retracer les caractéristiques essentielles pour mieux comprendre le milieu dans lequel vivent les populations, les femmes en particulier et le rôle et la place qu’elles y occupent.

119 (MBAYE A. M., 2011b). Touba - Déguerpissement des Salons de Beauté. Le Khalife rectifie Safinatoul Amann. [En ligne].

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PREMIEREPARTIE :