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La problématique des infrastructures essentielles

Dans le document La sécurité civile (Page 88-92)

L’ÉTAT DE LA SÉCURITÉ CIVILE AVANT LA TEMPÊTE DE VERGLAS

3.3 La problématique des infrastructures essentielles

« Nous vivons dans un monde où la technologie est omniprésente et nous ne nous demandons plus si elle fonctionnera aujourd’hui ou demain. Lorsque nous ouvrons une lumière ou le robinet, décrochons le téléphone ou branchons notre ordinateur sur Internet, nous nous attendons tout naturellement à ce que tout fonctionne »212.

209. Commission scientifique et technique [verglas de janvier 98], Enquête par entrevues semi-dirigées avec des représentants d’organisations publiques et privées (un intervenant de la DSC), 1998.

210. Ibid.

211. Commission scientifique et technique [verglas de janvier 98], Enquête par entrevues semi-dirigées avec des représentants d’organisations publiques et privées (un intervenant du MRN, du MTQ, du MAM et du MAPAQ), 1998.

212. President’s Commission on Critical Infrastructure Protection, Critical Foundations, Protecting America’s Infrastructures, Washington, 1998, p. vii, traduction libre.

Cet extrait du rapport d’une récente commission présidentielle américaine sert de préambule à un survol de la problématique des infrastructures essentielles, qui comprennent l’ensemble des systèmes de support à la vie des personnes et aux activités de la société. Nous tenons pour acquis le bon fonctionnement de ces infrastructures. À première vue, cela est justifié puisque la fiabilité des systèmes d’approvisionnement des pays développés est remarquable : les pannes importantes sont rares et celles qui surviennent sont habituellement de courte durée.

Le sentiment de sécurité engendré par cette fiabilité incite les individus aussi bien que les organismes à ne pas investir dans des systèmes de remplacement pour leurs besoins courants en énergie, en télécommunications, etc. Ainsi, bien des Québécois chauffent leur résidence à l’électricité sans avoir de système de chauffage d’appoint. De même, la Ville de Montréal ne possédait pas de génératrices d’urgence pour ses usines de filtration d’eau parce qu’elle se considérait assurée de toujours obtenir l’énergie d’Hydro-Québec. Le sinistre du verglas nous amène à réévaluer la notion d’infrastructures essentielles dans une perspective de dépendance sociale, de fragilité des infrastructures et d’interdépendances de celles-ci.

Le rapport de la commission présidentielle sur les infrastructures essentielles déclare que

« nous sommes maintenant tellement dépendants de nos infrastructures que nous devons maintenant les regarder à travers la lentille de la sécurité nationale. Elles sont essentielles à la sécurité de la nation, à la santé économique, et au bien-être social. Bref, elles sont les lignes vitales dont nous dépendons en tant que nation213». De plus en plus interconnectées et interdépendantes, ces infrastructures dépendent aussi de plus en plus des nouvelles technologies, qui fonctionnent elles-mêmes en réseau : réseaux d’ordinateurs, de logiciels de gestion, de systèmes de repérage automatique, etc.

Cette nouvelle organisation « cybernétique » offre d’énormes avantages par sa souplesse, sa capacité de stockage et de traitement, sa rapidité214 et les économies qu’elle permet. En contrepartie, les nouvelles technologies s’accompagnent de vulnérabilités nouvelles : risques d’attaques cybernétiques215 par des individus ou des groupes, erreurs en cascade de systèmes dont la complexité n’est pas maîtrisée216, etc.

Le fonctionnement des infrastructures repose donc sur un réseau complexe non seulement de technologies, mais aussi de personnes et d’organisations fournissant des services pour lesquels on demande de plus en plus de fiabilité et de sécurité. Dans ce contexte, et compte tenu de la grande dépendance de la société envers ces infrastructures, une politique de sécurité civile devrait normalement intégrer l’analyse de la fiabilité des infrastructures essentielles dans les activités de prévention, d’atténuation et de préparation. La CUM elle-même a jugé nécessaire d’étudier la vulnérabilité de ce qu’elle appelle les « infrastructures vitales » et de considérer cette question comme un enjeu de sécurité217.

213. Ibid.

214. On n’a qu’à penser à la capacité des compagnies de téléphone à modifier un numéro de téléphone, à offrir de nouveaux services, etc.

215. Virus informatiques, pénétration des systèmes de gestion informatisée pour en modifier les paramètres pour engendrer des erreurs plus ou moins catastrophiques qui peuvent aller de la modification du compte téléphonique à l’arrêt des fonctions vitales d’une ou de plusieurs centrales énergétiques.

216. Certains cas spectaculaires ont permis de constater que ces technologies peuvent flancher : les problèmes du système de gestion des résultats des Jeux Olympiques d’Atlanta, la panne du système téléphonique de Washington, etc. Le rapport au président des États-Unis, cité plus haut, en rappelle plusieurs.

217. Communauté urbaine de Montréal, op. cit., note 137.

3.3.1 Les infrastructures essentielles et le cycle de gestion de sinistre

Le sinistre du verglas a révélé la faiblesse du réseau électrique québécois à une tempête majeure, mais surtout la dépendance de la société québécoise envers l’hydroélectricité comme source d’énergie. Celle-ci alimente des fonctions essentielles pour toute la société : chauffage, éclairage, fonctionnement d’équipements vitaux tels que les systèmes de traitement de l’eau et les appareils des centres hospitaliers, etc. Le sinistre a également mis en évidence la dépendance des personnes et de la société à l’égard de toutes ces fonctions.

La commission présidentielle américaine avait identifié cinq secteurs d’étude qui représentent autant de regroupements d’infrastructures essentielles218:

• l’information et les communications : les systèmes de télécommunications publics (téléphones, cellulaires, etc.), l’Internet, les réseaux d’ordinateurs aussi bien dans les entreprises et les institutions qu’au gouvernement et dans les foyers ;

• la distribution : l’ensemble des réseaux interconnectés d’autoroutes, de routes, de voies ferrées, de lignes électriques, de conduites de gaz, d’aqueducs, de pipelines, d’aéroports, de transport en commun et d’entreprises qui transportent les personnes et les biens ;

• l’énergie : toutes les industries qui produisent et distribuent de l’électricité, des produits pétroliers et du gaz naturel ;

• le système bancaire et financier : les banques, les services financiers non bancaires, les systèmes de paiement automatique, les compagnies d’investissement et de fonds mutuels, etc.

• les services vitaux humains : les systèmes d’eau potable, les services d’urgence (pompiers, police, sauvetage et services médicaux d’urgence), le système de santé, l’approvisionnement alimentaire, les services gouvernementaux, notamment les services de santé et de sécurité, l’émission des chèques de sécurité sociale et d’assurance-emploi, etc.219

3.3.2 La place des infrastructures essentielles dans le modèle québécois

La problématique des infrastructures essentielles ne se retrouve pas dans le modèle fonctionnel de sécurité civile. Certes, dans le Manuel de base de la DSC et dans ses autres publications comme les guides sur la planification des interventions en cas d’inondation ou de tremblement de terre, on mentionne plusieurs fois les infrastructures publiques comme les réseaux routiers, ferroviaires ou aériens, les réseaux de distribution d’énergie et d’eau potable, et les systèmes de télécommunications. L’inventaire du milieu et l’étude de vulnérabilité doivent tenir compte de ces infrastructures220. Il n’en reste pas moins que l’inventaire des infrastructures suggéré dans les documents de la DSC est beaucoup plus réduit que celui proposé dans le rapport de la commission présidentielle américaine.

218. President’s Commission on Critical Infrastructure Protection, op. cit., note 212, p. 11.

219. La commission américaine a produit un document de réflexion qui, de l’avis même de ses auteurs, demande encore beaucoup de réflexion et de recherche pour identifier et définir précisément les menaces aux infrastructures. Faute de temps, cette commission ne s’est pas penchée, par exemple, sur l’infrastructure alimentaire.

220. Ministère de la Sécurité publique, op. cit., note 35, p. 29 et 33.

Dans le modèle de sécurité civile du Québec, les infrastructures sont parfois présentées comme générateurs de risques (aéroports, pipelines, voies ferrées, etc.), parfois comme ressources utiles pour les intervenants en cas de sinistre (systèmes de communication, moyens de transports, voies d’évacuation ou d’acheminement des ressources, etc.). Elles sont donc prises en considération surtout quant à leur importance pour les intervenants. Elles ne sont pas prises en compte plus globalement comme des éléments essentiels à protéger contre les sinistres. De plus, les intervenants qui auraient la responsabilité de les protéger contre les effets du sinistre ou d’en maintenir le fonctionnement ne sont pas identifiés.

Il s’ensuit que les infrastructures essentielles ne font pas l’objet de mesures de prévention particulières de la DSC dans le cadre général de la planification de la sécurité civile. Les initiatives pour protéger ces infrastructures, lorsqu’elles existent, relèvent d’une approche sectorielle fondée sur le champ d’activité de chaque ministère ou organisme concerné. Elles demeurent loin des préoccupations inhérentes à une approche globale de la sécurité civile. La commission présidentielle américaine soumet au contraire que l’intégration des préoccupations est essentielle et exige une large collaboration des différents partenaires. Elle propose d’ailleurs une structure de collaboration permettant aux organismes privés et publics de participer aux analyses et aux initiatives nécessaires à la mise sur pied des systèmes de surveillance et de protection des infrastructures vitales221.

À la suite du sinistre du verglas, on peut se demander si l’approche sectorielle de la prévention envers les infrastructures essentielles a eu une incidence sur l’ampleur du sinistre et sur la durée du rétablissement. Hydro-Québec n’avait jamais anticipé une panne de courant d’une telle ampleur. Elle avait l’expérience des pannes de courte durée sur des parties du territoire. Elle connaissait les effets du verglas sur son réseau. Elle n’avait toutefois pas prévu de telles accumulations en si peu de temps. Elle n’avait surtout pas réalisé la vulnérabilité de son réseau, ni le niveau de dépendance de la société québécoise envers son service222.

Pour sa part, la DSC ne procède pas à des analyses de risques ni à l’évaluation de la vulnérabilité des infrastructures essentielles. La DSC ne peut dès lors assurer une coordination et une concertation d’ensemble tant pour la prévention que pour l’intervention en cas de sinistre.

Elle ne peut non plus informer adéquatement la population et conseiller les autres institutions à cette fin223.

3.3.3 Les organismes régionaux et locaux et les entreprises

On pourrait envisager des études de vulnérabilité plus complètes que les études actuelles qui sont confinées au territoire de chaque municipalité en mettant à contribution les structures qui regroupent les municipalités telles les communautés urbaines, les MRC et les régies inter-municipales de services. À notre connaissance, cependant, aucun de ces organismes n’a effectué, jusqu’à maintenant, d’étude ou d’analyse des conséquences de catastrophes touchant les infrastructures essentielles. À cet égard, les MRC considèrent, entre autres, qu’elles n’ont pas explicitement le mandat de les faire.

221. President’s Commission on Critical Infrastructure Protection, op. cit., note 212, p. 11.

222. Commission scientifique et technique [verglas de janvier 98], Enquête par entrevues semi-dirigées avec des représentants d’organisations publiques et privées (un représentant d’Hydro-Québec), 1998.

223. Ibid., (un intervenant de la DSC), 1998.

Certaines MRC s’interrogent malgré tout sur la dépendance de la société québécoise à l’égard de l’électricité. La CUM, pour sa part, estime nécessaire de « [procéder] à des analyses de vulnérabilité sur l’ensemble du territoire de la CUM. Ces analyses doivent considérer les pires scénarios.

Elles doivent être basées non seulement sur les probabilités d’occurrence mais aussi sur l’importance des conséquences engendrées par des sinistres sur les ressources essentielles pour la survie de la population, les organismes et leur environnement. De plus, les résultats de ces analyses devront identifier des mesures d’atténuation et de prévention en fonction des systèmes de “support à la vie” (notion de lifelines en anglais) et définir les besoins matériels minima à assurer sur le territoire de la CUM et les services à sécuriser224».

En ce qui a trait aux entreprises, le sinistre du verglas a mis en évidence non seulement leur dépendance à l’égard de l’électricité, mais aussi l’importance vitale de certains secteurs d’activité. Le concept d’infrastructures essentielles est peu connu des entreprises, mais plusieurs d’entre elles ont réalisé que leur domaine d’activité était crucial en cas de sinistre. Diverses entreprises pourraient d’ailleurs être inscrites sur la liste des organismes prioritaires pour l’intervention et le rétablissement. Certaines d’entre elles ont d’ailleurs souligné leur manque d’intégration à la planification d’urgence des municipalités et du gouvernement, en tant qu’acteurs et ressources de premier plan dans les situations d’urgence225.

Dans le document La sécurité civile (Page 88-92)