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Chapitre 1. Caractéristiques des différents espaces hétérotopiques impliqués dans les

1.3. Espace corporel

1.3.2. Le corps du cinéma, lieu de la troisième image

Concept établi par Luke Hockley, psychanalyste de formation jungienne, la troisième image correspond à la signification personnelle que trouvent certains spectateurs dans les films et qui donne parfois l’impression d’une mauvaise lecture. Bien qu’il relève ce phénomène de ses expériences de cure, la troisième image peut apparaître hors de l’analyse, au sein de toute expérience cinématographique. Correspondant à la mise en évidence, par les

218 P. Ekman, Emotion in the Human Face, Cambridge : Cambridge University Press, 1982.

219 « This third [...] is as much felt in the body as it is experienced in the space between client and therapist » (L. Hockley, « The third image. Depth psychology and the cinematic experience », in : Jung and Films II, op. cit., p. 142. Je traduis, je souligne).

220 C. G. Jung, Psychologie du transfert, op. cit., p 110. 221 R. Bellour, Le Corps du cinéma, op. cit., p. 16.

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images et sons du film, de souvenirs et expériences que le spectateur a tenté d’oublier222, la

troisième image émerge du potentiel émotionnel des films. En effet, pour Hockley, la troisième image est une réponse émotionnelle spontanée et inattendue au film et témoigne d’une situation psychique individuelle tout en comprenant des aspects collectifs. À l’instar du tiers émergeant dans le transfert et qui naît de la rencontre entre deux psychés sans pour autant être une combinaison des deux, la troisième image résulte des deux premières mais en constitue une nouvelle et différente, qui n’est pas la simple association des deux autres. Ainsi, la première image correspond à ce que l’on voit à l’écran ; la deuxième image survient, quant à elle, de l’acte majoritairement conscient mais aussi parfois inconscient d’interprétation ; enfin, la troisième image vient comme le résultat de la relation largement inconsciente d’un individu avec le film223. Ces trois niveaux d’image se chevauchent et existent simultanément.

Par ailleurs, comme le transfert est une projection d’archétypes qui peuvent être objectivés dans des symboles sous forme d’images de rêves ou d’images cinématographiques, la troisième image présente des similitudes avec le symbole. En effet, l’un comme l’autre ne peut être complètement connu car leur objectivation les transforme en signifiant : certes le symbole est une objectivation d’archétype, mais il s’objective dans un signe. À l’instar de la rencontre transférentielle qui peut faire émerger des images symboliques dans les rêves, la rencontre inconsciente des images archétypiques du film avec la psyché du spectateur peut donner lieu à une forme d’objectivation et ainsi provoquer, en dehors de toute interprétation logique a priori, l’apparition d’une troisième image symbolique.

Luke Hockley précise que cette troisième image trouve sa place entre le spectateur et le film, place qui correspond à la fois à celle du corps du cinéma et à celle de la crypte cinématographique, c’est-à-dire à un lieu hétérotopique de conjonction de différents espaces incompatibles. Par ailleurs, il remarque que la coexistence du cinéma et de la psyché, de laquelle émerge la troisième image, situe le spectateur « à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de [lui]-même […] dans l’espace extérieur de [son] moi intérieur »224.

222 « The third image is where the unconscious parts of ourselves, memories, experiences we have tried to forget are brought to the fore by the passage of the images and sounds of the film » (L. Hockley, Somatic Cinema, op.

cit., p. 138. Je traduis).

223 L. Hockley, « The third image. Depth psychology and the cinematic experience », in : Jung and Films II, op.

cit.

224 « We are both inside and outside ourselves as temporarily psyche and cinema exist side by side; this is the outer space of our inner selves » (Ibid., p. 146. Je traduis).

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L’espace hétérotopique du cinéma analytique

Le premier trait caractéristique du cinéma analytique correspond à la dimension hétérotopique de l’espace des films. Ainsi, tout comme le double caractère hétérotopique de l’espace de la cure et de celui du transfert accentue le développement de celui-ci – le fait d’être dans une hétérotopie facilite le transfert et donc l’accès à une autre hétérotopie –, les films du cinéma analytique dédoublent les espaces de manifestation du transfert, intérieur et extérieur, de manière à faciliter son apparition et son étude. Mais ce dédoublement, se produisant notamment à travers une forme de réflexivité, est également celui de l’espace de l’expérience cinématographique. En mettant les personnages dans des positions à la fois de spectateur et d’acteur et à la fois d’analyste et d’analysant, les films du cinéma analytique proposent un espace favorisant le transfert entre les personnages diégétiques. Ce transfert peut ensuite être interprété comme une individuation du film (cf. chapitre 6) et donc comme un mouvement psychique ayant lieu dans chacune des psychés des protagonistes du transfert : le film et le spectateur.

L’espace réel de manifestation du transfert, en cure ou au cinéma, est un espace intermédiaire : comme dans la thérapie, l’expérience cinématographique « offre un lieu privilégié où la psyché peut prendre vie, être expérimentée et être commentée »225. Par

ailleurs, au sein de l’expérience spectatorielle, il peut émerger, dans ce lieu, une troisième image. Cette dernière implique également de prendre en compte deux autres points caractéristiques des phénomènes transférentiel et cinématographique, correspondant d’une part à la temporalité, puisque cette troisième image, comme le transfert, semble pouvoir faire événement dans l’expérience spectatorielle, et d’autre part à sa dimension archétypique car il s’agit d’une image symbolique se formant en partie par des mécanismes relationnels propres au transfert tels que l’introjection, l’identification ou encore la projection.

225 « ...the experience of film offers a special place where psyche can come alive, be experienced and be commented upon » (C. Hauke, Visible Mind, op. cit., p. 4. Je traduis).

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Chapitre 2. Rapprochement

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