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La question de l’État et le système de régulation dualiste 1) La faiblesse de l’État

LA QUESTION DE L’IMMIGRATION EN ITALIE

IV) La question de l’État et le système de régulation dualiste 1) La faiblesse de l’État

Les critiques du système politique et institutionnel italien sont nombreuses, tant de la part des Italiens eux-mêmes que de l’extérieur. Distinguer la part du cliché, de la catégorisation politique historiquement donnée ou de la réalité, est à la fois un exercice amusant et un piège constant pour le chercheur non italien. Pesanteur, inactivité et absence du sens de responsabilité sont souvent reprochées à l’administration publique. La faiblesse structurelle des capacités d’intervention de la puissance étatique est aggravée par la dette publique et la colossale évasion fiscale de la part du bloc historique constitué par les patrons, les professions libérales, les commerçants et autres travailleurs indépendants (Balcet, 1995, p 115 ; Colin, 1994, pp 76-77). Si au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale le néo- capitalisme italien a su assurer le décollage industriel du pays principalement par l’intermédiaire de ses holdings publics de droit privé [enti pubblici autonomi], l’État-providence a suivi une série de « renoncements » perpétuels qui l’ont maintenu dans le rôle de distributeur de subsides corporatistes (Barca, 1997). Le recours à l’endettement public à partir des années 1970 constituera une forme de redistribution indirecte de la richesse, par les taux d’intérêt élevés, aux détenteurs de titres publics (Palombarini, 2001, p 36).

205 In Presidenza del Consiglio dei ministri, Dipartimento per gli Affari Sociali, Relazione biennale sulla

condizione dell’anziano 1996-97, Roma, Istituto poligrafico e zecca della stato, 1998, p 20, cité in Baldi,

Cagiano de Azevedo, 1999, p 122.

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2) Le “modèle méditerranéen”

A la suite d’Esping-Andersen (1993, 1999), les études comparatives menées à l’échelle de l’Europe distinguent plusieurs modèles d’État-providence. Esping-Andersen place le « modèle méditerranéen » au sein du « modèle continental », pour lequel les droits sont liés à l’emploi et au versement des cotisations assises sur les salaires207. Ce “modèle méditerranéen” concerne les pays d’Europe du Sud, où les rôles sont distribués entre l’État, le marché et la famille en matière d’amortisseurs sociaux (Ekert-Jaffé, Terraz, 2005 ; Ferrara, 1997 ; Fargion, 1997). Il représente un véritable dualisme du système de régulation, entre systèmes garanti et non-garanti, qui s’appuie sur une culture du particulier, de l’individualisme-familialisme, du clientélisme-favoritisme (Paci, 1992). D’ailleurs, Mingione (1996) situe l’Italie dans un « modèle sud-européen d’emploi et de chômage » pour lequel le développement industriel lent et tardif a laissé les entreprises familiales et le travail indépendant résister au processus de concentration capitaliste208. Il se caractérise par un sous-développement des prestations familiales ainsi que du logement social, de la prise en charge du chômage, notamment des jeunes (Hege, Math, 2007a, 2007b ; Reyneri, 1997, p 21). Pour les sociétés méditerranéennes, le sociologue de la pauvreté S. Paugam (2005) parle de “modèle familialiste” qui « rejette le

principe de base d’une responsabilité sociale collective face à la pauvreté, mais maintient une forte exigence à l’égard des devoirs de la famille en ce qui concerne la prise en charge de ses membres, au double sens du ménage et du réseau de parenté élargie » (p 82).

3) État social et formation sociale

La question de l’existence et de la remise en cause de l’État-providence traduit les contradictions de l’équilibre entre le système garanti et le système non-garanti (Regini, 1996). D’un côté, les estimations sur l’évasion fiscale (estimée à 50 000 milliards de lires par an)209, sur le travail au noir, sur l’économie souterraine échappant au fisc (15% du PIB), sur le double emploi (15% de la population ayant un emploi), sur les 40% des entreprises en situation hors norme, font reposer la pression fiscale sur les travailleurs salariés, du public surtout. D’un autre côté, la crise de la dette publique, dont le stock a été jusqu’à atteindre

207 Les deux autres modèles d’État-providence sont le « modèle nordique » (universalité des prestations,

montants distribués élevés) et le « modèle libéral » (allocations d’un faible montant).

208 « Dans un tel contexte, la formation d’un classe ouvrière de type industriel a été de dimensions plutôt

limitées, et le système des relations s’est basé sur des rapports de type non-salarial, qui constituent une stratégie de subsistance familiale, soutenant la diffusion de formes de travail non réglementaire |irregolare] », (Mingione,

1996, p 66).

209 D’après une enquête réalisée en 1999 sur les bénéfices de 1997 et 1998, par le Secit (inspection fiscale), sur

un échantillon représentatif de 5000 entreprises, « les sociétés qui évadent représentent 66,5 % du total. Mais la

“propension” à l’évasion varie selon la typologie des entreprises et l’aire géographique. Dans le Mezzogiorno, par exemple, l’évasion moyenne atteint 55 % du total, contre 36,3 % dans le Nord-Ouest et 34,8 % dans le Nord-Est. Ensuite, dans le cas des Srl, l’évasion est égale à 42,4 %, contre 32,4 % pour les Spa. Les données changent encore en fonction de l’âge de l’entreprise. Pour les sociétés nées avant 1993, le chiffre indique 39 %, il atteint en revanche 46,5 % pour celles créées après cette date. La propension à l’évasion diffère aussi en fonction du secteur d’activité. Dans le commerce, l’évasion est en moyenne de 52,8 % du chiffre imposable, contre 42,3 % dans l’industrie et 35,5 % dans les services » (in R. Landucci “Letteratura d’evasione” (il

120 % du PIB, a révélé la contradiction entre les prérogatives du bloc historique traditionnel profitant des faveurs et de l’indulgence de l’État et/ou ne contribuant pas à son entretien, et les insuffisances des institutions pour les garantir. La crise de légitimité des institutions ainsi créée a engendré à partir de la fin des années 1990 un bouleversement politique dont l’apparition des phénomènes Berlusconi et leghiste au Nord représente les manifestations les plus spectaculaires (Cocco, 1994)210.

Cette situation révèle cependant l'existence d'autres ressources que celles qui sont officielles ou qui relèvent de l'appareil d’État, à savoir la mobilisation des “relations de communautés” ou réseaux primaires de surcroît locaux, pouvant présenter de solutions de développement propres. C’est ainsi le cas de l'émergence dans la “Troisième Italie” d’une formation sociale basée sur les petites entreprises axées sur la spécialisation flexible

Avec la crise du fordisme et le tournant idéologique de la contre-révolution néolibérale, les droits sociaux sont devenus une cible à abattre. A ce titre, les gouvernements, en Italie211 comme en France, ainsi que les institutions internationales (Commission européenne, F.M.I., O.C.D.E.) ont mis en place une succession de « réformes » des systèmes de retraites par répartition et de santé afin que les banques, compagnies d’assurance et fonds de pension mettent la main sur le pactole212. La justification démographique est couramment invoquée pour la remise en cause des droits sociaux à la retraite. Il est vrai que pour l’Italie se conjuguent un vieillissement de la population plus important que dans les autres pays européens ainsi qu’une situation budgétaire préoccupante.