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Questions en suspens et pistes de solution

Dans le document La sécurité civile (Page 196-200)

BILAN DES OCCASIONS D’APPRENTISSAGE

5.3 Questions en suspens et pistes de solution

Cette sous-section s’attarde aux divers points qui, à la lumière des travaux de la Commission, lui apparaissent constituer des questions à propos desquelles il faudra soit poursuivre la recherche et l’exploration de pistes de solution, soit continuer le débat entre les intéressés, soit statuer avec les instruments législatifs et les moyens appropriés. La Commission a retenu dix points, dont l’ordre de priorité n’est pas nécessairement celui de leur énumération :

• la reconnaissance officielle du sinistre ;

• les paradoxes de la gestion de sinistre en regard du modèle fonctionnel ;

• la distinction entre sécurité publique et sécurité civile ;

• l’écart entre les municipalités quant aux ressources et à l’état de préparation ;

• le recours aux ententes de soutien réciproque ;

• l’optimisation de l’utilisation des ressources spécialisées ;

• le recours aux Forces armées canadiennes ;

• la vulnérabilité des infrastructures essentielles ;

• les liens entre la société civile et la sécurité civile ;

• les activités de formation et de recherche face au système de sécurité civile.

L’analyse qui suit alimente en grande partie les conclusions et les recommandations que la Commission formule dans son rapport principal. D’autres éléments offrent matière à une réflexion et à des recherches qui devront se poursuivre en tout état de cause, parce que « prévoir l’imprévisible » est une obligation perpétuelle.

5.3.1 La reconnaissance officielle du sinistre

Comme ce fut le cas pour tous les sinistres du passé, le gouvernement n’a pas eu recours, en janvier 1998, aux dispositions de la loi lui permettant de déclarer l’état d’urgence. Bien que certains intervenants s’interrogent sur la pertinence de ces dispositions, une déclaration d’état d’urgence a l’avantage de donner une reconnaissance officielle à un sinistre. Cette déclaration confirme que le gouvernement reconnaît la gravité de la situation et y apporte toute l’attention requise. Dans une telle situation, tout l’appareil de l’État doit adapter son fonctionnement habituel afin de répondre avec célérité aux besoins créés par le sinistre.

Une telle reconnaissance, associée à l’application d’un programme d’assistance financière aux modalités établies d’avance, aurait facilité la tâche des administrations municipales. Plusieurs d’entre elles craignaient en effet de ne pas être remboursées des dépenses qu’elles encourraient.

Cette incertitude a parfois retardé la mise en œuvre des mesures d’urgence et de rétablissement, de même que les services à la population.

Quant aux entreprises sinistrées, elles auraient eu besoin d’une confirmation officielle de la gravité du sinistre pour démontrer à leurs assureurs qu’elles avaient été obligées d’inter-rompre leurs opérations. Comme l’état d’urgence n’a pas été décrété et que le gouvernement n’a pas demandé officiellement aux entreprises de cesser ou de ralentir leurs activités, certaines d’entre elles avaient encore du mal, plusieurs mois après le sinistre, à faire reconnaître par les assureurs la justesse de leurs réclamations pour interruption d’activités558.

Décréter l’état d’urgence : une prérogative mal connue

Peu de gens savent qu’en vertu de la Loi sur la protection des personnes et des biens en cas de sinistre, seuls le gouvernement et le ministre de la Sécurité publique ont le pouvoir de décréter l’état d’urgence559. La loi contient aussi une disposition autorisant le conseil municipal ou le maire à décréter l’état d’urgence, mais cette disposition n’est pas en vigueur560. Certaines municipalités croient tout de même qu’elles ont ce pouvoir561. Cela explique pourquoi 68 % des municipalités sinistrées de 10 000 habitants et plus disent avoir décrété l’état d’urgence lors du verglas, bien qu’un tel geste soit sans effet juridique.

558. Commission scientifique et technique [verglas de janvier 98], Groupes de discussion réunissant des spécialistes d’organismes publics et privés (des représentant d’entreprises), août et septembre 1998.

559. Loi sur la protection des personnes et des biens en cas de sinistre, L.R.Q., c. P-38.1, art. 16.

560. Loi sur la protection des personnes et des biens en cas de sinistre, L.R.Q., c. P-38.1, art. 17. Voir aussi

« Les pouvoirs et le rôle des municipalités et des maires en cas de sinistre et la ligne d’autorité » dans Centre de recherche en droit public, Le cadre juridique de la gestion des sinistres au Québec, sous la direction de la Commission scientifique et technique [verglas de janvier 98], études sectorielles, vol. 4, chap. 3, (section 1.1.3, ).

561. Commission scientifique et technique [verglas de janvier 98], Groupes de discussion réunissant des spécialistes d’organismes publics et privés (des directeurs généraux de municipalités), août et septembre 1998.

Actuellement, la mise en œuvre des mesures d’urgence municipales, accompagnée ou non d’une « déclaration d’état d’urgence », ne confère pas à une municipalité d’autres pouvoirs que ceux déjà prévus dans le Code municipal562 ou dans la Loi sur les cités et villes563. Cela dit, une telle déclaration a une portée symbolique non négligeable. Elle indique à la population que l’administration municipale prend des mesures exceptionnelles, mobilise l’ensemble de ses res-sources et sollicitera, au besoin, l’apport de toutes les resres-sources extérieures nécessaires, y com-pris l’aide gouvernementale, pour combattre les effets du sinistre. Les unions de municipalités ont fait valoir que ces dernières devraient pouvoir décréter l’état d’urgence en cas de sinistre.

Elles souhaitent l’entrée en vigueur de l’article 17 de la Loi sur la protection des personnes et des biens en cas de sinistre, afin d’étendre les pouvoirs du maire564 et lui permettre de lancer au gouver-nement un signal sans équivoque quant à la pression que le sinistre exerce sur sa municipalité.

Le modèle fonctionnel de sécurité civile attribue aux municipalités la responsabilité d’élaborer un plan de mesures d’urgence adéquat et de le mettre en œuvre en cas de sinistre. Le cadre juridique et administratif actuel permet aux municipalités d’élaborer un tel plan. Toutefois, pour mettre en œuvre les mesures d’urgence en réponse à un sinistre, les autorités municipales doivent souvent faire appel à d’importantes ressources humaines, matérielles et financières. C’est pourquoi les municipalités doivent pouvoir compter sur le support du gouvernement et connaître à l’avance les dépenses admissibles aux programmes d’aide financière, les limites de cette aide et les modalités d’application565.

Le manque d’information sur l’aide financière aux municipalités

Les réclamations produites par les municipalités à la suite du verglas visaient des dépenses additionnelles comme celles engagées pour désencombrer et déglacer les rues, ouvrir des centres de services aux sinistrés, nourrir les intervenants et les sinistrés, etc. Les demandes d’aide se sont manifestées dès le début du sinistre. Le gouvernement a réagi dès le 7 janvier. Selon le décret adopté ce jour-là, « le gouvernement accepte, en principe, d’indemniser les municipalités concernées pour les dépenses exceptionnelles encourues afin de mettre en place des mesures d’urgence à la suite des tempêtes de verglas survenues les 5, 6 et 7 janvier 1998566». Cependant, ce décret ne comprenait ni liste des dépenses remboursables, ni indication sur les critères d’indemnisation. Le manque de communication d’une information claire et complète de la part du MAM, quant à la nature et à la portée des programmes d’aide gouvernementale, a laissé plusieurs municipalités dans l’incertitude sur les dépenses remboursables qu’elles pouvaient engager.

Le 11 janvier, le gouvernement adoptait un second décret567, dont l’annexe définissait les modalités d’application du programme d’aide financière aux municipalités pour les dépenses additionnelles encourues par la mise en œuvre des mesures d’urgence. Ce second décret n’a

562. Code Municipal, L.R.Q., c. C-27.1.

563. Loi sur les cités et villes, L.R.Q. c. C-19.

564. Mémoires présentés à la Commission scientifique et technique [verglas de janvier 98], 1998, par : Union des municipalités du Québec, p. 5 et recommandations p. 21 ; Union des municipalités régionales de comté du Québec, p. 15, recommandation no7.

565. Mémoires présentés à la Commission scientifique et technique [verglas de janvier 98], 1998, par : Union des municipalités du Québec, p. 23-24, recommandation no19 ; Union des municipalités régionales de comté du Québec, p. 19 et 24.

566. Décret 26-98, 1998, Concernant des tempêtes de verglas survenues dans plusieurs régions du Québec, (1998) 130 Gazette officielle du Québec, partie 2, 670.

567. Décret 28-98, 1998, Concernant l’établissement d’un programme d’assistance financière relatif à une tempête de verglas survenue du 5 au 9 janvier 1998 dans diverses municipalités du Québec, (1998) 130 Gazette officielle du Québec, partie 2, 417.

toutefois pas semblé lever l’ambiguïté sur l’étendue des dépenses remboursables. En effet, les municipalités continuaient de demander de l’information à la DSC, qui administrait ce programme. De plus, en confiant aux municipalités la distribution des indemnités aux citoyens sinistrés, le gouvernement a ajouté à la confusion de plusieurs d’entre elles568.

Plusieurs municipalités voudraient que la mise en œuvre des mesures d’urgence soit fondée sur le pouvoir du maire de déclarer l’état d’urgence. Elles demandent aussi que les mécanismes entourant l’aide pour défrayer les dépenses additionnelles reliées aux mesures d’urgence soient définis à l’avance569.

Un mécanisme de reconnaissance municipale d’un sinistre aurait les avantages d’une reconnaissance officielle même sans conférer aux autorités locales les pouvoirs exceptionnels prévus dans la Loi sur la protection des personnes et des biens en cas de sinistre. Pour être efficace, un tel mécanisme doit aussi saisir le gouvernement des besoins locaux. Une fois prononcée, la reconnaissance municipale d’un sinistre inciterait le gouvernement à se pencher sur les besoins de la municipalité et à déterminer, selon les lignes directrices préétablies, la pertinence et le contenu d’un éventuel programme d’aide financière.

5.3.2 Les difficultés organisationnelles de la gestion de sinistre

Le sinistre du verglas a mis en lumière, plus que tout autre sinistre auquel le Québec a été confronté jusqu’à maintenant, les difficultés que pose la gestion des situations d’urgence et des sinistres.

L’une de ces difficultés est l’écart entre l’exercice des responsabilités en situation réelle par rapport au modèle fonctionnel. On note aussi que les ressources des intervenants ne sont pas nécessairement à la hauteur des fonctions que le modèle fonctionnel leur confie, et qu’on retrouve dans la sous-section 2.4 et dans les tableaux de l’annexe 5.

La dualité des approches

En situation de sinistre, les approches des municipalités et du gouvernement affichent plusieurs différences. Ainsi, les municipalités ont pour mandat de répondre à l’ensemble des besoins des citoyens. Cela requiert une approche intégrée des services municipaux, selon laquelle tous les besoins à satisfaire et toutes les fonctions à exercer lors d’un sinistre trouvent place dans le plan de mesures d’urgence municipal.

Le gouvernement, quant à lui, a adopté une approche par champ de compétence pour la planification des mesures d’urgence de ses ministères et agences. Chacun prépare un plan de mesures d’urgence selon son mandat et ses responsabilités. L’approche gouvernementale a ainsi tendance à étendre aux situations de sinistre les modes d’intervention habituels des ministères et agences. Cette approche compartimentée permet peut-être l’utilisation optimale des ressources pour chacun, à l’intérieur de son champ d’action et de son mode de fonctionnement. Par contre, n’étant pas axée sur la synergie entre les ressources, elle exige une coordination interministérielle qui n’est pas facile à faire, en situation d’urgence.

568. Ministère de la Sécurité publique, op. cit., note 228, p. 35.

569. Sur les programmes d’aide financière aux municipalités, voir rapport principal de la Commission scientifique et technique [verglas de janvier 98], partie 2, chap.3.

Par surcroît, il n’y a pas toujours de correspondance entre les fonctions prévues dans les plans de mesures d’urgence municipaux et celles des plans de mesures d’urgence gouvernementaux.

Les difficultés d’arrimage

En cas de sinistre, les municipalités sont les premières responsables de la coordination des interventions sur leur territoire. Selon le Manuel de base de la sécurité civile, ce rôle s’inscrit « dans le prolongement de [ses] activités dites normales570».

Toutefois, même si la maîtrise d’œuvre en matière de sécurité civile appartient à la municipalité571, le plan d’urgence du gouvernement précise que « l’autorité locale dirige et contrôle toutes les opérations reliées à la situation d’urgence, excepté celles relevant d’un ministère ou dirigées par les autorités provinciales572». De plus, « en situation de sinistre, les ministères et organismes de l’OSCQ conservent la pleine responsabilité de l’application des lois et règlements sous leur juridiction respective et de la gestion de leurs propres ressources humaines, informationnelles, budgétaires et matérielles573».

L’État et ses ministères conservent ainsi des prérogatives qui entretiennent l’incertitude sur les responsabilités que les municipalités peuvent vraiment exercer en situation de sinistre.

En second lieu, même si, dans le cours habituel de leurs activités, les ministères et les organismes d’État développent des mécanismes de communication et des liens fonctionnels avec les municipalités et avec d’autres interlocuteurs locaux ou régionaux, en cas de sinistre, la coordination entre le gouvernement et les municipalités doit, selon le modèle fonctionnel, passer par l’OSCQ et les ORSC sans tenir compte des liens et des modes de fonctionnement préexistants.

En troisième lieu, les services aux sinistrés, pourtant l’une des plus importantes fonctions en cas de sinistre, ne font pas partie des services municipaux courants et n’ont pas de répondant attitré au niveau régional ou central. Le gouvernement s’en remet à la Croix-Rouge, avec qui il a conclu un protocole d’entente. Ce protocole ne rend cependant pas la Croix-Rouge imputable, puisqu’il reconnaît que celle-ci dépend d’un réseau de bénévoles et qu’elle ne peut garantir qu’elle offrira des services en tout temps.

Il y a aussi des protocoles entre certaines municipalités et la Croix-Rouge. Celle-ci n’a cependant pu, lors du sinistre du verglas, satisfaire à toutes leurs demandes. Elle est par ailleurs intervenue dans des municipalités avec qui elle n’avait pas de protocole d’entente. Il semble que la Croix-Rouge offrait son assistance sur la base « premier arrivé, premier servi ». Sans aucunement mettre en cause les bienfaits de l’action de la Croix-Rouge, on constate que cet intervenant de première importance n’a qu’un lien théorique avec l’appareil fonctionnel de la gestion de sinistre.

Le mandat de la DSC et ses moyens d’action

La DSC a notamment comme mandat d’exercer un rôle conseil auprès des municipalités et auprès du gouvernement. Or, largement à cause du manque de ressources, la DSC n’est pas en mesure d’exercer son rôle à la mesure des besoins et des attentes. Comme la Commission l’a constaté, l’insuffisance des moyens de la DSC se répercute surtout dans ses directions régionales et, par

570. Ministère de la Sécurité publique, op. cit., note 35, p. 107.

571. Ibid., p. 15.

572. Ministère de la Sécurité publique, Le plan d’urgence du Gouvernement du Québec : Alerte et mobilisation de l’Organisation de sécurité civile du Québec, Québec, ministère de la Sécurité publique, 1994, p. 11.

573. Ibid., p. 6.

Dans le document La sécurité civile (Page 196-200)