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Corpus et méthodologies

3.2 Délimiter les champs d’observation

3.2.1 Un corpus sur le temps long : le Journal des débats (1838-1870)(1838-1870)

« Parmi les anciens journaux, il en est qui ont perdu leur influence et leur popularité. Chose singulière : le Journal des débats qui ne suivait pas la mode a conservé son importance tandis que Le Siècle, seconde puissance il y a quinze ou vingt ans, l’a perdue en dépit de ses efforts répétés pour rajeunir sa rédaction14. »

Ce constat d’Émile Zola met en évidence la position exceptionnelle du Journal des

débats dans la presse française. Le titre traverse le xixe siècle et, au sein de la culture textuelle médiatique, conserve continuellement un statut de référence, alors que certains concurrents plus tardifs comme Le Siècle, ont déjà « décliné ».

En raison de cette longévité, le Journal est l’un des objets privilégiés des premières “études” consacrées à la presse. Dès 1842, Alfred Nettement publie une Histoire

poli-tique, anecdotique et littéraire du Journal des débats15. S’ensuit, notamment, un dic-tionnaire des rédacteurs et collaborateurs du Journal(1865)16, une biographie croisée des Fondateurs du Journal des débats (1865)17, et, lors du centenaire du journal, une compilation imposante d’études variées parues sous le titre de Centenaire du Journal

des débats18.

L’identité éditoriale et politique du journal est étroitement liée à l’émergence d’une sphère publique autonome. Élu député de la sénéchaussée de Clermont-Ferrand lors des États généraux de 1789, l’avocat auvergnat Jean-François Gaultier de Biauzat envoie régulièrement des lettres et des rapports à un “comité municipal de correspondance”.

Ce mode restreint de publicité ne pouvait satisfaire les impatiences croissantes 14Émile Zola, « Études sur la France contemporaine. Lettres de Paris. La Presse française », Le

Messager de l’Europe, mai 1877

15Alfred Nettement, Histoire politique, anecdotique et littéraire du Journal des Débats, Dentu, 1842. 16Alfred Sirven, Journaux et journalistes. Le Journal des débats, Paris : F. Cournol, 1865.

17Francisque Mège, Les fondateurs du ”Journal des Débats”, en 1789, s. n., 1865. 18Le Livre du centenaire du Journal des débats, Plon, 1889.

de toute une population mise en éveil. Les campagnes, plus intéressées encore que les villes à connaître les modifications profondes de la propriété par suite de l’abolition des droits féodaux, désiraient être instruites, plus promptement et sans intermédiaire19.

Régulièrement averti du succès de ses relations écrites, Gaultier de Biauzat décide de leur donner un tour plus formel. S’associant avec l’imprimeur officiel de l’Assemblée nationale, François-Jean Baudouin, il crée un Journal des débats et des décrets20. En 1800, cet organe de la sphère publique devient un journal généraliste. Le mardi 21 janvier (1er pluviôse), l’imprimeur François-Jean Baudouin cède le Journal des débats

et des décrets aux frères Bertin pour la somme de 20 000 francs. Les Bertin s’entourent

d’une équipe talentueuse. L’un des rédacteurs, Louis Geoffroy, connaît rapidement une célébrité considérable21. Il diffuse ses critiques littéraires et dramatiques dans un espace éditorial à part, le feuilleton, sorte de supplément inscrit dans le corps du journal dont il est séparé par un trait épais22. Jusqu’aux débuts de la Restauration, le Journal

des débats est le premier quotidien français. L’Empire entreprend la saisie de cette

publication trop influente : par le décret du 17 septembre 1811, les frères Bertin sont expropriés23. Ils reprennent possession de leur bien au début de la Restauration24.

De 1815 à 1836, le Journal des débats occupe, avec son concurrent le

Constitution-nel, une position privilégiée. Sans retrouver sa diffusion sous l’Empire (vers 1813, elle

dépassait les 20 000 exemplaires), il conserve un prestige culturel considérable25. Il tente de peser sur le jeu politique. Suite à l’affaire de la conversion des rentes26, il s’oppose au gouvernement ultra de Charles X et se rapproche des milieux orléanistes. L’identité idéologique des Débats est désormais fixée : par-delà les changements de régime, il reste fidèle au “juste milieu” conservateur27.

19Agénor Bardoux, « Le Journal des débats avant les Bertin », Le Livre du centenaire du Journal

des débats, Plon, 1889, p. 4.

20Gilles Feyel, La Presse en France des origines à 1944, Paris : Ellipses, 2007, p. 46. 21Ibid., p. 62.

22Lise Dumasy, La querelle du roman-feuilleton : littérature, presse et politique, un débat précurseur

(1836-1848), ELLUG, 1999, p. 5.

23Gilles Feyel, La Presse en France des origines à 1944, op. cit., p. 60.

24Sur l’existence mouvementée du Journal des débats sous le Consulat et l’Empire, cf. une étude détaillée récente : Benjamin Fayet, Le Journal des Débats sous le Premier Empire : (1804-1814), Editions universitaires europeennes EUE, 2011

25Sur la contribution du Journal des débats à la vie littéraire de la Restauration, voir cette mono-graphie en allemand : Ruth Jacoby, Das Feuilleton des Journal des Débats von 1814 bis 1830 : ein

Beitrag zur Literaturdiskussion der Restauration, G. Narr, 1988.

26Nous y reviendrons en détail p. 205.

L’apparition d’une nouvelle presse à 40 francs en 1836, avec la fondation conjointe du Siècle et de la Presse, ne remet pas en cause l’autorité des Débats. Il reste un acteur influent des transformations médiatiques : distancé par une presse à grand tirage, le titre ne tombe pas en désuétude et continue d’initier des expérimentations reprises par d’autres, en contribuant notamment à l’élaboration du roman-feuilleton (les Mystères

de Paris y paraissent de juin 1842 à octobre 1843). Pendant la décennie 1890, il est

l’un des principaux acteurs de la « guerre des agences » : son secrétaire de rédaction, Hippolyte Bercher, s’engage en faveur d’un concurrent américain de Havas, l’agence Dalziel ; il restructure le quotidien autour de la transmission et de la valorisation des dépêches télégraphiques28.

À l’image du feuilleton, plusieurs formes emblématiques de la presse française se sont d’abord développées dans le Journal des débats. La chronique boursière hebdomadaire est l’une d’entre elles : de 1838 à 1845, la « Revue de la Bourse » du banquier d’affaires Isaac Pereire est la seule rubrique de la presse parisienne généraliste à couvrir l’actualité de la Bourse de Paris. Le successeur de Pereire, Jules Paton, assure la rédaction de la chronique pendant plus de quarante ans, de 1845 à 188829.

Influence durable sur le système médiatique, précocité d’une rubrique boursière structurée, longévité exceptionnelle de l’un des principaux chroniqueurs, disponibili-té de l’ensemble des exemplaires sur la bibliothèque numérique Gallica : la concordance de ces facteurs favorables nous incitait naturellement à faire du Journal des débats notre champ d’observation principal. À partir de notre application Pyllica, nous avons pu extraire 1516 chroniques hebdomadaire des archives hébergées par Gallica sur une période s’étendant de 1838 à 1870, soit de la parution de la première chronique de Pereire à notre terminus ante quem conventionnel30. Ce corpus a été rédigé par quatre chroniqueurs principaux : Isaac Pereire (1838-1840), Charles Sarchi (1840-1841), Olinde Rodrigues (1841-1845) et Jules Paton (1845-1888).

l’attitude du Journal face aux réformes impériales de 1860-1861 : Jean Marc Boudrias, « Les libéraux du Journal des débats et de la Revue des deux-mondes face aux premières réformes impériales, 1860-1861 », thèse de doct., Université d’Ottawa, 1976.

28Michael B. Palmer, Des petits journaux aux grandes agences : naissance du journalisme moderne

1863-1914, Aubier, 1983, p. 166.

29L’évaluation a été reconstituée par un algorithme d’attribution statistique automatisé. Les sources d’époque indiquent une période d’arrivée s’étendant de 1844 à 1847.

3.2.2 Des sondages dans le système médiatique : 1851/52 et

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