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Réduction de l’apprentissage social à l’imitation comportementale153

Dans le document BRISER LE CYCLE DE LA VIOLENCE (Page 153-156)

B) THEORIES EXPLICATIVES

B.3 LA THEORIE DE L’APPRENTISSAGE SOCIAL

B.3.3.1 Réduction de l’apprentissage social à l’imitation comportementale153

Une évidence frappante (liée d’ailleurs à ce qui précède), à la lecture de quelques articles sur le lien apprentissage social-transmission intergénérationnelle, est que les auteurs semblent généralement assimiler l’apprentissage social à une simple imitation comportementale. C’est notamment le cas des études réalisées par Carroll (1977), McCord (1988), Zaidi, Knutson &

Mehm (1989).

MacEwen (1994) s’est interrogée à ce sujet. Elle souligne que les applications de la théorie de l’apprentissage social à la transmission de l’agression familiale ont ignoré d’importants principes de cette théorie. Il ne suffit pas de savoir qu’il y a eu agression dans la famille d’origine pour parler d’apprentissage social. Il faut aussi prendre en compte certaines caractéristiques de la situation familiale d’origine : fréquence et gravité de l’agression, impact de l’agression sur le sujet, degré auquel celui-ci s’identifie à l’agresseur, sexe du modèle et de l’observateur.

Cette réduction de l’apprentissage social à l’imitation comportementale est manifeste lorsque les chercheurs cherchent simplement à établir des corrélations entre la maltraitance d’une génération et celle de l’autre, sans faire intervenir de variable médiatrice.

Certains auteurs sont conscients de ne pas disposer d’indicateurs d’apprentissage social, mais estiment qu’on peut néanmoins considérer que c’est ce processus qui est en jeu dans la transmission intergénérationnelle. Ainsi, Chen et Kaplan (2001), dans une étude sur la transmission intergénérationnelle de la parentalité constructive, évaluent quatre hypothèses.

Trois d’entre elles concernent des mécanismes médiateurs (les troubles psychologiques des parents, leurs relations interpersonnelles positives, leur participation sociale active) ; pour chacun de ces facteurs, les auteurs testent leur hypothèse grâce à des outils spécifiques appropriés. La quatrième hypothèse concerne l’apprentissage social, avec effet positif direct d’une expérience de bonne parentalité sur la bonnne parentalité à la génération suivante. Voici alors la méthodologie utilisée par les chercheurs : « Contrairement aux trois autres hypothèses, aucune variable n’était disponible qui puisse refléter l’intervention de mécanismes d’apprentissage social. Nous avons donc inféré de tels processus à partir de tout effet résiduel direct, comme Simons et ses collègues l’ont fait dans leurs études. » (p. 22).

A ma connaissance, et ce malgré de nombreuses recherches, la seule étude qui compare véritablement la pertinence de la théorie de l’apprentissage social à celle d’une autre approche (au sujet de la maltraitance) est celle de Muller, Hunter & Stollak (1995). Ces auteurs soulignent d’ailleurs que « les études précédentes affirmant l’action des principes d’apprentissage social dans la transmission intergénérationnelle des punitions corporelles n’ont généralement pas été testées directement contre des perspectives alternatives. » (p.

1332).

Muller et ses collaborateurs font remarquer que ces deux approches (théorie du tempérament et théorie de l’apprentissage social) sont basées sur des postulats et sur des positions philosophiques diamétralement opposés. La première considère que le comportement agressif est une caractéristique de différence individuelle de l’enfant, basée sur le tempérament ; dès lors, le comportement parental punitif est une réponse à l’enfant. Ces auteurs citent d’ailleurs plusieurs études suggérant que les enfants difficiles en arrivent à recevoir un niveau plus élevé de punition corporelle sévère. La seconde approche (apprentissage social) postule que les parents physiquement punitifs finissent par obtenir des enfants agressifs parce que ceux-ci ont appris un certain mode de réponse à leur propre comportement violent.

L’étude a porté sur 1536 parents (732 pères, 804 mères) de 983 étudiant(e)s en psychologie.

Des analyses en piste causale ont montré que, tant pour les pères que pour les mères, les résultats n’étaient pas cohérents avec la théorie du tempérament, tandis qu’elles correspondaient bien à la théorie de l’apprentissage social. Les auteurs soulignent cependant que leur étude ne réfute pas le concept de tempérament en soi, mais qu’elle suggère au moins que le tempérament n’explique pas bien le processus par lequel les punitions corporelles se transmettent d’une génération à l’autre.

Notons cependant que, là encore, les résultats de l’étude pourraient s’expliquer par d’autres approches que l’apprentissage social (attachement, notamment).

B.3.3.2 Non-prise en compte de la spécificité de la maltraitance parmi les différentes formes d’agression

Certains auteurs (rares, au demeurant) ne limitent pas l’apprentissage social à l’imitation du comportement de maltraitance, mais font référence à l’adoption de normes parentales par

l’enfant. Mais ils ne prennent alors pas en compte la spécificité de la maltraitance parmi les différentes formes d’agression.

Rappelons rapidement ce qui a été dit précédemment. L’apprentissage vicariant de l’agression est lié à l’utilité instrumentale qui semble en être retirée par le modèle. En d’autres termes, le sujet imite le comportement du modèle agressif parce que ce comportement lui paraît profiter à ce dernier. De fait, on peut admettre qu’un enfant puisse acquérir un enseignement

« positif » de la violence parentale et faire usage de l’agression pour en tirer des bénéfices au sein d’un groupe de pairs ; de même, une fois devenu adulte pour en tirer des bénéfices face à d’autres adultes.

Mais la maltraitance crée une situation bien particulière puisque l’enfant est à la fois observateur et victime de la violence. Il est évident que même si l’enfant peut, d’un côté, estimer éventuellement que la violence présente un intérêt instrumental pour le père (encore faudrait-il préciser quel type d’intérêt : obtention de l’obéissance, baisse de sa tension émotionnelle, etc. ?), il est aussi très conscient par ailleurs que la violence parentale n’est aucunement bénéfique à lui-même qui subit cette violence. Même dans le cas où c’est la mère et non lui-même qui subit la violence, celle-ci, encore une fois, peut lui apparaître instrumentale pour le père, mais non pour la mère.

Or, les auteurs ne tiennent aucun compte de cette distinction pourtant fondamentale. Prenons, à titre d’exemple, la confusion exprimée par Fry (1993), dans une étude par ailleurs fort intéressante. Comparant deux communautés Zapotec voisines, cet auteur constate que l’une est nettement plus agressive que l’autre en termes de bagarres, de violence conjugale, d’agressions et d’homicides. Par ailleurs, les niveaux d’agression dans ces communautés correspondent à différents modes d’interaction parent-enfant : les parents dans la communauté relativement pacifique prônent significativement plus souvent des stratégies verbales positives pour discipliner et contrôler leurs enfants et utilisent significativement moins de punitions corporelles que les parents de l’autre village. Les enfants de cette communauté pacifique sont moins agressifs entre eux et plus obéissants que les enfants de l’autre village.

Or, dans la discussion et conclusion, l’auteur présente le propos d’un père du village pacifique pour souligner le rôle du modelage dans l’apprentissage du comportement agressif (seul propos rapporté dans cet article permettant de faire ce lien) : « Si mon fils voit que je ne respecte pas d’autres personnes, eh bien,… il acquiert ainsi le même sentiment. Mais si je respecte les autres, eh bien, il m’imite. C’est comme ça. Par dessus tout, le père doit être un exemple, en montrant comment respecter. » (p. 183).

Il y a bel et bien ici un glissement de catégorie : l’article porte sur la violence/non-violence des parents envers leurs enfants ; or, pour démontrer qu’il y a apprentissage social de celles-ci, l’auteur utilise un propos qui concerne la violence/non-violence du père envers d’autres adultes.

Notons par ailleurs un autre glissement opéré par l’auteur. Son article s’intitule « La transmission intergénérationnelle des pratiques de discipline et des approches du conflit ». Or, si Fry aborde bien le deuxième aspect (la transmission des approches du conflit), il ne présente rien qui concerne le premier (la transmission des pratiques de discipline) puisqu’il n’étudie pas le comportement parental des enfants une fois devenus adultes.

Dans le document BRISER LE CYCLE DE LA VIOLENCE (Page 153-156)