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La polygamie141 est un mot dont l'origine est à chercher dans le grec ancien et qui se compose de "polus" qui signifie "nombreux" et "gamos" (mariage)142. Elle est pratiquée dans des dizaines de pays dans le monde et n'est pas l'apanage des pays musulmans. C'est une

140 (SECK Ndèye Fatou, 2008). «NDEYAALE» «BAYALE» «PREMIER NDIEUKKE» ET «MAGALE» : Ces

échanges de bons procédés qui ruinent la société sénégalaise. Consulté le 06 Septembre, 2010, sur Xibar.net. NDEYAALE, BAYALE et MAGALE signifient le fait de désigner respectivement une marraine (Ndèye), un

parrain (Baye) et un "grand frère" ou une "grande sœur" à son enfant.

141 "Le terme polygamie est employé ici dans le sens de polygynie (homme avec plusieurs épouses). Son antonyme, la polyandrie n'existe pas au Sénégal. " Les données du Recensement Général de la Population et de l’Habitat de 2002, révèlent que 38,1% des personnes mariées sont des polygames. Les hommes polygames représentent 22,5% et la proportion des femmes vivant en union polygamique s’élève à 49,8%. L’intensité de la polygamie, quant à elle, est de 2,9 femmes par homme polygame. […]. Les polygames de rang 2 sont plus nombreux que ceux du rang 3 et 4. En effet, si un marié sur cinq de la population (20,2%) vit la polygamie de rang 2, 13,4%, le troisième rang, seuls 3,8% sont présents au quatrième rang ou plus." (RGPH III, 2006. Rapport national de présentation des résultats définitifs.Page 31.

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86 pratique qui existait au Sénégal bien avant l'Islam qui y a d'ailleurs apporté une limitation et des recommandations qui ne sont pas souvent respectées.

La dialectique polygamie/espace de liberté n'est pas un paradoxe. La polygamie peut être un espace de liberté pour certaines femmes, dans le sens où elle donne du temps libre aux femmes pour faire autre chose. On peut donner l'exemple des tours de cuisine dans les ménages polygamiques, qui sont les jours où la femme qui partage alors le lit conjugal, s'occupe des travaux ménagers, la cuisine principalement. Généralement un tour dure deux jours pour chacune des épouses qui partagent le domicile. Ces dernières peuvent être des coépouses directes ou indirectes c'est-à-dire les épouses de ses beaux-frères. Plus le nombre de femmes mariées dans la maison est grand, plus le nombre de tour de cuisine et de jours de repos de chacune est grand. Le calcul est simple si par exemple nous avons quatre femmes, nous avons quatre tours de cuisine de deux jours chacun. Les jours où la femme n'a pas son tour de cuisine, constituent pour elle des moments de repos. Mais, il faut relativiser, car certaines tâches comme le lavage du linge par exemple sont souvent effectuées pendant ces moments de repos. Ce sont aussi des périodes de détente que la femme peut partager avec ses enfants, ses parents, ses amies, etc. Ces jours sont des instants importants où elle a vraiment le temps de s'occuper d'elle-même. Ce sont des instants de liberté dans la mesure où cela lui dégage du temps de s'occuper de ses activités lucratives, de ses loisirs (cérémonies, rencontres, etc.). On n'a pas besoin d'être avec son époux tout le temps pour être heureuse. Dans la vie, il est nécessaire de trouver un temps pour soi. Arrêtons aussi de fonctionner sur des clichés qui voudraient "qu'une femme moderne devait être dans un ménage monogamique,

absolument avec son mari et ses enfants, manger avec lui, dormir avec lui dans la même chambre, porter son nom à la place de son propre nom, celui de ses pères, être affichée partout avec lui et devant tout le monde et ce pour le meilleur et pour le pire. Et gare à celle qui oserait regarder son mari qui était à elle toute seule."143 Cette analyse est à la fois provocatrice, caricaturale, mais bien réelle. Mais, c'est le point de vue de son auteur (Ken Bugul) et chaque personne est libre de faire son choix.

Comme, nous l'avons signalé, la société traditionnelle a fabriqué des rituels pour permettre aux personnes de vivre ensemble. Parmi ces rituels, nous avons entre autres, le

xaxar et le "takk deun". Le xaxar est une terrible épreuve que toute femme qui gagnait le

domicile marital et y trouvait déjà sa coépouse ou les épouses de ses beaux-frères qui peuvent aussi se révéler comme de véritables rivales, devait subir. Il était organisé par sa coépouse et les autres femmes de rang d'épouse souvent inférieur. Mais, "le xaxar n'était pourtant pas

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institué par les sociétés traditionnelles pour détruire, mais pour construire. C'était un rituel institué pour exorciser dès le départ les démons de la haine et de la jalousie. Un rituel qui permettait aux femmes de vivre ensemble sans heurts, un rituel qui libérait les affres de ces sensations qu'on attribuait à la jalousie et qui pouvaient mener au meurtre et à la folie."144

C’est un rituel pendant lequel tous les faits incriminés, déshonorants commis dans le passé par un membre de la famille de la mariée lui étaient rappelés. C'est ce qui poussait les populations à faire plus attention pour ne pas nuire à la réputation de sa famille ou ternir son image parce que la société a une bonne mémoire. Ce rituel qui tend à disparaître est encore observé dans les villages. Beaucoup de femmes mariées des grandes villes ne l'ont pas subi. Nous avons eu l'occasion d'assister à un xaxar à Touba. Ce qui nous avait le plus frappée, c'est la façon comique et théâtrale de présenter les tares de la famille de la mariée et des faits parfois méchants, dans un climat de divertissement. Même les parents, les amis et les sœurs du marié ne sont pas épargnés dans ce spectacle théâtral. Toute femme qui passera cette épreuve terrible qui peut même briser son ménage si elle n'est pas assez forte, pourra affronter les difficultés qu'elle pourrait rencontrer dans son foyer. Comme disent les wolof "le mariage est

un sac de sel arrosé de miel". Une veille dame que nous avons rencontrée, regrette la

disparition de cette pratique qui est si importante à ses yeux et que beaucoup de jeunes ne connaissent plus. Elle met en cause "l'occidentalisation" des jeunes, et regrette aussi l'augmentation du divorce chez les jeunes femmes d'aujourd'hui qui, selon elle, ne s'occupent pas bien de leur mari, ni de leur belle-famille.: "Aujourd'hui dit-elle, les filles se comportent

comme des "toubab" (occidentales). Elles veulent avoir leur mari et leur maison pour elles toutes seules. Elles ne veulent plus vivre sous le même toit que leurs beaux- parents. Elles demandent un appartement, une domestique, une laveuse. Certaines belles-filles, qui n'ont pas leur propre appartement, préfèrent rester chez leurs parents. Ceci n'est pas un mariage".

Nous ajoutons parmi les causes de ce changement des mœurs chez les jeunes, la mondialisation, la globalisation. En effet, avec le développement rapide des idées, des moyens de communication (télévision, NTIC) et de transport qui raccourcit les distances, le monde apparaît de plus en plus petit et ressemble à un gros village. Les coutumes locales risquent de disparaître.

Pour certains hommes, la polygamie présente un autre avantage parce avec la concurrence, les femmes deviennent plus coquettes, plus attentionnées envers eux. C'est pourquoi, des personnes pensent que "la polygamie peut changer certains défauts ou mauvais

comportements chez une femme exceptée sa démarche". Tout ceci pour dire qu'une coépouse

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88 peut changer une personne en bien comme en mal également car la concurrence et la jalousie entre coépouses peuvent devenir ingérables.

Sans sous-estimer la souffrance que peut sentir la femme à qui on annonce la venue d'une coépouse, en pratique la polygamie présente quelques avantages pour les femmes et les hommes. Mais cette souffrance, ce pincement du cœur ressenti n'est pas comparable avec celui d'une femme qui se fait tromper tous les jours au vu et au su de tous par un époux infidèle qui collectionne ses maitresses. Dans les pays occidentaux dits "civilisés", donneurs de leçons, ceux qui condamnent fermement la polygamie, tolèrent hypocritement les maîtresses. Voici, une situation paradoxale qu'il faut souligner. Mais les hommes mariés qui ont des maîtresses existent partout, même au Sénégal.

En parlant de souffrance, nous dénonçons encore cette idée reçue sur les femmes africaines, avec Ken Bugul dans ces propos: "Qui dit que c'est seulement chez nous qu'il y a

de la souffrance? […]. Il suffit de marcher dans certains quartiers de ces grandes villes de là-bas pour voir cette misère qui frappe des femmes, de l'âge d'enfant au troisième âge. Faites un tour dans les centres psychiatriques et parlez aux femmes qui s'y trouvent. Allez dans les maisons de retraite et parler à ces femmes du troisième âge abandonnées. Allez au bistrot et voyez le nombre de femmes alcooliques et solitaires."145 On peut allonger la liste avec les femmes battues, les sans-abris rejetés, délaissés et méprisés, qui vivent sous les ponts, dans les stations de métro des grandes villes. Ce qui veut dire tout simplement que la souffrance n'a ni frontière, ni couleur. Elle est partout, universelle.

Nous n'ignorons pas non plus, des situations dramatiques qui peuvent exister dans tous les ménages même monogamiques. Dans les ménages polygamiques, les tensions entre coépouses peuvent allez d'une simple dispute au meurtre, en passant par les bagarres et le maraboutage, qui n'épargnent pas les enfants. Tous les jours, les médias, la presse écrite relatent dans leur rubrique des faits divers, des problèmes graves survenus dans les ménages polygamiques surtout. Un exemple en 2009, à Touba, une femme d'une vingtaine d'années a tué sa coépouse en lui assénant un violent coup de couteau à la suite d’une altercation, nous rapporte Pape Gueye.146 Peut- être que cette femme n'a pas pu passer ou n'a pas du tout subi l'épreuve du xaxar? Des exemples regrettables et condamnables comme celui-ci, qui se passent partout au Sénégal, sont de plus en plus nombreux.

Comme nous l'avons souligné, les baol baol147 aiment la polygamie et les familles nombreuses. Près de 93,75% des personnes interrogées sont mariées. Parmi ces dernières,

145 Ibid. p. 186

146 (GUEYE Pape, 2009). Touba : Une jeune femme tue sa coépouse. Consulté le 03 septembre, 2010, sur http://www.xibar.net/TOUBA-Une-jeune-femme-tue-sa-coepouse_a18253.html

147 Habituellement, un habitant originaire de l’ancien royaume du Baol qui correspond en gros à l’actuelle région de Diourbel.

89 61% vivent dans un ménage polygamique. La polygamie est un moyen de contrôle social en reculant l’âge du mariage, d’où les sanctions très sévères contre l’adultère. Ceci peut entrainer des déséquilibres démographiques et des inégalités sociales avec la confiscation des jeunes femmes. La polygamie est aussi un moyen de contrôle de la force de travail des femmes et des enfants.

Parmi, les femmes interrogées, 90% sont mariées. Parmi celles-ci, 67% ont une coépouse. Plus de la moitié (52,78%) d'entre elles partagent le domicile conjugal avec au moins une coépouse. Les femmes des ménages polygamiques qui ne partagent pas le même toit avec une coépouse sont soit des "takko" ou leur coépouse est une "takko". Les femmes

takko" sont souvent des femmes un peu âgées ou qui ont étaient veuves ou divorcées. Elles

vivent en général chez leurs parents ou frères. Les veuves peuvent dans certains cas, rester dans le domicile conjugal par exemple si elles ont eu des enfants avec leur défunt époux. Aux yeux de la société, le statut d'une "takko" est moins important que celui d'une femme mariée ordinaire. Mais, il arrive qu'une "takko" soit plus jeune et plus coquette que ses coépouses. Elle devient alors une véritable rivale. La figure qui suit donne une idée sur la répartition des femmes mariées en fonction de leur rang d’épouse.

Figure 7: Répartition des femmes mariées selon leur rang d’épouse

Source : DIOUF Awa, 2006

Un autre rituel qui se perpétue encore de nos jours est le « takk dën » (attacher la poitrine). Ce rituel consiste à donner un cadeau symbolique à la femme qui reçoit une coépouse. Il peut même être élargi aux femmes des amis, frères ou cousins du marié et aux femmes du quartier. Un ex-prétendant peut aussi demander son « takk dën ». Cependant, il le réclame rarement. Le « takk dën » au même titre que le « xaxar », était institué aussi pour

86% 8% 3% 3% 0% 1ère épouse 2ème épouse 3 ème épouse 4 ème épouse 5 ème épouse

90 exorciser la haine, la jalousie en tout cas pour dédramatiser la situation. L'importance et la nature de ce cadeau dépend de la situation financière du marié qui peut avoir l'appui de ses amis ou de ses cousins. Il peut aller d'une petite somme d'argent aux clés d'une voiture ou d'une maison neuve. Dans certains villages, la femme qui va recevoir une coépouse, organise avec les autres femmes, une petite cérémonie pour présenter son « takk dën ». Cette petite rencontre se passe dans une ambiance festive, où les femmes se moquent le plus souvent du mari et de la belle-famille qui sont les instigateurs du mariage. La femme peut recevoir des cadeaux en guise de dédommagement. (Habits, du bétail, de nouveaux meubles (lit, armoire, etc.), etc. Cette rencontre s'appelle en wolof "cafég diég dji" (le café des jeunes femmes mariées). C'est une pratique que beaucoup de jeunes dakaroises ne connaissent pas.

La société a fabriqué aussi les mots qu'il faut pour décrisper, faire plaisir mais surtout pour spécifier, la place de chacun dans un ménage polygamique. C'est ainsi que la "awo" ou première femme est considérée comme "la reine de son foyer" (awo buru kërëm), la deuxième "niarel" est "l'amie de son époux" (niarel xaritu jëkërëm), la troisième "nietel" est "le cœur de son époux" (nietel xolu jëkërëm)148. La "awo" a un statut très important dans le ménage polygamique, surtout dans les villages. Elle est souvent une personne respectée par les autres femmes. C'est la raison pour laquelle, on recommande aux autres femmes de "suivre ses pas". Elle sert d'exemple et a autorité sur les autres femmes. Cependant, ces conseils ne sont donnés que lorsqu'elle est considérée comme une "bonne épouse" par son époux et sa belle-famille. Nous avons observé des coépouses demander la permission de sortir à la première femme pendant l'absence de leur conjoint. Ces faits ou gestes montrent l'importance de la première femme et renseignent aussi sur l'entente qui règne entre les coépouses dans certains ménages polygamiques. Ces considérations qui régulent les tensions dans les ménages, tendent à disparaître dans les villes surtout. Ces rituels qui existent encore dans les villages, sont-ils suffisants aujourd'hui pour réguler les tensions entre les coépouses?

Pour apaiser les démons de la haine et de la jalousie, on entend souvent chez les wolof et les serer, les personnes âgées dire : « la polygamie c'est partager la même chance. »149

D’autres exemples de clichés aussi sont soulignés.

2-3 D'autres clichés et leurs vecteurs de propagation