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ORGANISATION FONCIERE ET ACTIVITES AGRO- AGRO-PASTORALES

Chapitre 4 : LES CONDITIONS D’ACCES A LA PROPRIETE FONCIERE EN MILIEU RURAL AU NIGER

I. L’ACCESSIBILITE A LA TERRE DANS L’ORGANISATION COMMUNAUTAIRE TRADITIONNELLE

1.5 Le gage «Tolmé» :

1.6.2 La notion de sécurisation et ses enjeux :

«Tous les acteurs sociaux s’accordent pour reconnaître que les paysans ont besoin d’une certaine sécurité foncière pour investir dans la terre et pratiquer une agriculture performante. Mais le succès actuel de la notion de sécurisation va souvent de pair avec l’imprécision qui entoure son contenu : pour certains, les droits coutumiers deviennent flous lorsque la pression démographique et l’insertion dans le marché s’accroît. Ceci crée une insécurité qui ne peut se résoudre que par une appropriation individuelle et privative de la terre. Le modèle de sécurité foncière est alors implicitement ou explicitement la propriété privée. Pour d’autres, une approche en termes de sécurisation représente une alternative forte à une vision de propriétarisme : les droits sur les ressources sont multiples, et il y a d’autres façons de sécuriser les droits que la propriété privée individuelle. Bien plus, argumentent-ils, les systèmes fonciers coutumiers sont bien moins insécurisant qu’on le dit souvent : ce sont les contradictions entre normes locales et normes étatiques qui créent le flou et l’insécurité82

Jean-Pierre Chauveau83 décrit «la logique des systèmes coutumiers» et montre comment la définition des droits renvoie, à partir de grands principes partagés (l’autochtonie, la première défriche, la hiérarchie entre les composantes du groupe social…), à une logique procédurale où la négociation joue un rôle important. Dès lors, les droits concrets sont le produit d’une histoire sociopolitique locale, et des décisions, négociations et arbitrages successifs dont les autorités coutumières sont les témoins et les garants. Chacun sait quels sont les droits dont il dispose et ceux qu’il peut légitimement revendiquer. Dans la logique sociale du territoire, la sécurité foncière passe donc par l’accord entre l’individu et les normes

82 LEROY Etienne. L'appropriation de la terre en Afrique noire, Manuel d'analyse, de décision et de gestion foncières, Karthala, Paris, 1991.

83 CHAUVEAU Jean Pierre. Op. Cit.

sociales du groupe auquel il appartient. Cette logique s’oppose à une logique où la sécurisation des droits est assurée par l’Etat.

Cependant, le concept de sécurité foncière ne semble guère avoir de définition stricte.

Il renvoie à l’idée que les producteurs ne peuvent accomplir leur tâche et investir du travail et/ou du capital dans la terre que s’ils ont une garantie suffisante de pouvoir bénéficier du fruit de leurs investissement : récolte à court terme, garantie du droit d’usage à plus long terme et droit de transmission pour des investissements d’améliorations foncières. Le besoin de sécurité foncière se pose tant pour un propriétaire ou un détenteur de droits permanents et transmissibles que pour un détenteur de droits secondaires (locataire, emprunteur, etc.), même si les droits dont ils disposent, et donc le contenu de cette sécurité foncière risque d’en faire un équivalent de propriété et de lui faire perdre toute valeur heuristique.84

La sécurité foncière est étroitement liée à la sécurité économique : pour les familles paysannes, elle conditionne la possibilité de produire. Inversement, un certain niveau de revenus peut être une condition pour valoriser la terre, acheter des intrants, etc., l’insécurité économique pouvant obliger à hypothéquer ou vendre la terre, ou à vendre la terre, ou à vendre sa force de travail au lieu de cultiver ses champs.

Les règles d’accès à la terre et aux ressources (et donc la façon dont se pose la question de la sécurité/insécurité) ne sont pas les mêmes pour un chef de famille, une femme ou un jeune, pour un migrant ou un autochtone, etc. La question de la sécurité foncière se pose différemment pour les différentes catégories sociales. Il en est de même pour les terres (ou les ressources) sur lesquelles une famille a des droits d’usage permanents et celles qu’elle a empruntées et sur lesquelles elle ne détient que des droits temporaires (quel que soit le type de contrat par lequel elle a eu accès à cette ressource). La sécurité foncière est donc nécessairement une notion relative : il existe différents niveaux de sécurité foncière, qui ne sont pas des degrés sur une échelle linéaire. Un métayer peut se sentir sécurisé et un propriétaire menacé.

La sécurité de l’accès à la terre ou à une ressource dépend de différents paramètres :

84Ainsi, quand Bruce et Migot-Adholla, (1994) la définissent de façon très large comme « le droit, ressenti par le possesseur d’une parcelle de terre, de gérer et utiliser sa parcelle, de disposer de son produit, d’engager des transactions, y compris des transferts temporaires ou permanents, sans entrave ou interférence de personne physique ou morale », ne s’intéressant qu’à un « possesseur » et non à un emprunteur éventuel, et incluant dans les critères le droit d’aliéner sans entrave, ils identifient de fait la sécurité idéale à la propriété privée.

- le contenu des différents droits détenus sur cette parcelle ou cette ressource (droits d’usage : droit d’accès, de prélèvement, de gestion; ou droits de contrôle : droit d’exclusion, droit d’aliénation;

- leur inscription dans le temps (tout ou partie d’un cycle annuel d’exploitation; limités dans le temps ou sans échéance définie, transmissibles ou non);

- leur origine (hérité, acquis par défrichement, par emprunt, par achat, par affectation de la part du chef de famille, par affectation par l’Etat, etc.);

- mais aussi selon la possibilité de les faire valoir effectivement, et l’assurance qu’ils ne seront pas contestés, ou qu’il ne sera pas trop difficile ou coûteux de les faire reconnaître en cas de contestation.

L’enjeu n’est donc pas seulement dans la nature des droits dont dispose l’individu ou le groupe (même si un prêt annuel n’encourage pas l’investissement). Il est aussi dans le fait que ces droits ne puissent être subitement contestés ou remis en cause (contestation d’un droit d’usage, reprise inopinée d’une terre prêtée, etc.) et donc qu’ils soient reconnus et légitimes, et puissent être défendus par les instances d’arbitrage (qu’elles soient coutumières, administratives ou judiciaires). Une ambiguïté juridique, une défaillance des instances d’arbitrage, sont donc aussi des sources d’insécurité.

Le degré de sécurité foncière de telle ou telle situation précise est donc difficile à définir objectivement. D’autant que le fait, pour un producteur, de se sentir ou non en sécurité suffisante pour investir est en partie une question de perception : deux personnes dans une même situation (par exemple un maraîcher ayant emprunté une parcelle à un oncle) pourront se trouver dans des situations d’insécurité différente, en fonction de leurs relations avec leur oncle, selon que la parcelle est ou non revendiquée par les fils, etc.

Il faut noter qu’il existe deux logiques contradictoires : dans les systèmes coutumiers, l’accès aux ressources est lié à l’appartenance à la communauté ou à des conventions sociales.

«Dans les systèmes coutumiers, l’accès aux ressources fait partie intégrante des rapports sociaux, et est gérée par des institutions, c’est-à-dire un ensemble de règles qui gèrent les interdépendances au sein d’un ensemble d’individus, et définit qui peut prendre des

décisions sur telle question, quelles actions sont autorisées et interdites, quelles procédures doivent être respectées, etc. L’accès aux différentes ressources est souvent sous le contrôle de groupes (ethniques ou claniques) distincts. Au sein de la communauté villageoise, les droits d’usage dépendent de la hiérarchie entre les groupes d’appartenance (fondateur,alliés, étrangers). Les familles accueillies par le lignage fondateur, et qui ont établi avec lui des relations d’alliance, ont fondé un quartier et disposent de droits d’usage permanents sur les terres qu’elles ont défrichées et qu’elles cultivent, alors qu’un étranger n’aura accès qu’à un droit d’usage des ressources, en passant un accord avec un ayant droit du groupe familial autochtone, qui se traduit en général par l’établissement de relations de clientèle avec lui.

Même s’ils sont sans limite prévue dans le temps, ces droits ne sont pas du même ordre. Ils sont souvent restreints (interdiction de planter des arbres, de creuser un puits, etc.), ne sont pas automatiquement transmissibles et peuvent dans certains cas être négociables de nouveau85

Les aînés des groupes familiaux ont donc une responsabilité d’administration des ressources, mais, outre de l’état de ces ressources, leurs prérogatives dépendent de la reconnaissance effective de ces prérogatives au sein du groupe familial (individualisation, etc.), et de leur capacité à défendre et conserver cette responsabilité face à l’extérieur (conquête politique, interventions de l’Etat, etc.). L’accès individuel aux ressources est fonction de la structure politique et de la dynamique du groupe qui contrôle les ressources.

Au sein du groupe de descendance, toute personne peut en principe prétendre avoir accès aux ressources contrôlées par le groupe, en fonction de son statut (qui est fonction de critères de séniorité, de genre, de fonctions, etc.). Ce droit est lié à l’appartenance au groupe : des membres ayant quitté le village depuis longtemps pour s’installer ailleurs peuvent revenir et revendiquer une parcelle. En régime patrilinéaire, les femmes sont issues de lignages

«étranger» au village, et leur accès à la terre (sous forme de droits de culture) est lié à leur statut d’épouses. Elles le perdent donc en général lorsqu’elles divorcent.

Comme l’économique, le foncier n’est pas un rapport social autonome : il est enchâssé dans l’ensemble des relations sociales et tout rapport foncier a des dimensions non foncières.

85 BERRY Steve. Social institutions and access to ressources, Africa 59, 1989, p. 41-55.

L’accès aux ressources passe par l’inscription au sein de la communauté, soit par la naissance, soit par des stratégies d’alliances politiques ou matrimoniales, soit par l’entrée en relation de clientèle (qui témoigne d’une relation plus précaire). Epouser une fille d’autochtone est pour un étranger un moyen de s’intégrer à la communauté et donc de sécuriser à la fois sa position sociale et son statut foncier.

Ces règles complexes sont bien maîtrisées par les membres des communautés, qui en ont une connaissance pratique. Chacun sait, selon sa place au sein des réseaux d’inégalité et de dépendance, quels sont ses droits et ceux des autres, et sait évaluer ses marges de manœuvres. Le degré de sécurisation atteint en logique coutumière pour les membres de la communauté au moins est beaucoup plus élevé qu’on ne le pense souvent. Les alliances, les prêts, etc., permettent en général aux non membres qui en font la demande de bénéficier de droits d’usage, au moins temporaires, tant que la pression sur les ressources reste modérée.

Cependant, des conflits peuvent survenir, principalement en cas de transmission des droits d’usage : le prêt de terre est censé être personnel, même s’il est maintenu lors du décès de l’emprunteur. Un conflit de légitimité peut alors survenir entre le fils du prêteur et les héritiers de l’emprunteur. De plus, en cas de forte pression sur la terre, les droits tendent à se resserrer autour des membres de la communauté, au détriment des étrangers, des clients ou des femmes, veuves ou divorcées. Un changement du contexte agro économique ou bien des transformations dans les règles sociales (modification des règles d’héritage, islamisation) peuvent aussi amener à des revendications contradictoires ou à des contestations de droits.

L’insertion sociale et la sécurité foncière sont ainsi des processus dynamiques, en interaction avec la dynamique des positions sociales, de l’accumulation de richesses, des réseaux de clientèle et de dépendance. Maintenir et renforcer son appartenance à la communauté, gérer les alliances ou les relations de dépendance avec les groupes dominants (au sein du village comme en dehors, ou dans l’appareil d’Etat), en investissant dans les rapports de parenté et de clientèle, dans les alliances matrimoniales, sont ainsi des stratégies sécurisant l’accès aux ressources. Les stratégies de production et d’accumulation sont orientées vers la création ou le renforcement de relations sociales, qui, en retour, modifient les conditions dans lesquelles les gens ont accès aux ressources.