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De l’observation participante ou de la participation observante

CHAPITRE 3. CONSTRUCTION DES MATÉRIAUX EMPIRIQUES

3.4 Observer et participer

3.4.3 De l’observation participante ou de la participation observante

accessible. Accueillir, on le verra, ne se résume donc pas seulement à pouvoir entrer facilement dans un lieu.

Lors de mes premières rencontres, tout en gardant à l’esprit l’importance d’un « travail de médiation sur la distance et la différence » (Kilani, 1994, p. 46), d’où une posture qui ne s’apparente ni à une fusion d’avec son terrain ni à une distance désincarnée avec lui, j’ai véritablement eu l’impression de « jouer mon identité » (ibid.), avec parfois même la sensation de me sentir en danger identitaire. Ce ressenti pourrait trouver explication dans l’idée que se produit lors de cette expérience initiatrice, une forme d’agrégation, qui « prend la forme d’un véritable ‘rite de passage’ » (ibid. p. 47) et qui au demeurant engage un « processus de ‘ré-apprentissage et de resocialisation’ qui engendre des sentiments profonds d’insécurité, d’angoisse, de solitude, de frustration et de désarroi » (Emerson, 2003, p. 413). Ainsi, j’ai très vite du me résoudre à cette évidence : au même titre que « les anthropologues n’étudient pas des villages (des tribus, des villes, des quartiers…), ils étudient dans des villages » (Geertz.

2003, p. 224), j’étais assurément dans mon terrain. Et comprendre alors les remaniements identitaires à l’œuvre dans la confrontation avec un nouvel espace dans lequel il s’agit de pénétrer, être dans, ce qui implique un ensemble de regards portés sur soi, décuplé par la lucarne institutionnelle. Je ne venais pas ici en effet, dans n’importe quel lieu, mais un lieu qui accueille les plus démunis. Cette déroute identitaire est à remettre en miroir des personnes qui fréquentent le lieu et à questionner selon deux axes. Ma sensation de morcellement était-elle due en quelque sorte à un choc des cultures, mon immersion me demandant d’appréhender un nouvel univers loin de mes références habituelles, et en ce sens l’impression de flottement m’appartenait majoritairement, ou peut-être aussi, la malléabilité de l’espace, façonné autour de normes implicites (puisqu’il n’existe pas de procédures d’admission, ou encore de spécificités éducatives) et de perpétuelles circulations, est à même de raviver un sentiment de naufrage, de pertes de repères, qui peut certes être pensé comme un accordage au quotidien de la rue (fait de morcellement, de passages continuels, de déplacements) mais peut aussi être regardé comme une nouvelle perturbation qui affecte le sentiment de contenance et de continuité. Ces questionnements seront à nouveau explorés dans la phase analytique.

3.4.3 De l’observation participante ou de la participation observante

Selon Soulé (2007, p.128), l’observation participante « permet de vivre la réalité des sujets observés et de pouvoir comprendre certains mécanismes difficilement décryptables pour quiconque demeure en situation d’extériorité ». Pour autant, l’équilibre entre participation et observation n’est pas aisé. La notion de participation observante signe une participation

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accrue sur le terrain, mais les deux termes semblent souvent se substituer l’un à l’autre sans véritable justification. Sans entrer dans un débat sur les statuts de ces deux différentes orientations, je prendrai comme étai les considérations d’Emerson (2003) qui stipule que l’on peut considérer comme « un allant de soi que l’observateur altère ce qu’il observe, mais que ces altérations font partie de l’objet d’étude ». Il s’agira donc surtout de parvenir à rendre compte de ces modifications lors de l’analyse. Les difficultés inhérentes à mon implication de chercheuse sur le terrain, fortement limitée par l’équipe des professionnel-le-s signe la difficulté à être reçue, car perçue comme un élément hors du canevas standard du lieu, à savoir l’équipe (comprenant les travailleur-euse-s sociaux-ales, stagiaires, civilistes, bénévoles) et les usager-ère-s. Pour autant, la trajectoire d’analyse marquée par un accent qui « passe de l’observation de l’autre à l’observation de la relation humaine entre soi, en tant qu’ethnographe et l’autre » (Soulé, 2008, p. 131) pourra rendre compte de la fertilité de ces réserves et ambiguïtés. Ainsi comme l’explique Emerson (2003), « la solution est davantage du côté de la prise de conscience des effets de l’enquête que de la tentative de les minimiser » (p.410)

De sorte, si sur le terrain j’ai la sensation d’avoir été rapidement mise par le groupe des usagers, dans une position « d’étranger sympathisant » (De Sardan, 2013, p. 5), il n’en n’a en effet pas été de même par le collectif de professionnel-lle-s, qui est resté tout au long de mon temps d’observation, très distant. Je tenterai dans ma partie analytique d’en relever quelques éléments de compréhension, tout en restant prudente quant aux interprétations que j’ai pu en dégager. En effet, bien que le fonctionnement de la « communauté se révèle en grand partie dans les relations qu’elle entretient (ou qu’elle refuse d’entretenir) avec le chercheur » (Pouchelle, 2010, p. 9), je reste pourtant persuadée que le temps relativement court d’immersion n’a pas facilité l’accès aux dimensions rendues invisibles pour le-la chercheur-se et que ces dernières ne sont pas seulement intelligibles comme élément de fonctionnement du groupe professionnel, mais peuvent aussi rendre compte d’une certaine appréhension, réticence, retrait par rapport à l’arrivée d’une « outsider », qui plus est, venue observer leurs pratiques. Cette impression de réserve, de méfiance même, est apparue notamment lorsque j’ai tenté de participer activement à la vie du groupe d’accueil, prenant part au nettoyage de la salle avec les usagers, à la mise en place du déjeuner et au service de celui-ci. D’abord bien reçue de la part des professionnel-le-s, (auxquel-le-s je m’étais initialement identifiée par défaut, car ne parvenant pas à me sentir à l’aise au sein du groupe masculin des usagers), très vite est apparue la demande de ne pas « prendre le travail des passagers-usagers » (extrait de conversation), ce qui aurait pour fâcheuse tendance de déséquilibrer un mobile

« qui roule », bien pensé, et agencé de telle manière qu’il permette à chacun de prendre une part active au déroulement de l’accueil. Chacun étant assigné à des tâches particulières, le

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statut de chercheuse désirant participer aux activités, jusqu’alors affectées à « une équipe qui roule » provoque des frottements de territoires et a alors été perçu comme une captation du travail dédié aux passagers.

Trois constats introductifs alors, de cet intermède illustratif que je reprendrai ultérieurement : l’accueil bas seuil n’est pas inconditionnel, la venue d’une personne extérieure au public habituel provoque des interférences déstabilisantes qui invitent à la distance ; la participation d’une personne non habilitée est vécue comme l’empiètement d’un territoire dévolu aux accueillis, qui vise à rendre ceux-ci actifs et participants dans le fonctionnement institutionnel ; enfin pour ce qui est de ma posture, voir se révèle être une opération complexe. « Voir, c’est la plupart du temps, par mémorisation ou anticipation, espérer trouver ce que nous attendons et non ce que nous ignorons ou redoutons » (Laplantine, 2015, p. 12). En ce sens, m’affilier à une posture connue, celle de travailleuse sociale, s’avérait dans un premier temps moins risqué que l’identification à celle, plus timide, de chercheuse.

Ces premières réticences des professionnel-le-s ont eu pour effet bénéfique de m’obliger à ce que Thévenot appelle un « régime du proche » (Genard &Roca i Escoda, 2010, p. 150) auprès des personnes accueillies. « L’implication dans les milieux de vie, la fréquentation quotidienne des acteurs, la participation effective aux activités » (ibid.) contribue à la construction d’un

« régime marqué par la « familiarité » et l’investissement affectif » (ibid.), qui de sorte ne puisait plus seulement ses ressources dans un activisme défensif. Cette « familiarisation avec la culture locale » (De Sardan, 2013, p. 6), l’obligation d’épouser « les formes du dialogue ordinaire » (ibid. p. 5) m’a de sorte rendue sensible au vécu de l’accueilli et je rejoins ici les premières lignes de ce travail, en ce sens, que mon désir initial de ne concevoir que la perspective des professionnel-le-s s’en est trouvée modifiée par les négociations et contraintes imposées par les acteurs-trices du terrain. Ces bouleversements sont en partie représentatifs de mes choix méthodologiques, rejoignant Schwartz (2014, p. 116) qui définit la tâche de la connaissance comme le fait de « tenter de pénétrer, dans la mesure du possible, avec les protagonistes, l’énigme de la métabolisation des conditions que leur milieu leur propose ou leur impose ». L’exploration de ce lieu d’accueil a donc été transformée par l’accès que ses acteurs-trices ont pu-voulu m’en donner.

L’immersion sur mon terrain d’observation-participation, la posture et l’inter-circularité pensée en rapport à mes entretiens, les conditions évoquées quant à un engagement de la chercheuse dans une posture responsable vis-à-vis de ses partenaires, se doivent maintenant d’être mis en parallèle avec un paysage théorique. Celui-ci, complément aux étais empiriques, ouvrira au champ de questionnements et aux possibles apories mises en relief par les divers regards portés sur la thématique de l’accueil en institution.

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