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ELÉMENTS D’INTRODUCTION

1.1 Accueillir un sujet…d’étude

S’intéresser à la notion d’accueil en travail social, c’est en premier lieu s’exposer à la difficulté de circonscrire un sujet très large, qui nécessiterait sans doute l’exploration déployée sur une vie, pour n’en appréhender quelques bribes seulement. Accueillir renvoie en effet à des domaines de réflexion qui tendraient à se nourrir en rhizome. Les approches philosophiques, historiques, sociologiques, anthropologiques, économiques, politiques, psychologiques, architecturales, etc. pourraient entrer en résonance avec la thématique de l’accueil, tant elle convoque des éléments épars, qui chacun offre un angle de vue différent rendant son intelligibilité plus complète.

La grande difficulté de ce travail réside donc dans la délimitation d’un champ de possibles, qui permette de dégager de cette complexité, où s’imbriquent rapports interindividuels, sociaux, économiques, historiques, politiques, géographiques, etc. des éléments de compréhension qui auraient pour objectif de rendre compte d’un pan d’une réalité, qui se déploie dans les terrains institutionnels.

L’autre difficulté se loge dans la perméabilité à l’œuvre entre sujet de recherche et pratique de recherche. Les espaces de porosité entre le sujet choisi et son versant pragmatique dans ma démarche de recherche, a donc auguré de nouvelles interrogations. Comment accueillir les éléments qui me permettraient de comprendre ce qu’accueillir veut dire, tout en sachant que l’inconditionnalité reste un leurre, toujours soumis à des conditions obligées (méthodologiques, épistémologiques, pratiques, etc.) qui traversent la cohérence d’une recherche. Ces éléments aporétiques initiaux, ont constitué en fait des étais à ma démarche herméneutique. Les deux pans : accueillir mon sujet de recherche et accueillir en institution s’est révélé être une forme de miroir. En parlant de l’accueil à mes premier-ère-s interlocuteur-trice-s, la symbolique de l’ouverture inconditionnelle a souvent été mentionnée, mais la pratique m’a montré que celle-ci reste extrêmement régulée. Pareillement, alors que mon premier désir fût de tout embrasser, j’ai bien vite compris qu’il me fallait opérer des renoncements nécessaires. Et conjointement découvert, que l’accueil reste lui aussi, toujours conditionnel. Accueillir reste soumis à la perte.

Partir à la rencontre des professionnel-le-s œuvrant au cœur des institutions bas seuil, c’était accepter de se laisser guider par leur expérience du terrain, mais c’était surtout accepter de plonger soi-même dans le quotidien d’une institution, d’y prendre une place peu confortable car faite de nombreuses perplexités, sidérations, découragements, sentiments d’impuissance et au final adhérer au fait que le travail se construit par tâtonnements successifs, alliant des traversées incessantes entre de multiples mondes qu’il faut mettre en connexion (théorie,

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ressentis, observation, analyse, etc.). Le sol reste toujours meuble et oblige à tenir compte d’un élément central : « la flexibilité dont le chercheur doit faire preuve, flexibilité accrue encore par le caractère précaire du terrain d’étude » (Chimienti, 2010, p. 49). En ce sens, les institutions bas seuil, organisées autour d’agencements élastiques - point de procédures formelles d’admission, peu de bases de repères quant aux figures tutélaires, espaces traversés par des allées et venues continues - augmente l’impression de flottement. Ces considérations seront des éléments repris dans la phase analytique.

Ce travail s’inspire des démarches ethnographiques, dans une perspective sociologique, il tentera de témoigner de la complexité et des impasses des pratiques d’accueil dans le champ du travail social « bas seuil ». Bien que la délicate recherche d’ajustement en situation des professionnel-le-s face aux populations accueillies - définies souvent sous le terme « en difficulté » ou « précaires » - pourra être mis en évidence, cela n’empêche pas un regard critique plus large, se référant aux paradoxes institutionnels, et relatifs aux politiques publiques, mais aussi proposant une distanciation en rapport à un accord tacite qui semble légitimer une certaine bonne manière de faire avec les pauvres.

Pour rendre compte de ce panorama bigarré, il m’a semblé dans un premier temps utile de contextualiser le travail social tel qu’on le conçoit actuellement, d’y adjoindre brièvement des éléments historiques, et de comprendre pourquoi la notion d’accueil est aujourd’hui à l’enseigne de toutes les boutiques, comment celle-ci est façonnée par un contexte global plus large, mais aussi comment les micro-actions au sein d’un univers institutionnel, rendent compte d’une activité professionnelle construite telle des matriochkas, parfois difficilement emboitables, et qui doit de plus en plus justifier son bien-fondé, composer avec des normes et des attentes contradictoires.

1.2 Un rapide survol introductif

Le travail social a subi d’importantes modifications au cours du temps, tentant progressivement de s’affranchir « très difficilement d’une longue tradition d’assistance et de philanthropie d’origine privée et religieuse » (Castel, 2005, p.32), notamment par le bais d’une prise en charge publique des problématiques sociales mais aussi par « le développement d’une technicité professionnelle de plus en plus raffinée » (ibid.). D’abord orienté vers des logiques assistancielles, puis celles-ci décriées, le travail social s’est vu accusé de servir des instances de contrôle affiliées à des tentatives de moralisation des publics mis à l’écart du système de nos économies libérales, et a donc réorienté son action, porté par des dynamiques plus incitatives, et donnant un paysage de l’intervention sous-tendu par une volonté de responsabilisation, d’autonomisation, de capacitation. L’accompagnement s’est alors révélé

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comme constitutif du « traitement privilégié de problèmes sociaux très divers, au travers de politiques et de dispositifs » (Giuliani, 2013, p.13) qui a permis d’assurer une « mise en correspondance entre la fin de l’idéologie du progrès et le déclin de l’idéal éducatif » (ibid.

p.14).

L’accueil, dans une acception de sens commun, laisse résonner une thématique de l’hospitalité sans condition, où « l’atmosphère » (Corin, 2013, p.438) est fondamentale.

L’accueil se déploie dans « un lieu où il fait bon vivre, qui crée et travaille les liens et, en regard des intervenants, le sentiment d’une présence véritable, d’une grande proximité qui renvoie à une commune appartenance humaine » (ibid.p.439). L’écoute, le respect de chacun, le non jugement, la bienveillance, sont souvent des caractéristiques convoquées qui permettent d’offrir un accueil chaleureux. Apparaît ainsi de nouveaux étais aux actions des professionnels-lle-s - dont la sémantique rappelle par ailleurs celle de la charité -, particulièrement articulés autour de la relation à l’autre, d’une présence généreuse, d’une conduite aimable, qui met alors en tension, d’une part, la légitimation des caractéristiques professionnelles propres à répondre à ces injonctions d’accessibilité, mais d’autre part, porte à découvert une « véritable tension pragmatique » (Breviglieri, 2008, p.97) qui « accompagne alors toute relation institutionnelle nécessitant une dynamique de rapprochement, pour pouvoir conduire une politique de l’autonomie »(ibid.). Se substitue progressivement à la notion d’accompagnement, celle de l’accueil, davantage circonscrite dans un temps de l’urgence.

Dans ce nouvel horizon du travail social, qui est sujet à rencontrer des publics de plus en plus divers, confronté à de « ‘nouvelles’ questions sociales, des sans-abris, des réfugiés, des Roms, des demandeurs d’asile » (Genard, 2018, p. 2) et dont la réponse s’élabore davantage autour de la « réhabilitation de l’individu comme personne morale, comme être porteur de dignité » (Soulet,2007, p.16) et focalisé sur « le défi d’une production de non-désaffiliation » (ibid.) plutôt que de mouvements qui tendent à l’intégration, on assiste ainsi à tout « un vocabulaire de la présence » (ibid., p. 17) qui sera le cœur des dispositifs d’accueil. La prise en compte d’une altérité à laquelle on offre hospitalité et sollicitude n’est pas sans nous rappeler les revers de politiques publiques toujours sujettes à maintenir la cohésion sociale et orientées vers la prévention des risques, ni évincer la part d’ombre souvent occultée qui accompagne le plan d’une forme d’agapè tel un donné sans attente - « le don de l’agapè ignore le contre-don » (Deshoulière & Perrot, 2001, p. 15) -, contre-jour qui se déploiera notamment dans les questions relatives aux contreparties, aux dissymétries, aux cloisonnements, inhérents à ces mouvements nourriciers.

Ainsi, pour rendre compte des ingrédients de l’accueil en institution bas seuil, ce travail se compose d’une première partie qui expose les racines du choix de la thématique traitée, ses

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liens avec le terrain et détaille la méthodologie choisie pour tenter de construire cette recherche. Par le développement des éléments principaux qui permettent de rendre compte du contexte dans lequel se déploient les institutions d’accueil, une partie théorique aura pour objet d’approfondir certains champs relatifs notamment à l’évolution du travail social, la notion de public en situation de précarité, et également les éléments qui sous-tendent les pratiques de l’accueil telle que l’hospitalité. Au regard de cette entrée, la problématique du présent travail sera ainsi énoncée.

Une partie analytique prenant en compte les entretiens des professionnel-le-s, mon observation du terrain, ainsi que les documents officiels de présentation de l’institution dans laquelle j’ai pu effectuer mon temps d’observation, permettra alors de créer des ponts entre ces différents paysages et d’en faire émerger une analyse thématique ainsi que de mettre en lumière certains impensés ou paradoxes de la dimension d’accueil. La dernière étape, conclusive, tentera outre sa dimension de synthèse et les manquements découverts, d’ouvrir un champ de perspectives à des recherches ultérieures.