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D’hier à aujourd’hui, de multiples résultats convergents 30

Dans le document BRISER LE CYCLE DE LA VIOLENCE (Page 30-33)

A.2 LA MALTRAITANCE PSYCHOLOGIQUE

A.2.3.5 Un facteur de risque de la maltraitance physique

A.2.3.5.1 D’hier à aujourd’hui, de multiples résultats convergents 30

Plusieurs études rétrospectives anciennes ont mis en évidence une présence fréquente de maltraitance psychologique chez les personnes aujourd’hui physiquement maltraitantes.

Précisons (cf section A.4.3) que si les études rétrospectives ne nous informent aucunement sur le taux de transmission intergénérationnelle, elles peuvent cependant nous alerter sur un facteur de risque et sont utiles pour comprendre le parcours de ceux qui sont aujourd’hui violents.

Gibbis et Walker (1956, cités par Herzberger, 1990), étudiant 39 personnes emprisonnées pour cruauté envers des enfants, constatent qu’elles ont toutes subi un rejet parental dans leur enfance, mais que seulement deux ont été victimes de maltraitance physique.

L’étude de Tuteur et Glotzer (cités par Widom, 1989) auprès de 10 mères infanticides n’a pas constaté de maltraitance physique dans leur enfance, mais de la froideur émotionnelle, voire du rejet.

Steele et Pollock (1968), étudiant un groupe de parents maltraitants, constatent que certains n’ont jamais été physiquement maltraités par leurs parents, mais que tous ont été émotionnellement maltraités.

Depuis, de nombreuses études ont confirmé cette présence presque systématique de la maltraitance psychologique dans l’histoire des parents maltraitants, alors que la maltraitance physique n’est pas toujours présente (Egeland, 1988 ; Herrenkohl, Herrenkohl & Toedter, 1983

; Hunter & Kilstrom, 1979 ; Kaufman & Zigler, 1987).

Ci-dessous sont rapidement résumés quelques résultats, dont certains seront détaillés ultérieurement :

Herrenkohl, Herrenkohl & Toedter (1983) constatent que, parmi les participants qui n’ont pas été maltraités dans l’enfance, ceux qui maltraitent leurs propres enfants rapportent

significativement plus de négligence, de stress et moins d’affection que ceux qui ne maltraitent pas leurs enfants.

Egeland (1988) répartit en deux groupes des mères n’ayant pas subi de maltraitance physique, d’abus sexuel ou de négligence :

- celles ayant reçu un soutien émotionnel de leurs parents : sur 35 mères, 1 seule était maltraitante, soit 3 %.

- celles n’ayant reçu qu’un soutien émotionnel limité de leurs parents : sur 79 mères, 7 étaient maltraitantes, soit 9 %.

Haapasalo et Aaltonen (1999) comparent 25 mères maltraitantes et 25 mères qui ne le sont pas. Ils n’observent pas de différences significatives entre les groupes pour ce qui est de la maltraitance physique ; par contre, les mères maltraitantes avaient subi plus de maltraitance psychologique dans l’enfance, particulièrement le rejet, les accusations, la terreur et la corruption. En fait, la prévalence de maltraitance psychologique était légèrement plus élevée dans le groupe maltraitant (80 % vs 64 %), mais les différences concernaient surtout les formes les plus graves de maltraitance psychologique : les mères maltraitantes avaient subi plus de rejet (40 % vs 4 %), d’accusation (28 % vs 4 %), de terreur (52 % vs 20 %) et de corruption (16 % vs 0 %). La forme de maltraitance psychologique subie par les mères non maltraitantes concernait essentiellement des cris à leur égard.

Terminons par la présentation plus détaillée d’une étude réalisée par Ney et ses collaborateurs dont les résultats incitent vivement à la réflexion. Par ailleurs, l’auteur en propose une explication assez convaincante.

A.2.3.5.2 L’étude de Ney (1986, 1987, 1989)

Dans une première étude, ces chercheurs demandent à 57 enfants âgés de 5 à 12 ans de répondre à des questions sur leur perception de la maltraitance, de leur famille, des sentiments envers eux-mêmes et envers le monde en général.

Voici les réponses obtenues :

- maltraitance physique : relation linéaire inverse : plus il y a de maltraitance physique, moins l’enfant pense que c’est de sa faute

- maltraitance verbale : relation en U :

o maltraitance verbale légère : les enfants ont tendance à se blâmer

o ‘’ ‘’ modérée : les enfants ont tendance à blâmer le parent o ‘’ ‘’ grave : les enfants ont tendance à se blâmer fortement

- abus sexuel : également relation en U, mais aux angles moins aigus : au fur et à mesure que l’abus sexuel augmente, la courbe d’auto-blâme descend d’abord puis remonte, mais le résultat est moins net que pour la maltraitance verbale ; de plus ce niveau d’auto-blâme est plus élevé que pour la courbe précédente.

Selon Ney, ces résultats suggèrent que la maltraitance verbale a plus de probabilité que la maltraitance physique d’affecter la conception que les enfants ont d’eux-mêmes et du monde.

L’enfant peut accepter d’être frappé, mais jusqu’à un certain point ; en cas de maltraitance physique grave, il considérera celle-ci comme injuste ou déraisonnable. Par contre, la maltraitance verbale est plus « piégeante » (entrapping) car il est plus difficile pour l’enfant de reconnaître l’aggression et de s’en défendre. Pour survivre, il doit être d’accord avec son parent maltraitant ; il a mérité ce qu’il a reçu (1986). « Du point de vue de l’enfant, il est plus sécurisant de se critiquer lui-même que de critiquer ceux dont son existence dépend. L’enfant se rend bouc émissaire afin d’éviter d’être séparé de ses parents. » (1989, p. 596). Ainsi, « la maltraitance verbale est aussi nocive, voire plus, pour les enfants que d’autres types de maltraitance. » et c’est elle qui a le plus de probabilité d’être transmise d’une génération à l’autre. (1987, p. 376), car c’est la tendance à internaliser le conflit, particulièrement présente en cas de maltraitance verbale, qui entraîne la reproduction de la maltraitance.

Quelques années plus tard, Herzberger (1990) parvient à des conclusions proches. Elle note que la mention presque universelle du manque d’amour ou de soutien émotionnel dans l’enfance des parents maltraitants suggère que ceci peut constituer un ingrédient central dans le processus de transmission. Si tel est le cas, continue-t-elle, alors les méthodes de recherche qui ne prennent en compte que l’existence de la violence physique dans chaque génération sont inadéquates. Il est possible que l’effet de la maltraitance, quoique importante, soit secondaire aux traumatismes infligés par la maltraitance émotionnelle qui l’accompagne.

• A.2.4 Conclusion : Les blessures de l’âme sont malheureusement moins visibles que celles du corps.

L’importance de la maltraitance psychologique n’est apparue que tardivement aux yeux des professionnels de l’enfance et des chercheurs. Elle apparaît bien au cœur de la maltraitance, son élément le plus essentiel et le plus traumatisant. Il est même permis de se demander s’il n’est pas plus difficile de devenir résilient après avoir subi « seulement » de la violence psychologique. En effet, comme le soulignent divers auteurs, l’enfant a du mal à caractériser négativement le parent qui n’use pas de violence physique. L’enfant tiendrait alors plus ou moins inconsciemment le raisonnement suivant : « il n’est pas méchant puisqu’il ne me tape pas ». Mais alors, si le parent n’est pas méchant et qu’il affirme cependant à son enfant que celui-ci n’a aucune valeur, qu’il ne saura jamais rien faire dans la vie, etc., alors c’est bien que l’enfant correspond bien à cette description. L’enfant maltraité physiquement a, dans son malheur, la « chance » de pouvoir situer plus facilement le problème chez le parent, non chez lui-même.

Il semble nécessaire que la maltraitance psychologique devienne une préoccupation importante dans l’univers de la protection de l’enfance. Beaucoup de situations de ce type, notamment dans les milieux sociaux aisés, échappent au regard des professionnels. Et même lorsqu’elles sont connues, elles aboutissent rarement à une intervention de soutien auprès de la famille et encore moins à une procédure judiciaire. Les blessures de l’âme sont malheureusement moins visibles que celles du corps.

Après avoir tenté de caractériser ce qu’est la maltraitance, examinons maintenant l’autre membre du couple qui constitue le cœur de la présente étude : la résilience.

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