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Chapitre2 : Cadre territorial

2.3 L’évolution de l’économie villageoise :

2.3.1 La force de travail des femmes :

Pendant l’hivernage, tous les membres de la famille participent à l’exploitation des terres. Les parents partis en ville pendant la saison sèche reviennent au village pour aider leurs familles à cultiver. Ils quitteront à nouveau le village en début de saison sèche à la recherche d’un travail en ville : les hommes effectueront de petits travaux et les femmes travailleront souvent en tant qu’employées de maison. Certaines cultures sont aujourd’hui encore spécifiques aux hommes et d’autres aux femmes, mais cette distinction n’est pas nette et varie selon les ethnies, les familles et le travail. La répartition du travail n’a guère changé malgré l’introduction de la mécanisation et la main d’œuvre est toujours constituée par les membres de la famille. Chacun a sa tâche particulière : les hommes préparent les champs, les

ensemencent, les désherbent et récoltent les produits; les femmes et les enfants guident les animaux de trait, désherbent et ramassent les produits de la récolte.

Dans les types d’agriculture en usage dans la région de Tillabery, au Niger, les femmes sont associées aux hommes pour les semis, les sarclages, les récoltes. De plus le rôle symbolique des épouses est important tant au moment du pilage de la première gerbe de semences qu’au moment de la première récolte. Confrontées, aujourd’hui, à l’introduction de techniques nouvelles liées à la traction attelée, elles continuent, pour le moment du moins, à n’utiliser que la houe. Cette transformation se propage par et pour les hommes qui seuls apprennent à manier ces outils. Est-ce dire que femmes et techniques sont en opposition en pays songhay et que cette dichotomie doit s’analyser en ces termes ?

Les Songhay sont avant tout des agriculteurs vivant en villages relativement sédentaires. L’organisation sociale est basée sur les patrilignages et la famille étendue, polygyne, à résidence virilocale. Chaque chef de famille possède des terres qu’il repartit en champs collectifs- donc de famille- et parcelles individuelles allouées de façon temporaire à chacune des épouses de l’enclos ainsi qu’à ses dépendants masculins mariés. A charge pour tous ces adultes, dans l’économie que nous qualifions de traditionnelle, de travailler quatre jours sur les champs collectifs.

«Les parcelles individuelles totalisent le quart ou le cinquième de la superficie totale (friche comprise) ce qui représente, aux dires des chefs de famille, une augmentation importante. Elles produisent environ le quart de la récolte bien que les rendements y soient inférieurs à ceux des champs collectifs : elles ne sont en effet pas situées sur les meilleures terres et les sarclages, à la charge exclusive des usufruitiers, sont moins rapides et moins soignés que ceux des autres champs qui bénéficient de toute la main d’œuvre39

Les récoltes collectives couvrent- ou sont censées couvrir- des besoins précis : impôt, nourriture de tous les membres de l’enclos pendant la saison des pluies, une grande partie des dépenses sociales telles que mariages, baptêmes, fêtes religieuses… En saison sèche, de novembre à juin, les femmes se nourrissent et nourrissent leurs enfants sur leur propre récolte

39 LEVY-LUXEREAU Anne. Penelope pour l'histoire des femmes : femmes et techniques, Bulletin n°9, 1983, IRSH, Niamey, Niger.

augmentée d’une partie de la récolte collective, allouée par le chef de famille en fonction de la taille de leur unité familiale. Elles élèvent du petit bétail, chèvres et moutons, dont la vente permet de pallier tant bien que mal, le déficit alimentaire de cette longue période. C’est dire qu’unité de production et unité de consommation sont, en pays songhay, des réalités variant selon les époques. Ce schéma d’une agriculture fondée sur des connaissances écologiques et techniques et sur des pratiques symboliques liées aux cultes agraires et à l’organisation sociale, s’est trouvé perturbé dans les décennies 1960 et 1970 par la grave crise de production qui a affecté cette région.

«La réponse masculine a été, entre autres choses, l’adoption de techniques agricoles importées : attelages de bœufs dressés, charrues, semoirs, semences sélectionnées, engrais.

Leur savoir et leurs pratiques se sont en quelque sorte technicisées et leur perception de l’agriculture et de l’environnement s’en est trouvée modifiée40

Répartition des productions et stratégies de survie :

Ainsi, au pôle le plus riche, les femmes de paysan qui ont su accumuler les terres et le matériel agricole, ne travaillent plus du tout sur les champs collectifs- ce dont les maris tirent grand prestige- car leur main d’œuvre n’y est plus nécessaire. Elles dépendent entièrement de ces maris qui pourvoient toute l’année à la nourriture quotidienne; c’est une version rurale du

«mariage cloîtré» urbain. Mais, ces femmes revendiquent l’octroi d’une parcelle de champ qu’elles travaillent à la houe, et dont les produits sont soit vendus hors de l’enclos principalement à des hommes soit dans les marchés.

Au pôle le plus pauvre, les femmes des petits paysans qui n’ont pu accéder à ces techniques, continuent de travailler comme par le passé, à la houe, avec leurs maris. Elles cultivent en propre une toute petite parcelle individuelle mais ces récoltes sont vite confondues dans une sorte de «pot commun» car elles sont insuffisantes; c’est alors au mari de trouver de l’argent à l’extérieur.

40 LEVY-LUXEREAU Anne. Op. Cit.

Enfin, des femmes, peu nombreuses et généralement âgées, investissent leurs économies dans l’achat de champs, qu’elles font cultiver par des hommes salariés, éventuellement avec charrue et semoir. Les parcelles individuelles, prélevées sur le patrimoine foncier collectif, apparaissent tout à la fois comme une assurance (nourriture de saison sèche car la récolte est insuffisante) et comme une source de revenus annexes pouvant alimenter des circuits marchands. Leur importance croissante traduit la précarité des existences et la rupture des solidarités tout autant que la monétarisation de tous les échanges.

Acquérir du matériel coûteux, apprendre une technique complexe pour la mettre en œuvre sur de petits bouts de terrain qui de surcroît appartiennent à d’autres, pour augmenter des revenus qui peuvent l’être à moindre frais (en transformant les produits), voilà qui à l’évidence va dans le sens des réponses des femmes «on n’a pas d’argent…à mettre là ». Ainsi l’adoption de techniques pourrait alors s’analyser sous l’angle de l’appropriation et de la responsabilité d’un groupe, femmes ou hommes, dans une sphère d’activités précises.