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L’Union européenne et l’immigration 1) Une histoire migratoire différentiée

DE LA DIVISION SOCIALE DE L’ESPACE

Chapitre 2 : Espace, capital et migrations

IV) L’Union européenne et l’immigration 1) Une histoire migratoire différentiée

L’immigration en Europe n’est pas récente, elle se caractérise par une diversité des moments, des rythmes, des provenances, etc., selon les pays ou groupes de pays en fonction de leur position sur l’échelle du capitalisme (Garson, Dumont, 2004). Par exemple, dans un pays du Centre comme la France, deux systèmes migratoirs se sont succédé durant la phase d’industrialisation du pays : l’immigration a d’abord été continentale, avec des flux provenant d’Europe méridionale, et a ensuite été remplacée par les migrations des anciennes colonies : l’industrialisation du pays a reposé sur l’immigration étrangère. Au début des années 1970, les politiques migratoires dans l’Europe du nord-ouest sont devenues plus restrictives en raison de la crise économique, l’importation de main d’œuvre étrangère ne correspondant plus aux besoins. Après une longue histoire d’émigration vers le Centre européen voire outre- atlantique, les pays du sud de l’Europe sont alors devenus à leur tour des pays d’immigration. Après la chute du Mur de Berlin et l’ouverture des frontières à l’est, les pays d’Europe orientale sont devenus des réservoirs de travailleurs migrants vers l’Europe occidentale et méridionale. Dans les années 1990, les conflits des Balkans ont engendré des flux de réfugiés. Dans la plupart des pays européens, les effectifs d’immigrés ainsi que leur part dans la population totale se sont accrus depuis les années 1980 (OCDE, 2001). De plus, l’accueil des réfugiés et des demandeurs d’asile originaires du monde entier a augmenté. Reposant auparavant sur la proximité géographique et les liens historiques et culturels, l’immigration

dans les pays européens est devenue plus diversifiée, plus éclectique en termes de provenances comme de motivations, de rythmes, etc.

2) Vers la fermeture des frontières

Conformément aux préceptes libéraux qui sont aux fondements de sa création, l’Union européenne prévoit la libre circulation des marchandises et des capitaux entre les pays adhérents. La libre circulation des personnes sera l’objet d’hésitations au moment de l’élargissement aux pays d’Europe centrale et orientale (P.E.C.O.)., qui s’opérera en phases successives suivant un autre calendrier, celui de l’ “Espace Schengen”, retardant pour quelques années encore l’accès de ces nouveaux entrants aux pays du Centre. La construction européenne a ainsi étendu nombre de droits à l’ensemble de ses ressortissants, notamment en matière de circulation et d’accès au marché de l’emploi, mais cette ouverture intérieure s’est accompagnée d’une fermeture vis-à-vis de l’extérieur, établissant un fossé juridique vis-à-vis des personnes qui ne sont pas citoyennes d’un pays de l’U.E. (Chemillier-Gendreau, 1999).

Les politiques nationales d’immigration sont devenues de plus en plus répressives, atmosphère accrue après le 11-Septembre-2001, légitimant l’amalgame politique entre terrorisme et immigration. Ce prétexte se situe cependant dans une perspective de fermeture du continent européen. Les politiques migratoires des pays de l’U.E. ont alterné entre politique nationale et convergence des initiatives afin de mettre en place une « harmonisation » de ces politiques. Différents moments ont établi ce processus, des accords de Schengen en 1985, à l’Acte unique de 1986, accords de Dublin I en 1990, à la Convention de Dublin entrée en vigueur en 1997, au sommet d’Amsterdam en 1997, au sommet de Tampere en 1999, à Dublin II en 2003, à la conférence de La Haye en 2004 … à la “directive Retour” de 2008: cette dernière directive représente une harmonisation par le bas des droits fondamentaux, et par le haut de la répression114. Crescendo, l’immigration est abordée et gérée de manière policière, le renforcement des contrôles aux frontières a évolué vers une militarisation des dispositifs de surveillance et d’entrée. Une “Europe forteresse” à l’égard des migrants a été mise en place, avec tout une panoplie de dispositifs de surveillance, de fichage et de coordination intergouvernementale : avec Frontex en 2004 (agence des frontières européennes extérieures chargée de coordonner la surveillance policière de ces frontières), le S.I.S. “Système d’information Schengen” (échange informatisé de données sur les personnes), Euradoc (traitement informatisé des empreintes digitales des demandeurs d’asile), S.I.V.E. (Système Intégré de Vigilance Extérieure), etc.

114 Sur la directive européenne de 2008 appelée Directive Retour – ou “Directive de la honte” par ses opposants

– voir CFDA (2008), A. D’Argenzio “L’UE vuole cacciare i migranti” (il manifesto 06/05/2008) et “Immigrazione, la Ue vota la direttiva della vergogna” (il manifesto 19/06/2008) ; AM Merlo “La politica comune delle porte chiuse” (il manifesto 19/06/2008), C. Quémar “Contre la directive de la honte” (08/06/2008, http://www.cadtm.org/spip.php?article3438 ), S. Diarra “La “Directive Retour” et le “Pacte Européen sur l’Immigration” constituent des actes de “guerre” contre les pays d’émigration du Sud” (20/10/2008, http://www.cadtm.org/spip.php?article3800 ).

L’immigration a certes dû s’adapter à cette évolution, notamment en ce qui concerne les routes et les passages, mais le phénomène massif n’a jamais disparu : « Il est des obstacles à

l’entrée qui ont pour effet d’entraîner en définitive un accroissement des effectifs d’illégaux plus fort que celui qui résulterait d’une plus grande liberté d’aller et venir » (Tapinos, 1999, p 264). Le processus de fermeture – une « orthodoxie restrictive » selon Sciortino (2005) - a

pu contribuer à une forme de sélection des entrées : « En élevant toujours plus haut les

barrières pour atteindre l’Europe, ces mesures opèrent en pratique une forme de sélection, en l’occurrence très sévère et même parfois mortelle, et ne sont pas sans incidence sur les caractéristiques des migrants parvenant à résider dans l’UE telles que la fortune, le statut social dans le pays d’origine, le niveau de formation, l’âge, le sexe, etc. » (Math, 2005, p 5).

3) Des camps pour étrangers

Des camps d’étrangers [campi, lager] sont dispersés sur le territoire européen115. Ils entrent dans le cadre d’une politique de gestion et de mise à l’écart des migrants considérés comme des indésirables : ceux-ci doivent être bloqués aux frontières, ou bien, si leur entrée est effective, ils doivent être assignés dans des structures de rétention afin d’être expulsés. Ces « centres d’accueil », « de rétention », « d’attente », « de transit », ont un double objectif politique : freiner l’immigration et dissuader les migrants de poser le pied sur le continent européen sans l’aval de ses autorités, et également de présenter une mise en scène communicationnelle visant à rassurer les “honnêtes gens”, citoyens nationaux de l’U.E. (Rodier, Blanchard, 2003). Les camps peuvent mélanger des étrangers aux statuts différents : entrés illégaux (“clandestins”), demandeurs et déboutés du droit d’asile, irréguliers en attente d’expulsion, etc. Ces lieux de relégation pour étrangers présentent des appellations, des formes et des organisations différentes selon les pays européens (Intrand, Perrouty, 2005). En Italie, les C.P.T.(A), Centri di Permanenza Temporanea (e Assistenza) (centres de séjour temporaire et d’aide), appelés par la suite C.I.E., Centri di Identificazione ed espulsione (centres d’identification et d’expulsion) assument cette fonction. Les associations et ONG soulignent l’absence récurrente de respect des droits fondamentaux dans ces camps116.

La généralisation de la politique des camps pour étrangers a révélé le contournement des engagements internationaux du droit des réfugiés selon la Convention de Genève de 1951 et la destruction progressive du droit d’asile – le « déni d’asile » -, le demandeur d’asile étant

115 Voir la carte des camps d’étrangers en Europe et dans les pays méditerranéens, établie par O. Clochard :

www.migreurop.org/IMG/pdf/carte-fr07.pdf .

116 Cf. les sites du réseau Migreurop (www.migreurop.org), de la Cimade pour la France, du Gisti, etc. Pour

Sangatte, près de Calais, en France face à l’Angleterre, la situation est particulière puisque le démantèlement du centre n’a pas permis la fin des passages – la présence du centre ayant été interprétée par les autorités françaises comme un lieu d’appel aux migrants - , mais a représenté une dégradation des conditions d’attente et de vie des migrants : voir le rapport de la Coordination Française pour le Droit d’Asile (2008), La loi des “jungles”. La

situation des exilés sur le littoral de la Manche et de la Mer du Nord, 185 p,

www.cimade.org/assets/0000/0981/loi_des_jungles1209.pdf . Voir aussi A. Morice (2003), “Calais :

stationnement interdit”, in Vacarme n°23, printemps, 3 p, www.vacarme.org/article396.html , J. Lichfield et B. Russell “Guantanamo en Calaisis” (Courrier international, 25/03/2009,

de plus en plus considéré comme un faux-réfugié (Valluy, 2005 ; Rodier, Teule, 2005 ; Morice, Rodier, 2005). Valluy (2005, 2009) a mis en exergue « le grand retournement du

droit de l’asile » qui correspond à « cette transformation des cultures politiques européennes » opérée à partir de la fin des années 1970 par les appareils technocratiques

nationaux des pays européens et les instances de l’Union, de concert avec le Haut Commissariat aux Réfugiés (H.C.R.)117. Le « droit d’asile dérogatoire », octroyé à la discrétion des Etats et du respect de leurs frontières, l’a emporté sur le « droit d’asile

axiologique » qui se réfère à la liberté de circulation et qui est plus favorable aux intérêts des

réfugiés. La construction de l’étranger comme menace doit être perçue au sein d’un mouvement d’ensemble des pays riches européens où la xénophobie est une idéologie politique de plus en plus présente.

4) Extension du territoire européen

La « construction européenne » a constamment repoussé les frontières du Traité de Rome : vers le sud, le nord (Scandinavie) et l’est (les pays européens anciennement du bloc soviétique). À la séparation physique du Mur de Berlin de l’époque de la Guerre Froide, a succédé un mur juridique dressé par l’Union Européenne. Avec l’intégration de la Grèce en 1981, des pays ibériques en 1990, de Malte et de Chypre en 2004, la frontière maritime de l’Union europénne n’a cessé d’être repoussée sur son flan méridional. Ce processus s’est aussi déroulé sur mer, avec une territorialisation maritime, une délimitation spatiale des pouvoirs de souveraineté des pays de la rive sud (Clochard, 2003). De par les difficultés de traversée – les médias italiens rappellent régulièrement les nombreuses noyades – la frontière sud de l’Europe étant devenue une frontière de la mort118.

De plus, le règlement “Dublin II” a augmenté la charge des pays européens méditerranéens en matière de gestion des flux de migrants, et donc de surveillance, de rétention et de tri. Ce règlement européen de 2003 implique en effet la réadmission sur le sol du pays d’entrée des migrants entrés illégalement et s’étant rendus dans tout autre pays de l’UE, ce pays étant rendu “responsable” de la demande d’asile. En plus des flux d’entrée, ces pays de la “première ligne” doivent donc se charger des refoulements en provenance des autres pays européens. A défaut d’ « harmonisation » et de partage du fardeau, ce genre de règlement explique en partie le surpeuplement des camps se trouvant dans des pays comme l’Italie ou Malte (Rodier, Teule, 2005). Il s’inscrit également dans un contexte de pression politique des instances de l’U.E. et des pays de réception vis-à-vis des pays d’entrée, pression qui engendre et entretient la politique répressive des pays du Sud européen à l’égard des migrants et des demandeurs d’asile (Vassallo Paleologo, 2008).

117 Sur la chronologie de la mise en place européenne des camps, voir Valluy (2005 ; 2009, pp 277-321). 118 Cf la cartographie des morts aux frontières de l’Europe de Clochard et Rekacewicz (2006) sur le site du

Afin de lutter contre des flux migratoires incontrôlables, les autorités nationales et de l’U.E. ont institué différents systèmes de surveillance-relégation territorialisés de ces populations indésirables. Du plus proche au plus lointain, on a ainsi :

- les camps, “centres de rétention” et toute leur gamme rhétorique et fonctionnelle ; - les « zones d’attente », « zones internationales », etc., qui sont des espaces extra- territoriaux à l’intérieur même des frontières souveraines : ports, aéroports, gares internationales ;

- au contact des pays étrangers frontaliers, des territoires sont considérés comme des “marches”, dans leur sens historique, c’est-à-dire des « provinces frontalières

particulièrement exposées en temps de guerre »119 : c’est par exemple le cas de Lampedusa pour l’Italie, de Ceuta et Melilla pour l’Espagne, mais aussi de Malte et de Chypre ;

- l’avant-dernier front est constitué par les centres délocalisés dans les pays étrangers de transit des flux migratoires, c’est-à-dire les pays du Maghreb : ce sont des pays-tampon ;

- le dernier front va plus loin : il est représenté par les accords bilatéraux entre pays membres de l’U.E. et pays lointains, en particulier les pays de l’Afrique tropicale, sub- saharienne et équatoriale : vu l’échec des barrières et des dissuasions de proximité, les gouvernements de l’UE entendent les porter dans le pays-source de la migration120.

5) Externaliser, contrôler, sélectionner

Vu du continent européen, cet éloignement de la barrière des entrées s’est ainsi traduit par l’éloignement de la frontière en tant que limite de la souveraineté territoriale, l’extension de l’U.E. ayant dépassé son propre continent. Vu du continent africain, il s’agit d’un cocktail d’inclusion dans le système européen, notamment par les contreparties économiques et financières obtenues, de perte de souveraineté, et de force de marchandage (cas de la Libye de Khadafi pour lesquels le transit en direction de l’U.E. représente une “arme migratoire”) ; d’une certaine façon, ces pays font désormais partie intégrante de la frontière de l’U.E.. Depuis 2004, l’U.E. a ainsi mis en place une externalisation des politiques d’asile et d’immigration : la gestion des flux sur le pourtour du continent européen est sous-traitée à des pays-tampons limitrophes qui sont chargés d’interrompre le voyage des migrants et de trier ces derniers par ce que l’UE appelle des « guichets ». Dans ce cadre, les autorités italiennes n’hésitent pas à refouler vers la Libye les migrants interceptés en pleine mer121. L’absence de caractère démocratique et de respect des droits humains de ces pays importe peu. Un système

119

AA.VV. (1983b), Trésors de la langue française, CNRS, Paris

120 Caloz-Tschopp (2004) rappelle que les premiers accords bilatéraux d’expulsion de réfugiés ont concerné le

continent européen, lors du conflit en ex-Yougoslavie : en 1997, la Suisse signe un accord pour expulser des Kosovars ; d’autres accords de ce type suivront, à l’encontre de Bosniaques, de Kosovars, de Roms, à l’initiative d’autres pays ouest-européens.

121 Cf FortressEurope “Libia : esternalizzare le frontiere per esternalizzare l’asilo ?” (18/05/2009,

http://www.parismatch.com/Actu-Match/Monde/Actu/Le-drame-des-clandestins-95711/ ) ; C. Gubbini “Frattini : « Intesa tra Libia e Unhcr ». E l’Ue è d’accordo” (Il manifesto, 27/05/2009), M. Bartocci “E Maroni esulta : « L’Europa si adegui ai rimpatri in mare »” (il manifesto, 08/05/2009).

d’externalisation similaire existe sur le flanc oriental de l’Union, avec l’implantation de camps en Ukraine. Des dispositifs similaires existent dans le monde afin de tenter de limiter les flux migratoires vers les pays riches (Rodier, 2003). Des propositions “originales” circulent parfois, comme les îles-prisons (p. ex. l’île Ste Hélène en plein Océan Atlantique), ou les pontons, bâteaux-prisons du XVIIIè siècle122.

Les pays de l’Union européenne ont ainsi organisé une délocalisation territoriale accompagnée d’une externalisation juridique, lui permettant de se défausser des contradictions dans lesquelles elle s’était emmêlée quant au respect de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 et à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. En quelque sorte, le droit construit du non-droit, les inégalités politiques internationales représentant une aubaine géographique pour les pays riches européens. L’espace est ainsi interrogé par la question du comportement des pays d’accueil vis-à-vis de leurs hôtes. Les étrangers sont en effet l’objet de l’institutionnalisation d’un infra-droit au sein des frontières européennes, situation produite en tant que droit dérogatoire au droit commun, permanence du droit d’exception dont les origines remontent à des périodes de guerre ou à un passé colonial (Le Cour Grandmaison, Lhuillier, Valluy, 2007).

Les politiques nationales, comme celle de l’U.E., conditionnent de plus en plus la question de l’entrée et du séjour au contrat de travail. Les préceptes libéraux de l’Organisation Mondiale du Commerce (O.M.C.), avec le “mode 4” de l’Accord Général sur le Commerce des Services (A.G.C.S.) qui lie la circulation intra-européenne des travailleurs et la mise en concurrence des systèmes de protection sociale, ont été repris par feu la directive Bolkestein et la Cour de Justice européenne (Math, Spire, 2004b). Privilégier l’immigration la plus flexible, la sélectionner en fonction de son pedigree, et subordonner l’entrée et le séjour à l’exercice d’un emploi, sont les trois orientations principales qui guident la Commission européenne à l’égard de l’emploi des étrangers (Math, Rodier, 2003). Déjà, le principe du “travailleur détaché”, où celui-ci est envoyé pour quelques mois afin d’effectuer son job, permet le dumping social entre les différents systèmes sociaux européens (Math, Spire, 2004a). L’accès aux droits sociaux des immigrés est en train d’évoluer dans le sens de la fermeture. Cet accès diffère selon les pays, mais, quand le principe universaliste du Welfare qui exclut toute discrimination pour l’accès aux droits fondamentaux a été à des degrés divers respecté, notamment en Italie et en France, la xénophobie d’Etat et les politiques néolibérales le remettent en cause. De plus en plus d’accès aux droits sont soumis à des restrictions administratives en lien avec le permis de séjour en soumettant ce dernier à la détention d’un contrat de travail.

122 Proposition de la première adjointe au maire [vice sindacata], appartenant à la Ligue lombarde (sic !), de

6) Gérer les contradictions

Une des contradictions flagrantes relatives aux politiques migratoires en Europe concerne la politique de l’emploi. Faut-il fermer les frontières de peur de l’invasion ou bien les ouvrir pour répondre aux besoins de main-d’œuvre ? Car il existe une contradiction : l’Europe est confrontée à une crise démographique (baisse du taux de fécondité, allongement de la durée de vie) qui fait baisser la part des personnes en âge de travailler et donc des actifs, et fait craindre une pénurie de main-d’œuvre. L’immigration serait donc une solution pour faire face au déficit démographique et aux besoins du marché du travail. Des projections ont été réalisées, s’appuyant sur un recours plus massif à l’immigration ; elles soulignent toutefois l’illusion de cette solution (Tapinos, 2000).

Les politiques nationales et de la Commission européenne étudient de plus en plus la mise en place d’une immigration temporaire qui contribuerait à réduire les pénuries déclarées de main-d’œuvre dans les secteurs d’activité déficitaires. Des dispositifs ont déjà été mis en place (comme en Allemagne) pour attirer des travailleurs étrangers hautement qualifiés, notamment dans le secteur des hautes technologies, mais ils n’ont pas enregistré les résultats escomptés. C’est à ce titre qu’avec le Pacte Européen sur l’Immigration, les pays de l’U.E. ont mis en place en 2008 une procédure de “carte bleue”, sur le modèle de la green card des Etats-Unis, pour les migrants hautement qualifiés. Cette « immigration choisie », selon la formule française, répond d’une part à la préoccupation de la pénurie déclarée de main- d’œuvre dans certains secteurs d’activité, et d’autre part à l’hostilité politique envers le regroupement familial – perçue comme l’ « immigration subie » - à propos duquel les révoltes dans les quartiers populaires ont été interprétées comme un échec de l’intégration des jeunes générations d’immigrés. En outre, cela représente un tournant dans les politiques migratoires, non que la sélection des immigrés sur des critères professionnels soit une nouveauté – cette tradition remonte déjà au XIXè siècle -, mais parce qu’elle signifie le retour de l’organisation de la migration par les Etats nationaux en tant que réservoir de main-d’œuvre disponible pour le marché du travail (Spire, 2007 ; Brun, 2008). Après coup, l’acceptation de l’immigration familiale et de l’accueil des réfugiés apparaissent comme une parenthèse historique qui est en train de se refermer.

Les politiques de l’immigration ont toujours louvoyé entre prérogatives nationales et politique commune européenne (Math, Rodier, 2003), d’autant plus que les pays ont de fait des politiques migratoires différentes selon leur position économique, leur situation géographique, leurs besoins de main-d’œuvre, leur histoire migratoire, entre chocs ponctuels (Allemagne), stabilisation (France) ou forte immigration récente (Europe du Sud). Les pays du Centre européen attirent la main-d’œuvre qualifiée (industrie, services de haute technologie) des pays de la Périphérie dont la structure des activités n’autorise pas cette sélection (Bailly, Mouhoud, Oudinet, 2003 ; Mouhoud, Oudinet, 2007 ; Fayolle, 2003). Les stratégies de mobilité des immigrants prennent en compte ce dualisme : les pays de la Périphérie européenne – comme l’Italie - sont des pays de passage, quitte à accepter une situation transitoire difficile avant de gagner un pays du Centre.

L’immigration interpelle aussi la question des identités et des rapports à la nation. Quel