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L’idéalisation

Dans le document BRISER LE CYCLE DE LA VIOLENCE (Page 141-146)

B) THEORIES EXPLICATIVES

B.2 LA PSYCHANALYSE

B.2.3.3 L’idéalisation

B.2.3.3.1 Définition et caractéristiques

L’idéalisation de parents maltraitants est une situation relativement fréquente, qui surprend souvent les travailleurs sociaux. Les chercheurs se sont eux-mêmes intéressés à ce thème.

Ainsi, Varia, Abidin & Dass (1996) font remarquer que certains enfants maltraités font face à leur situation en déformant leurs perceptions et en niant la maltraitance. Ils s’accomodent psychologiquement en préservant l’image de leur famille comme étant protectrice et aimante, et en niant donc l’expérience de maltraitance. Pour Varia et ses collaborateurs, ce déni peut conduire à un modèle interne d’attachement insécure-anxieux qui inhibera le développement de relations intimes avec les autres plus tard dans la vie.

De fait, plusieurs études convergent pour montrer que, parmi les enfants maltraités, ce sont surtout ceux qui dénient la maltraitance et qui idéalisent leurs parents qui risquent de reproduire (Oliver, 1985, 1993 ; Main & Goldwyn, 1984).

B.2.3.3.2 La recherche de Main et Goldwyn (1984)

Ainsi, Main et Goldwyn (1984) ont mené un entretien d’attachement adulte (AAI) (description dans la section B.1.4) auprès de trente femmes, la plupart dans leur trentaine,

dont les enfants avaient été filmés cinq ans auparavant au cours d’une expérience de Situation étrange (description dans la section B.1.2).

Les principaux résultats de cette étude concernent le lien entre les expériences de rejet de ces femmes par leur mère et leurs représentations d’expériences d’attachement.

Rejetée par la

Tableau 12 : Relation entre les expériences apparentes de rejet des femmes par leur mère et les représentations d’expériences d’attachement basées sur les transcriptions d’entretiens - Rapport préliminaire (Main et Goldwyn, 1984).

N = 30 ; *p < .01 ; **p < .005

Comme le montre le tableau 12, il n’y avait pas de relation entre le fait que la mère ait été rejetée par sa propre mère dans l’enfance et la colère qu’elle ressentait envers celle-ci aujourd’hui. Il y avait par contre, une relation positive significative entre le rejet par la mère et l’incapacité de se souvenir de son enfance.

Les résultats concernant l’idéalisation de sa propre mère par la mère sont également intéressants. Main et Goldwyn décrivent le processus d’idéalisation comme partie d’une stratégie défensive que les individus développent en réaction au traumatisme de la maltraitance. L’idéalisation est une forme de dissociation, parfois utilisée par les individus pour faire face aux expériences traumatiques. Les auteurs ont considéré qu’une mère idéalisait sa mère lorsqu’elle faisait l’éloge de celle-ci, mais sans pouvoir ensuite fournir de preuves concrètes à ce sujet, ou bien lorsqu’il y avait contradiction flagrante entre des descriptions générales positives de la mère et des expériences négatives réelles de celle-ci, dans des situations précises. L’étude a montré qu’il y avait une forte relation positive entre le rejet de la mère dans l’enfance et l’idéalisation actuelle de la mère.

Enfin, plus la femme avait été rejetée par sa mère dans l’enfance, moins elle présentait une version cohérente de ses relations d’attachement et de ses expériences actuelles. Rappelons qu’un entretien d’attachement adulte est considéré comme cohérent lorsqu’il présente un courant d’idées régulier au sujet des relations et de leurs influences. Il est considéré comme incohérent quand il y a des contradictions non reconnues par le participant, quand le participant perd le fil de son propos et quand il y a des changements et des connexions bizarres dans le propos.

Les auteurs notent que cet ensemble de corrélations suggère une réponse défensive à la représentation du rejet maternel chez les femmes adultes, consistant à déformer l’information, la désorganiser et s’en interdire l’accès.

Faisant référence à la recherche de Fraiberg décrite infra (section B.2.3.1.4), montrant que des mères avaient été libérées de leur passé grâce à une remémoration active, bien que douloureuse, Main et Goldwyn font remarquer que « nous sommes condamnés à répéter ce dont nous ne pouvons pas nous souvenir, plutôt que d’être condamnés à répéter indéfiniment. » (1984, p. 214).

Par ailleurs, le rejet de la femme par sa propre mère dans l’enfance est fortement lié au fait que son enfant l’évite après une brève séparation, dans le cadre de la Situation étrange.

Sachant, par d’autres recherches, que l’évitement de la mère par l’enfant est fortement lié au rejet de l’enfant par sa mère, Main et Goldwyn en concluent qu’il y a une forte tendance pour les mères qui ont été rejetées par leurs mères à rejeter à leur tour leurs propres enfants.

Enfin, l’évitement de la mère par son bébé est lié à l’idéalisation de sa propre mère rejetante et à sa difficulté à se souvenir des événements d’enfance. Par contre, si la mère exprimait du ressentiment et de la colère envers sa propre mère pendant l’entretien et qu’elle le faisait de façon cohérente, son enfant avait peu de probabilités de l’éviter. Ainsi, l’évitement de sa mère par l’enfant était lié à des distorsions du processus cognitif de la mère.

Main et Goldwyn présentent deux vignettes cliniques contrastées à titre d’illustrations. Une femme a décrit sa mère comme « une bonne mère » en précisant qu’elles entretenaient d’excellentes relations. Mais quand on lui a demandé ce qu’elle faisait quand elle était contrariée dans son enfance, elle a répondu qu’elle s’enfuyait généralement dehors. Elle se souvenait d’un épisode où elle s’était cassé la main mais n’en avait pas parlé à sa mère, par crainte que celle-ci ne se mette en colère. L’entretien d’attachement adulte a conduit à lui attribuer un score élevé pour le manque de souvenirs de son enfance, pour le rejet par sa mère et pour l’idéalisation qu’elle manifestait envers cette dernière. Par ailleurs, son enfant était extrêmement évitant à son égard.

Une autre femme rejetée dans son enfance se rappelait facilement ses expériences enfantines et était exceptionnellement cohérente. Elle n’idéalisait pas sa mère mais, comme d’autres parents de l’échantillon qui semblaient avoir échappé au cycle intergénérationnel, elle semblait fortement pardonner ses parents. Cette mère avait l’enfant le moins évitant de l’échantillon.

A première vue, ceci peut sembler en contradiction avec ce qui précède où il est question de colère envers la mère. Mais la contradiction n’est peut-être qu’apparente. Il est en effet fort possible que la colère ressentie concerne les actes de maltraitance subie, mais que cela n’a pas empêché ces mères de pardonnner à leur propre mère. Nous reviendrons plus loin sur cette distinction entre haine de la maltraitance et haine du parent maltraitant.

Selon les auteurs, il est probable qu’un « retravail » cognitif-affectif du modèle opérant interne prend place chez certains individus ex-rejetés/ou maltraités, qui réduit les risques de répétition intergénérationnelle de la maltraitance. Ce retravail des processus représentationnels peut être facilité par une thérapie ou constituer l’heureux résultat d’un nouvel environnement et de nouvelles relations.

B.2.3.3.3 La recherche d’Oliver (1985, 1993)

Oliver (1985, 1993), dans une enquête réalisée auprès de 147 familles caractérisées par au moins deux générations de maltraitance, souligne que « les parents maltraitants fournissaient fréquemment des descriptions aimables ou idéalisées de leurs parents biologiques, particulièrement de leur mère, qui étaient si incompatibles avec d’anciens rapports écrits que des contrôles répétés ont été nécessaires pour nous assurer qu’il s’agissait de la même famille.

Dans ces cas, c’étaient les rapports plutôt que les entretiens actuels qui donnaient la vérité. » (1993, p. 1320).

Cet auteur fait ensuite remarquer que « si ce pattern de déni, de fausse idéalisation et de confusion par les parents de la deuxième génération au sujet de l’éducation cruelle, exploitante ou négligente par leurs parents persiste, ceci augmente fortement le risque pour les enfants de la troisième génération et devient ainsi bien plus qu’une question de méthode de recherche. » (1993, p. 1320).

B.2.3.3.4 Les effets bénéfiques d’une thérapie décrits par Leifer et Smith (1990)

Leifer et Smith (1990) présentent le cas de Carol, jeune mère noire de 16 ans d’un fils Cal de quatre mois, adressée à leur programme d’intervention précoce parce qu’elle était dépressive et insuffisamment attentionnée envers son fils.

Bien que sa mère l’ait battu pour des bêtises mineures, Carol l’idéalisait et niait l’impact que cette maltraitance avait sur elle. Elle exprimait beaucoup plus de colère vis-à-vis de son beau-père qu’elle décrivait comme un buveur qui frappait sa mère. Carol a rapporté qu’entre 10 et 14 ans, son beau-père l’avait répétitivement caressée sexuellement. A 14 ans, quand il a cherché à la violer, elle l’a dit à un enseignant et à sa mère ; celle-ci a fait arrêter le beau-père et a divorcé de lui.

Carol a dit aux thérapeutes que Jim (son compagnon et père de l’enfant, âgé de 22 ans) et sa mère donnaient des fessées à Cal et qu’ils pensaient qu’elle-même devrait faire pareil. Bien que Carol pensât qu’il était trop jeune pour être puni, elle admettait qu’elle le fessait occasionnellement quand ses pleurs l’énervaient. En observant les interactions entre Carole et

Cal, les auteurs de l’article ont été convaincus que les débuts d’un cycle intergénérationnel de maltraitance se mettaient en place. Mais parallèlement, certaines forces étaient également présentes : l’intelligence de Carole, sa motivation à être une bonne mère et sa perception positive de Cal.

Avec la thérapie, Carole qui avait fait face à la maltraitance en partie en développant une image idéalisée de sa mère, a progressivement été capable de percevoir sa mère de façon plus réaliste et d’éprouver une grande diversité de sentiments à son égard. Par conséquent, elle est devenue moins dépressive et plus disponible émotionnellement à Cal. Elle est également devenue plus consciente de la relation entre ses propres expériences d’enfant maltraitée et sa propre maltraitance en tant que mère.

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