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Une question clé : la place du politique et l’articulation entre concertation et décision

CHAPITRE 6. SE DONNER LES MOYENS DE REUSSIR : FACTEURS DE CLARTE ET DE SUCCES DES PROCESSUS

6.5. Une question clé : la place du politique et l’articulation entre concertation et décision

Nous terminerons ce chapitre en abordant une autre question clé, que le cas du Golfe du Morbihan pose avec une acuité particulière, mais qui revient aussi dans d’autres cas. C’est celui de l’articulation entre la concertation et la décision, et plus généralement entre des espaces de concertation où l’on tente de s’exonérer de certains rapports de force et celui du politique et des rapports de pouvoir.

6.5.1. Entre démocratie représentative et participative : finalement peu de problèmes de positionnement de la concertation

Signalons tout d’abord que contrairement aux craintes parfois ressenties, notamment par des élus, la concertation semble poser assez peu de problèmes quant à son positionnement entre démocratie représentative et démocratie participative. Les élus interrogés rappellent parfois que la décision leur revient : « la concertation s’arrête au moment de la décision. Les décideurs sont ceux qui auront à répondre devant l’opinion. Ou alors, il n’y a pas d’élus ». Ceci est largement admis par les autres participants rencontrés : ils souhaitent d’abord être écoutés et que ce qui a été dit soit pris en considération d’une façon ou d’une autre, mais le partage du pouvoir de décision n’est presque jamais posé comme un problème. Certes des associations aimeraient avoir plus de poids dans certaines instances, mais la frontière avec le pouvoir décisionnel semble claire. Le représentant d’un décideur la rappelle assez clairement : « il faut noter que la concertation ne signifie pas que tout le monde décide. Cela, ça ne peut pas marcher ». « Concertation ne veut pas dire décision ». « Il y a un d’un côté un décideur sans instance de concertation, puis une instance de concertation sans décideur, qui apporte une aide à la décision ». Mais il ajoute aussi que la décision doit suivre et tenir compte de la concertation : « si l’on monte une concertation à partir d’une décision finale, irréversible, les gens vont vite voir qu’on les mène en bateau ».

En réalité, des problèmes se posent plutôt lorsque plusieurs catégories de décideurs sont invitées à une concertation et qu’une incertitude peut exister quant aux prérogatives de chacun, ou quand des élus locaux ne se sentent pas considérés par le pouvoir central, dans le cadre de certains processus.

6.5.2. Mais de vrais problèmes de blocages politiques : la question du portage de la concertation

Au-delà de ce constat, force est de constater que réunir tous les atouts cités précédemment comme des facteurs de réussite d’un processus n’est pas un gage de succès, car il reste un facteur clé qui tient au cadre hiérarchique et politique dans lequel la concertation est inscrite. Dans le cas du projet

de PNR du Golfe du Morbihan, on peut dire que la concertation a été techniquement très bien menée et ceci depuis longtemps puisque la démarche de concertation a commencé en 1996, bien avant que les élus n’aient même l’idée d’un PNR. Elle a conduit à la fois à mettre en œuvre des actions, à faire du Golfe du Morbihan un espace soumis à une certaine gestion collective et à construire un projet pour cet espace. Or, ce projet est aujourd’hui totalement bloqué et il est peu envisageable qu’il puisse voir le jour avant plusieurs années. Le blocage provient essentiellement d’un vote défavorable de la Communauté d’Agglomération, qui inclue plus de la moitié des communes du périmètre retenu. Derrière ce vote existent des conflits politiques basés sur des hommes dont les projets et ambitions s’opposent. On pourra bien sûr dire que la maîtrise de l’urbanisation fait débat, mais ce débat a pris une tournure particulière depuis que la présidence de la structure porteuse du projet a fait l’objet d’une concurrence politique. Un élu évoque son amertume au sujet du blocage actuel du projet : « on a fait ce qu’il fallait en matière de concertation, les acteurs du territoire ont travaillé, le projet est abouti, ce que le ministère de l’environnement a reconnu, mais le blocage est ailleurs ». « Le jeu est pipé politiquement ».

Faut-il se borner à constater l’existence de telles situations bloquées ou peut-on anticiper et prévenir ce type de situation ?

Plusieurs des acteurs ont rencontrés des problèmes qui auraient du être identifiés et pris en considération avant d’en arriver à cette situation. Selon un ancien élu, « il faudrait que le portage politique du projet de PNR soit le fait de la majorité politique locale, stable depuis longtemps », qui est celle de la Communauté d’Agglomération et du Conseil Général. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, ce qui favorise un blocage politique qui rend caduques les résultats de la concertation. Selon cet acteur, « il faut qu’un projet politique de ce type soit porté par la majorité politique en place, surtout si elle est stable »

Cet acteur ajoute qu’« il est indispensable qu’un projet de cette envergure soit porté par un grand homme politique : tout en découlera ». D’autres acteurs affirment que l’élu chef de file du projet est engagé en matière environnementale et humaine, mais ne dispose pas de soutiens suffisants pour être plus « offensif » et défendre le projet vis-à-vis de tels blocages : selon eux, un relais par un « grand élu », ayant une charge locale et une charge nationale pourrait ici s’avérer déterminant. Dans le cas le la LINO, les blocages à la mise en chantier de cette infrastructure sont multiples, mais les querelles politiques y ont tout de même contribué lorsque le Conseil Général pilotait le projet, mais également par la suite, quand l’Etat à repris le dossier. Le financement est le fait de plusieurs acteurs, ce qui pour un élu à tendance à « paralyser les bonnes décisions ». Les partenaires financiers donnent donc leur point de vue, d’où des débats politiques. La prise de position en faveur d’une 2x1 voie semble avoir fait l’objet d’un arrangement politique, notamment à l’échelle intercommunale. Les élus rencontrés nous ont indiqué qu’aucune concertation ne s’est faite sur ce point, « ça s’est fait en interne », « à partir du moment où le chef à dit ça, après, ça suit », « le Grand Dijon prend les décisions, c’est l’affaire des élus. Les querelles se sont faites mairie par mairie ». Nous retrouvons ici la question du portage politique, certes de façon plus confuse.

D’autres personnes interviewées évoqueront cette question du portage politique, dans d’autres situations, et l’on constate que certains prennent cette question très au sérieux. Même si l’on s’éloigne un peu de la sphère politique, EDF a veillé à impliquer, dans le cas du Parc Hydrolien de Paimpol Bréhat, des responsables de haut niveau, notamment son délégué régional. Ce dernier a en outre une vision du politique, ayant été directeur de cabinet d’un ministre de l’environnement dans le passé. La participation d’EDF aux concertations est basée sur un binôme avec ce référent « politique » de haut niveau et un référent technique, qui sont très complémentaires. Pour sa part, sollicitée pour accompagner l’Agenda 21 du Finistère, l’association Nature et Culture a demandé (et obtenu) que les sessions organisées soient introduites par le président et le directeur des services du Conseil Général, pour ne pas être les « écolos de services » et disposer d’un portage politique et administratif de haut niveau.

Le portage politique des choses apparaît donc comme un facteur déterminant : un portage de haut niveau, par un acteur légitime localement mais aussi capable de légitimer l’action à un niveau supérieur, en phase avec la tendance politique générale du territoire, est sans doute un atout important pour éviter des situations de blocage politique. Cela ne doit pas conduire à privilégier n’importe quelle candidature au portage d’un projet environnemental, car le risque est de voir ce projet

vidé de sa substance par un élu qui n’a aucune sensibilité en la matière… mais c’est un facteur à considérer avec le plus grand soin. Sinon, comme le constatent certains acteurs dans le cas du Golfe du Morbihan, d’une part les opposants sont peu présents dans les débats mais reviennent dans le jeu lorsqu’il s’agit de décider, d’autre part « les divergences sont étouffées dans la confrontation d’idées, mais elles ressortent lors des prises de décision ».

6.5.3. Etre experts de l’environnement et de la concertation, tout en gérant le portage politique de l’action : considérer le politique avec plus d’attention

Finalement, il ressort de ce cas et d’autres situations évoquées lors des entretiens, qu’une approche trop « technique » de la concertation pose problème et qu’il est nécessaire de considérer le politique avec d’autant plus d’attention qu’il est toujours présent : comme le rappelle un responsable associatif et ancien élu du Golfe du Morbihan, « lorsque l’on conçoit une structure de territoire (ici le PNR), c’est toujours à des fins politiques ». L’intérêt politique n’est jamais très loin de la concertation, comme le montre aussi le cas de Bon Air, où le projet répondait aussi au souhait, de la part de la mairie, de récupérer un canton gagné par l’opposition politique lors des élections de conseillers généraux. D’une façon générale, ces intérêts et rapports de force politiques nous semblent insuffisamment considérés dans des concertations où l’on entend les mettre temporairement en veilleuse : on y parvient souvent mais ils ressurgissent toujours dans la prise de décision.

6.5.4. Des contraintes politico-administratives à infléchir… et mieux intégrer

En ce qui concerne l’articulation entre concertation et décision et le rapport entre concertation et politique, d’autres déductions s’imposent. Le politique est source de contraintes, qu’il faut certes tenter de réduire lorsque c’est possible, mais face auxquelles certaines stratégies d’adaptation peuvent être mises en œuvre. Ce sont notamment les suivantes :

Le « tunnel de la décision » : selon un acteur rencontré, « souvent la concertation s’arrête car les

élus disent que c’est maintenant à eux de décider. Cela prend du temps, durant lequel les participants n’ont pas d’informations. Ils retrouvent ensuite un projet parfois très différent, sans avoir été tenu au courant des changements ». Selon cet acteur, « les élus disent que la décision leur appartient, d’accord, mais on ne peut pas pour autant s’arrêter à la gouvernance telle qu’elle existe aujourd’hui ». Il souligne le fait que de telles périodes de tunnel de la décision (expression empruntée à Daniel Breuiller, vice-président délégué à la démocratie participative au Conseil Général du Val de Marne, interviewé dans un autre cadre), doivent être accompagnées d’une information des parties prenantes.

Et lorsque le décideur refuse la concertation, des garde-fous à mettre en place : un grand témoin

constate que certains élus n’ont aucune ouverture au dialogue et sont dans le rapport de force. « L’élu se dit : mais moi je suis élu, c’est moi qui décide ». Sans bien évidemment remettre en question ce fait, il insiste sur la nécessité d’une justification de la décision en fonction de ce dont il a été question dans la concertation car il existe de nombreux exemples « où le compte-rendu de la concertation ne reflétait pas ce qui avait été dit lors de la concertation. On tord la réalité. »( …) « j’aurais tendance à dire qu’il faudrait qu’il y ait quelqu’un, qui n’aie pas forcément grand chose à faire, mais qui oblige celui qui organise à faire attention ». Ces éléments ont partiellement été pris en compte dans le Grenelle car la loi Grenelle 2 impose une justification scrupuleuse des décisions. Le recul est aujourd’hui insuffisant pour analyser l’impact de cette obligation.

Des clivages politiques qui devraient épargner les agents : dans le cas du Golfe du Morbihan,

certains acteurs mentionnent le fait que les blocages politiques font qu’il est impossible à certains agents de travailler ensemble, alors qu’ils devraient le faire (par exemple les agents du SIAGM chargés du projet de PNR et les agents chargés de questions environnementales au Conseil Général ou à la Communauté d’Agglomération vannetaise). Peut-on parvenir à isoler la sphère du « technique » de la sphère du politique lorsqu’il s’agit non pas de décider mais de préparer des actions et projets ou d’instruire des dossiers ? Ceci serait un atout pour l’action publique comme pour la concertation.

Une articulation concertation-décision soumise aux rythmes électoraux : dans le cas du projet

échéance électorale qui permettra de rebattre les cartes. Ces échéances sont accompagnées de l’arrivée de nouveaux élus auxquels il manque une connaissance des dossiers mais aussi un mémoire des choses. Dans le Golfe du Morbihan, un élu qui s’est engagé dans la construction du projet et a fait partie du bureau de sa structure porteuse, reconnaît qu’« aujourd’hui, je ne sais toujours pas quelle était la motivation d’origine de ceux qui ont décidé un jour de s’engager dans la création d’un PNR ». La transmission de la mémoire du projet, des motifs des actions, de la concertation devrait faire l’objet d’une attention particulière. Par ailleurs, si les hommes politiques changent, les politiques doivent perdurer : des stratégies d’adaptation à cette contrainte sont possibles. Un élu souligne ainsi l’importance d’assurer la continuité des choix qui ont été fait au-delà du seul mandat politique, or pour lui, l’adhésion des agents est un facteur clé de cette continuité : les recrutements d’agents tiennent compte de ce paramètre.

Ces diverses contraintes issues de la sphère du politique méritent donc d’être analysées et prise en compte, de façon à en minimiser les conséquences sur les concertations engagées.

Finalement, certaines des préconisations qui ressortent de ce chapitre sont déjà connues comme de « bonnes pratiques », telles que le fait d’engager la concertation très tôt, l’ouverture du porteur du processus à l’écoute des participants, la mise en place de formats d’échange adaptés, la conduite de la concertation via une démarche de rapprochement des acteurs et de consolidation progressive d’un réseau, etc… Mais ces « bonnes pratiques » restent négligées par certains acteurs qui, soit manquent de références méthodologiques, soit précipitent les choses car ils sont sous la pression d’objectifs environnementaux ou d’aménagement et de délais qui s’imposent à eux. Il en ressort aussi que les échecs dénoncés par les acteurs environnementaux et les élus locaux, en matière de concertation environnementale, ne tiennent pas au fait que la concertation ne serait pas un outil adapté au traitement d’un problème, mais au fait que la concertation a été mal conduite. La concertation est reconnue comme porteuse d’un potentiel réel, mais encore faut-il bien la conduire. Enfin, le lien avec le politique semble crucial : or, on peut reprocher une posture parfois un peu angélique des « techniciens de la concertation » face à cette question. Des blocages politiques liés à des rapports de pouvoirs insuffisamment pris en compte peuvent bloquer une démarche par ailleurs bien construite : la prise en compte d’équilibres politiques locaux doit faire partie de l’ingénierie de la concertation environnementale.

Quatrième section. Evolutions et perspectives

Chapitre 7. En quoi la concertation environnementale a-t-

elle