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Perception par des enfants et des adolescents

Dans le document BRISER LE CYCLE DE LA VIOLENCE (Page 176-180)

B) THEORIES EXPLICATIVES

B.4 LE CONTRE-MODELAGE

B.4.5.2 La perception de ces actes comme étant injustes

B.4.5.2.1 Perception par des enfants et des adolescents

B.4.5.2.1.1 La recherche de Herzberger et ses collaborateurs (1981)

Herzberger et ses collaborateurs (Herzberger, Potts & Dillon, 1981) ont mené une enquête sur la façon dont les enfants perçoivent la violence parentale. Elle a porté sur 24 garçons de 8 à 14 ans, dont 14 maltraités et 10 non maltraités. Les premiers ne se sont pas sentis plus responsables des punitions parentales que les enfants non maltraités. De plus, les enfants gravement maltraités ont souvent attribué la punition à la personnalité du parent. Plus de 40 % des enfants maltraités par le père et 70 % de ceux maltraités par la mère ont estimé que cette forme de discipline parentale n’était pas méritée. Par contre, tous les enfants non maltraités par la mère considéraient que les punitions qu’ils recevaient d’elle étaient méritées. Plus la maltraitance de l’enfant par la mère était grave, plus celui-ci s’estimait émotionnellement négligé.

Pour les auteurs, la maltraitance par la mère est peut-être particulièrement nuisible car l’enfant s’attend à ce que sa mère se comporte d’une manière aimante. Par contre, puisqu’il peut s’attendre à un comportement punitif de la part du père, la maltraitance par ce dernier peut ne pas avoir le même effet. Mais, précisent-ils, ces hypothèses restent à tester.

Herzberger et ses collègues suggèrent également que le fait de considérer la maltraitance comme un indicateur de rejet parental peut avoir des effets plus néfastes que de percevoir la maltraitance comme étant causée par des frustations imposées au parent par l’environnement. Ils postulent également que le fait de percevoir la maltraitance comme un moyen légitime de résolution des conflits peut augmenter la probabilité que l’enfant modèlera l’agression parentale, alors que considérer la maltraitance comme illégitime peut diminuer l’imitation.

B.4.5.2.1.2 La recherche de Barahal et ses collaborateurs (1981)

Ces auteurs supposent que la maltraitance entraîne des déficits cognitifs et moraux chez les enfants qui en sont victimes. I7 enfants maltraités et 16 non maltraités, tous âgés de 6 à 8 ans ont participé à l’étude. Les auteurs ont émis plusieurs hypothèses, dont celles-ci, pertinentes pour le présent travail.

Comparés aux enfants du groupe contrôle, les enfants maltraités

- sont moins sensibles aux états émotionnels des autres et sont moins aptes à décrire les causes de ces émotions. La première partie de cette hypothèse a été confirmée, l’effet n’étant que modérément diminué quand les différences de QI entre groupes ont été prises en compte. La seconde partie également, mais la différence n’était pas significative une fois que le niveau de QI était contrôlé.

- ont un style de prise de perspective plus égocentrique, échouant plus fréquemment à percevoir des points de vue différents du leur. Cette hypothèse est également confirmée.

- ont plus de probabilités de baser leurs jugements moraux sur des sanctions externes du comportement que sur l’intentionalité. Cette hypothèse n’est pas confirmée, puisqu’il n’y a pas eu de différences entre les groupes. Dans les deux groupes, environ la moitié des participants ont utilisé des récompenses ou des sanctions externes comme déterminant principal des croyances morales.

Dans leur conclusion, les auteurs suggèrent de réaliser des interventions visant à modifier ces cognitions défaillantes, avant que la formation du caractère ne soit bien établie et rende le changement difficile ou minimal, afin de briser le cycle de la violence et de la souffrance sur des générations de familles.

B.4.5.2.1.3 La recherche de Zimrin (1986)

Zimrin (1986) a mené une recherche auprès de 28 enfants qui avaient été hospitalisés pour maltraitance quand ils étaient jeunes. Les auteurs distinguent les résilients (surviving) des non-résilients en se basant sur les critères suivants d’ajustement psychosocial :

- résultats scolaires

- adaptation à l'école ou au travail

- présence ou absence de symptômes de sérieux problèmes émotionnels - sentiment de réalisation de soi ou plans constructifs pour le futur

L’article est consacré aux différentes caractéristiques qui distinguent ces deux groupes. Parmi celles-ci apparaît précisément le fait de se sentir ou non responsable de la violence subie.

Ceux qui avaient un mauvais ajustement psychosocial avaient tendance à se considérer responsables. Ainsi, une fille non résiliente a déclaré : « Ce n’est pas possible qu’il puissent me battre comme ça si je ne le mérite pas ». Par contre, les résilients parvenaient à faire la différence entre ce qui leur était attribué et la réalité. Roni, un garçon, raconte comment sa mère le présentait aux invités : « Est-ce que vous avez déjà vu quelque chose d’aussi stupide » Et il poursuit : « Je restais silencieux, mais dans mon cœur, je me disais : “Ce n’est pas moi, c’est elle qui est stupide” ».

Ces enfants ont utilisé des critères extérieurs (en particulier leur réussite scolaire) pour acquérir le sentiment de leur valeur personnelle et neutraliser ainsi les messages négatifs reçus à la maison. Selon Zimrin, « la distinction entre ce qui arrive à un enfant et ce qu'il est lui permet de conserver une bonne image de soi. Cette tendance est maintenant évidente aux USA dans le traitement des enfants qui ont été sexuellemnte abusés, l’accent étant mis sur :

« Quoi qu’il te soit arrivé, ce n’est pas de ta faute. » (p. 348).

De façon logique, cette attitude chez les résilients était liée à un sentiment de pouvoir contrôler sa destinée et à l’espoir en l’avenir14. Par exemple, une fille déclarait : « J'étais battue à mort et je ne savais jamais si je vivrais le lendemain, mais quand le soir venait, j'avais l'habitude de rester près de la fenêtre et de m'imaginer les lumières de New York. Je restais assise pendant des heures et je m'imaginais en train d'entrer dans la grande ville. » Par contre, les non-survivants n’entrevoyaient pas de lumière d'espoir pour le futur.

B.4.5.2.1.4 Les recherches de Smetana et Kelly (1989)

Smetana et Kelly (1989) font remarquer que le travail de Barahal et al. (1981) (ci-dessus) est la seule recherche, à part la leur, qui étudie les conséquences de la maltraitance sur la connaissance sociale et morale des enfants. Mais ils proposent une analyse et des prédictions radicalement opposées. Puisque, écrivent-ils, les jugements moraux sont censés se développer

14 Remarquons que plusieurs études ont mis en évidence un lien entre locus of control interne et résilience dans des situations de maltraitance ou d’abus sexuels (Himelein & McElrath, 1996 ; Moran & Eckenrode, 1992 ; Valentine & Feinauer, 1993) ou d’événements de vie stressants (Luthar, 1991).

à partir des effets intrinsèques des actions sur autrui, tels que le mal occasionné, les blessures et la violation perçue des droits, il est également possible que les enfants maltraités ou négligés soient plus sensibles aux problèmes de justice ou de bien-être liés aux effets des événements moraux. Ce qui conduit à prédire que les enfants maltraités considèrent les trangressions morales comme moins acceptables, comparativement aux enfants normaux. Ils émettent aussi l’hypothèse que différents types de maltraitance (maltraitance physique et négligence) peuvent être différemment reliés aux jugements des enfants.

Les participants de l’étude étaient 44 enfants d’âge préscolaire, comprenant 12 maltraités, 16 négligés et 16 non maltraités, âgés de 38 à 68 mois, à qui l’on a présenté des images d’enfants commettant 11 transgressions familières à la crèche, de trois catégories différentes : dommages physiques (coups, coups de pied, morsures), stress psychologique (faire pleurer un enfant, l’énerver), conventions sociales (ne pas écouter le maître pendant qu’il raconte une histoire, ne pas rester calme pendant la sieste, quitter la classe sans permission). Par ailleurs, ont été intégrées deux transgressions sur la distribution injuste des ressources (prendre le goûter d’un enfant, conserver un jouet longtemps sans le prêter).

Pour la plupart des thèmes abordés, les évaluations morales des enfants maltraités et négligés étaient identiques à celles des enfants normaux quand les variables de milieu tels que le QI et la classe sociale étaient prises en compte. Ainsi, tous les enfants ont considéré les transgressions morales comme plus graves et plus punissables que les transgressions conventionnelles. De plus, tous ont jugé toutes les transgressions comme plus acceptables quand elles étaient commises par eux-mêmes que par d’autres. Donc, quel que soit le statut de maltraitance, tous les enfants faisaient preuve d’égocentrisme lorsqu’ils établissaient des jugements pour eux-mêmes par rapport aux autres.

Les enfants maltraités physiquement et les non maltraités évaluaient toutes les transgressions comme méritant significativement moins de punition pour eux que pour autrui, tandis que les enfants négligés ne faisaient pas de distinction entre la quantité de punition méritée par soi ou par autrui. Ainsi, les enfants négligés semblaient se considérer comme coupables et méritant plus la punition que d’autres enfants.

Conformément à l’hypothèse, les enfants maltraités étaient plus sensibles au caractère négatif des transgressions liés à la maltraitance et à la négligence. Mais il y avait contradiction entre leurs évaluations morales et leur comportement, puisqu’ils étaient plus agressifs que leurs homologues non maltraités.

On peut fournir au moins deux interprétations possibles de ce dernier résultat : une interprétation pessimiste qui est de penser que « de toutes façons, même s’ils ont de la bonne volonté, ils sont incapables de l’appliquer concrètement ». L’autre lecture est une interprétation plus optimiste qui consiste à penser que « c’est déjà un premier pas qu’ils aient déjà intégré des normes morales positives ; cela augmente la probabilité qu’en grandissant, ils puissent arriver à les mettre en pratique ».

Cette seconde approche relève plus d’un regard porté par « l’esprit de la résilience ». On peut fort bien imaginer en effet que l’enfant intègre assez tôt des normes morales qu’il mettra progressivement en application en grandissant et qui constitueront un tremplin pour la cessation intergénérationnelle de la maltraitance.

Dans le même article, Smetana et Kelly (1989) présentent une autre étude à laquelle ont participé 40 enfants d’âge préscolaire (10 maltraités, 10 négligés et 20 non maltraités). Tous ces enfants estiment que leur comportement réel est moralement justifié. Les actes causant un grave dommage sont considérés comme plus acceptables par les enfants maltraités que par tous les autres enfants, bien que ce résultat ne soit pas statistiquement significatif. De plus, ces derniers sont, comparativement à d’autres enfants, paradoxalement, à la fois plus sensibles aux effets intrinsèques des actes pour les droits et le bien-être hypothétique des autres, et moins sensibles aux effets intrinsèques réels des actes pour les droits et le bien-être des autres.

B.4.5.2.1.5 La recherche de Rohner et ses collaborateurs (1991)

Une étude portant sur 349 jeunes, âgés de 9 à 16 ans, dans les Indes de l’Ouest, montre que les enfants ont tendance à se sentir rejetés par leurs parents, de façon directement proportionnelle à la fréquence et à la gravité des punitions reçues. Et plus ils se sentent rejetés, plus leur ajustement psychologique est déficient. Les croyances des enfants au sujet de la punition physique (comme légitime ou non) n’ont pas d’effet significatif sur ces relations.

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