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Perception par des adultes non parents

Dans le document BRISER LE CYCLE DE LA VIOLENCE (Page 180-184)

B) THEORIES EXPLICATIVES

B.4 LE CONTRE-MODELAGE

B.4.5.2 La perception de ces actes comme étant injustes

B.4.5.2.2 Perception par des adultes non parents

Le titre de cette section est un raccourci, utilisé à des fins de simplification. En effet, les études qui suivent ne précisent pas nécessairement que les participants ne sont pas parents.

Toujours est-il que le fait d’être ou non parent ne joue aucun rôle dans les recherches qui suivent.

B.4.5.2.2.1 La recherche de Herzberger et Tennen (1985)

Cette étude a été réalisée auprès de 139 étudiants en psychologie à qui l’on a présenté de petites histoires d’interaction entre un parent et son enfant. Ceux qui avaient vécu le mode de discipline décrit dans la vignette ont évalué le traitement comme moins sévère, plus approprié et moins maltraitant que ceux qui ne l’avaient pas vécu.

Ces deux auteurs se demandent pourquoi le fait de subir une discipline dure conduit le sujet à accepter plus facilement un traitement similaire pour autrui. Une première explication est que l’agression modelée peut amener la victime à croire que celle-ci est acceptable. Une autre explication vient de l’ « hypothèse du monde juste », une croyance selon laquelle les individus méritent ce qui leur arrive. Les enfants peuvent développer ces croyances en réponse à la punition comme moyen de comprendre la discipline et de l’éviter dans le futur.

Ces deux auteurs recommandent cependant la prudence dans l’interprétation de leurs résultats, car l’étude n’a pas concerné les comportements éducatifs de parents, mais les attitudes d’étudiants non parents. Cependant, pour tester la possibilité de généralisation des résultats, ils ont demandé à un échantillon pilote de parents de compléter le même questionnaire. Cet échantillon était trop petit (N = 16) pour générer de nombreux résultats significatifs, mais les jugements étaient similaires à ceux de l’échantillon non-parent. Les parents ayant expérimenté une discipline similaire comme enfant considéraient la discipline comme moins grave et plus appropriée que les autres parents. Cependant, les parents qui avaient expérimenté la maltraitance émotionnelle rejetaient plus le traitement similaire d’un autre enfant.

B.4.5.2.2.2 La recherche de Bower et Knutson (1996) Bower et Knutson (1996) ont réalisé une étude auprès de 207 étudiants, presque tous seuls et sans enfants. Les participants ont été classés en cinq groupes :

- sujets sans maltraitance physique - sujets avec punitions physiques légères - sujets avec punitions physiques modérées

- sujets gravement maltraités physiquement et qui s’identifiaient comme tels - sujets gravement maltraités physiquement et qui ne s’identifiaient pas comme tels

On a soumis à tous ces participants un questionnaire comprenant 85 items représentant divers degrés de maltraitance en leur demandant s’ils les considéraient ou non comme de la maltraitance. Parmi les cinq groupes, ce sont les maltraités s’auto-définissant comme tels qui définissaient le plus d’actes comme de la maltraitance. Inversement, ce sont les maltraités ne s’auto-définissant pas comme tels qui définissaient le moins d’actes comme de la maltraitance. Il n’y avait pas de différence notable entre les trois autres groupes : ceux ayant été légèrement punis, modérément punis et non maltraités.

Il y avait par ailleurs un lien entre la gravité de la maltraitance et l’attitude du sujet à son égard. En effet, les personnes ayant subi une forme spécifique de discipline physique dans l’enfance (par exemple, frappée avec une cuillère en bois) avaient moins tendance à qualifier cet acte de maltraitance, sauf si ce type d’acte leur avait causé des blessures. Ceci, selon les auteurs, « suggère un degré de conscience accrue des conséquences négatives potentielles d’actes disciplinaires spécifiques comme résultat de la blessure disciplinaire. » (p. 697). Il y a donc une relation curvilinéaire entre gravité de la maltraitance et évaluation de tel acte comme maltraitance. Bower et Knutson font alors remarquer qu’ « un groupe à risque de maltraitance future peut être constitué des personnes qui ont expérimenté dans leur enfance divers actes potentiellement blessants qui n’ont pas été vécus sous une forme suffisamment sévère pour être rejetés par la victime comme catégoriquement inappropriés. » (p. 697). Inversement,

« l’auto-étiquetage d’une histoire maltraitante peut être un marqueur protecteur (vis-à-vis du fait d’être soi-même maltraitant), reflétant, pour les individus, un processus selon lequel ils ont accepté, intégré, et consciemment rejeté l’approche disciplinaire utilisée par leurs parents. » (p. 697-698).

B.4.5.2.2.3 Les recherches de Varia et ses collaborateurs (1996, 1999)

Les études de Varia et ses collaborateurs sur les « minimiseurs » rentrent précisément dans cette catégorie (Varia., Abidin & Dass, 1996 ; Varia & Abidin, 1999). La première étude (Varia & al., 1996) a examiné le lien entre les perceptions de maltraitance (psychologique, physique et abus sexuel) et l’ajustement adulte psychologique et social ultérieur dans un échantillon non clinique de 173 individus. Un sous-groupe d’individus maltraités ont été identifiés (les minimiseurs), qui faisaient état de niveaux de maltraitance subie supérieurs à la moyenne, mais qui ne se reconnaissaient pas eux-mêmes comme maltraités. Il y a donc trois catégories : les non maltraités, les maltraités qui reconnaissent la maltraitance subie (que j’appellerai reconnaisseurs), les minimiseurs.

Comparativement aux deux autres groupes, les non maltraités ont le niveau d’estime de soi le plus élevé, un meilleur ajustement de la personnalité et des relations sociales plus saines, et sont moins impulsifs et rebelles. Les reconnaisseurs et les non maltraités sont plus tolérants au sujet des croyances et valeurs des autres que les minimiseurs.

D’un autre côté, minimiseurs et non maltraités ont fait état d’un meilleur soutien conjugal que les reconnaisseurs. C’est la seule variable pour laquelle les minimiseurs ont répondu dans une direction positive. Mais les auteurs de l’étude interprètent ce type de réponse plutôt négativement en estimant qu’elle est en accord avec la tendance des minimiseurs à nier les problèmes dans leurs relations familiales proches. Ils estiment que les minimiseurs peuvent utiliser une stratégie de coping leur permettant de mieux s’accomoder aux autres, soit en niant l’existence des problèmes, soit en ayant des attentes plus basses des autres.

Les minimiseurs (chez lesquels les hommes sont surreprésentés) partagent certaines caractéristiques :

1) Style internalisant : les minimiseurs ont plus de problèmes d’estime de soi, alors que les reconnaisseurs estiment éprouver de plus grandes difficultés dans leurs relations sociales. Selon Varia et ses collaborateurs, les minimiseurs peuvent avoir internalisé leur histoire de maltraitance, et donc percevoir celle-ci comme quelque chose d’intrinsèquement négatif à propos d’eux-mêmes.

2) Stratégie de coping : les minimiseurs font appel à un déni défensif ; ils semblent aller bien mais sont en réalité stressés.

3) Fausse attribution : la minimisation peut être une manière d’interpréter la maltraitance comme une punition méritée, ce qui revient à une tentative d’exercer un contrôle interprétatif, de façon à donner un certain sens à la maltraitance.

Dans une deuxième étude (Varia & Abidin, 1999), les chercheurs portent un regard nettement plus favorable sur les minimiseurs. Cette recherche a plus spécifiquement porté sur des personnes maltraitées psychologiquement. Les chercheurs ont constaté un continuum de maltraitance psychologique plutôt qu’une nette dichotomie entre maltraités psychologiques et non-maltraités. Sur les 42 individus ayant rapporté des niveaux de maltraitance psychologique au-dessus de la moyenne, seulement 52,4 % se sont étiquetés comme maltraités. Les reconnaisseurs constituaient le « pire » groupe en termes de combinaison d’événements maltraitants. Par contre, les minimiseurs avaient reçu plus de chaleur et de soins maternels, à côté de la maltraitance subie. Enfin, les non maltraités avaient bénéficié de comportements protecteurs positifs.

Les reconnaisseurs ont fait état de plus de problèmes avec leur conjoint(e) (moins de soutien et plus de conflits) que les non maltraités et que les minimiseurs. Pour les auteurs, les modèles représentationnels des minimiseurs peuvent être plus positifs et flexibles en raison de la présence de niveaux relativement plus élevés de soin maternel, ce qui a fourni un attachement plus positif et a conféré un degré de protection vis-à-vis des effets des expériences maltraitantes. Ils estiment donc que les minimiseurs peuvent être considérés comme des adultes résilients, en ce sens qu’ils ont la capacité de vaincre des facteurs de risques tels que la maltraitance et d’éviter un mauvais ajustement social.

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