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La désidentification selon Gara et ses collaborateurs

Dans le document BRISER LE CYCLE DE LA VIOLENCE (Page 171-175)

B) THEORIES EXPLICATIVES

B.4 LE CONTRE-MODELAGE

B.4.4.2 La désidentification selon Gara et ses collaborateurs

Gara et ses collaborateurs ont mené une série d’études très intéressantes, tant sur le plan méthodologique que sur celui des résultats obtenus (Gara, 2000 ; Gara, Rosenberg & Herzog, 1996 ; Herzog, Gara & Rosenberg, 1992),

Dans un premier entretien, qui dure entre 1 et 2 heures, on présente à chaque mère une liste de personnes significatives, une personne à la fois, et on lui demande de décrire chacune d’elles en utilisant des adjectifs de trait et de courtes phrases (plutôt que des anecdotes). La liste comprend son bébé, sa mère, son père, le père de l’enfant, ses frères et sœurs, ainsi que d’autres personnes significatives en fonction du vécu de la mère. Dans son autodescription, chaque mère doit décrire les aspects de soi actuels et de l’époque où elle était enfant. A partir des données recueillies, les chercheurs établissent une matrice qui met en évidence la structure de proximité ou d’éloignement des différentes personnes entre elles, dans la représentation de la mère (voir Herzog & al., 1992 pour la procédure). Validée dans plusieurs études antérieures, cette méthode présente l’avantage d’être très peu sensible au biais de désirabilité sociale.

Dans la première étude (Herzog & al., 1992), cinq cas cliniques ont été analysés (trois avec maltraitance physique, deux sans maltraitance physique, mais avec négligence physique et émotionnelle et importants conflits). Les deux mères non abusées, mais perturbées, se sont décrites comme si similaires à leur mère que leur soi n’était pas supraordonné par rapport à aucune figure significative. Elles décrivaient leur bébé dans un langage qui était à la fois pauvrement élaboré et disjoint des autres caractéristiques de la structure. Elles avaient très peu à dire sur leur bébé et ce qu’elles disaient était complètement différent de ce qu’elles disaient d’elles-mêmes ou de toute autre personne, ce qui situait le bébé complètement à part dans la structure représentationnelle de leur mère.

13 Je n’ai rien trouvé dans les pages de Bandura citées par Bretherton qui concerne la contre-imitation.

Contrairement aux deux cas précédents, les trois mères maltraitées ont fourni des descriptions de leur bébé hautement élaborées et de même type que pour les adultes. L’autodescription de Sally, la première mère maltraitée était totalement disjointe des descriptions de ses parents maltraitants, sans aucun descripteur commun, de telle sorte qu’elle semblait se définir en opposition directe aux descriptions de ses parents maltraitants, qu’elle décrivait en termes exclusivement négatifs. Ceux-ci étaient si disjoints du soi et d’autres figures présentes qu’ils ne faisaient pas partie de la structure représentationnelle.

Selon elle, ses parents étaient des monstres avec lesquels elle n’avait rien en commun. Elle affirmait que son propre comportement, fréquemment considéré par les autres comme maltraitant et intolérant, n’était aucunement lié à ces expériences précoces et presque toujours justifié à ses propres yeux. Bien qu’elle puisse décrire la maltraitance de son enfance avec des détails morbides, elle le faisait sans émotion. Elle ne décrivait pas de souvenirs de ses émotions d’alors, et ne se différenciait pas aujourd’hui d’elle-même en tant qu’enfant dans sa structure représentationnelle.

La seconde mère maltraitée, Karin, s’est décrite comme incluant des aspects de ses parents aussi bien que des aspects de soi comme enfant maltraité. C’est le seul profil dans cette étude où le soi est réellement situé dans une position supraordonnée, reflétant une identité à la fois bien élaborée et en lutte pour intégrer des éléments de différentes figures et expériences. La seule figure constamment décrite en termes positifs était sa mère d’accueil. Elle n’a cependant intégré aucune des qualités positives de cette femme dans sa propre idée d’elle-même. Dans la structure, cette mère n’a pas attribué à son bébé les aspects les plus négatifs des parents maltraitants et de soi en tant qu’enfant maltraité.

Des cinq mères étudiées, Karin éprouvait la plus grande souffrance psychologique, mais c’est pourtant elle qui prenait le mieux soin de son enfant. Ayant de l’empathie pour son soi en tant qu’enfant maltraité, elle avait aussi la capacité d’empathie pour sa fille.

Les auteurs de cette étude, se basant sur leur propre travail et sur une revue de la littérature sur la maltraitance, proposent l’hypothèse selon laquelle la perception de soi d’une mère ayant été maltraitée exprime, soit l’équivalence, soit la disjonction par rapport à la perception qu’elle a de ses parents. L’équivalence reflète un mode d’identification avec l’agresseur, tandis que la disjonction reflète une défense psychologique contre toute possibilité de voir le parent maltraitant en soi (avec un raisonnement du type : « Je ne peux pas maltraiter mon enfant parce que je ne suis pas comme ma mère »). Selon la même hypothèse, les parents à l’enfance

normale se situent entre ces deux extrêmes en ce qui concerne la façon dont les perceptions de soi et des parents sont structurées.

Cette hypothèse postule qu’une mère maltraitée qui manifeste le mode disjonctif aura des attentes irréalistes pour son enfant, relatives à un niveau de développement intellectuel et émotionnel qui se situe bien au-delà du statut de bébé. Parallèlement, la mère qui s’identifie ouvertement au parent maltraitant (équivalence) aura plus de probabilités de modeler ses attitudes et croyances sur le mode éducatif de ses parents, considérant que son propre enfant est mauvais de façon inhérente, et qu’il mérite une discipline stricte, voire excessive.

Ces auteurs ont mené une autre étude auprès de 55 mères ayant été maltraitées physiquement dans leur enfance et 46 non physiquement maltraitées (Gara, Rosenberg et Herzog, 1996).

Pour ces auteurs, la plus importante conclusion que l’on peut tirer des résultats de cette étude est que les perceptions exprimées par les mères sur elles-mêmes et sur d’autres personnes sont différentes des perceptions manifestées par les mères sans histoire de maltraitance ; ceci étant tout particulièrement vrai pour ce qui est du niveau de similitude entre leurs perceptions d’elles-mêmes et leurs perceptions de leur mère.

Conformément à leur hypothèse, les mères maltraitées, comparativement aux contrôles, ont montré moins de similitude entre les perceptions actuelles d’elles-mêmes comme mère et leurs souvenirs d’enfance de leur propre mère. Ces différences entre groupes se maintenaient même quand c’était le père, non la mère, qui était le principal responsable de la maltraitance, ce qui survenait dans 37 % des cas de maltraitance. Gara et ses collaborateurs interprètent ce résultat en considérant que les mères maltraitées, que ce soit par le père ou par la mère, ont tendance à se désidentifier de leur mère, comme défense psychologique contre le fait d’avoir une représentation de soi en tant que parent maltraitant. Par contre, les mères sans histoire de maltraitance s’identifient avec leur propre mère, la considérant comme un modèle pour leur parentalité.

Une autre hypothèse confirmée est que les mères maltraitées ont plus de probabilités que les mères non maltraitées de différencier leurs perceptions passées et leurs perceptions présentes de leur propre mère. Une interprétation de ce résultat est que ces femmes maltraitées éprouvent un plus grand besoin de cliver le passé du présent, défendant ainsi les processus affectifs et cognitifs actuels de l’intrusion d’images d’un passé traumatique.

Gara et ses collaborateurs ont également examiné dans cette recherche les liens entre l’attachement du bébé et les perceptions que les mères avaient d’elles-mêmes et des autres. Il

n’y avait pas de différences significatives entre les mères maltraitées et les mères du groupe contrôle, au sujet de la répartition de leur bébé dans les catégories d’attachement A, B ou D (les bébés du groupe C ont été éliminés de l’analyse car trop peu nombreux). Dans les deux groupes, plus les mères avaient une bonne opinion d’elles-mêmes et des autres personnes, plus le bébé avait un attachement sécure envers elle.

Une analyse factorielle prenant en compte 20 variables de perception sociale a mis en évidence que trois facteurs rendaient compte de 56,8 % de la variance. Le premier (24,6 % de la variance) a été nommé « Elaboration positive de soi et d’autrui) (PESO) parce que les variables ayant le plus grand poids sur ce facteur étaient le niveau auquel les divers sois (par exemple soi comme mère ou soi comme enfant) et les autres (par exemple les parents) étaient liés à des descripteurs positifs. L’attachement sécure du bébé à la mère (B), comparativement à un attachement moins sécure (A ou D), était associé à des niveaux significativement plus élevés d’élaboration positive dans les perceptions sociales de la mère. Il n’y avait pas de différences significatives entre les bébés A et D en termes de PESO.

Le second facteur (16,4 %) de la variance a été nommé « Elaboration négative d’autrui » (NEO), car les variables ayant le plus grand poids impliquaient généralement des évaluations négatives d’autruis significatifs (à l’exception du bébé), mais non du soi. Les mères maltraitées ont des perceptions négatives plus hautement élaborées des autres (excepté le bébé) et de soi que les mères du groupe contrôle.

Les auteurs concluent leur article en proposant qu’un thème futur de recherche consisterait à se demander si certaines mères maltraitées qui ne s’identifient pas à leur propre mère s’identifient avec une autres figure maternelle. Ils proposent également des orientations thérapeutiques possibles à partir de leurs résultats :

- aider les mères maltraitées à construire un modèle de maternage différent de celui qu’elles ont internalisé en grandissant ;

- les aider à distinguer les aspects positifs des aspects négatifs parmi le modèle de maternage passé ;

- soutenir le développement d’un sentiment de soi comme mère basé sur les modèles passés et présents du bon maternage, apte à s’adapter aux exigences changeantes des stress de la parentalité.

Dans une troisième recherche, Gara et ses collaborateurs ont poursuivi leur enquête avec les mêmes participants, mais au nombre de 74 mères cette fois-ci (38 maltraitées dans l’enfance,

36 non maltraitées) (Gara & al., 2000). La principale question qui a orienté leur recherche est celle-ci : « l’histoire de maltraitance d’une mère a-t-elle des répercussions sur le niveau auquel ses perceptions négatives ou positives de son enfant sont différenciées lorsque l’enfant passe du stade de bébé à celui de tout-petit ? ».

Les mères ayant été maltraitées, comparativement aux mères du groupe contrôle, ont tendance à ne pas se focaliser sur les défauts et les échecs de leur bébé, avec pour résultat qu’elles développent un système de catégories moins fin pour le comportement négatif de leur bébé.

Par contre, leur système de catégories pour le comportement positif est différencié identiquement aux mères du groupe contrôle.

Une interprétation proposée par les auteurs à propos du premier résultat est que ce filtrage des aspects négatifs de l’enfant sert de fonction défensive chez la mère maltraitée. Par crainte d’agir comme sa propre mère quand son enfant se comporte mal, elle détourne son attention des caractéristiques négatives de l’enfant. Pour Gara et ses collaborateurs, ceci présente un sérieux désavantage car un système plus différencié peut être une condition nécessaire (mais non suffisante) pour réagir différemment selon le type de mauvaise conduite de l’enfant (quand il frappe un enfant, qu’il disperse des jouets dans sa chambre, qu’il touche à un objet cassable, etc.).

• B.4.5 Les deux conditions nécessaires du contre-modelage

Deux conditions au moins sont nécessaires pour qu’un sujet anciennement maltraité décide d’agir avec ses enfants de manière différente de ce que ses parents ont fait avec lui :

- avoir un souvenir suffisamment précis des actes subis - considérer que ces actes sont injustes

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