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Chapitre 2. Rapprochement des caractéristiques temporelles des expériences

2.2. Temporalité du transfert

2.2.2. L’instant kairique de surgissement du transfert et son impossible répétition

2.2.2.4. La répétition au service d’un nouveau discours : l’ouverture de Nymphomaniac

Outre les fausses répétitions de certaines scènes ou de certains éléments, la notion de répétition peut être constitutive du film, mettant alors en place une caractéristique du transfert à travers la construction de l’œuvre. Alors que par sa réflexivité, le prologue de L’Heure du

loup met en place une situation propice au transfert, notamment en annonçant le film en tant

que répétition visuelle du discours d’Alma, l’ouverture de Nymphomaniac manifeste l’impossibilité significative de la répétition, se trouvant pourtant au cœur de la construction de ce film hautement citationnel.

Le début de Nymphomaniac308 ne présente pas de prologue stricto sensu. Cependant,

une démarcation entre les premiers plans et l’apparition des personnages à l’écran permet d’isoler la séquence d’ouverture qui offre des indications concernant la suite du film. La séquence étudiée englobe le début du film depuis l’apparition du titre jusqu’à l’image de Joe sur laquelle débute le morceau « Führe mich »309 interprété par Rammstein, introduisant

également le personnage de Seligman et anticipant la rencontre des protagonistes. Cette séquence d’ouverture témoigne de l’impossible répétition qui se met en place dans le transfert. Les réflexivités citationnelle et formelle dont elle est constituée et les effets de répétition qui en découlent, révèlent des éléments concernant le propos du film.

Par les images et les sons, le film se raconte au spectateur. Lors de la séquence d’ouverture, le spectateur pénètre le film à travers un espace labyrinthique dévoilant également des éléments qui annonce la présence du personnage principal, Joe. Les sons et les mouvements de caméra, empreints d’une influence tarkovskienne, témoignent quant à eux de la répétition d’un passé cinématographique. Enfin, les effets de répétitions formelles multiples annoncent une situation propice au transfert tant elles présentent de nuances et de distinctions. Par un fondu silencieux, le titre du film apparaît, en blanc sur fond noir :

Nymph()maniac VOL.°I. La typographie particulière annonce le sujet. En effet, la lettre O est

307 Voir notamment F. Vanoye, L’Adaptation littéraire au cinéma, Paris : Armand Colin, 2011. 308 Time code de l’extrait de Nymphomaniac Vol.1 : 00 : 00 : 00 – 00 : 03 : 01.

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remplacée par deux parenthèses qui s’ouvrent et se ferment. Ainsi, le spectateur se trouve face à un terme désignant une pathologie féminine310. Cette caractéristique est accentuée par le

graphisme offert par les deux parenthèses, ressemblant à l’extérieur d’un sexe féminin. Le spectateur peut également lire deux mots, reliés par cet organe et qui annoncent le propos du film, à savoir la rencontre d’une nymphe (nymph) et d’un maniaque (maniac). En effet, les deux parenthèses forment une sorte de cercle qui les regroupe. Dès l’apparition du titre, la dimension psychanalytique du film – qui implique souvent des questions sexuelles – et certaines caractéristiques des deux personnages principaux du présent diégétique sont annoncées.

Par les surcadrages la séquence annonce la pénétration d’un espace à l’intérieur de l’espace diégétique, mettant en abyme l’espace de projection, cinématographique et mental. Le caractère d’enfermement de l’espace est accentué par la composition des plans, bouchant la profondeur de champ par des murs, des fenêtres opaques, des portes fermées et une mise au point approximative (figure 119). En effet, le premier plan très surcadré, figurant une ruelle silencieuse, affiche plusieurs niveaux de profondeur de champ, mais aucun horizon infini (figure 120). À droite au premier plan se trouve un mur de briques. Le second plan présente également un mur de briques à droite, accompagné d’une gouttière et d’une barre de fer, et un mur de briques à gauche sur lequel il y a une fenêtre sombre et un auvent avec une gouttière. Au centre du troisième plan figure un muret en béton, derrière lequel, au quatrième plan, un mur de briques obstrue l’horizon. Cet enchevêtrement de murs crée un espace labyrinthique, qui d’une part, annonce la complexité et la multiplicité des espaces du film, et d’autre part, peut évoquer les méandres de la psyché composée par le film entier.

Plus tard dans la séquence, une image filmée au ras du sol ne laisse apparaître qu’une surface entièrement recouverte de bitume. Par un mouvement de caméra et un changement de focale, une main ensanglantée entre dans le champ, au premier plan. Dans le dernier plan de la séquence, un travelling avant permet à la caméra de s’approcher d’un trou carré situé au milieu d’un mur de briques. Alors que le trou noir prend toute la surface du plan, le mouvement d’appareil donne l’impression que la caméra y entre, pénétrant ainsi la fiction, qui pourtant a déjà commencé. On découvre enfin Joe, gisant au sol.

310 « Exagération du désir sexuel chez la femme, conduisant à des attitudes de séduction et de provocation qui ne sont pas conformes au rôle féminin tel qu’il est généralement attendu dans la société occidentale. Comparée au satyriasis chez l’homme, la nymphomanie tient plus d’un diagnostic moral et d’un jugement de valeur que d’une véritable affection physique ou mentale, même si elle peut être parfois la conséquence de troubles endocriniens (hyperovarisme) ou d’un état d’excitation maniaque » (H. Bloch, et al. (dir), Dictionnaire fondamental de la

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En plus du titre du film, la présence de gouttières depuis lesquelles s’écoule de l’eau, annonce la thématique sexuelle du film, tout comme le travelling vers l’intérieur du trou noir : par les motifs de l’écoulement et de la pénétration, la dimension d’espace mental laisse place à une grossière métaphore sexuelle. Ces références païennes et bibliques, passant par l’allusion à la sexualité et par l’évocation du Christ à travers le motif de la main ensanglantée, rappellent les œuvres de Tarkovski311. Cette influence, assumée par Lars von Trier312, se

traduit également par les mouvements de caméra et la sonorisation de la séquence.

En effet, après 44 secondes de stimulation auditive sur fond noir, débutant par un fondu sonore, la première image apparaît, accompagnée d’un bourdonnement qui donne l’impression que le point d’écoute se situe sous l’eau. Cette première image, bien qu’elle soit fixe, rappelle une des premières images, très surcadrées, de Stalker (Tarkovski, 1979) précédant une suite de sons cacophoniques (figure 121). À partir de la deuxième image de

Nymphomaniac, en plan rapproché, la caméra longe des parties du décor vu dans le premier

plan fixe. Les sons entendus sur l’image noire qui précède ce premier plan se font à nouveau entendre : ainsi, leurs sources peuvent parfois être identifiées. Le procédé rappelle une fois de plus Stalker tant certains sons ne sont audibles qu’à la vue des images qui leur correspondent. Ainsi, dans Stalker, la caméra filme en travelling latéral les visages des personnages couchés, quand les effets sonores, manifestant la subjectivité des points d’écoute, changent selon les personnages visibles. Dans Nymphomaniac, bien que le son des gouttes d’eau percutant le sol se fasse entendre sans que le sol ne soit visible, certains sons sont audibles uniquement sur l’image figurant ce qui les motive, telles des pales tournant dans une bouche d’aération, des gouttes d’eau sur le couvercle d’une poubelle, des écrous qui s’entrechoquent ou encore le sifflement du vent s’engouffrant dans le trou noir. La mise au point de sons industriels instaure alors la répétition d’un passé cinématographique modifié.

Par ailleurs, l’influence du style tarkovskien se traduit par la structure de la séquence, construite d’une suite de plans mobiles, en travelings horizontaux et verticaux. Dans les œuvres de Tarkovski, ces mouvements de caméra témoignent d’une imprégnation chrétienne par la figuration de l’immanence, à travers l’horizontalité, et de la transcendance, se manifestant dans la verticalité. Comme dans les films tarkovskiens, et en particulier dans

Stalker, l’association de surcadrages et de travelings avant, est utilisée dans ce début de

311 Andreï Roublev (Tarkovski, 1966) offre un exemple probant : au cours de son périple, alors qu’il cherche à retrouver la foi, le moine se retrouve au cœur d’une fête païenne où il subit une agression sexuelle.

312 Dans ses entretiens avec Stig Björkman, Lats von Trier fait notamment part de son admiration pour Tarkovski et en particulier pour Le Miroir qu’il dit avoir « vu au moins vingt fois » et « qui [l]’obsède complètement » (L. von Trier, Entretiens avec Stig Björkman, Paris : Cahiers du cinéma, 2000, p. 30).

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Nymphomaniac afin de faire entrer le spectateur dans le monde fictionnel. Mais au-delà de

l’hommage, dans le film de Lars von Trier, la répétition du passé cinématographique est instaurée au service d’un autre discours sur le thème de la sexualité. Les travelings avant et latéraux ne dessinent plus une croix, comme dans Stalker313, mais des mouvements fluides

descendants. Accompagnés du son omniprésent de l’eau qui coule, bien que seule une légère neige soit visible, ces mouvements semblent engouffrer le spectateur dans un milieu humide, faisant ainsi écho à l’organe féminin figuré par la parenthèse du titre. Cette impression est accentuée par l’effet sonore de la première image, dont le point d’écoute semblait situé sous l’eau, ou peut-être in utero. Ainsi, de nombreux éléments de la séquence d’ouverture constituent une métaphore sexuelle.

Enfin, l’impossibilité de la répétition absolue se manifeste de manière formelle, par le son et par l’image. La séquence débute par une suite de sons superposés qui perdurent sur une image noire. Après un son de souffle résonant dans un conduit d’aération, auquel s’ajoute un bruit non identifié aux connotations industrielles, la percussion de gouttes de pluie sur un objet métallique retentit, de plus en plus fort. Il s’ensuit une accumulation de bruits confus, de grincements, de sons d’eau coulant d’une gouttière et de bourdonnements, dont les sources seront découvertes par la suite. Néanmoins, une écoute attentive de la séquence révèle que les sons entendus sans image n’apparaissent pas dans le même ordre lorsqu’ils sont répétés sur les images suivantes. Supposant un nouvel accompagnement visuel et une suite différente, la répétition n’est donc pas absolue. Pourtant, une attention particulière lors de l’écoute est nécessaire au spectateur qui voudrait s’en apercevoir. À l’instar des individus engagés dans le transfert (et en particulier en dehors de la cure), ignorant la répétition modifiée de contenus psychiques, le spectateur ne sait pas qu’il y a une répétition différente des sons : soit la ressemblance est trop grande pour permettre de relever les modifications à la première écoute, soit la séquence est tellement captivante, d’abord par le son puis par les images, que la similitude des points d’écoute passe inaperçue.

Outre les variations sur la bande-son, des répétitions empreintes de différences sont perceptibles au sein des images. Ainsi, après le premier plan demi-ensemble de la ruelle surcadrée, en plans rapprochés, la caméra longe des murs de brique ou de béton, gouttière et toiture visibles dans le premier plan. De nouveaux éléments apparaissent également, tels une poubelle, une bouche d’aération ou encore des écrous314. La structure répétitive de la

313 A. de Baecque, Andreï Tarkovski, Paris : Cahiers du cinéma, Éditions de l’Étoile, 1989, p. 95.

314 Ces éléments singuliers peuvent encore faire référence au film Stalker, dans lequel les personnages accrochent des bandes de tissu à des écrous, ensuite lancés dans la Zone.

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séquence se traduit également par les mouvements d’appareil. La caméra effectue les mouvements suivants : traveling vertical bas ; traveling latéral gauche ; traveling avant ; traveling vertical bas et latéral gauche ; traveling vertical bas ; traveling latéral gauche ; traveling avant. Bien que les sons et les images soient différents, le même enchaînement est répété, à l’exception du dernier mouvement avant le recommencement : le traveling combiné vertical et latéral gauche. Enfin, les répétitions formelles orchestrent l’apparition progressive de Joe. Hors champ dans le premier plan demi-ensemble de la ruelle, elle est visible en fin de séquence. Le plan qui présente Joe répète le premier malgré un cadrage plus large qui englobe dans le champ son corps gisant au sol. Entre-temps, elle a toutefois pénétré l’image lorsque sa main ensanglantée et immobile est entrée dans le champ par un changement de focale et un mouvement de caméra rasant le sol bitumé. D’abord hors champ, Joe est ensuite partiellement visible avant d’apparaître entièrement mais affaiblie. Cette position inhabituelle, au sol, semble suivre un événement significatif s’étant produit antérieurement au début du film. Ainsi, l’apparition de Joe à travers une répétition annonce la structure à venir du film : le récit de Joe répétera son passé, le réactualisant par la parole et par l’image tandis qu’au sein du récit, les répétitions seront aussi des variations.

À travers la mise en place de multiples répétitions, la séquence d’ouverture de

Nymphomaniac témoigne de l’idée selon laquelle la répétition du transfert est une traduction

« en actes »315 et ignorée en tant que répétition. La séquence annonce ainsi les répétitions

constitutives du film entier. Mais le transfert ne correspond pas seulement à l’incessante répétition d’une situation passée : il provoque parfois « l’apparition de quelque chose d’instantané »316. Il consiste alors en une rencontre qui « produit la mise à jour d’un objet

encore inconnu »317. Le transfert peut se mettre en place uniquement dans la mesure où le

spectateur aussi répète des contenus psychiques sur le film. Un nouvel élément apparaîtrait alors comme le résultat de la rencontre du film et du spectateur : face à l’ouverture de

Nymphomaniac, la fausse répétition pourrait offrir un autre discours que celui des images

auxquelles elle fait référence. Par ailleurs, la rencontre du spectateur avec des images cinématographiques, inédites bien qu’empreintes d’images du passé, pourrait être de l’ordre de l’événement dans le sens que lui donne Jacques Derrida.

315 S. Freud, Psychanalyse, textes choisis par Dina Dreyfus, op. cit., p. 57. 316 V. Medda, « Hétérochronie du transfert », op. cit., p. 138.

317 P.-L. Assoun, « Le rendez-vous de Königsberg. Du temps du transfert au moment de la supervision », in : La

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2.2.2.5. Le transfert comme événement de l’expérience spectatorielle

La dimension kairique du transfert et l’impossibilité de la répétition exacte qui en découle témoignent d’une autre caractéristique du temps d’émergence de ce phénomène correspondant alors à un événement au sein de l’expérience spectatorielle. En effet, le kairos et l’événement présentent des points de convergence, tout comme l’événement et le transfert. Le kairos est un point critique qui correspond à l’heure souhaitée, dans le sens d’une occasion à saisir. C’est une heure surveillée, qui n’attend pas. De la même manière, un événement peut être attendu en général mais il est impossible de prévoir l’événement précis : il n’est ni anticipable ni calculable et il arrive comme une surprise bouleversante. Son arrivée est donc attendue en général, mais il faut savoir la saisir. Imprévisible, irrépétable et indicible, l’événement suppose, comme le kairos, les catégories du « pas-encore » et du « jamais-

plus »318.

Alors que le transfert répète des contenus psychiques qui se manifestent parfois dans le rêve, selon Jung ce dernier est « un événement et non une intention »319. L’événement et le

transfert sont, quant à eux, exceptionnels, ne pouvant être exigés, prédits, ou programmés320.

Tout comme l’événement, le transfert est inattendu, bien qu’il soit attendu321, car il apparaît

en fonction des affinités entre deux individus : certes, sa manifestation est attendue au sein de la cure, mais en dehors, il est simplement inattendu et ignoré. Ainsi, au cinéma, le spectateur n’est pas préparé à accueillir le film comme altérité. En outre, bien que le transfert consiste en une répétition, celle-ci reste inattendue car elle correspond à la répétition, soit du refoulé dont on n’attend jamais le retour, soit de contenus qui n’ont pas encore été assimilés par le conscient et sont donc inconnus. Dans Persona, cette caractéristique du transfert se manifeste par la fusion des deux visages qui est relativement inattendue : à travers le traitement esthétique du film, le spectateur est préparé à la contamination psychique des deux femmes, mais il ne s’attend pas à ce qu’elle s’affiche sous cette forme manquant de subtilité – un split- screen grossier, accompagné d’un son soulignant l’accomplissement de la fusion.

Par ailleurs, dans l’expérience transférentielle ou spectatorielle, le transfert n’est pas une répétition pour l’individu qui le reçoit, mais il fait événement. L’événement n’a pas de témoin direct : au moment où il est arrivé, le témoin n’était pas en mesure de témoigner.

318 C. Marcondes Cesar, « Le Kairos artistique », in : Chronos et Kairos. Entretiens d’Athènes, op. cit., p. 97. 319 C. G. Jung, Essai d’exploration de l’inconscient, op. cit., p. 85.

320 Voir J. Derrida, « Une certaine possibilité impossible de dire l’événement », in : Dire l’événement, est-ce

possible ?, op. cit., et C.G. Jung, Psychologie du transfert, op. cit.

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Ainsi, l’événement appartient à la temporalité de l’après-coup, tout comme la psychanalyse, tant l’analysant n’avait pas conscience du traumatisme au moment de sa formation, et ne pouvait donc pas en témoigner. La temporalité de la cure analytique, comme celle de l’événement, est une temporalité en deux actes : lorsque la chose a lieu, il n’y a pas de témoin, il s’agit d’un « événement par définition imprévisible et inattendu »322. L’affect est absorbé

sans être enregistré car il n’a pas de support d’inscription. Avec l’âge adulte et le langage, l’inscription devient possible mais l’affect a disparu : « [l]e sujet-témoin n’est donc pas contemporain de l’événement qui pourtant persiste en lui »323. En cure, l’analyste et

l’analysant n’ont jamais fait l’expérience des contenus personnels que l’un comme l’autre transfèrent sur l’un ou l’autre. Dans le cas du cinéma, si un phénomène de transfert se met en place entre le film et son spectateur, ce dernier doit accueillir le film comme l’arrivant absolu de l’événement, sans y être préparé : le spectateur doit faire preuve d’une grande hospitalité pour accepter une telle visitation qui l’agit et l’altère. Ainsi, le transfert est aussi inattendu car il se met en place à l’insu des deux protagonistes, qui parfois le rejettent et le nient et parfois cherchent à se protéger des conséquences d’une trop forte implication. En effet, l’analysant se rend rarement compte qu’il transfère des contenus psychiques appartenant à son passé sur l’analyste. Ce dernier doit, quant à lui, trouver l’équilibre entre sa personnalité, qui « participe au même titre que [celle de] son patient »324 au sein du processus, et la personnalité que

l’analysant projette sur lui, puisque, affecté par son malade, « ce n’est que dans la mesure où il est lui-même blessé qu’il pourra [le] guérir »325, bien que pour cela, il ne doive pas se laisser

trop affecter.

L’événement pourrait également se manifester dans l’expérience spectatorielle par l’efficacité de la médiation cinématographique. Cette dernière projette la parole et l’action sur un écran duquel elles parviennent parfois à affecter et agir le spectateur, ému par ce qu’il voit. La parole et l’action font alors événement dans l’expérience spectatorielle. En effet, l’événement est défini par Derrida comme la visitation de l’arrivant absolu, forme d’altérité qui agit le sujet qui reçoit et l’altère.326 Or, le transfert consiste en une projection de contenus

psychiques à travers la parole et l’action, tout comme la médiation cinématographique est une projection. Lorsque paroles et actions sont efficaces au cinéma, elles pourraient alors

322 J.-L. Déotte, L’Époque des appareils, Paris : Éditions Lignes et Manifeste, 2004, p. 290. 323 Ibid., p. 291.

324 C.G. Jung, La Guérison psychologique, op. cit., p. 242. 325 Ibid., p. 243.