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La réception des «   Recherches sur les volcans   éteints»

OUVRAGES DU NATURALISTE

3. La réception des «   Recherches sur les volcans   éteints»

Nous avons pu voir que cet ouvrage sur les volcans bénéficie d’une large diffusion et que ce bel in-folio permet à Faujas de se faire connaître de la communauté des savants. En effet en publiant son livre en 1778, il fait un pied de nez à son ancien mentor Guettard qui ne contre-attaque qu’un an plus tard avec un petit mémoire inséré dans ses mémoires sur le Dauphiné.

Excusions et promotion de ses idées avant l’entrée dans le grand monde

Après la publication de son ouvrage, Faujas, devient de plus en plus célèbre. Pour faire la promotion de son récent ouvrage, il reprend la route. D’une part, il fait découvrir le Vivarais à Michel Adanson, collaborateur de Buffon au Jardin du Roi. Le naturaliste transcrit

ce « Dixième voyage en Vivarais1 » dans un petit manuscrit d’une dizaine de pages, qui

représente une courte excursion, une ballade géologique entre le 15 et le 20 juin 1779, mais qui politique ment lui permet d’éveiller l’intérêt d’un personnage centrale dans le champs scientifique. D’autre part, il se redirige dans le midi pour aller vendre ses nouvelles de construction aux officiers de la marine.

Faujas est Adanson partent de Montélimar le samedi 15 juin 1779 dans l’optique de marcher dans les traces que le montilien a laissé derrière ses récentes excursions. Ils se

1

dirigent d’abord vers Thueyts puis au château d’Aps, ce qui permet à Faujas de montrer à son prestigieux compagnon une cristallisation basaltique qu’il ne manque pas de croquer. Ce manuscrit est le seul où Faujas se met à autant dessiner ce qu’il voit. Pour ce voyage qui ressemble plus à du tourisme volcanique qu’à un voyage d’études, les deux compagnons ne se sont pas encombrés d’un illustrateur professionnel, comme le fait d’habitude Faujas lors de ses tournées. On peut aussi se demander si les schémas n’ont pas aussi une valeur pélagique visant à informer le voyageur parisien de l’organisation des paysages traversés.

Le dimanche, les deux hommes se rendent à Montbrul où Faujas se livre sur le terrain à toutes les explications qu’il avait fournies dans son ouvrage. Ensuite Faujas emmène son

hôte au « puits de la poule » pour reproduire les expériences sur la résistance des animaux aux

airs de cette grotte et y laisser mourir un coq, un chat et un chien. En passant par Neyrac, il semble que Faujas, en bon guide, fait une sorte de petit cours de volcanisme. En décrivant un sable trouvé non loin du puits, il s’adonne à des réflexions systémiques sur la région. Faujas

maintient ses deux principes de recouvrement marin du Vivarais : « les volcans brûloient sous

la mer1 » et le caractère non igné du granite « des ruisseaux de sable graniteux ou mêlés d’eau

bouillante2 ». De Neyrac les deux hommes vont dîner au Colombier où Faujas connaît bien le

prieur du lieu, puis repartent pour Burzet, situé à 4 km au nord. Le village détient une curiosité architecturale : une église dont la façade de granite dodeline en même temps que les cloches lorsqu’on les fait sonner.

À partir du 18 juin, Faujas accompagne Adanson sur les lieux qu’il a décrits dans son journal de 1777. Ils se rendent à la Chartreuse de Bonnefoy en passant par la Gravenne de

Thueyts avant de faire une halte à Uscalde3 pour aller manger dans une auberge peu

engageante :

l’auberge est une espèce de chenil, sombre, sale, tout enfumé, l’hôtesse une grosse femme lourde et malpropre, on nous offrit un pain de seigle pesant et à demi cuit, ce ne fut qu’à force de peine que nous obtînmes un pain pesant environ d’une livre, du beurre plein de malpropretés et un morceau de lard froid, je ne parle pas de deux petites saucisses, si noires, si crasseuses, si dégoûtantes, qu’il falloit avoir une faim d’enragé pour oser les attaquer ; on nous offrit aussi une tranche de beurre pleine de malpropretés. Le tout étoit pèle et mêle sur une vieille et lourde machine, qu’on appelloit une table, qui avoit tout l’air d’une auge à cochon recouverte par une serviette pleine de taches de vin, et de graisse, qui avoit servi probablement à tous les muletiers du paÿs. Par surcroît de bonne fortune, nous avions sur notre tête deux ou trois véritables bandits du Vivarais, de véritables coquins de suc et de corde, ivres, et furieux qui injurioient l’hôtesse qui en gémissoit et étoit dans de grandes inquiétudes au sujet de cette canaille, qui se faisoit obéir à cette malheureuse femme en l’accablant des injures les plus grossières, Mr Pascal prieur du colombier, nous exhorta à ne rien dire en nous avertissant que ces gens étoient de véritables scélérats qui au moindre mot, nous répondront à coup de couteaux. Nous sortîmes le

1 Ibid., p. 74r. 2 Ibid. 3

plutôt que nous pûmes de ce véritable coupe-gorge, et où par-dessus le marché ; on nous fit payer fort cher ce que nous n’avions pas pris. Je m’amusois de voir la surprise de Mr Adanson1.

Ce passage ressemble aux quelques extraits de l’ouvrage que Faujas a utilisé pour décrire les mésaventures de voyages que les naturalistes rencontrent sur leur chemin. Ici Faujas ne semble pas forcément inquiété lui-même et se moque de son compagnon parisien apparemment très surpris par cet événement.

Arrivés à la Chartreuse de Bonnefoy, les deux hommes repartent le mercredi 19 juin 1779 pour le Mont Mézenc, plus haut sommet volcanique du Vivarais. Ils y prennent des mesures et y décrivent la minéralogie et en particulier les laves et les basaltes. Contrairement

à son précédent voyage, Faujas se laisse aller à une écriture plus littéraire, « une géologie

préromantique » dirait François Ellenberger. Le naturaliste va au-delà des considérations

purement scientifiques et écrit ce que la nature et le paysage de montagne ont comme effet sur son âme :

Rien n’est aussi curieux que le grand et magnifique tableau qui se présente à tous [et] de toute part. Quelqu’acoutumé que je suis à voir de très hautes montagnes. J’éprouve toujours une des sensations nouvelles lorsque je me trouve élevé dans cette haute région. L’âme y éprouve un certain sentiment qui la resserre, qui la rapetisse, qui même la rend triste, le champ immense qui se présente à l’œil, est trop grand pour elle, on ne voit que pins, que montagne, la verdure disparoit, tout est gris, tout est déchiré, tout annonce le défendu et la destruction, toutes ces masses irrégulières offrent plutôt l’image d’un chaos, que le séjour des êtres animés, et on s’oblige de penser que son semblable, que l’homme, que le roi de la terre, est réduit à occuper quelques pouces de terre, dans les recoins cachés de cette immense masse de matière, qui paroit n’être formée que pour le détruire2.

Après avoir ramassé quelques pierres et quelques primevères, la troupe repart à la chartreuse puis le jeudi 20, ils repartent pour le Colombier et le journal s’arrête là. Faujas est donc bien dans la continuité de ce cycle sur les volcans et passe du statut d’explorateur à celui de guide éclairé, un spécialiste des volcans et du Vivarais auprès d’un savant influent de l’Académie et du Jardin du Roi.

Le 1er décembre 1779, Faujas repart pour le midi. Ce journal de voyage est écrit assez

différemment des autres, car il est bien découpé. Chaque jour fait office de titre et le naturaliste y décrit ses pérégrinations au fur et à mesure du temps qui passe. Lui et son domestique prennent donc une chaise de poste à Montélimar. Faujas fait escale à Orange pour

visiter le cabinet d’un certain Chapard, « honnête, mais peu instruit ». Puis il s'accorde

quelques jours de repos à Avignon. Dans la cité des papes, Faujas assiste, avec le baron de Weinheim à une messe hébraïque qui l’intrigue beaucoup. D’Avignon, il part visiter Fontaine

1 Barthélemy FAUJAS DE SAINT-FOND, « Dixième voyage en Vivarais », op. cit., p. 76v-77r. 2

de Vaucluse et Carpentras. C’est dans l’auberge de cette dernière que Faujas nous offre une petite scène de travail, la seule véritable description de ce qu’il vit quand il réalise ses analyses, le soir en rentrant d’excursion :

J’arrivai fort tard à Carpentras, l’on m’indique comme le meilleur cabaret la Croix d’or, hors de la ville en face de l’hôpital […] Quoique ce lit ne soit pas excellent j’en fus dédommagé par une hôtesse aimable et jolie nommée Solèl, je ne sais pas si elle s’apelloit Agnès, mais elle la valoit bien, par malheur pour moy je n’étois ni roi ni page, et toutes les faveurs de la belle à mon égard se réduisirent à me préparer un soupé simple et frugal, mais fait avec propreté, et à venir me faire compagnie au dessert dans une chambre, où j’avois, mes livres, mes papiers, mon écritoire, des pierres, et mon souper sur la même table ce qui intriguoit bien assez la belle dame1.

On peut parfaitement bien imaginer cette scène : de la même façon que dans Le repas

de saint Charles Borromée2 Faujas, assis devant une table encombrée non pas d’une bible

mais d’objets d’histoire naturelle d’un côté, son assiette de l’autre. Lui, la plume à la main, est en train d’écrire sur ses trouvailles du jour, noircissant les grandes feuilles aujourd’hui reliées et conservées à la Bibliothèque Nationale, mais qui à ce moment-là étaient volantes et éparpillées sur la table. Entre alors sa charmante hôtesse, qui franchit la porte de la chambre avec son dessert en interrompant cette curieuse séance de travail. Ce passage est rare dans les sources concernant Faujas. Il nous permet de faire fonctionner notre imagination en suivant ce récit, dans un manuscrit qui n’est pas destiné à être lu par d’autres et où le naturaliste décrit des moments qui lui ont paru importants dans son voyage. Ici c’est bien sûr grâce à son petit coup de cœur pour cette fameuse madame Solèl, qui le met dans l’embarras, que le naturaliste expose ce sentiment de gêne. Il nous permet aujourd’hui de comprendre comment il travaille hors de son cabinet.

De retour à Avignon le mardi 7 décembre, Faujas rend visite à monsieur Guichard, imprimeur de métier. Les deux hommes sont en train de monter une édition du Mémoire sur

la Pouzzolane qu’il fait imprimer en surplus des Recherches sur les Volcans. C’est peut-être

une édition de 1780 qu’on retrouve dans les fonds d’archives, mais qui est généralement

imprimée à « Amsterdam » et distribuée chez Nyon à Paris. Une autre, sortie en même temps

que les Recherches, est publiée comme ces dernières chez Cuchet. Pourtant Faujas prépare bien une édition, car ce même jour et les suivants sont occupés à corriger des épreuves et à

« aller dans le monde ». Le dimanche 12 décembre 1779, Guichard apporte à Faujas des

exemplaires finis qui le satisfont amplement.

1 Barthélemy FAUJAS DE SAINT-FOND, « Voyage dans le midi », op. cit., p. 85r.

2 Daniel Crespi, Le Repas de saint Charles Borromée, début du XVIIe siècle, église S. Maria della Passione, Milan.

Le naturaliste part d’Avignon pour Nîmes le mercredi 15 décembre. Les quelques jours passés dans cette cité antique sont riches en rencontres. D’abord, Faujas se rend chez un de ses correspondants : Jean-François Séguier, avec qui il entretient une relation épistolaire depuis 1774. Il est absolument émerveillé par le cabinet du Nîmois et surtout par la

« demoiselle », une libellule préhistorique pétrifiée1. Cette visite se confirme dans les carnets

de Jean-François Séguier qui note bien au 16 décembre la présence « dudt Mr Faujas de Saint

Fonds2 ». D’ailleurs les deux hommes semblent avoir débattu sur la question de la Vierge

Noire du Puy, car Séguier dans une lettre adressée à Faujas rappelle son doute sur la

provenance égyptienne de la statue3.

Le vendredi 17 décembre, Faujas, qui loge à l’auberge du Chapeau Rouge, y rencontre monsieur de Genssane, auteur de l’Histoire naturelle de la province de Languedoc et qui

connaît bien le Vivarais et l’abbé Mortessagne4. Faujas est très critique par rapport à son

collègue, voire presque méprisant :

c’est sans contre dit un honnête homme, mais il ne savoit rien en histoire naturelle et cet homme est correspondant de l’académie des sciences, et cet homme a été choisi pour faire l’histoire naturelle du Languedoc qu’il a estropié et faite de travers5

Faujas est dur avec Genssane. Il écorche même son nom alors qu’il semble avoir lu son ouvrage sur le Languedoc, dans lequel il est pourtant cité comme un des premiers arpenteurs du Vivarais. Plus tard, lorsqu’il se rend chez un certain Jaubert receveur des États, il tombe nez à nez sur l’abbé Bertholon, un physicien et enseignant à l’université de

Montpellier6, et surtout, Guettard. Il apprend également que Desmarest (qui a été reçu chez

Séguier la veille de la visite de Faujas) n’est pas très loin non plus. Faujas, très surpris, se fend

alors d’une remarque un brin sarcastique : « je ne m’attendais pas à une telle collection de

naturalistes ». Notons que pour des collectionneurs de pierres, les termes choisis font tout de

même sourire.

Le dimanche 19, alors que Faujas séjourne à Sète, il charge encore Gensanne pour qui l’étang de Tau est une production volcanique. Faujas lui rétorque que la surabondance de calcaire rend impossible cette affirmation. Du reste, il passe chez un naturaliste local nommé Pouget pour vérifier si, comme le dit Genssane, la ville de Sète a bien trouvé des os humains

1

Pièce numéro 53 de l’inventaire après décès de Jean-François Séguier, section « règne minéral » : François PUGNIÈRE, « Inventaire du cabinet de Jean-François Séguier vers 1794 », Liame. Histoire et histoire de l’art des époques moderne et contemporaine de l’Europe méditerranéenne et de ses périphéries, 20 janvier 2016, no 26. 2 Emmanuelle CHAPRON (dir.), L’Europe à Nîmes, op. cit., p. 98.

3

Lettre de Séguier à Faujas, 21 juillet 1780, Bibliothèque Municipale de Nîmes, Ms 94-60.

4 Jean MERGOIL et Juliette MERGOIL-DANIEL, « L’abbé Gui de Mortessagnes (1714–1796), collaborateur de Faujas de Saint-Fond et pionnier de la volcanologie en Vivarais-Velay (France) », op. cit.

5 Barthélemy FAUJAS DE SAINT-FOND, « Voyage dans le midi », op. cit., p. 88v. 6

pétrifiés dans ce lieu. Le Sétois est plus circonspect et pense que ce pourrait aussi être des restes animaux ou aquatiques.

Puis, Faujas se rend à Agde pour y admirer les productions volcaniques. On se souvient de la controverse entre Faujas et l’évêque lors des expériences de Toulon, là le naturaliste entre en territoire ennemi. Étonnamment il ne parle jamais de l’évêque à qui il ne rend apparemment pas visite, mais il préfère se rendre à Bessan pour aller voir des pouzzolanes difficilement exploitables selon lui.

Enfin il rentre à Montpellier le mardi 21 pour y passer quelques jours avant de repartir. Il croise tout de même le comte de Périgord, l’archevêque de Narbonne et passe quelques soirées en compagnie des élits de la ville, à la comédie et chez un certain Joubert. Avec l’archevêque de Narbonne, Faujas réussit à avoir une longue conversation concernant des droits de passage pour sa mine de pouzzolane. Celui-ci lui promet de faire pression sur le syndic du Vivarais :

J’ai vu Mr l’archevêque de Narbonne avec qui j’ai eu une conférence très longue, je lui ai trouvé beaucoup d’esprit, il est très aimable et il m’a comblé de toute sorte de bonté, je lui ai présenté un mémoire pour lui demander un chemin pour ma mine de pouzzolane, et il m’a assuré que ce chemin se faisoit, il a en conséquence donné des ordres au syndic du Vivarais de se transporter sur les lieux pour y examiner le local et voir ou ce chemin pouvoit être placé1.

Finalement, entre la nouvelle impression du Mémoire sur la Pouzzolane, la rencontre avec Séguier, correspondant de longue date, et cette dernière tractation routière, ce court voyage de moins d’un mois est une bonne promotion pour ce naturaliste fraîchement publié.

Mais, outre le tissage d’un réseau national étendu, la presse savante aussi permet de faire connaître l’ouvrage de Faujas sur les volcans et ce dernier est plutôt bien reçu.