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Ces trois premiers chapitres ont pour but de présenter le cadre théorique de la recherche. Trois niveaux ont été exposés : l’importance des classes sociales pour appréhender la structuration sociale au sein d’une formation sociale organisée en fonction du mode de production capitaliste, la place des migrations internationales vis-à-vis de la dynamique du capital, et la définition de la division sociale de l’espace comme angle idoine afin d’analyser la distribution des populations dans l’espace.

La géographie sociale, c’est la géographie de la lutte des classes. La pensée de Marx nous semble l’outil d’interprétation le mieux à même de synthétiser au niveau théorique la structuration sociale d’une formation sociale et économique capitaliste, dont le mode de production fondamental est basé sur le rapport d’exploitation. La domination de ce dernier rapport ne signifie pas pour autant que d’autres rapports n’existent pas dans la réalité (sexe, provenance géographique, famille) et ne soient pas eux-mêmes structurants ; la dimension “sociale” des rapports au sein d’une formation sociale capitaliste met en évidence que c’est le rapport d’exploitation qui est “socialement structurant”. Au niveau théorique, la formation sociale en question est hiérarchisée en différentes classes sociales, dont la bourgeoisie et le prolétariat sont les classes fondamentales. En tant que classe dominante, la bourgeoisie a pour but, au sein de la lutte des classes, de reproduire et de perpétuer le rapport qui assure sa position. Les travailleurs-producteurs, à qui la classe capitaliste extorque la plus-value issue de son sur-travail, représentent la classe dominée. Cette classe traditionnellement ouvrière est en train de muter, avec la tertiarisation et la remise en cause du compromis keynésien par la restauration néo-libérale, ce qui a pu être interprété par ceux qui le désiraient ardemment comme une disparition. Les classes moyennes représentent un grand entre-deux, « entre

bourgeoisie et prolétariat » (Bihr, 1989), avec ses formes traditionnelles (“petite

bourgeoisie”) ou modernes (cadres), dont la fraction devenue dominante semble indiquer la tendance lourde des compromis de classes (Duménil, Lévy). Ce tableau des classes théoriques se décline dans les formations sociales capitalistes concrètes en différentes réalités sociales.

La question de l’immigration dans un pays du Centre tel que l’Italie, nécessite d’interroger le rapport théorique entre les migrations internationales et la dynamique du capital. Nous considérons que cette dernière, en tant que processus global structurant, engendre une mobilité du travail servant à mettre à disposition du capital de nouvelles forces de travail. La mondialisation en acte depuis la fin du XXè siècle, représente une logique d’extension géographique du capital à d’autres formations sociales (conquête horizontale) et à d’autres domaines encore vierges de la vie humaine (conquête verticale), exacerbant les rapports entre Centre et Périphérie. Nous nous appuyons effectivement sur la théorie du système-monde (Wallerstein) pour qualifier le mouvement de polarisation de la division internationale du travail, contribuant à l’augmentation des migrations internationales en direction des pays riches de la planète. La segmentation du marché du travail assigne les

travailleurs immigrés selon les besoins de la formation sociale hôte, c’est-à-dire le plus souvent en position socio-professionnelle subalterne. Les pays de l’Union européenne doivent gérer la contradiction de leurs besoins de main d’œuvre avec les politiques de fermeture aux frontières. Liés ensemble, droits de séjour et droits au travail représentent les filtres institutionnels permettant de contrôler la force de travail immigrée en dehors du droit commun, en particulier vers la sphère de l’économie informelle. Par tout un ensemble d’outils – camps de rétention, extension géographique et administrative du contrôle, externalisation, réglementations – les pays de l’Union européenne tentent vainement de contenir une immigration générée structurellement par leur domination économique.

La division sociale de l’espace se définit par la distribution socialement différenciée des groupes et des individus dans l’espace. Cette notion est centrale dans notre recherche. Elle interpelle plusieurs champs disciplinaires (histoire, économie, sociologie, géographie) afin de comprendre comment et pourquoi tel espace est occupé par la bourgeoisie tandis que tel autre l’est par des populations défavorisées. Pour les pays capitalistiquement développés, la ville est l’espace où est synthétisée de façon majeure la division sociale de l’espace d’une formation sociale. La géographie et la sociologie urbaines ont mis en évidence la puissance et la richesse du concept de séparation-ségrégation pour caractériser les processus inégalitaires de choix ou d’assignation sociale de l’espace ; il nous semble particulièrement pertinent de qualifier le procès de séparation suivant qu’il est endorégulé (aggrégation ou séparation volontaire de la classe dominante) ou exorégulé (relégation, isolement, ghetto) en fonction des classes sociales concernées. Espace de la bourgeoisie, espace des classes populaires, espace des classes moyennes, représentent le paysage récurrent de l’espace social urbain. Largement étudiées par les géographes et les sociologues, des dynamiques de changement social génèrent de nouveaux espaces (péri-urbanisation, gentrification, enclaves, relégations). Polarisation, fragmentation, dualisme, etc., représentent les concepts avancés pour ces dynamiques. Avec l’immigration, la division sociale de l’espace concerne une population particulière qui est partie prenante des dynamiques urbaines. Nous avons fait un large écho au modèle d’insertion sociale proposé par E.W. Burgess en 1925 car il synthétise nombre de principes (sas d’entrée, adaptation, intégration générationnelle, etc.) qui sont valables pour analyser la place des nouveaux venus dans la ville. Nous avons aussi évoqué le concept de ghetto et son application dans la réalité états-unienne. A la séparation sociale fondée que le rapport d’exploitation, s’ajoute pour les immigrés une séparation supplémentaire, migratoire ou raciste. La question récurrente est de savoir quel rapport social fonde la relégation, ou bien s’il y a des rapports dialectiques entre les rapports sociaux. Mêlant immigrés et nationaux, la division sociale de l’espace permet de mettre en évidence la réalité spatiale des rapports au sein de la structure sociale.

PARTIE II

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