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La recherche en sciences de la gestion compte parmi ses objectifs celui de générer de la connaissance (Albert et al., 2011). Il s’agit d’un processus par lequel des savoirs sont produits et transformés (Prévost et al., 2015). Ce type de recherche produit des savoirs scientifiques à partir de l’expérience de praticiens (Albert et al., 2011). Le plus souvent, le chercheur est l’acteur principal dans ce travail de production et de transmission des connaissances. Ainsi, toute recherche devient interprétative et développe de la connaissance qui n’est pas la réalité, mais plutôt une conception du monde guidée par les croyances et sentiments du chercheur (Cameron, 2011; Prévost et al., 2015). Le chercheur et le phénomène observé deviennent ainsi intimement liés dans le processus de génération du savoir (Albert et al., 2011).

La nature interprétative du processus soulève ainsi des questionnements quant aux grandes orientations philosophiques du chercheur (Albert et al., 2011). Prévost et al., (2015) désignent ces grandes orientations comme des postures dominantes de la recherche en sciences de la gestion. Ils en comptent trois qui sont : le positivisme, le subjectivisme et le pragmatisme. Chaque posture a une incidence importante sur le positionnement adopté par le chercheur sur des questions déterminantes du processus de recherche et des fondements de la connaissance (Albert et al., 2011; Prévost et al., 2015). C’est à partir de ces postures que mes paradigmes de recherche se dressent.

Les paradigmes servent ainsi à organiser les fondements de la connaissance que je cherche à développer et les outils à cet effet (Guba et Lincoln, 1994; Prévost, 1998). Ils sont formés du regroupement de réponses du chercheur sur les questions ontologique, épistémologique et méthodologique (Albert et al., 2011; Guba et al., 1994). Avant de présenter les paradigmes de recherche sous lesquels je m’inscris, il est pertinent de succinctement présenter les questions dites « déterminantes » dans l’élaboration d’une recherche scientifique ainsi que les trois postures dominantes relevées. Le tableau 2 est une représentation sommaire des questions, du fondement de

la connaissance recherchée par ces questions et des trois postures dominantes sur le sujet. Une réflexion en ce sens est ensuite présentée.

Tableau 2 : Questions déterminantes et postures dominantes

Question

déterminante Préoccupée par quel fondement

de la connaissance

Posture

positiviste subjectiviste Posture pragmatique Posture

Ontologie Nature fondamentale du réel Qu'est-ce que la réalité?

La réalité est une donnée objective, externe à l’observateur et indépendante de ce dernier (réalisme). L’univers était là avant leur arrivée et sera là après leur départ. La réalité est un construit (local et spécifique) de l’esprit, fruit de l’interprétation individuelle (relativisme). L’observateur fait lui-même partie de la réalité et contribue à sa définition. La réalité est un terrain d’action à la fois objectif (concret) et subjectif (perceptuel) dans lequel le chercheur peut agir en tant que partie prenante (activisme). L’homme est une partie intégrante de la réalité dans laquelle il évolue.

Épistémologie Étude de ce qu'est

la connaissance Qu'est-ce que connaître? Relation chercheur et objet étudié Le chercheur est neutre par rapport à son objet d’étude. La connaissance est objective. La connaissance est le résultat d’une découverte. Le chercheur est impliqué ou en relation avec son objet d’étude. La connaissance est relative, construite par l’observateur. La connaissance est le résultat d’une construction, d’une interprétation. Le chercheur est engagé dans l’action avec son objet d’étude. Il est un acteur parmi d’autres qui essaient de changer l’état des choses. La connaissance est générée dans l’action visant à changer la réalité.

Axiologie Étude des valeurs

Quel rôle est attribué aux valeurs du chercheur ? Les valeurs du chercheur sont exclues, sans influence dans le processus de recherche. Les valeurs du chercheur font partie intégrante de la recherche

Les valeurs sont à la base de son action.

Le chercheur est un acteur porteur d’une intention.

Généralisation et transfert de connaissances Production et accumulation des connaissances qui peuvent être réutilisées à d’autres moments et par d’autres acteurs. Peut-on appliquer les connaissances issues de la recherche à d’autres contextes dans d’autres circonstances ? Possible de généraliser des connaissances contextuelles, toute autre chose étant égale par ailleurs. Les connaissances produites sont toujours contextualisées, mais transférables dans la mesure où les utilisateurs potentiels sont capables de les adapter à leur propre contexte. Les connaissances produites sont uniques à la situation de changement concernée, mais transférables à d’autres situations dans la mesure où les utilisateurs sont capables de les adapter pour agir. Source : Tableau inspiré de Prévost et Roy, 2015

Les questions déterminantes sont souvent regroupées en thèmes dont le nombre varie selon les auteurs intéressés par le sujet (Albert et al., 2011; Burrell et Morgan, 1979; Guba et al., 1994; Onwuegbuzie, Johnson et Collins, 2009; Prévost et al., 2015). Or, parmi les questions le plus souvent évoquées par les auteurs, il y a celles concernant l’ontologie, l’épistémologie, l’axiologie et l’accumulation des connaissances. L’ontologie concerne la nature et la forme du réel et qu’est-ce qui peut être connu de cette réalité (Guba et al., 1994; Prévost et al., 2015). L’épistémologie traite de la base de la connaissance, la philosophie de la pratique scientifique, ce qui peut être connu et la manière dont elle est traitée, inférant ainsi à la relation entre le chercheur et l’objet d’étude ainsi que la pratique du chercheur (Burrell et al.,1979; Guba et al., 1994; Rose, 1997; Wacheux, 1996). L’axiologie s’intéresse au rôle que prennent les valeurs dans la recherche (Prévost et al., 2015), alors que la question de l’accumulation des connaissances soulève l’aspect de généralisation et de transfert des résultats à d’autres contextes (Guba et al., 1994; Onwuegbuzie et al., 2009; Prévost et al., 2015; Wacheux, 1996).

C’est à partir de ces questions que le chercheur confirme sa posture philosophique face aux questions déterminantes d’un travail de recherche scientifique

(Ibid.). Par conséquent, des groupes distincts de chercheurs se forment à partir de consensus sur les postulats, les croyances et les visions partagées sur ces questions déterminantes (Guba et al., 1994; Robson, 2011; Rose, 1997). Parmi les consensus observés, trois postures dominantes sont relevées.

Les trois postures dominantes sont le positivisme, le subjectivisme et le pragmatisme (Prévost et al., 2015). Les deux premières, à leur état pur et dur, apparaissent aux extrémités d’un continuum, alors que le pragmatisme se positionne comme une troisième façon de concevoir la réalité (Prévost et al., 2015; Robson, 2011). D’abord, pour le positiviste la réalité est objective, le chercheur est neutre et ses valeurs personnelles sont exclues de la recherche (Guba et al., 1994; Mackenzie et Knipe, 2006; Prévost et al., 2015). Par un processus dit « déductif », il émet des hypothèses théoriques qu’il cherche à mesurer quantitativement pour établir des relations entre des variables (Burrell et al., 1979; Guba et al., 1994). À partir de ce schéma de recherche hypothético-déductif, les hypothèses restent vraies jusqu’à preuve du contraire (Wacheux, 1996). Aussi, il devient possible de généraliser des connaissances acquises, toute chose étant égale par ailleurs (Prévost et al., 2015).

Le subjectiviste, quant à lui, participe à la construction de la réalité en y intégrant ses valeurs (Prévost et al., 2015). Par un processus dit « inductif », il observe son terrain de recherche pour ensuite tenter de dresser des théories, utilisant des méthodes plus souvent qualitatives, qui lui permettent d’entrer en relation avec les participants à la recherche (Burrell et al., 1979; MacKenzie et al., 2006). La connaissance produite reste contextualisée, mais un transfert est possible dans la mesure où les utilisateurs savent l'adapter à leur contexte (Prévost et al., 2015).

Enfin, la posture pragmatique se situe quelque part entre les deux, sans pour autant chercher à se définir, ni par l’un ni par l’autre (Mackenzie et al., 2006; Johnson et Onwuegbuzie, 2004; Prévost et al., 2015; Robson, 2011). Le chercheur pragmatique est un acteur dans une recherche, donc pleinement investi de ses valeurs, qui répond

avant tout à la problématique à l'étude (Albert et al., 2011; Prévost et al., 2015; Robson, 2011). Pour lui, la réalité est à la fois objective et subjective, la connaissance se forme à partir de tous les acteurs appelés à la recherche et les méthodes sont choisies selon les besoins de la problématique (Prévost et al., 2015). Pour le pragmatique, la vérité est ce qui fonctionne pour répondre à la situation problématique (Mackenzie et al., 2006; Prévost et al., 2015; Robson, 2011).

Ainsi, ayant au cœur de ses postulats la compréhension de la problématique, le pragmatisme, par opposition au positivisme et au subjectivisme, est défini comme antiphilosophique (Johnson et al., 2004; Robson, 2011). Enfin, les connaissances produites sont uniques à la situation de changement en cours, mais transférables pour les utilisateurs qui savent les adapter au nouveau contexte (Prévost et al., 2015). Certains chercheurs décrivent ce transfert à d’autres contextes comme une forme d’activation des savoirs par l’adaptation des connaissances générées dans un contexte particulier aux spécificités d’une autre situation problématique (Albert et al., 2011).

À la lumière de la réflexion qui précède, la posture qui sous-tend ma démarche scientifique est pragmatique. Cette voie vers la conception de la réalité (Prévost et al., 2015) est inspirante pour moi puisqu'elle se soucie peu de la dichotomie philosophique entre le positivisme et le subjectivisme, priorisant plutôt toutes les approches qui permettent de répondre à la situation problématique (MacKenzie et al., 2006; Prévost et al., 2015; Robson, 2011). Par conséquent, le pragmatisme tient lieu de posture sur laquelle se fondent mes positionnements ontologique, épistémologique, axiologique et de généralisation des connaissances.

Ce choix de posture est né d’un héritage philosophique important en quête de solutions pratiques qui unissent le savoir, certes, mais aussi l’action en réponse aux problématiques humaines (Elkjaer et Simpson, 2011). En rupture avec le rationalisme des approches trop académiques et abstraites, le pragmatisme offre ainsi un nouveau potentiel de théorisation des pratiques organisationnelles (Ibid.). La réalité est un

terrain d’action dynamique qui évolue et le chercheur est engagé dans cette action de l’objet d’étude (Prévost et al., 2015). En ce sens, certains auteurs parlent d’ontologie devenue processurale qui permet ainsi de relever les dynamiques du monde social et s’éloigner de visions globalisantes des organisations (Elkjaer et al., 2011). À cet effet, ces mêmes auteurs affirment que: « the Pragmatist alternative seeks to transcend this entitative/processual dualism by understanding organizational practice as the continuous and emergent weaving together of social selves and social situations. Its focus is very much upon the social nature of real-time actions that constitute living and lived experience. This perspective, then, offers a way of approaching “how” and “why” questions that remain difficult to address by more conventional means» (Elkjaer et al., 2011, p. 79)24.

De cette ontologie pragmatique, la position épistémologique du chercheur devient aussi processurale par son engagement dans l’action (Elkjaer et al., 2011; Prévost et al., 2015). Connaître devient donc un exercice de construction émergente, d’apprentissage en temps réel et de bricolage par lequel le chercheur utilise les stratégies, les méthodes et les outils à sa disposition pour donner un sens à la réalité observée (Filion, 2012; Hlady Rispal, 2002). À cet effet, « le bricolage est une pratique pragmatique, stratégique et autoréfléchie » (Hlady Rispal, 2002, p.74). Or, d’une posture pragmatique, l’exercice de formulation des résultats n’est pas sans soulever les tensions présentes lors d’une recherche dans le cadre d’un DBA. D’observateur sur le terrain, le chercheur pragmatique devient interprète des données et co-constructeur d’une réalité observée dans laquelle il est partie prenante (Filion, 2012; Hlady Rispal, 2002; Prévost et al., 2015). Son travail de construction doit intégrer des concepts théoriques ainsi que les acteurs académiques qui les supportent, tous deux agissant sur

24 L'alternative Pragmatiste cherche à transcender le dualisme entitative/processuel par une

compréhension de la pratique organisationnelle comme un tissage continu et émergent des « soi » sociaux et des situations sociales. L'accent est beaucoup plus sur la nature sociale des actions en temps réel qui constituent la vie et l'expérience vécue. Ce point de vue offre ainsi un moyen d'approcher des questions sur le « comment » et le « pourquoi » qui demeurent difficiles à adresser par des moyens plus conventionnels (traduction libre).

les constructions mentales du chercheur. Par conséquent, le chercheur devient entrepreneur et plaideur dans ce travail de co-construction qui émerge des conversations théoriques et empiriques (Hlady Rispal, 2002). La figure 16 représente les tensions présentes de cette position épistémologique du chercheur.

Figure 16 : Les tensions présentes lors de la recherche

Source : Hlady Rispal, 2002, p.75.

En ce sens, la posture pragmatique se prête bien à mon profil entrepreneurial et de gestionnaire de projet de plus de 25 ans. Ce parcours professionnel me fait voir la réalité comme un terrain à la fois objectif, subjectif et dont je suis une partie prenante active. Ce faisant, je me sens engagé dans l’action et j’espère pouvoir générer de la connaissance afin d’influencer un changement de la réalité. En tant qu’acteur, parmi les autres liés à l’objet de recherche, j’agis pleinement investi de mes valeurs et de mes perceptions. Finalement, c’est à partir de ces orientations philosophiques que mes choix de paradigmes de recherche peuvent être définis.

Cela dit, un paradigme peut être défini de plusieurs façons. Plus conceptuellement, il réfère à l'intention philosophique ou à la motivation pour

Théorie contextuellesDonnées

PROJET

Acteurs

académiques Acteursterrain

Position épistémologique du chercheur

entreprendre une étude (MacKenzie et al., 2006) ou encore à une façon de voir le monde qui guide et dirige la pensée et l’action (Cameron, 2011; Guba et al., 1994). Il peut aussi être un système de croyances qui traite des premiers et derniers principes de notre vision du monde (Guba et al., 1994) et qui porte avec lui des hypothèses philosophiques claires (Robson, 2011).

Le paradigme permet ainsi d’aborder une réalité à partir d’une construction intellectuelle (Wacheux, 1996). En recherche, le paradigme détermine les questions à étudier, les approches pour le faire et les façons de les analyser et de les décrire (Prévost et al., 2015). En ce sens, il est une collection d'hypothèses, de concepts ou de propositions liés logiquement, qui oriente la pensée et la recherche (Bogdan et Bilken, 1998, dans Mackenzie et al., 2006). Enfin, le paradigme peut se définir comme un cadre général qui délimite les hypothèses de départ, les questions déterminantes, les modèles de qualité pour faire la recherche et les méthodes pour trouver des réponses aux questions (Cameron, 2011; Guba et al., 1994).

Dans tous les cas, le paradigme est préscientifique et comporte les postulats sur lesquels les chercheurs se fondent pour prendre position sur des questions déterminantes (Guba et al., 1994; Prévost, 1998; Prévost et al., 2015). C’est donc à partir de ces questions déterminantes et postures dominantes que l’orientation philosophique de ma recherche se définit. Celle-ci s'inscrit à l'intérieur de paradigmes qui sous-tendent mon intervention sur la situation problématique à l'étude (Maxwell, 2005). Mes choix de paradigmes de recherche sont donc présentés ci-dessous.