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Chapitre 1. Caractéristiques des différents espaces hétérotopiques impliqués dans les

1.2. Espace intérieur

1.2.1. Transfert comme déplacement de contenus inconscients

1.2.1.2. Espaces de projection

À la manière du cinéma qui est une projection d’images, Jung remarque que le déplacement de contenus psychiques témoignant du transfert résulte d’un mécanisme de

115 F. Casetti, Les Théories du cinéma depuis 1945, op. cit., pp. 177-196.

116 Casetti désigne notamment deux ouvrages correspondant à cette approche : Eisenstein de Dominique Fernandez (1975) et La Face cachée d’un génie. La vraie vie d’Alfred Hitchcock de Donald Spoto (1979). 117 C.G. Jung, Dialectique du moi et de l’inconscient, op. cit., pp. 82-84.

118 M. Scheinfeigel, Rêves et cauchemars au cinéma, op. cit., p. 124. 119 Ibid.

120 Ibid.

121 « The fundamental insight of Jungian psychology is that the individual is both personal and collective – just like the cinema where meaning is partly inscribed in the film and partly negotiated on an individual basis. » (L. Hockley, Somatic Cinema, op. cit., p. 6. Je traduis).

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projection de contenus de l’inconscient : le psychiatre précise que « le mot transfert n’est que l’équivalent sémantique du mot projection »122. Considérant l’espace intérieur du transfert

comme celui des inconscients personnels et collectifs des deux individus qui y participent, la nature du mouvement projectif qui le constitue doit être interrogée. En effet, contrairement à la pensée freudienne, les théories de psychologie analytique ne considèrent pas le processus transférentiel comme un phénomène bipartite opposant le transfert de l’analysant au contre- transfert de l’analyste, mais lui attribuent une nature transpersonnelle. Il est donc indissociable du contre-transfert dont les manifestations sont simultanées. Ainsi pour Jung, le transfert est un processus dialectique et mutuel : l’analysant projette des contenus personnels sur l’analyste qui introjecte et réciproquement. Alors que le spectateur et le film prennent chacun une place proche à la fois de celle de l’analyste et de celle de l’analysant, cette approche du transfert comme phénomène transpersonnel apparaît assurément plus adéquate que l’approche freudienne.

Ainsi, à l’instar des contenus de l’image qui, sous forme de figure, « voyage[nt], au

moyen de la projection, entre différents supports »123, des contenus psychiques transitent entre

deux inconscients au cours du transfert. En outre, pour Jung, les contenus de l’inconscient sont de nature collective et apparaissent « d’abord comme projetés sur des personnes et des conduites objectives »124, notamment sous forme d’images de rêves et de création artistique,

chargées d’affect125. En psychanalyse, les rêves témoignent d’un conflit psychique

inconscient qui peut être révélé au conscient durant la cure. D’une part, les rêves de l’analysant y sont racontés et d’autre part, le conflit psychique de l’un dont ils sont la manifestation est projeté sur l’autre alors perçu « à travers un écran »126, c’est-à-dire qu’il est

recouvert d’un voile d’illusions formé de contenus personnels de l’autre. Considéré comme l’espace des inconscients de ses acteurs, l’espace du transfert est alors un espace de projections de contenus psychiques qui prennent forme d’images soit racontées, soit projetées inconsciemment sur l’autre. Par ailleurs, les différents supports entre lesquels voyagent les contenus de l’image cinématographique correspondent à une absence de support à la

122 C.G. Jung, Psychologie du transfert, op. cit., p. 25.

123 B. Le Maître, « Ombre portée : forme projetée, fable esthétique » in : La Projection, V. Campan (dir.), Rennes : Pur, 2014, p. 141.

124 Ibid., p. 23.

125 Waddell remarque à ce propos que « les images, communes aux rêves, aux mythes et à la création artistique, sont souvent des projections de modèles archétypaux inconscients » (« First images, common in dreams, myths and creative art are often projections of unconscious archetypal patterns [...] », T. Waddell, Mis/takes, op. cit., p. 1).

126 P. Marson-Zyto, Comprendre la psychanalyse – 25 livres clés – Paris : Les Quatre Chemins, 2005, p. 215. Je souligne.

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préfiguration de l’image dans l’espace, puis à la caméra comme surface d’inscription, enfin à l’écran comme support de projection127. Les images sont projetées mécaniquement sur l’écran

qui les réfléchit de façon à ce qu’elles soient visibles pour le spectateur. Comme l’analyste, ce dernier peut également projeter psychiquement des contenus personnels, non plus sur l’analysant mais sur le film. L’écran peut aussi être appréhendé comme un espace de projection de contenus inconscients, rappelant alors l’écran du rêve, « surface sur laquelle un rêve semble être projeté »128 et « arrière-fond blanc ; présent dans le rêve, même s’il n’est pas

nécessairement vu »129. Deux éléments sont alors à prendre en compte qui consistent d’une

part, à considérer les similitudes entre le film et le rêve, et d’autre part, à interpréter les images en termes jungiens, c’est-à-dire à prendre en compte leurs qualités psychiques.

Les ressemblances entre le film et le rêve ont été longuement commentées, comme le remarque notamment Francesco Casetti dans son ouvrage de synthèse sur les théories du cinéma. Alors qu’au cours de la cure, les rêves sont souvent comparés à des films, Jean-Louis Baudry remarque :

« La projection cinématographique rappellerait le rêve, elle serait comme une sorte de rêve, presque un rêve, similitude que le rêveur exprime souvent quand, sur le point de raconter son rêve, il éprouve le besoin de dire : “C’était comme au cinéma...” »130

Après la période surréaliste évoquée précédemment, une des approches psychanalytiques du cinéma consiste à mettre le film « sur le divan »131 à travers la mise en

évidence de ses traits communs avec le rêve. En effet, comme l’ont notamment remarqué Lebovici et Kuntzel, par sa capacité à influer sur l’espace et le temps, notamment à travers les ellipses, le rapprochement d’espaces lointains, les disjonctions spatiales et temporelles, etc., le film, alors vu comme une technique de l’imaginaire, est un moyen d’expression proche de la pensée onirique. Camilla Bevilacqua précise que le mouvement du cinéma « augmente l’impression onirique, en ce qu’il nous transporte véritablement d’un espace-temps à un autre, nous désancrant définitivement de l’ici-maintenant de la perception habituelle »132. En outre,

alors que la position semi-allongée des spectateurs de cinéma est propice à l’endormissement,

127 Ibid.

128 B. D. Lewin, « Le sommeil, la bouche et l’écran du rêve » [1949], in : L’Espace du rêve, Nouvelle revue de

Psychanalyse, n°5, Paris : Gallimard, 1972, pp. 212-213.

129 Ibid.

130 J.-L. Baudry, L’Effet cinéma, op.cit. p. 64.

131 F. Casetti, Les Théories du cinéma depuis 1945, op. cit., p. 178.

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l’expérience spectatorielle rappelle « le rapport que le rêveur entretient avec son rêve »133. Le

cinéma est alors considéré comme un « rêve éveillé » auquel on assiste « à moitié conscient » et qui requiert « une participation passive » et « une adhésion inconditionnelle »134. Ainsi, la

comparaison des spectateurs à des rêveurs est courante, notamment parce que les premiers peuvent avoir l’impression que :

« [l]es images des films viennent donc à [leur] rencontre […] comme si depuis le lieu de leur projection, derrière leur dos, à leur insu, elles accomplissaient une trajectoire imperceptible jusqu’à un autre lieu, situé cette fois, devant eux. Ils se perçoivent alors comme l’origine à partir de laquelle s’ordonnent les scènes représentées sur l’écran ».135

Cette approche psychanalytique du cinéma s’appliquant à interpréter les films comme des rêves s’appuie principalement sur la théorie freudienne. Pourtant, la technique jungienne de l’analyse des rêves pourrait favoriser une appréhension psychanalytique des films dans leur dimension collective. Contrairement à la libre association freudienne, l’amplification jungienne est une méthode concentrique136 visant ainsi à rester centré sur l’image de départ

afin de l’amplifier jusqu’à la mettre en évidence. Toutefois, comme le remarque Michael Jacobs, le résultat d’une interprétation freudienne ou d’une amplification jungienne peut présenter de grandes similitudes. Et pourtant,

« il y a certainement un parti pris différent, car de manière générale l’interprétation jungienne privilégie le spirituel par rapport au matériel, le transpersonnel par rapport au personnel, et le pouvoir réparateur du symbole par rapport à sa nature de symptôme psychopathologique »137.

Néanmoins, la dimension collective de la psyché dans son acception jungienne offre la possibilité d’interroger différemment le lien entre les images de rêve et les images filmiques, les deux étant rendues connaissables par un mécanisme de projection. Ainsi, bien que comme le remarque notamment Baudry, « on ne saurait identifier image mentale, image filmique, représentation mentale et représentation cinématographique »138, Jung établit des similitudes

entre les images de rêve et celles issues d’une création artistique : elles sont bien

133 F. Casetti, Les Théories du cinéma depuis 1945, op. cit., p. 179.

134 C. Bevilacqua, L’Espace intermédiaire ou le rêve cinématographique, op. cit., p 31. 135 F. Casetti, Les Théories du cinéma depuis 1945, op. cit., p. 17.

136 C. G. Jung, Sur l’interprétation des rêves, Paris : Le livre de poche, [1998] 2000, p. 41.

137 « There is certainly a different emphasis, Jungian interpretation preferring generally the spiritual over the physical, the transpersonal over the personal, and the healing power of the symbol rather than it pointing to the psychopathological » (M. Jacobs, « Contrasting interpretations of film. Freudian and Jungian », in : Jung and

Film II, op. cit., p. 121. Je traduis).

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généralement chargées d’affect et correspondent à des projections d’archétypes139. Par

ailleurs, le thérapeute explique que « [l]e rêve n’est pas un phénomène univoque »140, par

conséquent, « [s]a signification varie selon différentes possibilités »141.

En plus des similitudes de positions entre spectateur et rêveur qui encouragent la comparaison entre film et rêve, Baudry ne prétend pas que le cinéma est le rêve mais que leurs ressemblances tiennent surtout à l’impression de réalité qu’ils produisent.142 L’auteur

remarque que la perception et la représentation onirique, comme celle de l’image filmique, offre au rêve une qualité de l’ordre de l’hallucination, provoquant « un réel-plus-que-réel »143.

Metz, quant à lui, cherche à « parler du rêve cinématographique en termes de code : du code de ce rêve »144. Par ailleurs, les ressemblances entre les images du film et les contenus de

l’inconscient objectivés dans le rêve peuvent également être considérées du point de vue de leur dimension psychique. Ainsi, selon Murielle Gagnebin quelque chose, qui ne relève pas de l’inconscient de l’artiste mais engendre un inconscient propre à l’œuvre, échappe inévitablement au créateur dans l’acte de création : considérée comme une « créature vivante dotée, tel un individu, d’une “structure psychique” particulière »145 et se comportant « à la

façon d’une personne qui possède un destin »146, l’œuvre – aussi bien le film que tout

événement artistique – aurait pour origine un conflit psychique sans lien direct avec la personnalité du ou des auteurs. Par ailleurs, la conception jungienne des images, comme expression d’une situation psychique et comme projections d’archétypes, confère aux images de créations cinématographiques une dimension psychique (cf. chapitre 5).

En outre, Baudry explique que la représentation du rêve au cinéma, renvoyant le spectateur à sa conscience de spectateur, détruit l’impression de réalité propre au rêve et au film.147 Dans Le Temps scellé, Tarkovski explique également que le rêve cinématographique

doit avoir « les formes naturelles de la vie », et non être composé « d’artifices filmiques » : il doit être fait d’une « combinaison inhabituelle d’éléments très réels […] montrés avec une

139 On trouve notamment ce type d’images dans le travail de l’imagination active qui consiste à « dialoguer avec l’inconscient à partir d’une émotion, en laissant venir les images » (V. Thibaudier, 100% Jung, op. cit., p. 155.) 140 C. G. Jung, Sur l’interprétation des rêves, op. cit., p. 15.

141 Ibid.

142 J.-L. Baudry, L’Effet cinéma, op. cit., p. 72. 143 Ibid., p. 67.

144 C. Metz, Le Signifiant imaginaire, op. cit., p. 13. 145 M. Gagnebin, En deçà de la sublimation, op. cit., p. 3. 146 M. Gagnebin, Du divan à l’écran, op. cit., p. 36. 147 J.-L. Baudry, L’Effet cinéma, op. cit., p. 64.

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grande précision »148. Bien que selon Jung, le rêve n’ait pas besoin d’être rationnel car il « ne

ressemble en rien à une histoire racontée par l’esprit conscient »149, la présence du rêve dans

les films peut être, comme le remarque Marie Martin, « un effet global, une logique formelle agissant au niveau figural et narratif »150. Ainsi en est-il des films appartenant au cinéma

analytique : les rêves ne sont pas représentés mais la réalité des œuvres est onirique. Le caractère onirique de certaines images et de leur enchaînement pourrait ainsi accentuer les ressemblances entre le film et le rêve, considéré comme la voie royale vers l’inconscient, aussi bien dans les théories freudiennes que jungiennes. Les répétitions de motifs et de scènes, la modification de la vitesse de déroulement de certains événements, les disjonctions ainsi que les compositions de plans à l’atmosphère onirique pourraient constituer, entre autres, les éléments d’une esthétique psychanalytique. Les œuvres étudiées créeraient alors un climat propice au transfert à travers l’évocation de leurs propres traumatismes (cf. chapitre 3). Ainsi, en est-il, par exemple, de la séquence dédoublée de Persona. Comme l’explique Liv Ullmann, la scène a été filmée par deux caméras dont l’une était dirigée sur elle écoutant le récit d’Alma et l’autre sur Bibi Andersson racontant l’histoire d’Elisabet. Les deux prises de vue ont ensuite été montées l’une après l’autre car Bergman ne savait pas laquelle choisir et préféra donc tout conserver151. Cette multiplication de la fréquence de la scène, créant une boucle

temporelle, rappelle le rêve qui correspond à la répétition d’un conflit inconscient et présente parfois des événements répétés successivement. Alors que Bergman affirmait que « [l]e film, quand ce n’est pas un documentaire, est un rêve »152, il n’est pas étonnant que des similitudes

avec le rêve se retrouvent dans nombre de ses œuvres, notamment par l’onirisme de certaines scènes, même quand elles ne représentent pas directement un rêve au contraire des Fraises

sauvages (1957). Dans ce film, la première séquence de rêve se déroule au début alors que le

personnage principal raconte un cauchemar. Les images oniriques apparaissent à la suite d’un plan rapproché poitrine d’Isaak Borg endormi et agité, accompagné de sa voix off. Le rêve est donc mis en ordre par la subjectivité du personnage. Cependant, le spectateur est aussi « invité à entrer dans le jeu du déchiffrage »153 : plongé dans un état proche de celui du rêveur

diégétique par le rythme saccadé de défilement des images, il est amené à ressentir l’état

148 A. Tarkovski, Le Temps scellé, op. cit., pp. 66-67

149 C. G. Jung, Essai d’exploration de l’inconscient, op. cit., p. 63.

150 M. Martin, « Logiques corporelles du rêve », in : Traffic, n°78, été 2011, p. 122.

151 R. W. Oliver (dir.), « Travailler avec Bergman : extraits d'un séminaire avec Liv Ullmann », 1973, in : Ingmar

Bergman, le cinéma, le théâtre, les livres, Rome : Gremese, 1999, p. 67.

152 I. Bergman, Laterna Magica, Paris : Gallimard, 1987, p. 102. 153 M. Scheinfeigel, Rêves et cauchemars au cinéma, op. cit., p. 144.

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émotionnel du rêveur. Ainsi, ce rêve des Fraises sauvages, projeté depuis l’arrière de la tête du spectateur, le place dans un état proche de celui du rêveur. Mais cela ne correspond pas à ce qui se produit lors de la cure où les récits de rêves visent à être interprétés afin de déceler la situation psychique inconsciente de l’analysant. Les images de rêves représentés dans Les

Fraises sauvages ne témoigne pas du rêve du film mais de celui d’un personnage. Or, si une

relation transférentielle se met en place entre le spectateur et le film, le rêve cinématographique devrait être celui du film entier, s’exprimant comme une unité psychique. Les séquences à l’atmosphère onirique qui n’illustrent pas un rêve diégétique semblent plus appropriées afin de manifester la situation psychique du film. Ainsi, durant la scène nocturne154 de Persona lors de laquelle Elisabet rend visite à Alma, celle-là apparaît

évanescente, sous forme de figure fantasmagorique (figure 2). Le contre-jour, les voilages et le son de corne de brume accentuent la dimension onirique de la scène. Elisabet apparaît depuis la porte à droite de l’arrière-plan, passe par la porte à gauche de l’arrière-plan puis revient au centre pour fusionner avec Alma. Le fond blanc lumineux, doublement surcadré, fonctionne comme un écran de projection, rappelant celui du prologue. Spectrale, Elisabet surgit alors comme un personnage cinématographique ou comme un fantasme onirique d’Alma, tant l’écran de cinéma présente de points communs avec l’écran du rêve. À la fois fantasme d’Alma et personnage de Persona, Elisabet ne pourrait-elle pas être un fantasme incarné du film ?

Dans L’Heure du loup, Johan, angoissé, erre dans le château labyrinthique à la recherche de Veronika Vogler. Il croise d’étranges personnages cauchemardesques, dont une femme qui s’arrache le visage, un homme qui marche sur le mur et au plafond et une morte qui ressuscite (figures 43, 44 et 45). Plus tard, Alma explique qu’il est resté dans leur maison, très agité pendant des heures : ces images ne sont plus fantastiques mais présentées comme des hallucinations. Elles possèdent ainsi un caractère psychique exacerbé. Par ailleurs, la surexposition de scènes dramatiques, notamment celles du meurtre de l’enfant et de la mort de Johan, octroie aux images une dimension cauchemardesque accentuée par le jeu torturé de Max von Sydow.

Une atmosphère onirique ou cauchemardesque s’observe également face à la trilogie de la Dépression de Lars von Trier. Dans Nymphomaniac, cela se traduit entre autres par les plans de Joe et de Seligman chutant sur un fond immobile (figures 116 et 117) : ces images rappellent notamment les sensations de chute qui peuvent être récurrentes dans certains rêves

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typiques155. Dans Antichrist et Melancholia, l’onirisme se manifeste particulièrement à travers

les couleurs saturées de certaines images au ralenti. Lorsque le personnage féminin d’Antichrist156, dans un état semi-hypnotique, rêve éveillé de la forêt entourant Éden, les

couleurs nocturnes, la brume, le ralenti et la fixité des plans accentuent leur aspect fantasmatique (figure 69). Les images du renard doué de parole, de la biche accompagnée de son faon mort-né et du corbeau ressuscitant, peuvent aussi être considérées comme des images oniriques : fixes et au ralenti, elles font écho aux images mentales de la femme, alors que leurs contenus leur attribuent une dimension fantastique. En effet, l’appartenance de ces images au réel ou à l’imaginaire reste incertaine, respectant ainsi la définition de Tzvetan Todorov pour qui l’effet fantastique suppose « [l]a possibilité d’hésiter entre les deux »157.

Apparaissant alors que l’homme est à l’état de veille, ces images peuvent être considérées comme des manifestations surnaturelles au sein de la réalité diégétique, mais elles peuvent aussi correspondre à des hallucinations. Le spectateur doit alors

« opter pour l’une des deux solutions possibles : ou bien il s’agit d’une illusion des sens, d’un produit de l’imagination et les lois du monde restent alors ce qu’elles sont ; ou bien l’événement a véritablement eu lieu, il est partie intégrante de la réalité, mais alors cette réalité est régie par des lois inconnues de nous. Ou bien le diable est une illusion, un être imaginaire ; ou bien il existe réellement, tout comme les autres êtres vivants : avec cette réserve qu’on le rencontre rarement »158.

Expliquant que « dans les rêves, les représentations ont un caractère hallucinatoire »159, la théorie freudienne établit des analogies entre le rêve et l’hallucination.

« [S]oumis au principe de plaisir » et mettant « hors service l’épreuve de la réalité », l’un comme l’autre sont des « pensées transformées en images »160. Comme le rêve est une

projection mentale, Jung remarque également que l’hallucination est simplement la projection d’éléments psychiques vers l’extérieur161. Ainsi, comme les images mentales de la femme

hypnotisée, les plans des animaux rencontrés par l’homme possèdent une dimension potentiellement onirique.

155 Voir, S. Freud, « V. Le matériel du rêve et les sources du rêve / D – Rêves typiques / ẟ. Autres rêves typiques », in : Œuvres complètes, t. IV (1899-1900), Paris : Puf, 2003, pp. 312-314.

156 Time code de l’extrait d’Antichrist : 00 : 27 : 57 – 00 : 31 : 52.

157 T. Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Paris : Éditions du Seuil, 1970, p. 30. 158 Ibid, p. 29.

159 S. Freud, « Esquisse d’une psychologie scientifique » in : La Naissance de la psychanalyse, Paris : Puf, 8e édition, [1956] 2002, p. 355.

160 G. Gimenez, Halluciner, percevoir l’impensé. Approche psychanalytique de l’hallucination psychotique, Paris, Bruxelles : De Boeck, 2010, p. 48.

161 C. G. Jung, « La psychologie de la démence précoce », in : Psychogenèse des maladies mentales, Paris : Albin Michel, [1907] 2001, pp. 13-187.

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Les prologues de Persona, Antichrist et Melancholia, qui seront analysés plus loin, constituent également des séquences remarquablement oniriques. En effet, le prégénérique expérimental de Persona, fondé sur « le choc visuel et la sidération psychique liés à son défilement »162, présente un enchaînement d’images disparates rappelant une fois de plus les