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Qui suis-je dans la concertation ? Egalité de parole et inégalités de pouvoirs

5. LES ELUS LOCAUX DANS LA CONCERTATION ENVIRONNEMENTALE

5.3. Les multiples ambigüités de la concertation, telle qu’elle est vécue par les élus locaux

5.3.2. Qui suis-je dans la concertation ? Egalité de parole et inégalités de pouvoirs

Comment se positionner dans la concertation, lorsque l’on est élu, donc doté d’un pouvoir légitimé par l’élection, mais qu’il nous est demandé d’adopter une position équivalente à celle des autres participants ? Ceci est une source d’ambiguïté pour de nombreux élus.

Le partage du pouvoir, entre réalité et faux semblant

Certains auteurs soulignent les hésitations des élus à l’heure de partager une partie, même modeste, du pouvoir qui leur a été conféré. Selon Chaufer (2001), « dans un processus de concertation, qu’il en soit la cible ou le porteur, l’élu est amené (…) à décider au moins partiellement du degré de partage de son pouvoir avec un processus délibératif et public ». Certains jouent le jeu du partage de ce

pouvoir, alors que d’autres insistent sur le caractère consultatif du processus et entendent garder tout le pouvoir décisionnel. Mais en réalité, quelle que soit la position affichée par l’élu, il peut exister des écarts importants entre la posture affichée et le partage effectif du pouvoir. Selon Ballan et al. (2002), même lorsqu’un partage du pouvoir est mis en avant par l’élu, en observant certains outils de concertation, on peut voir comment le pouvoir local oscille entre l’instrumentalisation de la concertation au profit de la consolidation de sa position, et l’ouverture d’espaces publics induisant un partage du pouvoir. Autrement dit, ce partage n’est parfois qu’un affichage, utilisé par l’élu pour instrumentaliser les choses. Mabileau (1999), cité par Ballan et al. (2002) observe ainsi « une instrumentalisation de la participation, par des maires qui utilisent des instruments descendants de communication comme des instruments ascendants de participation ». A l’inverse, certains élus qui revendiquent une absence de partage du pouvoir se montrent en réalité très à l’écoute de ce qui émerge des consultations menées. Ce qu’ils affichent leur permet de cadrer les choses et de s’octroyer le droit de ne pas tenir compte de certains avis : ceci leur permet parfois de mieux écouter et tenir compte de ce qui a été dit, en partageant, de facto, leur pouvoir décisionnel. Il existe donc des contradictions entre ce que les élus affichent et ce qu’ils font. Chaque élu est placé dans une situation ambigüe où il doit décider tout à la fois de ce qu’il va afficher et de ce qu’il fera.

Notons que les textes officiels supposés orienter les élus contribuent parfois aux confusions existantes. En effet, certains ferment la porte à tout partage du pouvoir décisionnel et font parfois la promotion d’une instrumentalisation des instances de concertation. C’est le cas par exemple du rapport du Commissariat Général au Plan (2005) portant sur les conflits d’usage et le rôle des pouvoirs publics, dans lequel il est proposé d’utiliser les conseils de développement des pays et des communautés d’agglomération pour prévenir les conflits d’usage : il y est dit que « le conseil de développement peut devenir le lieu d’un dialogue avec les représentants de l’Etat susceptibles d’utiliser cette tribune pour expliquer certains aspects de sa politique et leur incidence sur les usages ». On retrouve ici l’instrumentalisation d’espaces de participation, via la mobilisation d’instruments descendants de communication. Les élus locaux, là encore, disposent de peu de balises claires.

Une posture d’égalité parfois souhaitée ou imposée, difficile à assumer pour certains élus

Une posture d’égalité signifie pour un élu le fait d’être un participant comme un autre, non pas dans l’ensemble du processus de concertation mais au moins lors de certains temps de dialogue. Par exemple dans le cas du jury citoyen analysé par Barbier et al. (2009), lors des réunions publiques, les élus se placent symboliquement dans la salle, au milieu du public, comme ils s’étaient préalablement engagés à le faire. Ce sont alors des participants comme les autres. C’est une posture que la CNDP impose aux élus dans certains débats publics.

Cette posture est très mal vécue par certains élus qui s’y soustraient plus ou moins clairement, soit en ne participant pas, soit en prenant la parole d’une façon qui vise à rétablir une inégalité de condition. Ainsi, selon Lefebvre (2007), alors que le débat public prétend annihiler les hiérarchies symboliques en égalisant la condition des participants, l’analyse de cas concrets montre qu’il n’y parvient pas : soit les élus ne s’impliquent pas vraiment, soit ils tentent de l’instrumentaliser à leur profit et le débat « contribue à réobjectiver la division des rôles politiques et devient un moment permettant aux élus de redonner sens à la représentation-incarnation et de ressourcer leur légitimité ». Autrement dit, ils utilisent ce moment pour incarner aux yeux de tous un rôle de représentation, qui les place de fait au- dessus de la mêlée. Nombre d’auteurs affirment que les élus résistent à l’égalisation de la condition des participants. Selon Sardan (2009), « l’élu (le maire en particulier) ne perd pas sa préséance symbolique dans le rituel du débat. Il parle souvent en premier, tout particulièrement dans les réunions de proximité, et donne le « la » du débat ». Richard-Ferroudji (2008) montre pour sa part que certains dispositifs, y compris dans la disposition des participants dans l’espace, avec une estrade éclairée et une salle qui ne l’est pas, établissent d’emblée une inégalité d’accès à la parole et de reconnaissance de la parole de chacun.

Là encore, le malaise ressenti par les élus face à cette posture se retrouve dans certains textes- cadres. Ainsi, le rapport du CEGDD (2010) sur la Gouvernance concertée distingue les situations où l’élu représente l’autorité décisionnaire et les situations où, « et selon la pratique souvent rappelée dans les débats organisés sous l’égide de la CNDP, la voix d’un élu n’a ni plus ni moins de poids que celle de tout participant au débat ». Dans le premier cas, cette posture d’égalité semble poser problème au CGEDD, selon lequel cela « ne doit pas faire oublier que pour la bonne information du public, l’expression par un élu des points de vue adoptés par la collectivité constitue une information de grande valeur ». Sadran (2009), cite quant à lui un rapport d’information réalisé par le sénateur

Jean Puech, au nom de l’Observatoire de la décentralisation, sur l’émancipation de la démocratie locale et qui montre, selon lui, « les restrictions mentales avec lesquelles les élus abordent la question de la démocratie participative », ce rapport se bornant à chercher les voies et moyens d’offrir plus de garanties aux élus et de renforcer leur légitimité.

Finalement, selon le CEGDD (2010), la place des élus dans un processus de concertation est claire lorsque l’élu représente une collectivité compétente pour prendre des décisions sur le sujet en débat et qu’il est donc présent en tant qu’autorité décisionnaire. Mais la situation est qualifiée de « moins claire » lorsque l’élu représente une collectivité qui n’est que partie prenante au débat, sans pouvoir de décision, comme dans certaines procédures d’urbanisme qui prévoient une « consultation des personnes publiques associées ». Selon le CEGDD, l’élu devrait alors voir préciser par la collectivité la nature de son mandat. Cette position illustre bien le malaise ressenti par certains élus face à une