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La dissociation

Dans le document BRISER LE CYCLE DE LA VIOLENCE (Page 138-141)

B) THEORIES EXPLICATIVES

B.2 LA PSYCHANALYSE

B.2.3.2 La dissociation

B.2.3.2.1 Définition et caractéristiques

La dissociation, un mécanisme de défense proche du déni, a fait l’objet de plusieurs études en lien avec la maltraitance (Egeland & Susman-Stillman, 1996 ; Narang & Contreras, 2000). Il s’agit de la séparation structurelle de divers processus psychologiques (pensées, émotions, mémoire et identité) qui sont normalement associés. Ce processus modifie les pensées, sentiments ou les actions d’une personne, de telle façon que pour un certain temps, certaines informations ou souvenirs ne sont pas associés ou intégrés à d’autres informations. Par la dissociation, le souvenir de certains événements n’est pas disponible ou seulement partiellement. Ou bien, il peut y avoir souvenir d’un événement traumatique, mais non des émotions douloureuses qui l’ont accompagné, ce qui a des probabilités de déformer la signification de l’information traitée par l’individu. Ce dernier point rejoint le constat réalisé par Fraiberg et ses collaborateurs.

Selon Putnam (1993), la dissociation se manifeste le long d’un continuum de gravité, et produit un éventail de phénomènes cliniques et comportementaux impliquant des altérations de la mémoire et de l’identité. A une extrémité du continuum, c’est un phénomène développemental normal ; à l’autre extrêmité, il donne lieu à un ensemble de syndromes psychiatriques connus comme troubles dissociatifs, qui sont des perturbations dans le domaine de la mémoire (amnésie ou souvenir incomplet d’un événement stressant), de l’identité personnelle et du sentiment de soi (sa forme extrême étant le trouble de la personnalité multiple), ainsi que la dépersonnalisation (depuis un léger sentiment de détachement envers les expériences personnelles jusqu’à des modifications importantes de la perception corps-esprit).

Diverses enquêtes rétrospectives ont établi un lien entre phénomènes dissociatifs et maltraitance physique et/ou abus sexuels subis dans l’enfance (Chu & Dill, 1990 ; DiTomasso

& Routh, 1993).

Egeland et Susman-Stillman (1996) font remarquer que la dissociation peut s’avérer le seul moyen de faire face pour l’enfant maltraité qui n’a pas d’autre lieu vers où se tourner pour

trouver réconfort et soutien. Etre traumatisé par quelqu’un qui procure également les soins et le réconfort peut placer l’enfant dans un conflit extrême, supportable uniquement par la dissociation. Mais s’il se maintient, ce mécanisme qui favorise la survie psychologique dans l’enfance aboutit à un fonctionnement défectueux à l’âge adulte.

B.2.2.2.2 La série de recherches d’Egeland et de ses collaborateurs (1988, 1993, 1996)

L’essentiel des résultats de cette série d’études a déjà été décrit dans la section A.4.4.3.

Rappelons simplement ici que depuis 1975, Egeland et ses collaborateurs mènent une étude longitudinale d’enfants et de leurs familles à haut risque, intitulée Projet Mère-enfant de l’université du Minnesota (Egeland, 1988 ; Egeland, 1993 ; Egeland, Jacobvitz et Sroufe, 1988 ; Egeland et Susman-Stillman, 1996). 47 mères ont été maltraitées dans l’enfance, ayant subi toutes sortes de sévices : brûlées avec un fer à repasser, jetées contre un mur ou un radiateur, ébouillantées, et régulièrement frappées avec une ceinture ou un fil électrique.

Un élément essentiel distinguant les mères qui perpétuaient le cycle de la maltraitance de celles qui le brisaient était que ces dernières étaient très conscientes et se souvenaient avec précision de leur passé de maltraitance, dont elles parlaient avec beaucoup d’émotion, et étaient généralement très disertes sur la manière dont elles souhaitaient élever leurs enfants.

Elles reconnaissaient les effets que la maltraitance avait sur elles, ainsi que les effets potentiels sur leurs propres comportements en tant que mère. Par ailleurs, les femmes qui pardonnaient à leurs parents avaient moins souvent tendance à reproduire.

Par contre, les mères qui perpétuaient le cycle n’avaient qu’un vague souvenir de ce qu’elles avaient souffert et n’établissaient pas de lien entre leur histoire enfantine et les soins qu’elles prodiguaient à leurs enfants. Elles semblaient avoir refoulé la maltraitance subie, beaucoup d’entre elles idéalisant leur passé et le comportement de leurs parents. Par exemple, l’une de ces mères a parlé de la longue période passée avec son père qu’elle décrivait comme un homme merveilleux, mais sans pouvoir donner d’exemple précis d’activités enfantines avec lui. Or, cet homme alcoolique avait abandonné la famille quand elle avait deux ans. Egeland et ses collègues utilisent le concept de clivage (splitting) pour expliquer la façon dont ces personnes font face à la réalité de la maltraitance et de la négligence. Ils suggèrent que les maltraités se clivent eux-mêmes, ce qui leur permet d’éviter de se confronter à la réalité de la maltraitance.

Egeland et Susman-Stillman (1996) ont voulu étudier plus précisément ces processus de dissociation sur un sous-échantillon de 24 personnes. Les processus dissociatifs suivants ont été examinés : idéalisation, incohérences, déni, évitement, croyance que le sujet ne peut pas changer ou avoir un effet sur sa vie, mensonges manifestes, comportements d’évasion (toxicomanie, alcoolisme, tentatives de suicide).

Les mères du groupe à reproduction de maltraitance ont décrit les soins qu’elles avaient reçus en tant qu’enfant sous une forme idéalisée et incohérente, comparativement aux mères du groupe ayant brisé le cycle, en ce sens que des exemples spécifiques d’expérience enfantine étaient discordants de la description générale. Elles avaient aussi tendance à idéaliser leur passé : les descriptions étaient très positives, mais incohérentes avec les expériences enfantines réelles. Par ailleurs, les mères du groupe à reproduction étaient de fortes consommatrices de drogues et d’alcool à un âge précoce et avaient fait plus de tentatives de suicide, comparées aux autres. Enfin, le score moyen de dissociation de celles ayant perpétué la maltraitance (36,1) était plus du double de celui manifesté par les mères ayant brisé le cycle (15,8), cette différence étant significative (.04) en dépit de la petite taille de l’échantillon.

Par contre, les mères qui brisaient le cycle avaient intégré leur expérience enfantine dans leurs souvenirs et en parlaient d’une manière qui correspondait à ce qui leur était arrivé ; elles étaient orientées vers le futur et comprenaient que leur histoire passée faisait partie de leur identité. Nombre d’entre elles ont fait des commentaires spontanés sur le fait de ne pas répéter la maltraitance avec leurs enfants. Elles avaient des croyances claires sur les soins et la discipline. Elles étaient très conscientes de la souffrance qu’elles avaient vécue comme enfant et faisaient en sorte que cela ne se répète pas avec leurs enfants.

B.2.3.2.3 La recherche de Narang et Contreras (2000)

Quelques années plus tard, Narang et Contreras (2000) ont mené une enquête du même type auprès de 223 étudiants en psychologie, en utilisant une échelle de dissociation.

Le passé de maltraitance physique était significativement moins prédictif de la maltraitance physique agie une fois que le niveau de dissociation était contrôlé ; environ la moitié de la relation entre l’histoire de maltraitance physique et le potentiel de maltraitance physique agissait par l’intermédiaire de la dissociation. Les auteurs soulignent qu’en raison de la nature transversale de leur étude, ils ne peuvent pas tirer de conclusions causales sur la direction des associations constatées. Néanmoins, précisent-ils, ces données sont en accord avec un modèle conceptuel dans lequel la maltraitance durant l’enfance incite à avoir recours à la dissociation,

laquelle, si elle est se poursuit à l’âge adulte place les individus dans un risque de comportement maltraitant ultérieur.

Pour les auteurs, ceci a des implications cliniques : réduire la dissociation parentale peut aider les cliniciens à prévenir ou stopper la maltraitance physique de l’enfant. Par ailleurs, puisque ces résultats montrent que la relation entre la dissociation et les tendances maltraitantes peut être mesurée avant même la parentalité, il est possible de détecter précocement les individus qui auraient le plus de probabilités de bénéficier de programmes de prévention et d’intervention relatifs aux tendances dissociatives. « Par ce moyen, écrivent les auteurs, nous pouvons être capables d’interrompre le cycle intergénérationnel de la maltraitance avant l’apparition des difficultés éducatives. » (p. 662) .

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