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Une question pour commencer

CHAPITRE 2. POSTURE ET CHOIX MÉTHODOLOGIQUES

2.2 Une question pour commencer

Pour Quivy et Campendhout, le présupposé à toute initiative de recherche tient dans le fait de construire son « camp de base » (2006, p.25). Puisse celui-ci être provisoire, encore incertain,

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peu élaboré, il s’agit avant toute ascension de parvenir à formuler une question de départ, qui permette de dresser les premiers contours à une exploration plus fine qui va s’élaborer au cours du temps. Celle-ci s’est prioritairement formulée de la sorte : Que signifie l’accueil pour les professionnel-le-s travaillant dans des institutions bas-seuil ?

Plusieurs orientations épistémologiques s’offraient alors à moi pour tenter de répondre à cet initial questionnement.

Nombreux manuels méthodologiques offrent une lecture qui décrit la démarche de recherche dans une perspective linéaire (Quivy & Campenhoudt, 2006, Beaud & Weber, 2010), ce qui facilite son appropriation et autorise une temporaire mise en ordre préalable à tout processus de quête. Celle-ci permet certes, d’apaiser les angoisses susceptibles d’apparaître devant l’envergure d’un sujet encore peu délimité, mais masque sans doute aussi toutes les variations accolées au cheminement de recherche - les boucles, retours, imbrications, superpositions, spirales, remodelages. Ainsi, si une temporalité plutôt étendue, peu horizontale et relativement chaotique, me semble nécessaire à l’appropriation de sens, la méthodologie choisie pour ce travail entre dans une certaine cohérence avec ce présupposé.

Les sciences sociales émergentes ont tenté d’accéder à une forme de légitimité par les méthodes d’une science positive qui s’avère appartenir à l’élément le plus haut de l’échelle hiérarchique des trois états décrits par Comte (ainsi le positivisme supérieur aux aspects théologiques et métaphysiques), l’objectif reste « fondamentalement pratique. Il s’agit de réorganiser la société, de la faire sortir de l’état de crise où elle se trouve ». (Berthelot, 1991, p.24). L’intérêt de Comte pour les sciences sociales s’apparente à cette sociologie qu’il souhaitait nommer « physique sociale » et qui dès lors devrait surtout expliquer les phénomènes sociaux, tentant d’en dégager des lois générales, de « s’en tenir exclusivement aux faits constatés et aux régularités observées » (Berthelot. 1991, p.27) telles qu’on le fait pour les sciences naturelles.

Si une querelle reste toujours à l’œuvre entre deux manières différentes d’appréhender la réalité, elle s’illustre certainement dans le fait que cette opposition tient « à des positions axiomatiques différentes concernant la nature de la réalité, la relation entre le sujet connaissant et l’objet à connaître, la définition de la causalité et le rôle des valeurs. Ce dualisme renverrait à des manières différentes de penser le social, la vérité et la connaissance » (Groulx, 1999, p.317). L’objet de ce travail n’est pas de retracer l’histoire ni de recontextualiser les différentes perspectives épistémologiques ou les débats qu’elles suscitent, mais néanmoins d’affirmer un positionnement qui accorde à la subjectivité du chercheur un espace de légitimité, qui conçoit la démarche de recherche comme l’action de « se frotter en chair et en os à la réalité qu’il étudie » (De Sardan, 1995) (Groulx 1999, p.320). Si certains

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auteurs pensent que s’opère un « rapport d’exclusion et de hiérarchisation entre la

« ‘connaissance scientifique’ dite objective et la ‘croyance’ populaire, le sens commun censés être imprégnés de subjectivité » (Lavigne, 2007, p.24) et qu’ainsi une dichotomie apparaît, celle du « pur et de l’impur » (ibid.), le caractère subjectif étant relégué aux scories car potentiellement « souillure » (ibid) de la « rationalité explicative » (ibid.), j’ai pour ma part privilégié une démarche qui considère le travail d’analyse en « continuité avec le sens commun [où] le chercheur ne fait que rendre plus explicites et systématiques les opérations du raisonnement ordinaire » (Groulx, 1999, p.320). Je n’ai également pas tenu à engager les différentes approches sur un système de valeurs mais ai davantage retenu l’adage de Bourdieu (1993) lorsqu’il affirme « que comprendre et expliquer ne font qu’un » (p.1400). En ce sens, engager une perspective compréhensive demande aussi à mettre en évidence certaines composantes structurelles, environnementales, contextuelles, il ne s’agit donc pas

« ‘d’opérer la projection de soi en autrui’ » (ibid.). La démarche compréhensive privilégiée pour ce travail se révèle ainsi dans le sens que la personne humaine donne à son « actorialité, c’est-à-dire comme réagissant aux événements qui la contraignent, participant à la construction de son histoire » (Schurmans, 2003, p.57).

Si j’ai fait mienne pour ce travail, la phrase citée par Laé & Murard (1998, p.85), « congédier la place et le statut de la perception durant l’enquête, là où se nouent toutes les significations, revient à supprimer dans son entier le mouvement de préhension qui capte et tisse le sens », j’ai choisi également d’assumer une part d’implication personnelle dans mon objet d’étude, y figureront ainsi des extraits d’auto-analyse censés apporter des éléments nourriciers au cheminement de la recherche.

Pour ce faire, j’ai choisi d’écrire ce texte à la première personne, non dans une perspective qui donnerait à voir le collectif de pensées rassemblé dans une seule identité - ce qui serait très présomptueux - mais dans l’idée que le ou la chercheur-se « se doit précisément d’engager sa propre personne, (…) il s’agit ici d’user de la première personne, non dans un rapport narcissique focalisé sur son « ‘moi’, mais comme une structure d’expérience sur laquelle se réverbère un phénomène donné » (Gonzalez, 2014, p.3)

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Vers une recherche engagée

Extrait de notes d’auto-analyse

Je viens d’être engagée comme assistante Hes en travail social. Voilà que mon activité principale sera de penser, comment cela engage-t-il un rapport de pouvoir par rapport à mes sujets d’étude ? Comment penser tout en restant attentive à « sa part de responsabilité quant aux résultats de ses recherches, la façon dont ils seront restitués à ceux qui en sont à la source ? » (Schurmans, 2001, p.263) (Dayer & Charmillot, 2012, p.167) Penser ne suffit pas me dis-je, l’intelligence ne peut être légitimée à mon sens que si celle-ci s’oriente non pas vers « une citoyenneté

‘individualisée ‘, réductible à la notion de ‘client’ centré sur ses intérêts et besoins privés » mais sur « une citoyenneté ‘collective’, qui part de la nécessité de construire le bien commun ensemble et de faire alliance, de coopérer pour réaliser cette finalité » (Piron. 2005, p.9), chercher oblige alors à un questionnement sur les enjeux de l’activité même.

De la même manière que le livre Piron (2000) dans son article « Responsabilité pour autrui et savoir scientifique », je suis bouleversée par ma première expérience de terrain. La chercheuse canadienne, alors à l’orée de ses premiers écrits scientifiques s’inquiète de la destinée du savoir qu’elle est amenée à construire lors de sa thèse de doctorat, à quelles fins sera-t-il utilisé, instrumentalisé peut-être, détourné de son initial désir ? La prise de conscience qu’elle révèle, à savoir une disposition humaine inscrite dans une « condition d’être de langage qui doit sans cesse travailler sa langue, son écriture, afin de trouver ‘les mots pour le dire’ dans l’espoir d’exprimer, de communiquer de la façon la plus juste possible une expérience vécue » ( p.2) et d’autre part, le devoir « d’affronter les conséquences de l’identité

« sociale » (…) [qu’elle s’était ] progressivement choisie et constituée : celle d’une scientifique, d’une chercheuse » (ibid.) rend compte de l’enjeu présent dans la tentation de restituer une compréhension d’autrui.

Cette délicate articulation et les questionnements au niveau de la responsabilité du, de la chercheur-se s’est vue amplifiée au contact du terrain. Le regard porté sur une institution et ses acteur-trice-s, ses professionnel-le-s mais aussi ses usager-ère-s, interroge quant aux retombées des savoirs. Si les chercheur-se-s ont, en quelque sorte, le privilège d’étudier des

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groupes de personnes, ils ou elles sont impliqué-e-s dans des mouvements en tiraillement : tenter de comprendre certains mécanismes sociaux, groupaux, interindividuels, déconstruire des allant de soi, mais par ailleurs, par là-même aussi, risquer de concourir à l’amplification des catégorisations, de favoriser la production d’informations qui risquent d’être réinterprétées par des systèmes moralisateur, normalisateur et qu’alors « les sciences empiriques de l’individu (…) constituent un puissant instrument de contrôle social » (Piron, 2005, p.3). Ainsi, s’atteler à décortiquer l’accueil en institution bas-seuil doit s’accompagner par la garantie que le regard porté sur l’institution autorise la remise en question des allants de soi, des potentiels systèmes de pouvoir en place, des paradoxes, sans pour autant que les pratiques ne paraissent de manière raccourcie, être dépréciées. Celles-ci sont toujours le résultat de phénomènes complexes plus globaux et ne sont donc jamais à mon sens, à lire d’un point de vue de responsabilité individuelle.

Si donc, au cours de ce travail, comme je l’ai déjà signifié, mon parcours de recherche ne se préserve pas d’une posture engagée, et s’autorise à « ne pas exclure ma voix » (Piron, 2000, p.9), il n’évince pas non plus la mise en évidence des contradictions, ambivalences, ou dimensions impensées de l’accueil en institution. Ces éclairages, je le répète, n’en reste pas moins insérés dans une lecture sociologique, c’est-à-dire dans la perspective que les actions sont socialement construites, et non imputables aux seules volontés de l’individu. Les pratiques professionnelles restent soumises à des contraintes structurelles, politiques, le regard critique ne peut donc être, comme je l’ai souvent entendu sur le terrain, affilié à une accusation.

En ce sens, ma responsabilité éthique « pour cet autre qui me parle de lui, de son histoire, de sa souffrance, de ses bonheurs » (Piron, 2000, p.9), débute en premier lieu « par l’analyse critique de notre [ma] propre pratique de recherche » (Piron, 2005, p.14), mais se doit d’offrir un angle de vue à la fois le plus large et le plus précis possible pour tenter de rendre compte d’un pan de réalité, en y relevant ses ambiguïtés et paradoxes et éventuelles violences qu’elle produit. Pourtant, comme je l’ai mentionné, le, la chercheur-se demeure au carrefour de tiraillements, la restitution des éléments d’analyse reste sujette à de nombreuses interrogations, notamment dans l’idée d’une réponse que je pourrai donner à ces

« confidences » faites lors des entretiens ou au détour des rencontres du terrain. J’ai vite compris qu’il ne s’agissait pas ici de répondre stricto sensu à mes interlocuteur-trice-s mais plutôt de répondre de mes résultats de recherche, c’est-à-dire en assumer l’énonciation, même si celle-ci peut être amenée à remettre en cause ce qui paraît légitimer certaines pratiques.

Une réponse envisagée telle un contre-don me semble impossible, elle ne s’élabore pas sur un même niveau d’échange. Le temps de l’écoute, du partage au moment de la rencontre est déjà une forme de réponse au don de l’autre. Mais dans le travail d’écriture, il m’est apparu

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davantage important d’assumer une posture qui réponde au plus près de l’analyse construite autour des matériaux empiriques, sans me sentir redevable d’une forme de loyauté, ou de dette contractée par la disponibilité offerte par mes interlocuteur-trice-s, - et dès lors la tentation d’en offrir un compte rendu adouci - c’est en cela que l’engagement me semble éthiquement légitime.

2.4 Être affectée

Face au monde, l’homme n’est jamais un œil, une oreille, une main, une bouche, un nez, mais un regard, une écoute, un toucher, une gustation ou une olfaction, c’est-à-dire une activité (Le Breton, 2007, p.48)

Extrait de mon journal de terrain (pages de gauche) janvier 2018

Premiers jours de terrain, mon écriture se fige, c’est l’immensité

d’une montagne qui se dresse sur ma page. Je pense aux personnes

que j’ai rencontrées ce matin, la plupart ce celles-ci passent à

l’heure où j’écris ces lignes, leur nuit dehors, peut-être accolées à

un petit porche, loin des regards inquisiteurs des passants de la

ville, peut-être dans le parc, juste en bas de chez moi. Si ce travail

parle d’accueil, comment accueillir tous ces clairs obscurs, cette

forme d’insondable sidération devant cet autre sans sommier ?

Sachant que je ne peux, ni que je ne veux prendre leur place,

comment ne se résoudre qu’à comprendre ? Et comment le faire

autrement que par le fait de me sentir affectée ? Comment de toute

évidence de pas l’être ? Être affectée me permet d’éprouver ce

qu’accueillir veut dire et surtout de ressentir comment prendre congé

bouleverse. L’accueil n’est-il qu’un leurre censé amoindrir ma

culpabilité ? Comment négocier cette ambiguïté d’ouverture et de

fermeture ? Mon ébranlement marque sans doute déjà les

arrangements qu’il s’agit d’opérer en tant que professionnel-le une

fois la porte fermée. Premier passage, conserver l’étonnement et

accepter la confusion.

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Au cœur du « Guide de l’enquête de terrain » de Beaud et Weber (2010), les deux premiers temps de l’enquête : « l’exploration et le quotidien » (p.118) sont décrits en termes de « peur, appréhension, excitation, confusion » (ibid.). C’est sous ces visages que s’est présentée mon immersion, un nouveau monde à percevoir, observer, expérimenter, analyser. Ont alterné alors des périodes de grande labilité, la sensation de tenir son objet puis subrepticement celui-ci se dérobe, immanquablement rattrapé par le bouleversement du lien. L’autre n’est pas réductible à une figure définitive, il s’agit « d’admettre que jamais il ne me sera transparent » (Métraux, 2013, p.186), et dès lors il faut accepter de s’inscrire dans un voyage d’interconnaissance, toujours instable, incertain, fragile, dans lequel tendre à pouvoir s’y attabler, « faire du voyage son gîte » comme le signifiait Bashô. (Journaux de voyage)

Cette épopée, dans « la tentative d’attraper la perspective du point de vue des acteurs engendre d’irrémédiables contradictions [puisque] l’enquêteur ne produit pas une description du point de vue de l’acteur, mais une description du point de vue de l’acteur du point de vue de l’observateur ». (Emerson. 2003, p. 403). Ainsi, ce chevauchement de points de vue oblige à, d’une part respecter les contours d’une « description dense » (Geertz. 2003, p. 208), c’est-à-dire à tenter d’accéder à un degré auquel le-la chercheur-se « parvient à éclairer ce qui se passe dans ces lieux, à résoudre l’énigme que représentent inévitablement des actes non familiers appréhendés dans un contexte inconnu » (Geertz, 2003, p. 219), mais aussi de tenter d’apprivoiser le terrain en pénétrant « physiquement et écologiquement dans le périmètre d’interactions propre à une situation sociale, professionnelle » (Goffman, 1989). Cette dernière perspective peut également ouvrir la voie à une autre forme de regard, ce que Rémy (Lemieux, 2018) nomme « la description mince » (p. 66). Celle-ci tente alors, non pas de construire une interprétation découlant d’une « multiplicité de points de vue » (ibid. p. 67), comme celle définie par Geertz, mais d’ouvrir à

Un principe d’internalisme consistant à suivre les acteurs dans leur travail pour définir les situations qu’ils rencontrent (…) également à valoriser le principe de résistance, consistant à prêter attention à la façon dont la matérialité et la corporéité sont susceptibles de démentir les représentations du monde produites par les acteurs (ibid.).

Cette dernière manière de mener l’enquête apparaît pourtant, dans le cadre de ce travail, fort malheureusement amoindrie. Un temps d’immersion plus étoffé m’aurait permis, sans doute, d’avoir davantage accès aux coulisses de la scène publique de l’accueil, de mieux comprendre

« les manifestations de résistance de la part des professionnels du front » (Giuliani, 2013, p.22) et peut-être d’en dégager ce qui défie leurs représentations et attentes et comment ils, elles tentent de surmonter ces épreuves. Le recours au récit ainsi qu’à une large diffusion d’extraits

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d’entretiens, concourent néanmoins à tenter d’offrir une lecture au plus près du vécu institutionnel.

Comme l’écrit Pouchelle (2010) « le terrain, objet et lieu de la recherche, n’existe pas en soi.

Il se fabrique par et dans les interactions du chercheur avec la collectivité étudiée » (p.6). Dès lors, franchir la porte de son terrain, est donc immanquablement y être. Pour autant y être ne signifie pas encore, faire partie de l’institution, ni du groupe de professionnel-le-s, ni de celui des usager-ère-s. Comme en parlent les paysans du Bocage approchés par Favret-Saada (2009), pour sortir d’une position extérieure, il s’agit d’« être pris ». Ces derniers acceptent de lui parler de sorcellerie qu’une fois qu’ils estiment que l’ethnologue est « prise » « c’est-à-dire quand des réactions échappant à m[s]on contrôle leur ont montré que j’étais [qu’elle était]

affectée par les effets réels de telles paroles et de tels actes rituels » (p.152).

Lors de mon immersion sur le terrain, la temporalité très raccourcie pensée dans les antres académiques pour effectuer un mémoire de master, m’a empêchée de suivre les traces des chercheurs qui ont vécu sur plusieurs mois voire années, dans le milieu même qu’ils s’étaient donnés pour tâche d’étudier (Tarrius, 1999 ; Bourgois, 2001 ; Lepoutre, 2001), et d’ainsi parvenir à être « pris ». J’ai quant-à-moi passé seulement deux mois et demi, à raison de deux à trois fois par semaine dans un lieu d’accueil bas seuil de Suisse romande, cela fut bien trop court pour s’autoriser à penser que, étrangère au lieu, s’étaient déjoués les « leurres » (Bourgois, 2001, p.40) puisque « je représentais par ma classe sociale, mon ethnicité (…) les catégories de pouvoir de la société dominante » (Bourgois, 2001, p.41). J’ai pourtant choisi de me laisser tout d’abord « affecter, sans chercher à enquêter, ni même à comprendre, ni à retenir » (Favret-Saada, 2009, p.153) et tenté de « faire de la ‘participation’ un instrument de connaissance » (ibid.). On verra que ce choix a initié quelques réticences de la part des professionnels-lle-s, celles-ci seront étudiées plus avant. J’ai choisi de considérer ces obstacles comme des perspectives heuristiques, car significatifs de l’organisation microsociale que j’ai étudiée. Tout l’enjeu de l’analyse d’une observation résidant dans la délicate imbrication qui consiste à « non pas ignorer ses émotions, mais tenter de retracer par quels dispositifs, pratiques ou paroles elles sont produites dans cette caisse de résonance qu’est notre corps socialisé » (Jounin. 2014, p.18).

Bien que ma question initiale s’enquière en premier lieu de la posture des professionnel-lle-s, j’avais pensé que dès lors, mon identité de travailleuse sociale me permettrait d’amoindrir les barrières sociales à l’œuvre dans ce contexte. Il m’est bien vite apparu, que l’accueil ne peut se comprendre que dans la perspective d’un seul point de vue, accueillir amène immanquablement à considérer et l’accueillant-e et l’accueilli-e, un jeu de réciprocité et de mutuelle réception se jouant dans l’échange. Je ne pouvais donc pas me restreindre au regard

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des professionnel-le-s. Pour ce travail pourtant, dans un souci de me limiter à un cadre de faisabilité pour une recherche de master, je me concentrerai sur les entretiens construits avec les professionnel-le-s et les observations participantes dans leur lieu de travail, la parole des accueillis reste minoritaire. Mes éléments empiriques restent les supports nécessaires à considérer les enjeux de l’accueil, les attentes, les représentations, les limites exprimées quant aux personnes accueillies et parlent dès lors aussi de constructions sociales plus larges qui mettent en scène notre regard sur les vulnérables, la manière que l’on considère légitime de les prendre en compte, les processus à l’œuvre d’un traitement admissible de la souffrance et le possible contrôle dominant que cela engendre.

Chapitre 3. CONSTRUCTION DES MATÉRIAUX EMPIRIQUES

3.1 De la construction des données à la construction d’éléments de compréhension

Si les données sont définies dans le Larousse, comme « ce qui est connu ou admis comme tel, sur lequel on peut fonder un raisonnement, qui sert de point de départ pour une recherche » et compte tenu des éléments décrits ci-dessus, on ne peut considérer les éléments construits sur le terrain ou au fil des entretiens comme des « données ». En ce sens, je choisirai plutôt d’appeler cette matière éléments de compréhension, ceux-ci faisant par ailleurs, tout autant office de point de départ de la recherche. Il ne s’agit donc pas ici de se placer dans la perspective d’une récolte de données, au pied desquelles il suffirait de tendre son panier, (et dont on pourrait imaginer que ses ajours définiraient le calibre admissible au maintien d’un « bon grain » que l’on séparerait de « l’ivraie »), mais bien dans la construction d’éléments de compréhension, impliquant la relation, l’interprétation et la mise en articulation avec un champ théorique. Cette construction nécessite comme l’explique Kilani (1994) une part « d’imagination » (p.55) indispensable à la compréhension de l’action. Celle-ci s’enrichit par un « ensemble de médiations qui (lui) interdisent [au chercheur-se] un point de vue

Si les données sont définies dans le Larousse, comme « ce qui est connu ou admis comme tel, sur lequel on peut fonder un raisonnement, qui sert de point de départ pour une recherche » et compte tenu des éléments décrits ci-dessus, on ne peut considérer les éléments construits sur le terrain ou au fil des entretiens comme des « données ». En ce sens, je choisirai plutôt d’appeler cette matière éléments de compréhension, ceux-ci faisant par ailleurs, tout autant office de point de départ de la recherche. Il ne s’agit donc pas ici de se placer dans la perspective d’une récolte de données, au pied desquelles il suffirait de tendre son panier, (et dont on pourrait imaginer que ses ajours définiraient le calibre admissible au maintien d’un « bon grain » que l’on séparerait de « l’ivraie »), mais bien dans la construction d’éléments de compréhension, impliquant la relation, l’interprétation et la mise en articulation avec un champ théorique. Cette construction nécessite comme l’explique Kilani (1994) une part « d’imagination » (p.55) indispensable à la compréhension de l’action. Celle-ci s’enrichit par un « ensemble de médiations qui (lui) interdisent [au chercheur-se] un point de vue