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La régression du couvert végétal et la dégradation des sols, des facteurs et des conséquences variés

Planche photos 7 : Evolution de la quantité d’eau et du couvert végétal dans le bassin versant de la Doubégué

4.3 La régression du couvert végétal et la dégradation des sols, des facteurs et des conséquences variés

Le terme de dégradation renvoie à l’idée d’une intervention de l’Homme42

. Nous reviendrons succinctement sur les facteurs d’ordre naturel ayant des conséquences négatives sur l’environnement, dont certains aspects ont été évoqués au cours des points précédents. Il s’agit des facteurs sur lesquels l’Homme n’a pas ou peu d’influence. Le premier est la péjoration climatique, abordée et présentée au cours du Chapitre 1, qui a eu, et a encore, un impact sur les ressources hydriques. Certaines cultures ne peuvent plus être pratiquées, ou tout du moins plus difficilement, comme la riziculture qui a été abandonnée dans plusieurs secteurs de notre étude (Ouanagou, Kibolina, Zaka). Ces facteurs d’ordre naturel agissent également sur les ressources végétales. La rareté de la pluie ne satisfaisant pas leur exigence en eau, leur maintien et/ou leur repousse sont menacés. Ce phénomène est accentué par la baisse de la nappe souterraine. Par ailleurs, les ressources pédologiques doivent aussi être

prises en compte. Ainsi, la rareté de la végétation ne permet plus d’accumuler la matière

organique nécessaire à la formation d’humus. Le sol devient squelettique, fragile. L’érosion éolienne a alors un impact plus important et le risque d’ensablement augmente.

Les autres facteurs naturels ont été présentés au cours du Chapitre 3 : l’agressivité des

pluies, les différentes formes de ruissellement, l’action du vent, et les variations thermiques.

Néanmoins, les résultats de notre étude diachronique remettent en cause l’importance

de ces facteurs naturels. En effet, il semble que l’action humaine ait rompu l’équilibre entre

les différents domaines. Sans l’intervention de l’homme, le couvert végétal est dit « normal »

protégeant (par ses feuilles, ses branches, etc.) les sols de l’impact de la pluie et de l’effet

desséchant du vent. Il favorise alors la présence de macro et de micro-organismes, et les racines assurent la cohésion du sol, ainsi que la production de matière organique. Les causes prédominantes semblent donc être humaines.

4.3.1 Les facteurs anthropiques de la dégradation

Dans le bassin versant de la Doubégué, la régression du couvert végétal est la principale cause de la dégradation des sols. Cette dernière est un mécanisme complexe dans

lequel interviennent plusieurs phénomènes telles que l’érosion du sol par l’eau ou le vent, la

perte de fertilité résultant de modifications chimiques, physiques et biologiques, ou encore la perte de qualité des eaux. Il existe deux processus intervenant dans la dégradation : un déplacement du matériau (sol) et/ou une transformation interne du sol. Le premier peut s’effectuer par l’eau suite au ruissellement superficiel en particulier sur des sols à la texture sableuse en surface. Des déplacements irréguliers de matériaux caractérisés par les rigoles, les

ravines, et les ravins peuvent également se produire. Ce mode d’action hydrique prédomine

dans la région de la Doubégué. Les conséquences indirectes sont alors une sédimentation en aval, des inondations suite au comblement des lits de rivières, et l’envahissement du lac par

d’énormes quantités de sables charriés à partir des versants et des affluents. Le second

processus, la transformation interne, se scinde en trois. Il s’agit de la détérioration chimique, de la détérioration physique prédominante dans le bassin versant de la Doubégué, et la

détérioration biologique. La première est une pollution principalement due à l’emploi des

pesticides agricoles, elle est croissante dans le bassin versant de la Doubégué. Des engrais de type NPK et des produits phytosanitaires sont utilisés principalement sur les cultures de maïs, de coton, de riz et sur les produits maraîchers (le limethion, le sypercal et le DTT auxquels il faut ajouter la dieldrine en provenance du Ghana) (cf. Chapitre 7). La détérioration physique se traduit par la présence de battance et de croûte à la surface du sol, par la compaction du sol, par l’aridification due à un changement du régime d’humidité du sol succédant à l’abaissement du niveau de la nappe phréatique locale suite au défrichement au niveau des

bas-fonds. La détérioration biologique est issue d’un déséquilibre de l’activité (micro)

biologique de la partie supérieure du sol suite à la déforestation, aux feux de brousse, au

surpâturage, et à l’excès d’apport d’engrais chimique.

Suite à l’étude diachronique de l’occupation des sols dans le bassin versant de la

Doubégué, nous avons pu mettre en évidence l’évolution régressive de l’environnement « naturel » amorcée par un changement des conditions climatiques mais dont les principales

causes sont l’augmentation de l’occupation humaine (pression foncière, accroissement

naturel, migrations), les rejets des souches arrachées chaque année, l’élevage extensif détériorant les sols et la végétation pendant la saison sèche, la coupe du bois pour le dolo, le

soumbala, le beurre de karité, etc. Ainsi, la dégradation de l’environnement (régression du

couvert végétal et dégradation des sols) dans le bassin versant de la Doubégué est essentiellement liée à des facteurs anthropiques, notamment les activités agricoles et plus

précisément les techniques et les pratiques culturales43.

4.3.1.1 La mise en cause des pratiques culturales

La dégradation des sols semble favorisée par la mise en culture des terres laissant

les sols nus une grande partie de l’année. Ce fait démontre l’importance du couvert végétal

dans le processus de régénération des sols et de leur protection. En son absence, l’intensité de

l’érosion s’accroît, et les sols sont « attaqués » plus vite qu’ils n’ont le temps de se

reconstituer.

Jusqu’au début du siècle dernier, le système intensif sous parc à Acacia albida

employé dans le Pays Bissa prévenait les pertes en terre. Or, suite à la colonisation française, ce dernier a disparu, au profit d’un système vivrier extensif. Les sols sont alors devenus

doublement vulnérables par la « consommation » de l’écran végétal et la modification

floristique. Les parcs à Acacia albida ont été détruits autour des villages, tandis qu’en brousse

étaient conservés les nérés et les karités.

Par ailleurs, à partir des années 1980, une évolution de l’occupation de l’espace s’est

opérée de part et d’autre de la Volta blanche. La disponibilité en terres cultivables s’est peu

à peu réduite suite à l’arrivée massive de populations, à l’accroissement naturel, et à la

modification des conditions climatiques. Ainsi, dès 1984, les brousses de Bagré ont été recolonisées par les éleveurs, puis les Bissa se sont réinstallés dans les villages abandonnés comme Sassére. En parallèle de ces défrichements, des résidus ont été exportés hors des

champs pour des usages domestiques et/ou l’alimentation du bétail. Cette action a alors

entraîné une baisse de la protection et une difficulté accrue pour la régénération des sols. De plus, les nouvelles populations installées, dans de nouveaux milieux qui leur étaient étrangers, ont appliqué leurs propres pratiques agricoles qui étaient parfois plus destructrices que celles des autochtones.

Le développement des activités agricoles s’est alors opéré dans un contexte où la

protection des sols n’était pas assurée. La surface des sols érodables s’est peu à peu

étendue. Or, comme le soulignent SCHULTZ et POMEL en 1994, « c’est la fraction fine, la

plus importante en terme de fertilité qui est exportée ».

Cependant, il ne suffit pas de présenter l’évolution de la mise en culture, il faut

également étudier le système cultural afin de savoir s’il a subi des modifications et si ces

dernières ont pu avoir un effet négatif sur le milieu. En effet, le système traditionnel a été perturbé par la pression foncière. La pratique de la jachère a été réduite voire arrêtée, et des terres qui n’avaient jamais été mises en culture l’ont été. Or, certaines étaient particulièrement fragiles. Ainsi, un des indicateurs de pression sur les terres est le taux de culture par rapport aux taux de jachère. De plus, les pratiques anarchiques (labours profonds dans le

sens de la pente, l’application incontrôlée des produits chimiques), archaïques (daba, brûlis)

43

De nombreux auteurs ont travaillé sur cette question (TAONDA et al. 1995, OUATTARA, 2006, TRAORE et TOE, 2008).

et itinérantes ne favorisent pas la régénération des sols (originellement pauvres) et de la

végétation. Cette situation est aggravée par une forte densité (58 hab/km2) obligeant à

rechercher des parcelles cultivables toujours plus loin. L’ensemble de la population n’a alors pas été suffisamment sensibilisé sur la sauvegarde et la protection des ressources naturelles.

Par ailleurs, le risque d’érosion augmente lorsque le sol n’a qu’un faible couvert

végétal ou peu de résidus végétaux. Or, ces derniers protègent le sol de l’impact des gouttes

de pluie et de l’éclaboussement, réduisent la vitesse de l’eau du ruissellement, et permettent

une meilleure infiltration. Ils sont donc le moyen le plus efficace pour ralentir les pertes de sols. Mais, leur maintien dans le bassin versant de la Doubégué est en régression. De plus, lorsque les résidus sont laissés sur place, ils sont bien souvent mangés par les caprins, les ovins et les bovins. Ainsi, les sols cultivés sont à nus de novembre à juillet (soit 9 mois sur

12 mois). En effet, les pratiques de contre-saison sont rares dans cette région, et l’accès à

l’eau est difficile : les cours d’eau sont tous à secs à partir des mois de janvier et février.

Il faut également tenir compte de la date adéquate du semis. Dans cette région, où

l’irrégularité interannuelle est importante, plusieurs ensemencements sont souvent réalisés, et

donc plusieurs sarclages. Or, ces derniers déstructurent les croûtes superficielles, et un

horizon compacté peut apparaître en profondeur. Cette technique favorise l’apparition d’OPS

gravillonnaires ou argileuses épaisses, ainsi que la différenciation de certains éléments

géochimiques, d’oxydes, etc. Ces états de surface sont alors favorables à la création de

croûtes de ruissellement dans les griffes d’érosion. (SCHULTZ et POMEL, 1994).

De plus, l’érosion varie selon le type de culture et la vitesse de croissance. En effet,

l’efficacité du couvert est conditionnée par la densité des plants cultivés. Ainsi, pour atteindre le seuil de 90 % de terrain cultivé, il faut six semaines pour l’arachide contre deux mois pour le maïs.

Les personnes interrogées44 ont également mentionné le problème de l’emploi de la

culture attelée modifiant la structure des sols. Les conséquences sont plus importantes sur les sols légers comme les sols ferrugineux sur matériaux sableux et gravillonnaires (majoritaires dans le bassin versant de la Doubégué). Une augmentation de la mobilité des éléments minéraux (Ca, Mg, K) et donc une réduction des bases échangeables et un appauvrissement des sols se mettent alors en place. Une diminution des capacités d’infiltration s’opère et les « mini fossés » créés peuvent servir de collecteur au ruissellement diffus et faciliter la mise en

place d’un écoulement concentré (photo a de la Planche photos 8).

Par ailleurs, la culture attelée nécessite un dessouchage et donc une élimination totale du couvert végétal. Or, cette pratique est de plus en plus employée dans le bassin versant

de la Doubégué. Cette action est alors à l’origine d’une érosion plus importante causant une

dégradation des horizons superficiels. Quant à la pratique traditionnelle du billonnage alterné, elle favorise la dégradation des sols, surtout ceux sablo-argileux et sableux prédominants dans notre bassin, en accélérant la destruction de l’horizon de surface soumis à l’impact des pluies violentes des mois de juillet et d’août.

Les cultivateurs ont aussi conscience que, sans la pratique de la fumure, leurs sols seraient encore moins productifs. L’objectif est alors d’entretenir sa fosse fumière, voire d’en avoir plusieurs afin de maintenir la productivité des sols. Il s’agit là d’un paradoxe, car la majorité des résidus non laissés sur place est placée dans la fosse fumière. Cette action empêche la protection et la reconstitution du sol hors de la période culturale. Les ressources

végétales sont tellement limitées que les cultivateurs doivent opérer un choix. Il n’est pas

possible de maintenir sur place les résidus et d’enrichir la fosse fumière avec d’autres

apports (excepté ceux ménagers).

Par ailleurs, les agriculteurs remarquent que des particules sont exportées en direction

des bas-fonds par l’intermédiaire de l’eau (cf. 4.4). Des différences de teintes sont visibles sur

les champs mis en culture, selon les éléments transportés et en fonction des secteurs de dépôts ou de départ de matériau (photos b et c de la Planche photos 8).

En définitive, les facteurs d’ordre anthropiques vont agir sur les différents types de

ressources. Par le maraîchage et la fragmentation du réseau hydrologique, ils ont un impact sur les ressources hydriques. De plus, des parcelles sont mises en culture proche des cours d’eau, sans aucune protection. Le risque d’augmentation de la turbidité et des pollutions est alors croissant (photos d et e de la Planche photos 8) (cf. Partie 3). Le défrichage, la

déforestation, ainsi que l’extension des zones de culture et de pâturages affectent les

ressources végétales. Enfin, les sols sont « fatigués » suite à la réduction de la jachère, aux perturbations des ruissellements, et au recul des formations naturelles.

4.3.1.2 L’élevage

L’agriculture n’est pas le seul agent anthropique responsable de la réduction du

couvert végétal et de la dégradation des sols. Le bassin versant de la Doubégué comprend également de nombreux éleveurs et une zone pastorale. En effet, comme présenté au cours du Chapitre 2, certains Peul vivent depuis longtemps dans la région (Zaka Peul, Gouni Peul, Pata Peul). Ces sites ont connu un accroissement de leur population avec l’arrivée de pasteurs fuyant les sécheresses des années 1970 et 1980. Mais, c’est plus largement, dans l’ensemble du bassin versant, que la population Peul (venue du Nord) a augmenté ainsi que le nombre de tête de bétail. Cette réalité doit être associée au fait que la population totale du bassin versant

s’est accrue. Les Bissa et les Mossi possèdent également des ovins, des caprins, et parfois des

bovins. Le nombre d’animaux présents dans la région a donc fortement augmenté au cours

des 25 dernières années (Tab. 20). Il s’agit de la seconde activité économique pratiquée par la

majorité de la population. L’élevage du gros bétail est réservé aux éleveurs Peul, alors que

celui du petit bétail et des volailles est pratiqué par l’ensemble de la population. Le mode est principalement extensif. Toutefois, l’élevage intensif sous forme d’embouches bovines, ovines ou porcines tend à se développer comme à Séla.

Bovins Ovins Caprins Porcins Asins Equins Volailles

Tenkodogo 19 070 10 000 10 713 953 1 271 31 33 502

Tab. 20 : Effectif du cheptel dans le département de Tenkodogo en 2000 Source : SRA/DPRAT/Tenkodogo

a : Champ d’haricot et de mil

Champ préparé à l’aide d’une culture attelée conduisant à la mise en place d’écoulements concentrés

Cliché. E. Robert, 2009

b et c : Traces du passage de l’eau soulignant l’érosion et le ruissellement sur les parcelles peu protégées Secteur de Gouni Secteur de Belcé

Clichés. E. Robert, 2009

d et e : Parcelles cultivées proche de cours d’eau (site de Bagré)

Espaces laissés à nu amplifiant l’impact des pluies et du ruissellement et donc le transport de particules dans le

cours d’eau

Clichés : E. Robert, 2009

Planche photos 8: Les impacts des pratiques culturales sur les sols, les cours