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ORGANISATION FONCIERE ET ACTIVITES AGRO- AGRO-PASTORALES

III L’ORGANISATION ACTUELLE DES TERRES DANS LA REGION DE TILLABERY

3.6 Le régime foncier dans la région de Tillabéry :

«Les analyses classiques des disponibilités en terre et des régimes fonciers considèrent, de manière implicite, la terre comme un facteur direct de prospérité. Ainsi, la pénurie foncière est souvent synonyme de pauvreté. Certes, la disponibilité en terre influence le revenu, mais d’autres facteurs exercent un rôle plus important encore : la capacité à la mettre en valeur, les modes de mise en valeur, le niveau de sa fertilité, la vulnérabilité des individus, c’est-à-dire leur capacité à affronter les crises, et les opportunités non agricoles.

Ainsi les exploitants ayant le revenu par actif le plus élevé n’ont pas plus de terres disponibles par actif que les autres, mais parviennent souvent à cultiver plus. Il faudrait une analyse anthropologique, pour comprendre comment certains parviennent à mobiliser leurs actifs familiaux et à les faire travailler. Mais il est probable qu’il s’agisse d’un cercle vicieux de la pauvreté car celui qui ne peut récompenser, matériellement ou symboliquement, les efforts des membres de sa famille ne peut s’assurer de leur force de travail au moment opportun et pour tous les travaux. Les activités agricoles étant fortement réparties en différentes saisons. Il faut pouvoir réaliser certaines opérations, le semis surtout, dans un laps de temps très court.

Pour cela, il faut avoir accès à la main-d’œuvre salariée, surtout pour les travaux pénibles tels que défrichement et sarclage de préparation. La contrainte devient encore plus grande en début de campagne, lorsqu’il faut rembourser des dettes en travail sur des champs de tiers. La pauvreté empêche les paysans de travailler pour eux-mêmes ou d’employer une main-d’œuvre additionnelle afin de cultiver mieux et plus.114»

114 DEN OUDEN J. «Ils ont déjà à manger?», Différenciation des droits de contrôle sur la terre dans un village Adja du Plateau Dogbo-Tota, Province du Mono, Bénin, rapport provisoire, Wageningen, Uni. Agronomique, 1986, 71p.

Les modes de mise en valeur sont très variables d’un village à l’autre. Ils dépendent du niveau de productivité des terres, des modes de faire-valoir et de l’intérêt que portent les paysans aux activités agricoles.

- A Kollo, les sols sont encore productifs, les cultures saisonnières diversifiées et les rendements élevés, mais les revenus des cultures pérennes sont faibles d’autant que les terres sont souvent en faire-valoir indirect.

- A Lamordé, où les terres sont moins fertiles et la pluviométrie plus défavorable, autour du

«windi boundou» (feuilles utilisées comme salade), que les paysans ont développées durant les dernières décennies, semblent des alternatives intéressantes.

- A N’dounga, la productivité des terres est faible, car les paysans développent des stratégies de mise en valeur extensives. Ils préfèrent une agriculture d’autoconsommation et cherchent des revenus dans les secteurs non agricoles ou vendent leur force de travail. Là encore, on constate la disparition de l’économie de plantation.

Par ailleurs, la capacité à développer des activités para- ou extra agricoles complémentaires des activités agricoles est un facteur essentiel de prospérité. En effet, les paysans qui disposent d’un peu de capital peuvent développer des activités de morte-saison (vente de bois de chauffe) ou les confier à des manœuvres (gestion du moulin). Au contraire, ceux qui ont besoin d’argent vendent leur force de travail pour se nourrir, et ce, au détriment de leur propre champ. Parfois, certains remboursent leurs dettes en travail et perdent ainsi le revenu de la saison. Le revenu des activités para- et extra agricoles ne demandant pas de capital est de 250 à 500 FCFA : 0,76 euro par jour. Il est plus bas chez les femmes.

Ainsi, les disponibilités foncières n’expliquent pas à elles seules les différenciations socio-économiques d’une localité. C’est l’effet cumulatif du manque de terres proprement dit, du manque de main-d’œuvre et de liquidités pour les mettre en valeur. Par ailleurs, les modes d’accès et de faire-valoir conditionnent en partie ces modes de mise en valeur. Ils favorisent, ou au contraire, bloquent la mobilité sociale en permettant ou non aux «sans terre» d’y accéder et de les mettre en valeur avec un minimum de sécurité. Ils encouragent ou freinent

l’accumulation du capital par l’achat de terre, la plantation d’arbres, l’amélioration de la fertilité du sol.

Les villageois sont sans cesse confrontés à des situations de crises réduisant brusquement leur approvisionnement en vivriers (aléas climatiques, maladies des actifs familiaux, etc.) ou rendant nécessaire des dépenses (maladies, cérémonies). Or les revenus annuels des hommes comme des femmes sont faibles. Les villageois parviennent-ils alors à accumuler une épargne de précaution pour faire face aux imprévus ? Le capital des paysans à l’ouest du Niger est essentiellement composé d’apport foncier, issu des cultures pérennes qui peuvent être vendues sur pied ou mises en gages, d’animaux d’élevage, d’épargne (déposée dans les tontines) et de capital circulant investi dans les activités d’achat et de revente ou de transformation.

Chez les hommes, l’accumulation est différenciée d’un village à l’autre. Chez les paysans qui n’ont pas de capital à mobiliser en cas de crise, ni d’épargne monétaire, ni de plantations ni de troupeaux, la tentation de vendre leur terre pour résoudre des problèmes est forte. Ainsi se crée un cercle vicieux où le manque de terres provoque une capacité d’épargne insuffisante qui provoque la vente de terres. Les femmes n’ont pas accès à toutes ces formes d’accumulation. Leur capacité à l’accès au capital est donc bien inférieure à celle des hommes. N’ayant pas de capital foncier, ni de cultures pérennes. La majeure partie de leur capital est sous forme de liquidités.

En définitive, les hommes sont, dans leur majorité, vulnérables et leur capacité à supporter une crise est très limitée, mais ils le sont moins que les femmes qui n’ont ni terres, ni arbres. Comme le coton et les plantes pérennes jouent un rôle décisif en permettant une accumulation de capital sans investissement monétaire, cette accumulation dépend donc directement de l’accès à la terre et du régime foncier en même temps qu’elle les influence.

Un revenu faible empêche les producteurs de dégager une capacité d’investissement minimale quand les fonds sont nécessaires (main-d’œuvre pour la préparation des champs, achat d’intrants, location de terres). De ce fait, nous arrivons à une situation paradoxale : les superficies disponibles sont petites, et néanmoins sous-utilisées ou surexploitées. Or, la fertilité de ces terres n’est plus restaurée «naturellement» par la seule jachère de longue durée.

Elle suppose des mesures actives de fertilisation coûteuses en travail ou en capital.

De même, une capacité d’investissement très faible limite le développement des activités para- et extra agricoles complémentaires. L’absence d’épargne mobilisable chez les femmes en oblige beaucoup à contracter des crédits. Elles achètent ainsi des marchandises qu’elles revendent au détail. Elles prennent à crédit des matières premières qu’elles transforment. Les crises récurrentes (maladies, aléas climatiques, dévaluation, etc.) sont aussi à l’origine d’endettements à taux d’intérêt élevé. Pour résoudre leurs problèmes, les femmes et les hommes empruntent de l’argent contre une mise en gage de la récolte sur pied, un remboursement en travail ou en espèces. Cette forme d’endettement est la plus pernicieuse puisque l’argent sert à des dépenses de consommation.

Dans les villages, beaucoup de jeunes ne voient plus leur avenir dans l’agriculture, ni, comment se réaliser. Autrement ils mettent toute leur énergie dans les opportunités hors agriculture. Durant toute la période de leur vie active, ils ne plantent pas et n’élèvent pas de troupeaux. Ils ne défendent pas d’intérêts au village, et, en particulier, ils ne négocient ni de manière explicite, ni de manière tacite, avec leurs aînés sur l’accès à la terre pour leur classe d’âge. Ils ne peuvent exercer de contrôle sur les ventes de terre.

Tout cela contribue à renforcer chez eux la perte de valeur économique et symbolique de la terre, d’autant que le régime foncier limite les possibilités d’intensification et d’amélioration foncière. En effet, seules les terres en propriété individuelle offrent une sécurité d’utilisation suffisante.

Alors que la terre, comme facteur de production, patrimoine économique et symbolique perd de sa valeur au village, la demande en terre des citadins néo-ruraux ne cesse de s’accroître : la terre constitue un refuge pour l’épargne, certains s’investissent dans de nouvelles filières plus ou moins porteuses (manioc, cultures maraîchères, élevages intensifs, etc.). Jusqu’à présent, aucune mesure n’a été développée par l’Etat nigérien pour encourager les investissements fonciers et décourager les néo-ruraux. Tout concourt à une surexploitation des terres par les producteurs et à la vente de terres à des urbains. Ces ventes de terre prennent des proportions extrêmement préoccupantes et fragilisent davantage les chances des populations rurales pour sortir de la pauvreté.

Conclusion : Ainsi, des facteurs internes aux villages (disponibilités foncières, histoires individuelles et collectives locales, modes locaux de faire-valoir, idéologies de développement, etc.) se combinent avec des facteurs externes (course des citadins vers les terres et opportunités réelles ou supposées en dehors de l’agriculture, etc.) pour produire, entretenir et transformer des régimes fonciers spécifiques.

En définitive, dans un contexte d’ouverture au marché, mais d’accès inégal à l’information et aux opportunités, le règlement de la question foncière, dans des zones telles que celles analysées, nécessite un regard sur les acteurs en présence, les rapports de force et les possibilités d’action qui maintiennent les acteurs sur place ou les poussent à partir. Les relations qui existent entre les processus sociaux de production des régimes fonciers d’une part, et la marginalisation socio-économique, puis la dégradation des ressources, d’autre part, sont étroites mais complexes. Les diagnostics fonciers doivent dépasser les simples énumérations de disponibilités en terre et de modes d’accès. Des approches relevant du domaine de l’anthropologie, centrées sur les acteurs, sont indispensables.