• Aucun résultat trouvé

LA QUESTION DE L’IMMIGRATION EN ITALIE

V) Les mutations du travail

Historiquement, et ce depuis le XIXè siècle, le bas coût de la main d’œuvre représente une des permanences du marché du travail italien. Qu'elle soit temporaire, précaire ou à temps partiel notamment en relation avec l'activité agricole, la main d’œuvre italienne offre un avantage comparatif en termes d'exploitation sur lequel s'est toujours reposé le développement capitaliste (Paci, 1992).

Le tournant post-fordiste représente un ensemble de transformations : un processus de décentralisation [decentramento] de la production, une réduction de taille des unités de production, le développement de la sous-traitance et de l’externalisation213. Conformément à

210 Cf M. d’Eramo “Italia : maledetto popolo” (il manifesto 18/04/2006) 211

1992 Amato, 1995 Dini, 1995 Maroni, 1997, 2004.

212 Pour l’histoire de la Sécurité sociale en Italie, cf Vicarelli (1997). Pour la régionalisation ainsi que les

politiques régionales en matière de système de santé, cf Fargion (1997). Une originalité “exotique” de l’Italie du Sud résidait, durant les années 1960 et 1970, dans la proportion importante de bénéficiaires de pensions d’invalidité, chose qui a été remise en cause à partir du milieu des années 1980. Cette stratégie a également été utilisée aux Pays-Bas, mais plus tard, pour faire baisser les chiffres du chômage. Cf Mallet, Gayral-Taminh, 2004.

213 « On est en présence d’un ensemble de transformations qui semblent aller dans la direction opposée par

l’impératif de recherche de baisse des coûts de production, la crise du fordisme implique des processus de précarisation et de diversification des formes de travail214. Le travail à temps partiel prend plus d'ampleur en Italie215. Le marché du travail évolue vers une segmentation plus prononcée entre les secteurs d'emplois protégés et les activités à horaires part-time, saisonnières, à durée déterminée216. Le travail non réglementé s’épanouit notamment sur les lacunes persistantes des services publics, des services sociaux et des services à la personne.

A la suite de Paci, Salamone217 distingue quatre composantes du salariat :

- un « prolétariat central » du capitalisme post-industriel, tertiarisé, des pôles industriels et urbains, en condition d'emploi garantie si la conjoncture économique ne se retourne pas ;

- un « prolétariat traditionnel » pour les entreprises moyennes et petites, surtout en dehors des grandes concentrations industrielles. La flexibilité de la main d'oeuvre y est importante, dans des unités de production en position de sous-traitance vis-à-vis des commanditaires.

- un « prolétariat marginal » dans les micro-entreprises industrielles ou de services, où dominent la précarité de l'activité ainsi que des conditions juridiques d'emploi de type pré- capitalistes (surtout dans le Mezzogiorno).

- un « prolétariat public », dans les services publics nationaux et locaux, avec garantie des conditions d'emploi et de travail. Malgré des rémunérations modestes et une productivité faible, les garanties de stabilité de ce type de salariat le rapprochent du « prolétariat central » en termes de conditions et de genre de vie.

Emploi protégé / emploi précaire, activité industrielle / activité de service, grande ou petite taille de l'unité de production, sont les axes qui distinguent les conditions du prolétariat, auxquels il faut ajouter le rôle des déséquilibres territoriaux à l'échelle intra-régionale (grande ville / campagne) comme nationale (Nord / "Troisième Italie" / Mezzogiorno) qui offrent le cadre géographique dans lequel auront tendance à se concrétiser les différents types de condition d'exploitation.

l’extension de la régulation institutionnelle qui avait caractérisé la période précédente » (Pugliese, Rebeggiani,

1997, pp 104-105).

214 « Tandis que le passage d’une phase d’emploi agricole-industriel à une phase d’emploi industriel-tertiaire

s’est caractérisée par l’augmentation du travail réglementé et salarié, ces dernières années [début années 1990, ndlr] on est en train d’observer un processus en sens inverse : une augmentation du travail précaire et temporaire, couplée, et c’est la nouveauté importante, à un accroissement des emplois dits atypiques, des emplois se caractérisant par un statut particulier qui les met entre le travail salarié et le travail indépendant. Ou, pour la précision, des emplois qui, bien que présentant formellement les traits du travail indépendant, ont en substance les véritables caractéristiques du travail subordonné. En réalité, ce qui change c’est surtout la nature formelle du contrat de travail (et parfois le lieu physique où le travail se déroule), mais le contenu du travail et son degré d’autonomie le rendent absolument semblable à un travail dépendant [alle dipendenze] » (Pugliese,

Rebeggiani, 1997, p 175).

215 Cf Mandrone E., Massarelli N. (2007), “Quanti sono i lavoratori precari”, 21/03/2007,

www.lavoce.info/articoli/pagina2633.html

216 Cf A. Sciotto “Cresce l’Italia precaria” (il manifesto 22/05/2003) 217

En 2006, le travail précaire, dans toute l’hétérogénéité de ses caractéristiques, représente en Italie 3 757 000 personnes, soit 12 % de la population active occupée, si l’on tient compte de la créativité particulière, depuis les années 1990, en termes d’innovation de contrats visant à contourner les formes d’emploi garanti218. Cette précarisation structurelle de l’emploi représente une renaissance du “prolétariat marginal” de Salamone, comme si les formes les plus traditionnelles de l’exploitation devenaient, en début de XXIè siècle, les plus “modernes”, c’est-à-dire les mieux adaptées à la nouvelle division du travail. A noter que le salaire minimum national n’existe pas en Italie219.

1) La multiplication des emplois atypiques à partir des années 1990

Il est à noter combien les politiques offensives à l’encontre de l’emploi stable développées entre le début des années 1990 et le début des années 2000 en Italie (pacchetto

Treu, loi 30 de 2003 dite “loi Biagi”, etc.) représentent un éclairage de celles qui ont

appliquées en France avec un temps de retard. Vu de France, l’Italie semble être à l’avant- garde de la dérégulation du droit du travail (Pignoni, 2005). Ce calendrier serait surprenant s’il ne correspondait pas à la mise en place des injonctions néolibérales de la politique européenne prônées par l’Acte unique européen (1986), le Traité de Maastricht (1992), le Traité d’Amsterdam (1997).

C’est dans ce contexte qu’est apparue la problématique du travail dit atypique [atipico]220, qui traite de la multitude des formes de rapport au travail, tant en ce qui concerne les statuts des contrats, que de l’organisation du temps ou des rémunérations, qui se situent à la marge de la sphère des pratiques standard ; on utilise aussi l’expression de “rapport de travail non standard”. A partir de la seconde moitié des années 1990, la multiplication de ces nouvelles formes d’emplois a contribué à une précarisation des conditions de travail et à un affaiblissement des protections sociales liées à l’emploi (Pignoni, 2005 ; Pugliese, Rebeggiani, 2004). Cette tendance a représenté un brouillage de la frontière entre emploi salarié et emploi indépendant, les travailleurs partageant à la fois les contraintes du premier et les risques du second (Pignoni, 2005 ; Pasqua, 2006 ; Como, Altieri, 2006). La déclaration en tant que travailleurs indépendants des travailleurs parasubordonnés comme des intérimaires, a contribué au gonflement artificiel de cette catégorie socio-professionnelle (Pasqua, 2006). D’ailleurs, à partir de 2002, elle se poursuivra par la remise en cause progressive et constante de l’article 18 du Statut des travailleurs qui, obtenu de haute lutte durant les mouvements

218 Mandrone E., Massarelli N (2007), op.cit. 219

D’où l’absence de l’Italie dans Eurostat (communiqué de presse du 18/06/2007), “Variation du salaire minimum légal en euro de un à dix-sept dans l’UE” (http://epp.eurostat.ec.europa.eu/pls/portal/docs/PAGE/PGP_PRD_CAT_PREREL/PGE_CAT_PREREL_YEAR _2007/PGE_CAT_PREREL_YEAR_2007_MONTH_06/3-18062007-FR-AP.PDF ). « Dans les 7 autres Etats

membres (Allemagne, Autriche, Danemark, Finlande, Italie, Suède et Chypre) il n’existe pas salaire minimum national, et les salaires minima sont fixés par négociations au niveau des branches », in Husson M. (2006), “Les

salaires minima en Europe”, Chronique Internationale de l’IRES, n°103, nov., p 2, (http://213.56.65.5/files/publications/chronique%20internationale/chroniqueires.htm )

220

sociaux du début de années 1970, protège les travailleurs du licenciement abusif et non justifié221. Même si l’emploi stable et garanti représente toujours la norme, une succession de décisions politiques ont multiplié les formes du travail flexible (Altieri, 2002 ; Hege, 2002), même dans l’administration publique222.

Traitant auparavant de l’apprentissage, de la formation et du travail à durée déterminée, le travail atypique s’est étendu au travail intérimaire, aux “parasubordonnés” (cf infra), au télétravail. Il se focalise sur la partie la plus fragile de la division du travail, qu’elle soit sexuelle, générationnelle ou territoriale : les femmes, les jeunes, le Mezzogiorno sont les catégories sociales et territoriales les plus touchées223. Le handicap territorial – le Sud – renforce et maintient de façon durable les difficultés des catégories sociales les plus fragiles, au contraire du Centre-Nord. Les secteurs d’activité concernés sont surtout ceux du privé, en particulier dans le commerce. Afin de réduire le coût du travail, les fonctions sans qualification sont visées mais également celles qui sont spécialisées [alta professionnalità]. Le travail atypique se développe dans un contexte d’instabilité de l’emploi, où la carrière unique pour la vie et le poste fixe font désormais partie du passé224. L’instabilité globale (chômage, CDD, collaborateurs) est en effet plus importante au Sud (27 %) qu’au Centre (18 %) et au Nord (14 %).

De nouveaux statuts des travailleurs sont ainsi apparus : les “para-subordonnés”, parmi lesquels les “co.co.co.” [collaboratori coordinati e continuativi] institués par la loi Biagi, et autres “co.co.pro.” [contratto di lavoro a progetto], “collaborateurs occasionnels” et “partite Iva”225. Pour ces nouveaux statuts, le travail à temps partiel [part-time] est particulièrement élevé. Si ces contrats peuvent représenter un mode d’insertion professionnelle pour les emplois qualifiés, ils peuvent par contre entraîner les non qualifiés dans la spirale de la précarité permanente (Altieri, 2002, p 8). L’image emblématique du “para-subordonné” est une femme, jeune, du Nord, de qualification moyenne-élevée et travaillant dans les services (Pasqua, 2006). Logiquement, leurs droits en termes de couverture-maladie, de retraite, de congés payés, de formation, et bien entendu en termes de salaire, sont largement amputés, en comparaison des droits des travailleurs bénéficiant de conventions collectives. Les entreprises y ont recours plus afin de réduire le coût du travail dans un contexte de concurrence exacerbée que pour faire face aux aléas du marché.

221 Cf F. Piccioni “Fazio, il flessibile” (il manifesto 08/12/2000), S. Farolfi “Articolo 18. Precari permanenti” (il

manifesto 27/07/2008)

222

F. Piccioni “Il lavoro è diseguale anche nel settore pubblico” (il manifesto 19/01/2001) ; P. Andruccioli “Mercato tutto a tempo” (il manifesto 28/01/2001)

223 Cf A. Sciotto “Le sfruttate del pelato” (il manifesto 11/09/2002) 224 Cf A. Sciotto “Posto fisso, addio” (il manifesto 31/05/2001) 225

« Ce sont surtout des femmes (environ 60 %, contre 44 % au sein des salariés et 25 % au sein des

indépendants), en moyenne plus instruits que les salariés (30 % dispose d’une maîtrise [laurea] contre 14 % des salariés), presque la moitié vivent dans les régions du Nord e l’Italie (et 30 % dans le Nord-Ouest). Les collaborateurs sont en moyenne plus jeunes que les salariés : un tiers d’entre eux ont entre 20 et 30 ans, un tiers entre 30 et 40 ans, mais un part non négligeable (20 %) a entre 40 et 50 ans » (Pasqua, 2006). « Ils travaillent surtout dans les services (42 %), et en particulier dans le tourisme, les transports et les services financiers, ou dans le secteur public (25 %). Les collaborateurs se concentrent dans les professions à qualification moyenne- élevée : surtout des métiers techniques (35 %), de bureau [impiegatizie] (20 %) et des professions “intellectuelles” et de recherche (18 %) » (Ibid.).

La division sexuelle du travail confère aux femmes une plus grande vulnérabilité face à la multiplication des contrats précaires (Pugliese, Rebeggiani, 2004) : une femme occupée sur cinq a un emploi temporaire, instable, précaire (Altieri, Ferrucci, Dota, 2008). L’augmentation de l’emploi féminin à la fin du XXè siècle s’est en particulier manifesté par le développement du travail partiel et à durée déterminée. De plus, au sein de cette situation de travail moindre, elles sont moins rétribuées, font moins d’heures, occupent des postes moins qualifiés, que leurs homologues masculins. D’ailleurs, les femmes sont majoritaires parmi les parasubordonnés où elles ont également suivi l’onde de la tertiarisation, avec la situation emblématique du call center226.

Si les chiffres du chômage en Italie sont à la baisse depuis les années 1990, l’évolution du marché du travail s’est ainsi traduite par une multitude de formes intermédiaires d’emploi entre le travail garanti et le travail non garanti. Pour le début des années 20000, l’ISTAT parle d’une “zone grise” [zona grigia] pour désigner cette “non population active” [non forze

lavoro], ce volant d’inactifs qui font partie de la force de travail potentielle mais qui reste en

marge du marché du travail. Les deux tiers d’entre eux habitent le Mezzogiorno, où le chômage est déjà plus important que dans le reste de la Péninsule. Les études officielles comme syndicales mettent en lumière l’importance croissante du découragement [scorragiamento] de la part d’adultes confrontés aux difficultés de trouver un véritable emploi, un phénomène qui augmente avec l’âge et qui est particulièrement fréquent dans les régions méridionales.

La géographie du travail atypique est territorialement différenciée entre Nord et Mezzogiorno, selon les types de contrats, le secteur d’activité, le sexe ou encore l’utilisation de la force de travail par les entreprises227. Les formes atypiques de l’emploi se concentrent dans les services, en lien avec la tertiarisation de l’économie, secteur en outre particulièrement féminisé, et non dans l’industrie (Esping-Andersen, 1993).

2) Le travail non réglementé en Italie

Un des traits caractéristiques du marché du travail italien réside dans l’importance et la diffusion de formes de travail non réglementées [irregolare]228 , hors des clous de la reconnaissance officielle des institutions. “Travail au noir”, “économie souterraine”, “économie informelle”, “sommerso”, travail à domicile, double emploi, second emploi, sont

226 Cf C. Casalini “Libere per il nostro futuro” (il manifesto 16/11/2001), A. Sciotto “L’operaio della cuffia

accanto” (il manifesto 09/11/2001)

227

« Il est en effet intéressant de voir la concentration des précaires dans les différentes zones du pays et dans

les secteurs de production. Si 55 % du total des parasubordonnés se trouvent au Nord, et seulement 28 % au Centre et 17 % au Sud, les pourcentages s’inversent si nous considérons les vraiment précaires par rapport à l’ensemble : ils sont “à peine” 29 % dans le Trentin, mais arrivent presque à 75 % et Calabre et dans le Latium, et à 65 % en Sicile, Campanie et Pouilles » in A. Sciotto “Vite bloccate a 700 euro al mese” (il manifesto

06/06/2008). Cf aussi A. Sciotto “L’Italia a due velocità” (il manifesto 22/05/2002)

228 Après moult hésitations, nous avons préféré traduite regolare/irregolare par réglementé, réglementaire,

déclaré / non réglementé, non réglementaire, non déclaré, même si on peut trouver dans la littérature régulier/irrégulier.

des vocables courants pour caractériser des formes de travail périphériques par rapport à celles de l’ “économie centrale” du modèle fordiste. En 2005, le travail non réglementé est estimé à environ 12 % des unités-temps-plein [unità di lavoro] alors qu’il était de 13,4 % en 1992 et de 14,2 % en 2002. Ces formes de travail périphériques se dispensent des réglementations inhérentes aux régulations institutionnelles en matière de salaire, d’horaire de travail, de sécurité, de respect de contrat avec le salarié. Elles reflètent une grande variété de situation, de faits et d’attitudes parfois difficilement formalisables (La Rosa, 1991). Quantitativement moins importantes, elles cohabitent voire sont imbriquées dans les formes “centrales”, tant il s’agit d’un phénomène diffus dans le monde du travail229.

Les formes de travail non réglementé sont d’autant plus présentes géographiquement que la formation sociale concernée est éloignée du modèle de régulation fordiste : l’économie informelle est plus présente dans le Mezzogiorno (ISTAT, 2005a, 2008a). L’importance du travail non réglementé selon les territoires dépend soit de leur spécialisation économique, soit de leur propension au recours à ce type de travailleurs. A ce titre, dans le Mezzogiorno, où l’agriculture a un poids plus important, 42 % des unités-temps-plein en 2002 sont non réglementaires, avec des chiffres trsè importants comme 53 % en Calabre. Mais également pour les autres secteurs, le travail au noir est plus important dans le Mezzogiorno230.

a) L’hétérogénéité des formes de travail non réglementaire

L’ISTAT définit tout d’abord ce qui est réglementaire de ce qui ne l’est pas231. L’économie dite “invisible” [non (direttamente) osservata] est distinguée de l’économie “visible” [osservata]. Font partie de l’économie invisible les activités illégales, informelles et clandestines [sommerso economico] (cf annexe 4.3). Traditionnellement, le travail non réglementé [irregolare] concerne en premier lieu l’agriculture et le bâtiment. On le trouve également dans les petites entreprises artisanales à base familiale, où l’I.S.T.A.T. recense les aides familiaux [coadiuvanti]. La tertiarisation de bas de gamme, avec l’augmentation des emplois de services traditionnels (restauration, hôtels) et à la personne (dépannages, badante), a contribué à la diffusion du travail non réglementé à partir des années 1980 (Mingione, 1990 ; ISTAT, 2004b).

Toutefois, l’activité hors réglementation a souvent été considérée comme une étape transitoire nécessaire aux débuts de l’entreprise, la mise en conformité avec les réglementations fiscale et du travail ayant alors lieu quand l’entreprise passe à une dimension supérieure et dispose d’une assise économique plus stable (Reyneri, 1997, p 103). Étape

229

A la fin des années 1980, l’ISTAT a révisé ses données afin d’intégrer la part d’économie souterraine dans l’économie nationale : deux millions de personnes, soit 13 % des actifs occupés, ont été pris en compte ; cette révision a permis d’augmenter la valeur de bon nombre d’informations statistiques soulignant le dynamisme et la richesse du pays (Balcet, 1995, p 63). Cette opération de “comptabilité créative” a permis de revaloriser la place de l’Italie par rapport aux critères fixés par les instances européennes, notamment pour l’acceptation de l’Italie dans le groupe de l’euro.

230 Cf I. Urbani “Dove si muore per 2 euro all’ora” (il manifesto 07/07/2006)

231 ISTAT, Brevi cenni sulle metodologie di stima dell’occupazione non regolare nell’ambito della contabilità

transitoire ou largement diffuse comme dans le Mezzogiorno, le travail non réglementé révèle aussi les réminiscences d’un héritage du monde paysan et traditionnel, où la famille, l’arrière- pays agricole et les liens communautaires offrent une protection sociale aux individus (Paci, 1992). Témoignage pré-moderne d’un capitalisme primitif ou bien révélateur de la transition post-fordiste, la résurgence de ces relations de réciprocité au détriment des régulations institutionnelles met en évidence la permanence des formes d’échanges sociaux et leur complémentarité avec les mutations les plus récentes (Godelier, 1991, p 85).

b) Le travail au noir [sommerso]

D’après l’I.S.T.A.T., le travail au noir en Italie concerne 2,8 millions de personnes à temps plein mais l’IRES-CGIL (Megale, 2007 ; Altieri, 2007) l’évalue à 5 millions de postes de travail, pour 3 millions de personnes à temps plein. Officiellement le travail au noir touche 17 % des travailleurs en Italie, chiffre conforme à ceux d’autres pays de l’Europe du Sud mais aussi aux nouveaux venus d’Europe orientale, en tout cas bien au-delà de l’Europe nord- occidentale (Tartaglione, Altieri, Megale, 2007, p 14). La valeur des impôts et des contributions fraudées [evasi] est estimée entre 106 et 115 milliards d’euros, dont un tiers concerne la fraude aux contributions sociales (Megale, 2007). Les répercutions des conditions de travail et de rétribution du travail au noir ont des conséquences dans la vie privée : accès limité aux produits de consommation, au crédit, à la propriété du logement, difficultés à fonder et à assumer une famille, perspectives de retraite limitées, cumul des handicaps pour les immigrés.

Le travail au noir est plus concentré au sein de l’agriculture, des services bas de gamme (hôtels, restauration, transports) et du bâtiment. 80 % de la valeur ajoutée fraudée vient des services. En 2003, le poids relatif de la valeur ajoutée du travail au noir représente 36,4 % de la valeur ajoutée dans l’agriculture, 10 % de celle du secteur industriel et 19,4 % du tertiaire. Mais en termes réels, c’est-à-dire en millions d’euros, le poids du travail non réglementé dans l’agriculture est 3,5 fois moins important que dans l’industrie (entre 1992 et 2003), et de 13 à 17 fois moins lourd que dans les services (ISTAT, 2005a, p 5).

Le travail au noir a diminué au début des années 2000, en raison de la régularisation [sanatoria] de 647 000 travailleurs immigrés non déclarés qui étaient surtout employés dans le bâtiment. Le poids du travail au noir des immigrés sur le travail non réglementaire total est ainsi passé de 18,5 % en 2001 (soit 665 600 unités-temps-plein) à 4,6 % en 2003 (149 700) (ISTAT, 2005a, pp 9-10). Après 2003 cependant, le recours aux travailleurs extracommunautaires non déclarés a repris (9,3 % en 2005) (ISTAT, 2008a).

La géographie du travail au noir obéit au dualisme économique de la Péninsule (Tartaglione, Altieri, Megale, 2007). Les estimations tablent sur 1 travailleur sur 4 dans le Mezzogiorno, et 1 sur 10 dans le Centre-Nord. La baisse du début des années 2000 a davantage concerné le Nord que le Mezzogiorno où le travail au noir a continué à

progresser232. En revanche, la géographie des emplois unités-temps-plein non réglementaires suit en partie celle de l’activité économique (Lombardie, Latium) 233. Ajoutons que les droits du travail sont mieux protégés et appliqués dans les unités de production de grande dimension, où la présence des syndicats est plus forte.

c) Le “second travail” [doppio lavoro]

Le “second travail”, ou “double emploi”, fait également partie de cette économie périphérique. D’après Gallino (1985), le double emploi est pratiqué par les catégories d’actifs