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L’élaboration de circulations transversales : le rôle de l’autographiel’autographie

De l’indexation à l’exposition : La codification médiatique de

4.2 La codification d’un savoir-faire informationnel

4.2.2 L’élaboration de circulations transversales : le rôle de l’autographiel’autographie

Le “réseau” socio-professionnel fédéré par la Société d’encouragement contribue enfin à la dissémination de nouvelles techniques de reproduction dans les milieux financiers. Au cours des années 1820, deux membres de la société éditent un Bazar Parisien as-pirant à assurer la diffusion des « arts manufacturiers » auprès des milieux d’affaires (d’où la devise de l’ouvrage : « La publicité donnée à leurs progrès est le moyen le plus efficace d’encourager les Arts. ». En 1826, ils consacrent une section détaillée aux « services rendus par un art nouveau » : la lithographie58.

Inventée à la fin du xviiie siècle, par le dramaturge et imprimeur suisse Aloys Sene-felder, la lithographie permet de créer directement des plaques d’impression à partir de documents manuscrits rédigés sur des papiers spécialement préparés ; grâce à l’emploi combiné de plusieurs procédés chimiques, l’encre apparaît en relief et peut graver direc-tement une pierre. La lithographie constitue une sorte de compromis entre le manuscrit et l’imprimé. Elle est reproductible, dans une certaine mesure : l’usage d’un papier très fin n’autorise pas des rythmes de production industriels. Elle conserve en même temps la

58Charles Malo, Faure-Finant et De Missolz, Bazar parisien, ou Annuaire raisonné de l’industrie

des premiers artistes et fabricans de Paris, Paris : Au bureau du ”Bazar parisien”, 1826, p. 386 pour

souplesse du manuscrit — il n’est pas nécessaire de composer le document et sa concep-tion est beaucoup moins fastidieuse qu’une gravure. Elle autorise ainsi des formes de circulation limitées, telles que la diffusion d’une dépêche à plusieurs dizaines de titres de presse. Un tirage de ce type serait trop faible pour justifier l’emploi d’une imprimerie typographique (certains frais, tels que la composition, demeurant incompressibles, quel que soit le nombre d’exemple imprimés).

Les ”lithographes” recensés par le Bazar Parisien sollicitent une clientèle adminis-trative et commerciale. Ainsi l’entreprise Noel Aîné et Cie établie rue de Vaugirard prétend exceller dans la confection de « cartes de visite, adresses, circulaires, affiches, factures, têtes de lettre pour le commerce, billets vignettes, etc.59 ». L’innovation auto-rise l’établissement des premières agences de presse. En 1826, un journaliste et publi-ciste normand Placide Justin établit une première correspondance de journaux. Il fait d’emblée appel à l’autographie. En 1841, le rapport du commissaire à l’imprimerie et à la librairie, Bailleul établit un lien direct entre l’introduction de l’autographie et le développement des correspondances :

Toutes sont multipliées au moyen de l’autographie et ont plus ou moins d’étendue selon l’abondance des nouvelles (…) L’autographie seule offre une voie assez rapide pour un travail toujours extrêmement pressé (…) La presse lithographique seule peut satisfaire à une multiplication suffisamment rapide d’exemplaires dont le nombre dépasse toujours vingt-cinq60.

L’autographie alimente une “méta-circulation”. La diffusion des correspondances de journaux reste limitée (pas plus de quelques dizaines à quelques centaines d’abonnés). Seulement, elle se démultiplie : chaque abonné est un média et toute reprise touche potentiellement plusieurs milliers de personnes. Par cumulations successives, les corres-pondances disposent d’une audience — et donc d’un pouvoir symbolique et économique — supérieur aux grands quotidiens. L’Office-Correspondance (dont nous évoquerons le fonctionnement en détail dans la section suivante) dispose dès 1830 d’un réseau d’une centaine de périodiques régionaux. Même si ses envois ne sont pas systématiquement repris dans chaque publication, il peut aisément compter sur une audience de plusieurs dizaines de milliers de lecteurs, répartis dans de nombreux départements français. Le roman d’Émile Zola, L’Argent, donne la mesure de la puissance de cette circulation dé-multipliée. Préparant la campagne de promotion de la Banque universelle de Saccard,

59Ibid., p. 385.

60Cité dans Gilles Feyel, « Les correspondances de presse parisiennes des journaux départementaux »,

le journaliste Jantrou prévoit d’envoyer gratuitement un bulletin financier autographié à la plupart des titres de la presse régionale :

il projetait de créer une agence qui rédigerait et ferait autographier un bulletin de la Bourse, pour l’envoyer à une centaine des meilleurs journaux des départe-ments  : on leur ferait cadeau de ce bulletin, ou ils le paieraient un prix dérisoire, et l’on aurait bientôt ainsi dans les mains une arme puissante, une force avec laquelle toutes les maisons de banque rivales seraient obligées de compter61.

Les émetteurs financiers se convertissent rapidement à cet usage. D’après le moteur de recherche Gallica, l’autographie est mentionnée pour la première fois dans le Journal

des débats le 29 janvier 182962. Le procédé d’impression figure dans un avis émis par la Caisse Hypothécaire. L’organisation est fragilisée par la dépression financière consé-cutive au krach de 1825-182663. Pour rassurer ses actionnaires, elle entreprend deux initiatives alors inhabituelles : distribuer ses comptes par l’emploi d’une presse litho-graphique ; informer plus largement le public en insérant une annonce détaillée dans un titre à grand tirage.

MM. les actionnaires sont avertis que les comptes du deuxième semestre de 1828, arrêtés par les censeurs, et dont les développemens seront présentés à l’assemblée du 28 mars prochain, viennent d’être autographiés, pour être distribués à tous les actionnaires qui désirent apprécier par eux-mêmes la vraie situation de la société. Étranger aux mouvements de la Bourse, décidé à n’y intervenir en aucune ma-nière, le conseil d’administration ne peut répondre que par la publicité de sa gestion aux divagations et aux inquiétudes suscitées par le jeu des intérêts par-ticuliers. Cependant, il doit déclarer que la baisse actuelle des actions lui paraît hors de proportion avec les chances les plus fâcheuses et les plus improbables que pourraient présenter quelques opérations extraordinaires dont il a été déjà rendu compte aux dernières assemblées64.

L’annonce témoigne du rapport direct entre l’émergence de nouvelles pratiques de communication (l’autographie, la publicité journalistique) et la redéfinition du statut

61Emile Zola, L’Argent, op. cit., p. 190.

62En raison des incertitudes de la reconnaissance optique des caractère, des occurrences plus an-ciennes peuvent ne pas avoir été reconnues

63Sur la situation de la Caisse à la fin des années 1820, cf. Pierre-Cyrille Hautcœur, « De nouvelles institutions bancaires », Le marché financier français au XIXe siècle : Récit, sous la dir. de Pierre-Cyrille Hautcœur, Publications de la Sorbonne, 2007, p. 263.

social et culturel des acteurs financiers. Face à la baisse des cours et à la multiplication des critiques exprimées dans la sphère publique, le conseil d’administration de la caisse est contraint de s’exprimer publiquement et de clarifier la situation de l’entreprise. Parce qu’elle est facilitée par tout un appareillage de technologies intellectuelles et manuelles, la publicisation partielle (par le biais de lettres ou de circulaires aux actionnaires) ou étendue (par l’utilisation de l’espace journalistique) de certaines données financières devient un impératif moral.

4.2.3 Du savoir faire au faire savoir : le domaine public de

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