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La région de Diourbel est essentiellement peuplée de Wolof qui constituent le groupe dominant, viennent ensuite les Serer et le groupe des Hal Pular. Mais, actuellement avec la croissance exponentielle de Touba, on y rencontre tous les autres groupes socio-ethniques de la Sénégambie. Cependant, aujourd’hui avec quelques réserves, la longue cohabitation des trois principaux groupes sociaux (Wolof, Serer et Peul) qui a engendré des brassages, des échanges réciproques importants au point qu’aujourd’hui on peut se demander s’il est approprié de parler d’ethnie wolof, serer ou peul dans cette contrée. Combien de fois a-t-on entendu parler de gens qui vous disent, « je suis de tel groupe mais je ne sais pas parler la

langue. » Mais même si on sait que la langue est l’âme d’une société et un outil de

transmission de sa culture, l’appartenance à un groupe ne se limite pas à la maîtrise de la langue. Au cours de nos enquêtes successives, nous avons rencontré un certain nombre de villages serer ou peul complètement « wolofisés » depuis des générations mais qui gardent encore jalousement certaines de leurs traditions.

Les habitants de la région de Diourbel nommés les baol-baol ne toujours respectés pour leur discipline, leur sens du travail et des affaires et leur capacité d’adaptation. Ils sont majoritairement mourides et leur dynamisme et leur esprit d’entreprise sont très remarqués dans le secteur de l’économie parallèle.

Avant la colonisation, le Sénégal était divisé en royaumes et en provinces. La région de Diourbel a connu un passé historique riche et tumultueux.

Elle correspond en gros à l’ancien royaume du Baol. Elle était intégrée avec le Walo, le Cayor, le Sine et le Saloum au grand empire du Djolof. Le Baol comme son voisin le Cayor, était divisé en lamanats indépendants les uns des autres. Les chefs de ces entités

65 Ndigël ou ndigël est un mot wolof qui signifie un ordre, une instruction, un conseil donné par le marabout à son disciple.

45 territoriales (lamanats) étaient appelés lamanes. Lesquels comme ceux des autres royaumes versaient des redevances au Bourba Djolof établi à Thieng, la capitale du Djolof. Un à un ces royaumes finissent par se défaire de la tutelle du Djolof. Celui du Baol devient indépendant au lendemain de la victoire de Danki de Amary Ngoné Sobel, fils du lamane du Cayor Déthié Fou Ndiogou Fall sur le Bourba Djolof. Amary Ngoné Sobel libère en même temps le Cayor et le Baol vers le milieu du XVIème siècle (1550).

L’histoire du Baol est intimement liée à celle de son voisin le Cayor. Amary Ngoné Sobel, succéda avec les armes et sans grande difficulté, à son oncle Niokhor Ndiaye Khouli Gnilane qui fut Teign du Baol. Il devient ainsi damel-Teign. Certains souverains du Cayor et du Baol furent en même temps des Damel (titre du roi du Cayor) et des Teign (roi du Baol). A ce titre Charles Becker et Victor Martin notent que : « ces deux royaumes commandés par la

dynastie des Fall, ont connu pendant le XVIIIe siècle une évolution similaire, marquée par de nombreux conflits internes ou externes, et par les multiples tentatives d’unification des deux couronnes. »66 Ce qui n’était pas du goût des colonisateurs.

A la suite d’une histoire tumultueuse faite de guerres et d’alliances, les contours du royaume du Baol se sont remodelés. Le Baol, petite province intérieure au départ, a atteint ses dimensions maximales sous le règne du Damel-Teign Latsoukabé Ngoné Dièye (1697-1719). En effet, le royaume s’est agrandi au dépend du royaume du Sine après sa victoire sur le Bour Sine Diogoye Gnilane Diouf à la bataille de Nganiane. La victoire à la bataille de Gouye

Fouki Seur déplace les limites du royaume du Baol vers le Sud jusqu'à Kael au détriment du Bour Saloum.

Les baol baol constituaient une société très hiérarchisée en ordre et en caste et marquée par un système de domination avec au sommet les nobles d’où étaient choisies les familles régnantes (les Bour), les hommes libres (Diambour, les Gor) et les Diam ou esclaves au bas de l’échelle sociale. Les griots, les forgerons, les cordonniers, les laobés, etc. constituaient la classe des castés qui étaient des hommes libres et jouaient un rôle important dans l’histoire des royaumes.

Dans les royaumes wolof et serer du Sénégal, les femmes jouaient un rôle fondamental dans la vie politique. Djibril Diop souligne que « Pour être roi, le prétendant devait être né

d’une princesse du sang des Guelaware pour ce qui est des Sérers. Tandis que chez lez wolofs, les sœurs ou tantes du roi portaient le titre de Linguère et exerçaient de grandes fonctions politiques et commandaient même des villages. »67 A ce propos on peut noter dans

66 (BECKER C. et MARTIN V., 1976, p. 271) Kayor et Baol : Royaume sénégalais et traite des esclaves au XVIIIe siècle. Dans: Emmer P., Mettas J. et Nardi C., La traite des noirs par l’Atlantique. Nouvelles approches, (pp. 270-300). Paris: Société française d’histoire d’Outre-mer.

67 (DIOP D., 2006, p. 4).Décentralisation et gouvernance locale au Sénégal. Quelle pertinence pour le

46 l’histoire du Cayor et du Baol « la prédominance de la famille maternelle Guedj qui s’impose

à partir de Latsukabé dès la fin du XVIIIe siècle. Par une politique intérieure très habile, Latsukabé a su préparer le maintien de son matrilignage à la tête du Kayor et du Baol pendant la majeure partie du XVIIIe siècle. »68 Les français par de multiples tractations vont mettre à terme la progression des royaumes du Cayor et du Baol avec qui ils entreprenaient des relations commerciales. C’est ainsi que le Baol sera annexé à la colonie française vers 1860. Le Cayor le rejoint six ans après à la défaite du dernier grand résistant Lat Dior Diop à Dékheulé en 1886.

A la suite de l’éclatement des royaumes wolof, les français ont mis en place une nouvelle tutelle administrative et politique

Après l’annexion du royaume, le territoire fut rattaché au cercle de Thiès avec deux subdivisions : le Baol oriental et le Baol occidental. Chacune de ces entités était sous l’autorité d’un commandant qui était assisté par les chefs de province qui n’étaient autre que les descendants des rois déchus ou éliminés. Mbakhane Lat Dior Diop était dans le Baol oriental avec Sambé pour chef-lieu et Thiéyacine Fall dans le Baol occidental avec Touba Toul comme chef-lieu.

Le cercle de Baol qui épousait approximativement les limites de l’actuelle région de Diourbel était créé en 1907 avec Diourbel comme chef-lieu et était divisé en trois subdivisions Diourbel, Bambey et Mbacké qui étaient divisées en cantons. Ce découpage territorial imposé par les colonisateurs a bouleversé les bases sociales de la société wolof déjà affaiblie par les guerres internes. En effet, « le système des ordres qui permettait au pouvoir

politique de se reproduire n’a pas survécu au nouveau découpage territorial en « cantons » et en « cercles », à l’élimination physique de nombreux chefs et à la conversion massive des « dominés » aux confréries naissantes. »69

Le découpage administratif et territorial n’a pas beaucoup évolué après l’indépendance du pays. En effet, devenue une région avec l’indépendance, Diourbel a gardé ses trois subdivisions qui sont devenues des départements qui regroupent des communes et des arrondissements découpés en communautés rurales. Mais les termes de canton, de cercle ont complètement disparus dans le vocabulaire du découpage territorial. La région, le département, la commune, la commune d’arrondissement, l’arrondissement, la communauté

rurale constituent aujourd’hui les collectivités locales qui sont des institutions du dispositif de la politique de la décentralisation au Sénégal.

68 (BECKER C. et MARTIN V., 1976, p. 273). Op. cit.

69

47 On ne peut pas évoquer l’identité historique du Baol sans nommer deux éléments importants et inséparables qui l’ont profondément marquée : l’arachide et le mouridisme.

La culture arachidière qui était la principale richesse de la colonie et du pays après l’indépendance a entraîné des migrations importantes de populations vers les régions de Diourbel, de Kaolack devenues le centre de gravité de ce qu’on a appelé le bassin arachidier qui était devenu vers le milieu du XIXème siècle le centre d’intérêt du pays. (Voir carte : Limites du bassin arachidier).

Figure 4: Limites du bassin arachidier

Source : Khady Gning70

Sur le plan socioculturel et religieux, la région de Diourbel tient sa particularité à l’empreinte indélébile et au dynamisme structurant de l’une des grandes confréries du Sénégal : le mouridisme. Cette confrérie est fondée par le vénéré Cheikh Ahmadou Bamba qui reste un symbole emblématique dans la propagation de l’Islam au Sénégal.

Les marabouts mourides ont joué un rôle majeur dans l’expansion de la culture arachidière dans le pays. A ce propos Cheikh Guèye note que « les études ont souvent mis en

70

Carte réutilisée avec sa permission. (GNING Khady, 2010, p. 23). Dynamiques et stratégies territotiales dans

le bassin arachidier sénégéalais: colonisation, urbanisation, développement et redéploiements. Thèse de

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perspective l’essence rurale de la confrérie mouride, qui a produit une culture paysanne tournée vers l’arachide et la conquête des espaces. Des régions entières du centre et de l’est du Sénégal ont connu à partir des années trente de nombreuses fondations pionnières et villageoises, et des défrichements massifs. ″La marche vers l’est″ est une étape de la territorialisation de la confrérie. » 71 Ce qui lui a permis de laisser ses marques.

La relation entre les marabouts mourides et l’arachide a amené Jean Copans à les assimiler à cette oléagineuse notamment dans son célèbre ouvrage : Les marabouts de

l’arachide. La confrérie mouride et les paysans du Sénégal.72

Ouvrage où il décrit le rôle important joué par les marabouts dans le développement et l’expansion de cette culture de rente.

Outre son rôle dans l’expansion de la culture arachidière, le mouridisme qui est apparu dans un contexte de bouleversements sociaux marqué par l’éclatement des royaumes wolof du Cayor, du Djolof et du Baol, l’éviction ou l’élimination des rois, et les exactions coloniales, a apporté un souffle à cette société et a donné un coup dur à la structuration sociale wolof marquée par des privilèges accordés aux castes supérieures et des inégalités. Cette remarque est également valable pour les autres confréries du Sénégal mais le mouridisme constitue une particularité majeure. Selon le géographe Cheikh Guèye, (2002 :39), la naissance de la confrérie mouride est une réponse religieuse à la crise sociale wolof. La rupture des bases sociales était déjà partiellement entamée par la colonisation. Il explique que : « Si l’on

considère les confréries religieuses en général et le mouridisme en particulier comme la réponse à l’éclatement structurel des royaumes wolof, c’est qu’elles ont sécrété de nouveaux rapports sociaux et permis de remobiliser les populations soumises au joug colonial d’abord, puis au processus complexe de construction d’un État au Sénégal. »73

Les marabouts considérés comme des protecteurs des masses paysannes, ont développé des relations très ambiguës avec les familles aristocratiques régnantes et les autorités coloniales ensuite. En effet, depuis longtemps ils avaient des affinités avec les familles aristocratiques et princières avec qui ils faisaient des alliances, des arrangements et des compromis mutuels. Dans le cas du Sénégal, l’Islam a d’abord été une religion de cour militante avant de devenir un Islam confrérique74 des masses populaires caractérisée par l’acte

71

Ibid., p. 17.

72 (COPANS J., 1980). Les marabouts de l’arachide. La confrérie mouride et les paysans du Sénégal. Paris: Le Sycomore, 263 p.

73

(GUEYE Cheikh, 2002, p. 35). Touba, la capitale des mourides, Op. cit.

74 Cependant, il convient de préciser comme le souligne Abdourahmane SECK (2007) que "L'Islam au Sénégal

n'est pas seulement d'ordre confrérique". En effet, cet auteur évoque l'entrée en scène de regroupements

religieux aux tendances différentes comme la Jamaatou Ibadou'rahmane (JIR créée en 1978) qui appartient à la tendance de défense et de promotion de l'Islam, la Fédération des Associations Islamiques du Sénégal (FAIS) servant de relais à L'Etat, et la branche cadette des familles maraboutiques qui appartient à la tendance d'entrepreneurs religieux dont l'action "se situe à mi-parcours entre les champs confrérique et extra confrérique"

49 de soumission mais aussi d’allégeance des disciples aux marabouts avec le cas particulier du mouridisme. La confrérie mouride n’a pas totalement battu en brèche le substrat des bases sociales de la société wolof et elle l’a même partiellement reproduit. C’est ce que confirme Cheikh Guèye, en notant que « Le compromis a été trouvé dans les alliances entre lignages

aristocratiques et familles maraboutiques. La confrérie mouride, malgré les démêlés de son chef avec l’administration coloniale, s’affirme comme le cadre de l’ordre nouveau, reprenant à son compte l’organisation wolof en lignages, en accueillant les membres des anciennes familles aristocratiques venus se réfugier, et en formant avec eux des alliances matrimoniales réciproquement avantageuses. »75 Du coup donc les populations se trouvent au cœur d’une situation de compromis et de stratagèmes.

Désormais, les marabouts s’intéressent au foncier et cherchent à consolider leurs acquis et assoir leur légitimité avec les stratégies d’alliance et même de collaboration avec les autorités coloniales et nationales notamment à travers l’expansion de la culture arachidière qui est sans doute parallèle à celle de la confrérie mouride. Ainsi le territoire mouride se confond au territoire wolof. Et l’on se demande aujourd’hui si les statuts héréditaires des marabouts mourides et des Cheikh qui sont vénérés par leurs disciples totalement soumis, ne ressemblent pas à ceux des princes et des princesses ? Cette interrogation est valable aussi pour le statut des soxna qui sont les mères, femmes ou sœurs des marabouts. Cette question qui mérite d’être approfondie, peut faire l’objet d’une étude intéressante. En effet les « soxna » sont traitées comme des princesses. Certaines d’entre elles ont à leur disposition une horde de disciples prêts à satisfaire leur moindre désir.

Au vu de ce qui précède, on peut dire que le dynamisme du mouridisme n’est pas neutre dans le développement de la culture arachidière et vice versa. Il a fortement participé à la densification des campagnes du Baol, à la structuration et à la formation de ses centres urbains.