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Le fonctionnement auto-réflexif selon Fonagy et ses

Dans le document BRISER LE CYCLE DE LA VIOLENCE (Page 116-122)

B) THEORIES EXPLICATIVES

B.1 LA THEORIE DE L’ATTACHEMENT

B.1.8.2 L’importance de la réflexion sur soi et sur autrui

B.1.8.2.1 Le fonctionnement auto-réflexif selon Fonagy et ses

La démonstration la plus marquante de cette réalité est venue d’une série de publications réalisées par Fonagy et ses collaborateurs qui ont mis en évidence que des processus métacognitifs peuvent précisément jouer un rôle important à ce sujet (Fonagy & al., 1991 a ; Fonagy, & al., 1991 b ; Fonagy & al., 1993 ; Fonagy, & al., 1994). Ces études montrent que la fonction autoréflexive (capacité à concevoir des états mentaux chez soi-même et chez autrui) est un facteur de cessation intergénérationnelle de l’insécurité d’attachement.

- Ces auteurs s’intéressent au développement de la résilience face au risque de reproduction intergénérationnelle de la maltraitance, par le biais de l’acquisition de la fonction autoréflexive. Ils utilisent la théorie de l’attachement comme cadre conceptuel, notamment parce que le concept de modèle opérant interne peut être utile dans l’élaboration du processus de résilience.

Pour ces auteurs, la transmission intergénérationnelle est possible parce que la sécurité de l’attachement dans la petite enfance est basée sur la sensibilité parentale vis-à-vis du monde mental du bébé et la compréhension de celle-ci. C’est précisément ici qu’intervient la notion de fonction autoréflexive. En effet, pour Fonagy et ses collaborateurs, le monde dans lequel nous vivons ne peut prendre sens que si nous invoquons des concepts tels que les désirs, les

croyances, les regrets, les valeurs, les objectifs, pour comprendre le comportement d’autrui et le notre. Cette fonction est assurée par la partie réflexive du soi, l’observateur interne, qui sait que le soi pense, perçoit, réagit, etc. On retrouve un concept proche chez les cognitivistes sous le termes de théorie de l’esprit. Notons au passage que des facteurs culturels tels que la classe sociale, le statut socio-économique, et le milieu ethnique ne sont pas significativement corrélés avec le niveau de fonction autoréflexive .

Pour ces auteurs, la fonction autoréflexive est une composante essentielle de l’autonomie et d’un sentiment cohérent d’identité personnelle. Elle permet à l’individu de considérer que les actions d’autrui ont un sens par l’attribution de pensées et de ressentis, et peut l’aider à mieux communiquer et vivre des expériences plus riches avec les personnes qui l’entourent. Par ailleurs, elle protège contre le risque de fusion, de soumission passive et de perte d’identité fréquemment observé chez les enfants gravement maltraités. Elle explique la plus grande conscience interpersonnelle et la plus grande empathie souvent observée chez les enfants résilients. La volonté et la capacité de planifier et de projeter des réalités alternatives, de jouer, sont toutes enracinées dans la fonction autoréflexive. Celle-ci est également un concept thérapeutique : toutes les approches thérapeutiques (soulignés par les auteurs), quel que soit leur cadre théorique, ont des effets thérapeutiques clairs, par leur accent mis sur le travail de la vie mentale de l’individu.

La fonction autoréflexive se construit progressivement chez l’individu, mais ses prémisses apparaissent très tôt. Ainsi, Feiring, Lewis et Starr (1984) ont montré que vers 9 mois, les bébés interagissent plus positivement avec une personne étrangère s’ils ont vu leur mère interagir positivement avec elle plutôt que de manière neutre, ce qui suggère une capacité rudimentaire à se confronter au monde des sentiments et des idées. Dans leur troisième année, les enfants sont capables de comprendre que les autres personnes ont des sentiments et des intentions différents des leurs. C’est à cette période que l’aptitude à prendre en considération l’état mental d’autrui dans la planification et la structuration des actions est véritablement acquise. Il existe également un niveau supérieur de fonctionnement du soi réflexif qui consiste à penser aux pensées d’une autre personne sur les pensées d’une troisième personne, aptitude qui n’est pas probablement pas entièrement acquise avant six ans.

Une faible capacité à réfléchir au fonctionnement mental d’autrui et de soi-même semble être associée à de graves troubles psychologiques, dans l’enfance et ultérieurement. Ainsi, la compréhension d’états mentaux chez autrui est perturbée chez les patients souffrant d’état-limite et presque totalement absente chez les autistes.

Fonagy et ses collaborateurs ont mis au point une échelle de mesure de la fonction autoréflexive (Reflective-Self Functioning Scale, Fonagy & al., 1996) A l’extrémité basse se situent les parents qui ne veulent ou ne peuvent pas réfléchir à leurs propres intentions ou à celles des autres. Ils ont tendance à attribuer le comportement de leurs parents à des facteurs sociaux ou culturels ou à des circonstances matérielles, non à des intentions identifiables, ou refusent simplement de réfléchir à leur propre motivation ou à celles de leurs parents. Si leurs propos font référence à des états mentaux, c’est généralement sous forme de truismes, de généralisations grossières ou de banalités. A l’extrémité haute de cette échelle se trouvent les parents qui peuvent fournir une représentation mentale cohérente du monde psychologique de leurs proches et d’eux-mêmes, et qui peuvent proposer une compréhension crédible des croyances et souhaits de leurs parents et des racines psychologiques de leurs propres motivations, à la fois en tant qu’adultes et en tant qu’enfants.

On ne s’étonnera pas d’apprendre que la fonction autoréflexive joue un rôle central dans le comportement parental. Il y a ainsi une forte relation entre le niveau de fonction autoréflexive du parent et le type d’attachement de l’enfant. Dans une étude (Fonagy & al., 1991), 52 % des mères d’enfants sécures ont reçu des évaluations dans les deux catégories les plus élevées de l’échelle de fonction autoréflexive (sur six catégories), alors que ce n’était le cas que de 10 % des mères d’enfants évitants. L’association entre la sécurité de l’enfant et la fonction autoréflexive du père était moindre mais toujours statistiquement significative.

Fonagy et ses collaborateurs (1991 b) citent également une étude de Main mettant en évidence que, comparativement aux enfants insécures, les enfants sécures avec leur mère à 12 mois présentaient un soi réflexif plus développé à 6 ans, ce qui s’exprimait par :

- des remarques autoréflexives spontanées - la présence d’un langage à soi-même

- une appréciation de la capacité des états mentaux

- un contrôle métacognitif spontané de la pensée et de la mémoire

Comment expliquer cette différence ? Pour Fonagy et ses collaborateurs, le soi réflexif de l’enfant se développe en réponse à la capacité psychique du donneur de soin. Si ce dernier manifeste fortement cette capacité, il aura tendance à respecter et à stimuler le monde psychologique émergent vulnérable de l’enfant.

Abordons maintenant le point essentiel qui a conduit à présenter ici les recherches théoriques et empiriques de l’équipe de Fonagy : le lien entre processus métacognitifs et cessation intergénérationnelle de la maltraitance. Ces chercheurs ont fait passer l’Entretien d’attachement adulte à 96 mères et 90 pères provenant principalement de la classe moyenne au cours du dernier trimestre de grossesse de la femme. Par la suite, quand leur bébé a été âgé d’un an, son type d’attachement a été évalué grâce à la Situation étrange. Les résultats sont les suivants :

79 % des mères sécures (44/56) avaient des enfants sécures, contre seulement 27,5 % des mères insécures (11/40).

82 % des pères sécures (50/61) avaient des enfants sécures, contre seulement 45 % des pères insécures (13/29) (Fonagy & al., 1994).

Les chercheurs retrouvent des résultats déjà observés ailleurs : il y a un lien entre le type de modèle opérant interne du parent (que ce soit la mère ou le père) et le type d’attachement de l’enfant avec le parent concerné, ce qui confirme l’idée d’une transmission intergénérationnelle du type d’attachement. Le lien était suffisamment fort pour que ces chercheurs puissent, à partir des résultats obtenus sur l’AAI chez les femmes enceintes, prédire avec succès dans 75 % des cas, si un bébé serait évitant ou sécure à la mère à 1 an dans la Situation étrange (Fonagy & al., 1991 a). Par contre, l’équipe n’a pas observé de lien entre l’attachement de l’enfant avec un parent et l’attachement du même enfant avec l’autre parent, ce qui confirme à nouveau que chaque parent transmet son modèle interne indépendamment de l’autre parent, et que l’enfant présente une certaine flexibilité dans ses formes d’attachement.

Mais les chercheurs ont affiné leur enquête, ce qui a fourni des résultats plus novateurs et qui incitent à un réel optimisme. Ils ont pris en compte le niveau de fonction autoréflexive dans leurs analyses, et ont ainsi séparé les mères en deux catégories, celles à haut niveau de (N = 49) et celles à bas niveau (N = 48)9.

9 La différence entre 96 mères et 97 (49 + 48) semble due à une erreur involontaire des auteurs.

Niveau de fonction autoréflexive élevé

Niveau de fonction autoréflexive faible

Mères non-maltraitées dans l’enfance

80 % (8/39) 42 % (13/31)

Mères maltraitées dans l’enfance

100 % (10/10) 6 % (1/17)

Tableau 9 : Pourcentage de mères dont le bébé présente un attachement sécure, en fonction de la maltraitance subie ou non dans l’enfance et du niveau de fonction autoréflexive de la mère (Fonagy & al ., 1994).

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Figure 5 : Fréquence des classifications de relation mère-enfant sécure et insécure, en fonction de l’expérience de privation de la mère et du niveau de fonction autoréflexive de la mère (Fonagy & al ., 1994).

Ces « camemberts » nous fournissent des informations aussi intéressantes à lire horizontalement que verticalement, bien que les auteurs n’en présentent qu’une lecture horizontale.

Horizontalement :

- ligne supérieure : parmi les mères ayant reçu de l’affection dans leur enfance, 80 % de celles ayant un niveau élevé de fonction autoréflexive ont un bébé sécure, contre 42 % de celles ayant un niveau bas.

- ligne inférieure : la différence est encore bien plus importante ici. Parmi les mères ayant manqué d’affection dans leur enfance, toutes celles ayant un niveau élevé de fonction autoréflexive ont un bébé sécure, contre seulement une sur 17 (soit 6 %) de celles au niveau bas.

La conclusion est ici très claire. Les mères au niveau élevé de fonction autoréflexive ont plus de probabilités d’avoir un enfant sécure. Cet élément est certes bénéfique pour les mères ayant été bien entourées dans leur enfance, mais devient capital pour celles ayant manqué d’affection. En effet, chez ces dernières, un niveau bas de fonction autoréflexive « empêche » quasiment la présence d’un attachement sécure, alors qu’un niveau élevé le fait apparaître systématiquement. La différence est bien moins nette chez les mères ayant reçu de l’affection.

Verticalement :

- colonne de gauche : parmi les mères au niveau élevé de fonction autoréflexive, celles ayant manqué d’affection ont toutes leur bébé sécure, contre « seulement » 20 % de celles ayant reçu de l’affection. Ce résultat contre-intuitif est particulièrement intéressant.

- colonne de droite : parmi les mères au niveau bas, celles ayant manqué d’affection ont presque toutes un bébé insécure, contre 42 % de celles ayant reçu de l’affection.

La conclusion est ici aussi bien claire. Si une mère ayant manqué d’affection n’a pas un niveau élevé de fonction autoréflexive, il y a très peu de probabilité que son enfant soit sécure, alors que cela reste tout à fait possible pour une mère ayant reçu de l’affection. Par contre, si une mère ayant manqué d’affection présente un niveau élevé de fonction autoréflexive, elle en retire un tel bénéfice que la probabilité est alors plus grande pour elle d’avoir un bébé sécure que pour une mère ayant reçu de l’affection.

En bref, le travail de réflexion sur soi et sur autrui est une nécessité quasi impérative pour une parentalité adéquate chez les personnes à l’enfance douloureuse, alors que c’est seulement un

« plus » pour les autres.

D’autres recherches confirment la pertinence de ces résultats. Sera tout d’abord rappelée une étude qui montre le lien entre mentalisation (appelée ici « élaboration » par les auteurs) et le bien-être d’adultes anciennement placés, puis seront résumées diverses études portant sur la possibilité d’une cessation de l’attachement insécure.

B.1.8.2.2 La capacité d’élaboration selon Dumaret et Coppel-Batsch

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