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1. INCUBATION D’ENTREPRISES

1.3 Meilleures pratiques

Mon incursion dans le secteur d'activité de l'incubation est aussi le moment où je constate l'abondance de communications écrites sur les meilleures pratiques. Mieux connues sous l'expression best practices, les meilleures pratiques sont publiées à la suite de rassemblements d'expériences et d'anecdotes de gestionnaires d'incubateurs et de consultants dans le domaine (Colbert, Adkins, Wolfe et LaPan, 2010).

Les écrits de ces praticiens rassemblent les meilleures pratiques sous des thèmes qui facilitent l'évaluation des programmes d'incubation vers l'atteinte de résultats performants (Adkins, 2004a; Cammarata, 2003; Colbert et al., 2010). La gouvernance, le financement, la gestion, la sélection et la graduation des entreprises font partie des huit, dix ou douze thèmes nécessaires à la réussite (Cammarata, 2003; Colbert et al., 2010). Selon des écrits scientifiques, le succès est garant d'une liste de 26 à 50 items à cocher qui concernent les résultats attendus, l'effectivité de la gestion, la nature des services offerts et la durabilité du programme (Lalkaka, 2000; Mian, 1997).

Par ailleurs, des actions de mise en place, de gestion et d'évaluation des programmes sont prescrites dans le but de reproduire les meilleures pratiques sur le

plan opérationnel (European Commission, 2002). Le gage de succès peut aussi être noté sur le plan de la gestion où, entre autres, une mission claire, une sélection d'entreprises basée sur leur succès potentiel, la synergie avec les autres entreprises incubées, une juste promotion des entreprises et une rigidité sur le plan financier sont des facteurs d'optimisation de la performance (Lewis et al., 2011).

C'est donc par la lecture de ces publications, de discussions avec les auteurs et par ma participation à des conférences que j’ai pu clarifier certains concepts au bénéfice de mon intervention auprès de l’ACET. Parmi ceux-ci, la distinction entre un incubateur et un accélérateur est au premier plan. Comme le nom ACET contient le mot « accélérateur » et que le client et les propriétaires prétendent opérer sous ce modèle d’accompagnement, il convenait d'explorer si l'organisation en question rassemble bel et bien les caractéristiques d'un accélérateur.

En fait, les pratiques de l'accélérateur et de l'incubateur sont clairement distinctes (Adkins, 2011a; Knopp, 2012). Selon Adkins (2011a), les accélérateurs sont plutôt des organismes à but lucratif qui visent un retour sur investissement à leurs commanditaires. De plus, les entreprises sélectionnées sont généralement issues du champ des TI et le soutien est donné à de petites équipes plutôt qu'à des individus. Par ailleurs, les processus de sélection sont ouverts à tous, mais très compétitifs. Enfin, le soutien est pour un temps court et limité ponctué d’événements et d’un accompagnement intensif afin que le processus de validation du modèle d’affaires dans le marché soit rapide. Finalement, le nombre d'accélérateurs dans le monde est moins nombreux que les incubateurs et dépasse à peine les 200 programmes (Ibid.).

Sur la base des traits distinctifs de l'accélérateur, il fait peu de doute que l'ACET présente plutôt les caractéristiques d'un incubateur. D'abord, l'organisation est à but non lucratif (OBNL). Ensuite, les commanditaires ont plusieurs objectifs autres que le retour sur investissement. De plus, les secteurs desservis comprennent des entreprises de TI, mais aussi des secteurs de biomédical, de médecine, de développement durable

et manufacturier. Enfin, l'admission au programme n'est pas très compétitive, parfois un seul individu est admis et le soutien accordé s'étend sur plus de 24 mois dans des secteurs où une validation du modèle d'affaires nécessite souvent une période de gestation plus longue.

En conséquence, l'ACET fait partie des 1400 incubateurs estimés en Amérique du Nord. Avec l'UdeS, le MEIE et DEC comme partenaires, l’organisation s'insère dans les 70 % des profils de commanditaires d’incubateurs. Aussi, le statut d'OBNL place l'ACET dans le 93 % des programmes sondés et, quoique plutôt technologique, la mixité des secteurs d'entreprises sélectionnées par l'ACET la place parmi les 54 % de programmes d'incubation sur ce plan. Encore une fois, force est de constater que l'ACET fait partie d’organisations aux structures et intérêts communs.

En somme, le constat de la forte présence des meilleures pratiques comme référents d'une saine gestion me fait prendre conscience de deux choses. D'abord, dans ce méandre des best practices, chaque gestionnaire semble y chercher la recette miracle, celle qui saura résoudre tous les maux et mener le programme d'incubation vers le succès garanti. Toutefois, cette quête des meilleures pratiques a une limite sur ce qui peut être exporté à un autre contexte organisationnel. Cette limite est liée au contexte particulier de l'environnement interne et externe de chaque programme d'incubation ainsi qu’à la variété de profils de gestionnaires et d'entrepreneurs incubés. Elle provient également de la nature et des intérêts des parties prenantes et des moyens mis en œuvre pour donner des résultats à sa véritable raison d'être. Ainsi, une gestion sur la seule base des meilleures pratiques a pour effet de placer plusieurs incubateurs en situation de gestion impraticable.

Par conséquent, les meilleures pratiques peuvent inspirer, mais elles peuvent difficilement être une fin en soi. Si les gestionnaires de l'ACET me somment de trouver des solutions à la situation problématique de gestion dans les meilleures pratiques, ils s'exposent au risque que les pratiques importées soient de peu d'utilité dans le contexte

particulier de l'ACET. À trop vouloir imiter, les gestionnaires risquent d'oublier qui ils sont vraiment et sur la base de quelle culture ils se sont fondés. Cet apprentissage sera déterminant pour la suite des choses.

La deuxième prise de conscience survient justement de l’impraticabilité des prescriptions proposées qui obligent les incubateurs à questionner leur véritable raison d’être. L’objet de survie d’entreprises ou de création d'emplois vient parfois accompagné d’ambitions de parrainage du climat entrepreneurial, de soutien à l’entrepreneur, de diversification de l'économie locale, de création d'une nouvelle industrie ou de rétention des entreprises (Aerts, Matthyssens et Vandenbempt, 2007; Bøllingtoft et al., 2005; Bruneel et al., 2012; Colombo et al., 2005; Dee, Livesey, Gill et Minshall, 2011; Grimaldi et al., 2005; Knopp, 2012; Lewis et al., 2011; Lyons, 2004; Mian, 1997; NBIA, 2014; UKBI, 2014).

Par conséquent, la diversification des contextes soulève l’objet même de l’incubateur qui devient l’affirmation de sa complète raison d’être. L'objet est multiple et contextualisé à l'incubateur en lien avec ses parties prenantes et les attentes qu'elles fondent dans la mission de l'organisation (Aaboen, 2009; Bergek et al., 2008; Grimaldi et al., 2005). L’ACET, comme organisation intermédiaire, est un bel exemple de diversité de points de vue sur ce qu’elle est et ce qu’elle devrait accomplir. L’objet de l’ACET devient donc multiple et les dimensions se chevauchent par la mixité d'intérêts et de parties prenantes qui les portent. De ce fait, cette mixité donne lieu à des convergences, certes, mais aussi à des divergences sur la raison d'être de l’ACET, et peut rendre la gestion de ces divergences, impraticable. Dès lors, l’ACET transige dans un monde chargé politiquement. Ainsi, le défi de gestion de ces divergences vers un objet qui fait consensus reste central à son espoir d’une meilleure gestion vers l'atteinte des résultats souhaités.

Par ailleurs, l’objet multiple et contextualisé est aussi une réaffirmation des limites que posent les meilleures pratiques de l'incubation. C’est pourquoi plusieurs

chercheurs ont plutôt tenté d’explorer le lien entre l’objet et les résultats espérés et se sont inspirés de l’approche par l’objet pour mesurer l’effectivité d’un incubateur à réaliser sa raison d’être (Aernoudt, 2004; Bergek et al., 2008; Daft, 2009; European Commission, 2002; Colbert et al., 2010; Kujansivu et Lonnqvist, 2009; Lalkaka, 2000; Mian, 1996, 1997; Murphy, Trailer et Hill, 1996; Phan et al., 2005; Schayek, 2008; Vanderstraeten et Matthyssens, 2010).

Ce lien permet ensuite de cibler les meilleures pratiques vers lesquelles l'organisation devrait tendre (Bergek et al., 2008; Mian, 1997). Ainsi, cette relation entre l’objet et les résultats souhaités éclaire l'organisation sur la stratégie de mise en œuvre de pratiques pertinentes à sa raison d'être (Bergek et al., 2008; Mian, 1997; Smilor et Gill, 1986). Dès lors, l’interaction suppose un effort de contextualisation de l'objet propre à chaque incubateur. Cet effort s'inscrit contre toute présomption d'objectifs généralisés ou de pratiques transférables pour l'ensemble des programmes d'incubation (Bergek et al., 2008). C'est en ce sens que l'approche par l'objet contextualisé permet de relever certains problèmes que la présomption de généralisation des pratiques peut poser.

En conclusion, les constats d’une industrie de l'incubation bien présente et effervescente et la quête des meilleures pratiques servent de premiers fondements de pertinence à mon intervention. D'abord, la force et la croissance d'une industrie sèment un intérêt grandissant chez les chercheurs et les praticiens qui tentent de mieux comprendre les pratiques actuelles afin de proposer des pistes d'amélioration. Ensuite, cette quête pour améliorer les meilleures pratiques doit se faire avec les réserves constatées ci-dessus. Quoiqu’inspirantes, les pratiques actuelles ne peuvent pas être une fin en soi et un effort de théorisation, de contextualisation et d'introspection des processus plus particuliers s'impose (Hackett et al.,2004; 2008).

C'est donc investi de cet intérêt et de l'effort requis que je propose, ci-dessous, une organisation de la revue de la littérature sur l'incubation. Cet agencement original

des composantes de l’incubation est fait justement afin d'éviter le piège d’une nouvelle énumération des meilleures pratiques. Cet agencement est le deuxième thème de mon contexte théorique.