• Aucun résultat trouvé

Une proposition théorique : la notion de culture textuelle

2.3 Un processus historique : le devenir texte de la BourseBourse

2.3.3 Le régime de la réécriture

En créant ou recréant plusieurs dizaines de Bourses de commerce, la réforme de 1801 initie une dynamique de standardisation. Une pratique d’écriture illustre cette volonté politique : le copier-coller. Si pour certains centres majeurs (Paris, Lyon, Marseille), le législateur conçoit des décrets adaptés, pour la plupart des Bourses, il décline les mêmes tournures. La mise en regard des textes fondateurs de la Bourse de Niort et de la Bourse de Blois sur la page ci-contre montre l’ampleur de cette reproduction.

63Ibid., p. 99.

64Ibid., p. 101.

65Louis-Christophe Bizet de Frayne, Précis des diverses manières de spéculer sur les fonds publics

en usage à la Bourse de Paris, op. cit., p. 72.

Décrets de création des Bourses de Niort et de Blois des 6 et 28 juillet 1801.

Les parties identiques, reprises dans les deux décrets, sont colorées en rouge. Les textes ont été repris de : Charles Marie Galisset, Corps du droit français ou recueil complet

des lois, décrets, ordonnances, sénatusconsultes, règlements publiés depuis 1789 jusqu’à nos jours, vol. 1, Bureau du Corps du droit français, 1833, p. 2239

1. Il y aura une Bourse de commerce dans la ville deNiort, département des Deux Sèvres.

2. Une des sallesdu bâtiment destiné aux séances du tribunal de commerce est

affecté à la tenue de la Bourse; le pré-fet du département fera les dispositions nécessaires pour que le concours des deux services ne préjudicie ni à l’un ni à l’autre.

3. Il n’y aura à Niort que des courtiers de commerce ; leur nombre ne pourra être au-dessus dequatre ;leur caution-nement est fixé à 2,000 fr. — Ils n’en-treront en fonctions, etne seront tenus de payer le premier terme de leur cau-tionnement qu’au 1er vend. prochain.

4. Provisoirement, et jusqu’à ce qu’il y ait été pourvu par un règlement de l’administration publique, les droits de commission et de courtage seront per-çus d’après les usages locaux : le tarif en sera dressé par le tribunal de com-merce, soumis à l’approbation du mi-nistre de l’intérieur, et affiché au tribu-nal de commerce et à la Bourse.

1. Il y aura une Bourse de commerce dans la ville deBlois, département du Loir-et-Cher.

2. Une des salles de la maison commune sera affectée à la tenue de la Bourse : le préfet est chargé de pourvoir à ce que ce local soit mis à la disposition du commerce.

3. Il n’y aura que des courtiers de com-merce dans la ville de Blois ; leur nombre ne pourra être au-dessus de trois ; leur cautionnement est fixé à 2,000 fr. — Ils ne seront tenus de payer le premier terme de leur cautionnement qu’au 1er vend. prochain.

4. Provisoirement, et jusqu’à ce qu’il y ait été pourvu par un règlement général d’administration publique, les droits de commission et de courtage seront perçus d’après les usages de la ville de commerce la plus voisine : le tarif en sera dressé par le tribunal de com-merce, soumis à l’approbation du mi-nistre de l’intérieur, et affiché au tribu-nal de commerce et à la Bourse.

Fig. 2.3 : Les Bourses sur le territoire français au xixe siècle

Fig. 2.4 : Répartition des contributions de quatorze Bourses françaises pour une taxe exceptionnelle du 25 janvier 1846

La génération en série de Bourses de commerce quadrille le territoire de la Ré-publique française d’institutions financières destinées à être interconnectées, dans la mesure où elles partagent une constitution commune. L’illustration n°2.3 (page ci-contre)représente la distribution des Bourses provinciales, telle que consignée dans une liste de l’économiste et chroniqueur boursier Alphonse Courtois fils67. La quasi-totalité des Bourses françaises ayant été créée pendant l’année 1801, la projection cartogra-phique est valable pendant tout le xixe siècle. L’effort de dispersion est manifeste, et en partie indépendant de la productivité industrielle des territoires : avec cinq Bourses (Agde, Béziers, Sète (alors orthographié Cette), Montpellier, Pézenas), l’Hérault est devant les départements du nord (quatre Bourses pour le Nord et le Pas-de-Calais) ; la Bretagne est bien représentée (deux Bourses pour le Finistère, le Morbihan et l’Ille-et-Vilaine).

À l’instar de l’unité départementale, la Bourse se conçoit comme un service public. Elle doit être accessible à toutes les communautés marchandes qui en ressentent le besoin, même lorsque les moyens locaux restent limités. Une taxe exceptionnelle de 1846 donne un aperçu de la disproportion considérable entre petites et grandes Bourses. Le gouvernement monarchique sollicite une « contribution spéciale de la somme de cent quarante-sept mille soixante-trois f. (147,063 f.), nécessaire au paiement des dépenses des chambres et Bourses de commerce68. » Quatorze Bourses sont sollicitées. C’est une sélection variée : elle intègre aussi bien des relais secondaires (Lorient, Avignon, Dieppe…), que des centres régionaux (Rouen, Lille, Mulhouse) et trois des cinq Bourses à parquet (Paris, Lyon et Toulouse). Les sommes exigées varient considérablement : de 215 fr. pour Dieppe à 11,583 fr. pour Paris, soit un rapport de 1 à 50 (voir l’illustration n°2.4, en p. 102). Elles ont été vraisemblablement déterminées au pro rata des capitaux disponibles au sein des compagnies des agents de change (et donc, de l’ampleur des mouvements financiers, les agents de change se payant sur un droit de courtage).

Le processus de standardisation s’étend hors des frontières actuelles de la France. Le Consultat et l’Empire instituent des Bourses dans les nouveaux départements : à Bruxelles (dès le 2 juillet 1801), Gand, Anvers, Ostende et Bruges (le 8 juillet 1801), Turin (le 4 octobre 1802), Groningue (le 7 avril 1813), Trieste et Emden (le 14 juin 1813). L’influence du modèle français n’est pas toujours durable. Bruxelles adopte finalement les statuts d’un marché libre : à partir de l’ordonnance du 30 juin 1832, les fonctions

67Alphonse Courtois fils, « Bourse de commerce », Dictionnaire universel théorique et pratique du

Commerce et de la Navigation, Guillaumin, 1859, p. 390.

d’agents de change et de courtiers sont fusionnées69.

En instituant un maillage régional (voire, en raison des frontières étendues de la Grande République, international), le Consultat prépare et anticipe une transformation majeure : la démocratisation boursière. Pendant le xviiie siècle, les titres de commerce se diffusent difficilement en dehors des grands centres financiers : « La complexité de cette organisation traditionnelle du crédit se traduit par un certain grippage dans la cir-culation de l’argent qui entraîne des rationnements dans l’offre comme dans la demande de crédit et des taux d’intérêt élevés. Le taux de l’escompte pratiqué en province est loin d’être identique d’une place à l’autre70. » La généralisation d’un modèle organisa-tionnel homogène aboutit à la dispersion, sur tout le territoire, de « véritables marchés de l’argent à court terme71. ». La loi du 14 avril 1819 parachève cette reconfiguration : toutes les Bourses locales peuvent négocier des emprunts et des valeurs mobilières.

Cette volonté politique n’est pas toujours suivie d’effets : le montant des négocia-tions sur les valeurs mobilières « reste cependant très faible, l’activité des Bourses de commerce restant largement dominée par l’échange de papiers de commerce72. » Néan-moins, elle change en profondeur les cadres de cette activité. Les petites communautés, relativement insulaires, des Bourses de l’Ancien Régime, laissent place à autre chose : une culture textuelle. L’effort de reprise systématique, initié par le copier-coller de 1801, ne se limite pas aux règles institutionnelles. Il affecte également l’architecture : « la Bourse de Lyon ressemble, en plus réduit, à celle de Paris. Cette comparaison se vérifie jusque dans l’organisation physique du marché73. » Au terme de ce proces-sus, tous les investisseurs français s’inscrivent dans un horizon social et symbolique commun. L’agencement physique du parquet, des corbeilles et de la salle commune ; la transmission verticale des ordres d’achat et de vente ; l’articulation de la coulisse et du marché officiel : ces éléments familiers caractérisent chaque Bourse à parquet et restent décelables dans l’ensemble des Bourses françaises.

69Edouard Limauge, La bourse et les agents de change : études suivies d’un aperçu sur la lettre

de change et d’une notice sur toutes les valeurs cotées a la bourse de Bruxelles, vol. 1, Ve J. Van

Buggenhoudt, 1864, p. 298.

70Carine Romey, « Les opérations de bourse », op. cit., p. 64. 71Ibid., p. 64.

72Ibid., p. 64.

2.3.4 Renseigner des formulaires : les cadres éditoriaux du

Outline

Documents relatifs