• Aucun résultat trouvé

Les classes sociales 1) Les classes dominantes

DE LA DIVISION SOCIALE DE L’ESPACE

Chapitre 1 : De l’importance des classes sociales

IV) Les classes sociales 1) Les classes dominantes

« Connaissez-vous la différence entre un ouvrier et un patron ?

L’ouvrier sait comment il travaille. Le patron sait pourquoi il travaille. »

Coluche

Dans un cadre théorique marxiste, les classes sociales sont définies par leur position au sein du rapport d’exploitation, c’est-à-dire du partage du fruit du travail. Dans les formations sociales issues du mode de production capitaliste, la classe dominante est celle qui a la capacité d’extorquer une plus-value à partir du sur-travail créé par les travailleurs- producteurs41. Les appellations pour nommer la classe dominante sont nombreuses : classe(s) capitaliste(s), classe(s) possédante(s), bourgeoisie, haute ou grande bourgeoisie, noblesse, aristocratie, élite(s), “haute société”, “grandes familles”, etc., suivant que l’on insiste sur le rapport de production, le poids historique et politique, les ressources idéologiques, culturelles, symboliques42. Par définition, la classe dominante est numériquement très restreinte, même si l’on peut imaginer un emboîtement de cercles concentriques en fonction de la distance des groupes ou catégories la composant par rapport aux ressources détenues. Soulignons que les nomenclatures statistiques proposent peu de solution sur l’évaluation de leur patrimoine (Bihr, Pfefferkorn, 1999). La mesure par les revenus place la classe dominante dans les 10 %, 5 % ou 1 % du revenu médian d’une population nationale, même si le souci sociologique permet d’y ajouter d’autres critères43.

Historiquement, le bourgeois est le représentant des métiers et corporations, l’artisan ou commerçant urbain, émancipé des tutelles féodales et économiquement indépendant. Classe révolutionnaire selon Marx car bouleversant le vieux monde féodal, remplaçant ou se fondant dans l’aristocratie jusqu’à la mimer, la bourgeoisie a, avec l’avènement du capitalisme industriel et financier, représenté le symbole de la classe dominante. La base économique de

41 La vulgate marxiste insisterait sur la propriété des moyens de production. Nous pensons que ce n’est pas ce

qui fonde le rapport d’exploitation dans la pensée de Marx. L’avènement du capitalisme financier et du cadrisme montre que la question de la propriété se dilue au bénéfice du contrôle du rapport de production, sa capacité étant aussi plus large que celle de la propriété des moyens de production.

42 « J’appelle bourgeois de chez nous un Français qui ne doit pas ses ressources au travail de ses mains ; dont

les revenus, quelle qu’en soit l’origine, comme la très variable ampleur, lui permettent une aisance de moyens et lui procurent une sécurité, dans ce niveau, très supérieure aux hasardeuses possibilités du salaire ouvrier ; dont l’instruction, tantôt reçue dès l’enfance, si la famille est d’établissement ancien, tantôt acquise, au cours d’une ascension sociale exceptionnelle, dépasse par sa richesse, sa tonalité ou ses prétentions, la norme de culture commune ; qui enfin se sent ou se croit appartenir à une classe vouée à tenir dans la nation un rôle directeur, et par mille détails, du costume, de la langue, de la bienséance, marque, plus ou moins instinctivement, son attachement à cette originalité du groupe et à ce prestige collectif » (M. Bloch, éd. 1990, L’étrange défaite

(1946), Gallimard, Paris, pp 194-195)

43 « Les grandes familles fortunées de la noblesse et de la bourgeoisie ancienne ne rentrent pas dans les

catégories usuelles de classement du monde ordinaire, telles que définies par l’Insee. Les professions et catégories socio-professionnelles ne sont guère pertinentes pour la grande bourgeoisie. Etre cadre supérieur ne dit rien sur l’appartenance ou non à ce groupe social. D’autres critères entrent en jeu, dont les liens familiaux et les réseaux amicaux et professionnels. L’opposition entre la noblesse et la bourgeoisie, ces catégories héritées de l’histoire nationale, est en grande partie obsolète. Aujourd’hui, ces deux groupes se sont fondus dans ce que l’on peut appeler une aristocratie de l’argent » (Pinçon, Pinçon-Charlot, 2007, p 276).

sa domination est centrale ; sa richesse multiforme s’appuie aussi sur un « capital social », un « capital symbolique » – comme disent les Bourdieusiens – qui assurent l’entretien et la reproduction de ses privilèges, de sa domination, de son identité44. Dans une stratégie multiforme d’“embourgeoisement”, le but social final du bourgeois est d’intégrer l’aristocratie, la classe du capital ayant elle-même comme idéal la classe de la rente45, comme le montre la financiarisation actuelle.

En tant que figure emblématique, le capitaliste est le « représentant, comme support

conscient du mouvement [du capital] »46, le « capital personnifié, doué de conscience et de

volonté »47 dont la dimension est forcément sociale, dans le processus de socialisation de sa position et de son pouvoir48. La forme sociale du capitaliste, donc du bourgeois, peut varier selon les formations sociales, et même cohabiter avec des formes antérieures plus archaïques (Windolf, 1999). Ses attributs de pouvoir peuvent changer de forme – « propriété réelle », « possession » ou « détention » (Gouverneur, 1994, p 251) – élargissant et complexifiant la réalité de la classe possédante. Son but, au sein de la lutte des classes, consiste à reproduire et perpétuer l’exploitation et sa domination. Quand cela lui sert, elle s’organise dans l’Etat pour garantir les conditions de sa position dominante49.

La bourgeoisie est ainsi constituée en fractions de classes dont les intérêts peuvent se révéler contradictoires en fonction des conditions historiques, et dont les rapports de domination évoluent et donnent le caractère dominant du mode de production. Le mode de production capitaliste commercial a ainsi représenté la domination de la bourgeoisie commerciale, puis ce fut le tour du capitalisme industriel avec la bourgeoisie industrielle, et enfin le capitalisme financier avec la bourgeoisie financière. Sachant que la domination d’une forme de capitalisme ne signifie pas la disparition des autres, mais leur subordination voire leur collaboration. Cette évolution des rapports de domination entre fractions de la bourgeoisie traduit l’évolution de la rentabilité du type de profit : profit commercial, profit industriel, profits financiers (actions, intérêts et toutes les formes de rente financière

44

« Il est vrai que l’enjeu est de taille puisqu’il s’agit de passer de la domination économique à la domination

symbolique, c’est-à-dire d’une domination matériellement fondée à une domination ancrée aussi dans les représentations et les mentalités et pour cela beaucoup plus solidement assise. Cette métamorphose des rapports de domination est essentielle à leur reproduction puisqu’il s’agit d’aboutir à l’intériorisation par les dominés des excellentes raisons qui font des dominants ce qu’ils sont. Les dominés participent alors eux-mêmes à leur domination en reconnaissant celle-ci comme bien fondée » (Pinçon et Pinçon-Charlot, 2000, p 47).

45 La rente est « un revenu qui provient du contrôle d’une réalité concrète spatio-temporelle qui ne peut

d’aucune façon être décrite comme la création du propriétaire ou le résultat de son travail personnel (même de son travail en tant qu’entrepreneur). […] La rente est un mécanisme pour accroître le taux de profit au-delà de celui que l’on aurait obtenu dans un marché vraiment concurrentiel » (Wallerstein, in Balibar et Wallerstein,

1988, pp 199 et 200).

46 Marx (1867, 1969), Le Capital, L1, t1, chap IV, p 156 47

Ibidem, p 157.

48 « Etre capitaliste, c’est occuper non seulement une position purement personnelle, mais encore une position

sociale dans la production. Le capital est un produit collectif :il ne peut être mis en mouvement que par l’activité en commun de beaucoup d’individus, et même, en dernière analyse, que par l’activité en commun de tous les individus, de toute la société.

Le capital n’est donc pas une puissance personnelle ; c’est une puissance sociale » (Marx, Engels, Manifeste du parti communiste, Editions Sociales, p 42)

49 Cf Marx, Engels (1848, 1954), Manifeste du parti communiste, Editions Sociales, les pages 29 à 35 sur la

développées par la financiarisation de l’économie). C’est ainsi la succession des fractions de classes dominantes exerçant le plus directement le pouvoir, qui détermine la périodisation du capitalisme.

Dans le procès global de reproduction du capital, la classe dominante regroupe « l’ensemble des agents personnifiant le capital dans ses fonctions de direction et de

commandement non seulement de l’acte social de travail mais plus largement de l’ensemble de la pratique sociale […]. La classe dominante déborde donc les seuls propriétaires immédiats des moyens sociaux de production permettant l’exploitation du travail salarié, que désigne traditionnellement le terme de bourgeoisie » (Bihr, 1989, note 14 p 177). Ainsi,

l’évolution sociale des classes dominantes durant le XXè siècle s’est traduite par un élargissement, un recrutement, en direction des catégories spécialisées dans l’organisation et l’encadrement. La domination de cette « classe du capital » s’exerce grâce à la mobilisation d’appareils de domination qui assurent une idéologie qui lui corresponde, l’enjeu étant la reproduction des conditions de cette domination50. Loin d’une hégémonie statique, les formes de cette domination idéologique peuvent être mouvantes, évolutives, voire conflictuelles, s’adaptant à la succession des fractions dominantes, mais présentant son idéologie comme au service d’intérêts universels trans-classistes pour assurer son hégémonie.

Les sociologues Pinçon et Pinçon-Charlot (2000, 2004a, 2004b, 2005) ont particulièrement étudié la grande bourgeoisie française, fraction de classe particulièrement négligée de la part de la recherche universitaire malgré son rôle stratégique dans la ségrégation sociale. Leurs analyses peuvent sans doute à bien des égards se rapprocher de la situation de la bourgeoisie italienne ou des autres pays d’Europe. Nous retiendrons de ce groupe composite mais très hiérarchiquement situé, qu’il constitue à la fois une classe “en soi et pour soi”, voire même la seule “classe pour soi” qu’il reste : « aujourd’hui, la grande

bourgeoisie est la réalisation la plus achevée de la notion de classe sociale » (2007, p 61).

Elle s’appuie sur un entre-soi couplé d’un ostracisme de classe systématique, une stratégie d’entretien et de reproduction des privilèges sociaux sous les formes les plus variées. La grande bourgeoisie étudiée par Pinçon et Pinçon-Charlot se caractérise avant tout par le cumul des « capitaux » : patrimonial, économique, social, culturel, symbolique. Entre-soi, héritage, patrimoine, famille, réseaux et jeux de sociabilité (« capital social »), sont les leitmotive qui reviennent dans la sociologie de ce groupe. Combinant un « individualisme positif »51 intra- classe - donc un collectivisme pratique, sélectivement inclusif - et un individualisme exclusif vis-à-vis de l’extérieur, il s’agit d’une « classe mobilisée » pour laquelle, « forte de sa

position dominante, il lui est superflu de faire la théorie de cette position et elle peut même s’offrir un luxe de plus, celui de dénier l’existence de classes antagonistes » (2000, p 102).

L’entretien des rapports sociaux de domination s’appuie sur l’occultation de sa nature de classe vis-à-vis de l’extérieur et sur le masque idéologique du libéralisme propageant hors de ses frontières sociales le dogme de la concurrence économique et inter-individuelle.

50 cf Marx, Engels (1946 – 1976), L’idéologie allemande, p 44.

51 Pour les différents types d’individualisme au sein des classes sociales, cf. Pinçon et Pinçon-Charlot, 2000,

2) Les classes dominées

Les travailleurs sont nommés : travailleurs-producteurs, producteurs directs, travailleurs parcellaires, salariat, ouvriers, classe ouvrière, prolétariat, employés, classes populaires. Cette autre classe sociale fondamentale correspond à l’ensemble de population qui est dominé dans le rapport social capitaliste et dont la part de travail est extorquée par la classe dominante, la classe capitaliste ou bourgeoise. Dans les formations sociales au mode de production capitaliste, ce sont les producteurs qui créent la richesse mais à qui est extorquée la sur-valeur, qui sont obligés de vendre leur force de travail contre un salaire ne représentant pas leur travail effectué, qui sont dans une position subalterne et de soumission aux conditions imposées par les agents du contrôle et de la propriété. En réalité, nous regroupons dans cette classe sociale : les ouvriers par définition, vue l’histoire industrielle du capitalisme, et les employés et fonctionnaires subalternes que nous pouvons considérer avec Andréani et Feray (1993, p 241) comme « catégories non-ouvrières du prolétariat ».

C’est la “classe ouvrière” qui a constitué depuis le XIXè siècle, dans les actes comme dans les mythes, l’ensemble des travailleurs constitué en “travailleur collectif” quand était atteint un degré de conscience de classe suffisamment organisée pour opérer des conquêtes sociales (Azémar, 1992). L’amélioration générale des conditions de vie, l’augmentation des revenus, la tertiarisation au sein même de l’industrie52, l’accès à la propriété dans la sphère de reproduction et à la consommation de masse, la scolarisation de masse, la baisse des conflits sociaux et de la conscience collective, - en somme une intégration sociale dans le mode de vie des “Trente Glorieuses” par le biais du compromis keynésien - ont pu faire penser à ceux qui s’en tenaient aux apparences que la lutte des classes était un concept dépassé et qu’était advenu le temps de la fin des classes sociales. Certes, sous l’effet de la désindustrialisation de l’économie, les effectifs ouvriers baissent, mais ils existent toujours de manière importante même dans les sociétés qualifiées rapidement de “post-industrielles”. L’évolution de l’emploi des pays capitalistes développés montre toujours une croissance du salariat, avec des phénomènes nouveaux - comme la féminisation de la population active en relation avec l’essor de la catégorie des employés53, le travail à la chaîne dans les services, le travail à temps partiel (part-time), les contrats de travail fragmentaires – qui sont la preuve d’une extension de la prolétarisation en dehors de la classe ouvrière, en même temps qu’une re- prolétarisation de celle-ci dans la dynamique de vulnérabilisation et d’individualisation des conditions de travail dont les conséquences ne sont pas étrangères à la crise de l’identité ouvrière (Pinçon, 1987 ; S. Beaud et M. Pialoux, 1999, 2003 ; Azémar, 1992 ; Molinari in Bouffartigue, 2004 ; Alonzo, in Bouffartigue, 2004). En outre, ouvriers et employés partagent de nombreuses proximités en terme de revenus, de conditions de vie, de logement, d’accès à

52 « L’extension du tertiaire ne s’effectue pas forcément aux dépens de l’industrialisation, comme si ces deux

univers entretenaient des rapports de substitution à somme nulle. Au contraire, il existe aujourd’hui un double mouvement de tertiarisation de la production industrielle et d’industrialisation des services » (Vakaloulis, 2001,

p 134).

53 Cf Alonzo, “Les employés : “un archipel à la dérive” ”, in Bouffartigue (dir)(2004), pp 93-109 : l’originalité

de cet auteur est qu’il insiste sur la catégorie des employés en tant que catégorie de sexe (« un attribut implicite :

l’éducation, de mariage, etc. . Comme nous l’avons déjà dit, la fin de la classe pour soi ne signifie pas celle de la classe en soi. L’erreur serait donc de limiter le concept de prolétariat à son visage traditionnel, trait par lequel il a été le plus dessiné, c’est-à-dire de s’en tenir à l’ouvrier de la société industrielle, le “col bleu”. Si la nature de la classe ouvrière a pu évoluer jusqu’à entraîner sa fragmentation sociologique, la condition qui la caractérise au sein des rapports de production s’est étendue à d’autres catégories sociales, à de nouvelles formes d’exploitation touchant de nouvelles populations, voire de « nouveaux valets »54, ces mutations ne remettant pas en cause les rapports de production fondamentaux55 : s’il y a désouvriérisation, elle a lieu sans déprolétarisation (Amossé, Chardon, 2006).

Les prolétaires, dans le sens donné au XIXè siècle, sont ceux qui n’ont d’autre choix que de vendre leur force de travail pour assurer leur subsistance56. Dans son tableau décapant sur La situation de la classe laborieuse en Angleterre, Engels décrit les conditions de travail, de vie, de famille, de logement, de santé, etc – bref, un tableau de l’exploitation, de la domination et de l’aliénation - que leur confère leur position au sein des rapports de production d’une formation sociale du XIXè siècle européen capitalistiquement en avance pour l’époque. Avec le développement des services à la fin du XXè siècle, on peut étendre le vieux terme de prolétariat au-delà de la “classe ouvrière”, au “prolétariat des services”, au “prolétariat tertiaire”, dans le contexte néolibéral de détérioration des conditions de travail, de salaire et de statut. La prolétarisation des salariés du secteur des services se caractérise par l’apparition d’emplois précaires, peu rémunérés, surtout dans les services traditionnels de la restauration et du nettoyage (Macjobs), et dans les services à la personne, instituant un néo- salariat domestique.

Les sous-prolétaires apparaissent sous l’expression “lumpenproletariat” sous la plume de Marx et d’Engels. Se situant par définition en dessous de l’étage du prolétariat, le sous- prolétariat regroupe en principe des gens n’ayant même pas la possibilité de vendre leur force de travail, donc d’accéder au salariat, se trouvant dans des conditions économiques donc d’existence très difficiles : mendiants, indigents, vagabonds, handicapés. Dans la vision essentiellement politique de Marx qui a des mots très durs à leur égard, « c’est l’inclassable,

l’inorganisable et l’imprévisible » (Labica, in Bensussan, Labica, 1982, p 672). En ce sens,

c’est plus une catégorie politique qu’économique, un bric-à-brac57. Dans cette acception, le sous-prolétariat est totalement étranger à la notion de “classe pour soi”, car il sort du cadre de la rationalité politique et peut, si l’occasion se présente, se ranger du côté de ceux qui sont à

54 Gorz A. (1990), “Pourquoi la société libérale a-t-elle besoin de nouveaux valets”, in Le Monde diplomatique,

juin

55 A titre d’illustration, dans le film-documentaire de Marcel Trillat Les Prolos (2004), on passe des ouvriers

d’usine et de leur éviction des unités de production, à la nouvelle figure du prolétaire : un travailleur immigré venu d’Afrique, multipliant les petits boulots de service, aux horaires distendus, dans la plus grande précarité de travail et de vie familiale.

56 cf Marx, Engels, Manifeste du parti communiste, p 35-36 ; Engels, La situation…, op.cit., pp 162-163. 57

l’opposé de ses intérêts de classes : il n’en a pas conscience, c’est en quelque sorte un prolétariat qui se nie lui-même58.

Si nous sortons de la véhémence littéraire de Marx et revenons à l’époque contemporaine, nous pouvons situer le sous-prolétariat selon des critères économiques qui les placent tout en bas de la division sociale. Exclus des rapports économiques immédiats (statut salarial, revenus), n’étant plus des producteurs de valeur à l’instar des “exploités”, nous estimons qu’ils font quand même partie des rapports de production si nous nous plaçons dans le rapport global du système capitalisme : ce sont les “exclus”, l’ “underclass”, le “quart- monde”59, les “inutiles au monde”. C’est donc aussi un produit du capital, d’autant plus que la facilité de la chute montre la porosité des divisions de classes ainsi que la proximité sociale des catégories d’employés et d’ouvriers avec le sous-prolétariat. A bien des égards, on retrouve dans la littérature la réalité de cette chute sociale ou de la vie des bas-fonds, que ce soit chez Arthur London (Le peuple d’en bas, Les condamnés à vivre), George Orwell (Dans

la dèche à Paris et à Londres), John Steinbeck (Les raisins de la colère) ou Jean-Claude Izzo

(Le soleil des mourants), sans parler d’Emile Zola. Dépassant la description naturaliste, la condition des pauvres s’inscrit bien dans un système social, qui dans l’ordre économique et moral victorien, qui poussés par la crise économique, qui chez les vagabonds ou SDF, etc.

Les fluctuations de populations en situation de travail représentent une caractéristique permanente de l’économie capitaliste. Celle-ci se caractérise par des fluctuations de la production qui font alterner périodes d’embauche et de chômage en fonction des mouvements de l’activité. Aux périodes fastes, de “plein emploi”, succèdent les périodes creuses, de chômage, d’inactivité, qui révèlent au prolétariat à la fois sa fonction de valeur d’ajustement et sa vulnérabilité.

« Surpopulation relative », « armée industrielle de réserve », « surnuméraires », « population superflue », « excédentaires », caractérisent ce prolétariat qui « fournit […] la

matière humaine toujours exploitable et toujours disponible »60 selon les besoins de la création de valeur. Marx définit la « surpopulation relative » par son éviction du travail comme conséquence de l’accroissement du capital61. Dans ce sens, les chômeurs correspondent à la surpopulation relative à propos de laquelle le capital, temporairement mais