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CHAPITRE 1. POURQUOI LES ACTEURS ENGAGENT-ILS DE TELS PROCESSUS ?

1.4. Entre légitimation, appropriation et acceptation

1.4.1. Obtenir l’acceptation de quoi, par qui ? Le grand public, les élus, le financeur

Une première précision importante à apporter, porte sur « qui entend faire accepter quoi, à qui ? ». Dans les écrits sur la concertation, c’est souvent le porteur de projet qui entend faire accepter celui-ci par le grand public, mais les choses sont en réalité plus complexes que cela.

Que s’agit-il de faire accepter ? Dans les cas étudiés, il s’agit de faire accepter des actes à poser individuellement ou collectivement, composant souvent un projet prédéfinis ou que l’on construit ensemble, dont l’objectif est environnemental ou qui a un autre sens mais dans lequel on souhaite que des enjeux environnementaux soient considérés, ce qui est potentiellement porteur de contraintes. Il est particulièrement intéressant de savoir qui introduit ces enjeux environnementaux dans le projet : c’est parfois le porteur du projet, parfois l’Etat amené à rendre un avis et qui demande la prise en compte de ces enjeux, parfois des associations locales, parfois plusieurs de ces acteurs, comme nous le verrons ci-après.

A qui s’agit-il de faire accepter ces éléments ? Il y a là un jeu d’acteurs complexe qui dépasse largement l’acceptation par le public de décisions prises par les pouvoirs publics. Si, dans certains cas, il s’agit de faire accepter une décision, des règles ou un projet par ceux qu’il concerne (par exemple les habitants du quartier de Bon Air ou ceux du Champ de Manœuvre à Fort-de-France), dans d’autres cas, il s’agit de faire accepter un projet et des contraintes environnementales liées à ce projet par l’ensemble des élus d’un territoire, comme dans le cas du Golfe du Morbihan : ce sont alors les décideurs qui sont la cible d’une opération visant l’appropriation de ces enjeux et l’acceptation du projet. Enfin, il s’agit aussi souvent de convaincre un financeur, qui sera intéressé par le fait que le projet soit issu d’une concertation et/ou par le fait qu’il comporte des objectifs environnementaux. Ces cibles sont parfois associées, par exemple lorsque l’on inclue des contraintes environnementales pour obtenir l’adhésion du financeur et de certaines des parties en présence, mais que ces contraintes doivent être acceptées par le grand public et les élus : Il s’agit alors d’obtenir l’acceptation à la fois du grand public, des élus et du financeur. Dans le cas du Projet de Parc Naturel Régional du Golfe du Morbihan, l’enjeu est d’obtenir que ce projet, collectivement construit, soit accepté par l’Etat (qui veut y voir figurer des contraintes environnementales, notamment relatives à l’urbanisation), les élus locaux (réticents à accepter de telles contraintes), tout en gérant la pression exercée par certaines APNE qui veulent y voir figurer beaucoup plus de contraintes.

• Le grand public : par exemple pour faire accepter un projet d’aménagement, y compris aux personnes touchées par ce projet : c’est la cible essentielle du processus engagé par exemple dans le cadre de la LINO, à Dijon.

• Les élus : c’est en réalité la cible, non exclusive comme souligné précédemment, mais centrale du processus de concertation mené autour du projet de Parc Naturel Régional du Golfe du Morbihan. L’adhésion du grand public est certes recherchée, mais celle des élus est essentielle puisque les communes doivent délibérer en faveur de la création du parc, or le syndicat intercommunal qui porte le projet s’adresse à près de 1000 élus locaux engagés dans les communes et EPCI sur le périmètre du projet. Celui-ci contient des objectifs environnementaux contraignant pour l’urbanisation, ce qui engendre des oppositions de la part de certains élus : le processus vise à ce qu’ils s’approprient et adhèrent au projet. • Certaines catégories d’acteurs : dans le cas du Parc Hydrolien de Paimpol Bréhat, le

processus vise en premier lieu à obtenir l’acceptation des pêcheurs, puis des élus. EDF va du reste dialoguer avec les pêcheurs durant trois ans avant d’aller rencontrer les élus, puis les associations de pêcheurs plaisanciers et les APNE. Le grand public n’est pas associé directement au processus, le porteur du projet considérant que l’accord des communes est suffisant et que ces dernières relaieront l’information auprès du grand public.

• Les financeurs : dans certains cas, l’existence d’une concertation, voire d’une participation du public est un argument de taille pour obtenir le soutien de financeurs. Ceci est très présent dans le cas du projet d’Eco-Quartier de Bon Air par exemple où la concertation autour d’enjeux environnementaux est mise en avant. A Méricourt l’Abbé, l’AEU permet d’obtenir des financements supplémentaires et comprend un volet technique et un volet concertation. Dans le cas du parc éolien de la Baie de Saint Brieuc, l’un des répondants à l’appel d’offre en cours affirme qu’il va présenter le processus de concertation de façon détaillée dans son offre, sur la base de son expérience passée, pour en faire un atout de sa candidature. Enfin, dans certains cas, le financeur est invité à des temps de concertation afin qu’il s’approprie lui aussi la démarche… et la soutienne.

1.4.2. Consentement, consensus, appropriation, adhésion, acceptation : ce ne sont pas que des nuances…

Le terme d’acceptation, de légitimation et d’appropriation que nous avons jusqu’alors utilisés, cachent en réalité de nombreuses nuances… qui sont en réalité très lourdes de sens. Là encore, nous constatons qu’il existe plusieurs niveaux d’ouverture du promoteur de la concertation à la participation des autres acteurs, selon les objectifs qui sont les siens.

Lors des entretiens, plusieurs termes ont été utilisés par nos interlocuteurs : acceptation, appropriation, légitimation, consentement, compromis et consensus. Certaines organisations ont mené une réflexion sur ces termes, à l’image de l’association Nature et Culture qui nous a remis une fiche résumant une réflexion sur la distinction entre consentement et consensus. Pour Jean-Claude Pierre, président de cette association, le consensus va plus loin que le consentement, car « consentir, c’est accepter… c’est aussi se résigner ». Mais l’association relève aussi que le consentement tient mieux compte des limites de ceux qui devront vivre avec la décision, respecte mieux la dissidence et valorise la recherche d’un contexte qui l’inclue. Ce débat sur les termes montre l’importance qui est la leur. Pour notre part et à partir des études de cas, il nous semble pertinent de distinguer plusieurs types d’objectifs, avec chaque fois plusieurs niveaux.

Ce sont d’abord des objectifs d’appropriation, par les parties prenantes à la concertation. C’est d’abord l’appropriation des enjeux : la partie A comprend les enjeux qui justifient le projet porté par la partie B. Ayant ses propres intérêts, contraintes ou habitudes, cela ne veut rien dire quand au fait qu’elle accepte ce projet, mais cela facilite un dialogue. Notons que dans une étude que nous menons en parallèle sur la gouvernance portuaire de l’environnement, une APNE se plaignait d’une absence de compréhension (et encore moins d’appropriation), de la part des autorités portuaires, des enjeux naturalistes qu’elle mettait en avant : cette association est reconnue par le port pour ses compétences et sa capacité de nuisance mais la non appropriation des enjeux est l’un des déterminants des difficultés de communication qui existent. Dans de l’éco-quartier de Bon Air, certains acteurs du projet soulignent la difficulté d’obtenir l’appropriation d’enjeux environnementaux par les habitants, mais aussi l’enjeu majeur que cela représente. C’est ensuite l’appropriation du projet, ce qui dépasse sa

seule compréhension : il s’agit que la partie A s’approprie le projet de B jusqu’à ce qu’il devienne un peu son propre projet. Par exemple dans le cas du parc hydrolien de Paimpol Bréhat, ce projet est celui d’EDF mais il est devenu aussi celui du Comité Local des Pêches ou du maire de la commune qui recevra le câble d’atterrage : ces acteurs se sont appropriés le projet, le défendent, en sont fiers, le portent et le soutiennent. Le processus de concertation a permis l’appropriation du projet et l’intégration des ces acteurs dans le réseau qui porte le projet. Nous pouvons aussi ici parler d’adhésion au projet.

La légitimation est aussi un objectif très présent. C’est d’abord la légitimation de l’acteur. Le porteur du projet et/ou les autres parties prenantes tentent de se légitimer : « je suis légitime pour porter ce projet (éventuellement plus qu’un autre) » ou « je suis légitime pour m’exprimer sur ce projet ». Si la légitimité d’EDF ou de la mairie de Méricourt L’abbé sont par exemple peu questionnables pour porter leurs projets de parc hydrolien ou d’AEU, celle du Syndicat Intercommunal d’Aménagement du Golfe du Morbihan et de son équipe, pour porter un projet de PNR sur un périmètre occupé majoritairement par la Communauté d’Agglomération de Vannes, est questionnée compte tenu des rapports de force politiques existants. La légitimation de l’acteur fait partie de l’acceptation du projet. La légitimation d’une partie prenante qui entend introduire des contraintes environnementales dans un projet ou dans des modes de vie est elle aussi déterminante, quant à leur acceptation. C’est ensuite la légitimation

du projet et des arguments qui servent à le justifier : « ce projet a une raison d’être car… ». Par

exemple s’il s’oppose à des intérêts particuliers au nom d’un intérêt général, le promoteur de la concertation tentera d’y légitimer son projet en convoquant certains principes de justification (ici une justification civique telle que décrite par Boltanski et Thévenot, 1991). Notons que d’une part la légitimité du projet ne préjuge en rien de son acceptation, d’autre part des arguments infondés ou des informations erronées peuvent être utilisés pour obtenir cette légitimation, ce qui ouvre la porte à certaines manipulations.

La légitimation contribue à des objectifs d’acceptation, qui se déclinent là encore de deux façons. C’est d’abord le consentement : c’est le minimum de l’acceptation, c'est-à-dire que le consentement peut être subi et basé sur la résignation, ou peut être prononcé du bout des lèvres, voire non-dit et rester totalement passif. C’est cependant cela que certains porteurs de projets recherchent à travers un processus de concertation, car il signifie à leurs yeux une absence de blocage de la part des groupes qui ont apporté le consentement. Le consentement n’est pas forcément général, mais le fait de suffisamment de parties prenantes et ou de parties suffisamment fortes pour les autres parties renoncent à toute opposition. Par exemple dans le cas de Bon Air, les populations auxquelles le porteur du projet ont très peu de sensibilité environnementale et c’est avant tout leur consentement qu’il recherche. C’est ensuite le compromis : il a généralement un caractère plus actif qu’un simple consentement car il est le produit d’une démarche de construction partagée par les parties. Il est inclusif car il intègre des exigences diverses. Chacun accepte ce compromis et, ce faisant, le projet ou les propositions qui sont au cœur du dialogue, parce qu’il a pu faire valoir un point de vue compris dans le compromis, lequel ne nie pas les divergences qui existent en termes d’intérêts ou de souhaits. Dans le cas de la LINO par exemple et même si ce n’est pas le fruit d’une concertation, les différents acteurs politiques ont fait un compromis pour que la rocade se réalise en une 2x1 voie au lieu d’une 2x2 voies.

Le terme de consensus, bien qu’il soit employé par certains, est ici écarté car il représente mal ce que les acteurs recherchent en se saisissant de la concertation. Le consensus suppose un accord total et entier sur ce qui est proposé, de la part de tous. Il est actif puisque chacune des parties prenantes est amenée à se prononcer en faveur de ce qui est proposé, mais il comporte un risque important de choix du plus petit dénominateur commun et de nivellement par le bas des exigences que l’on se donne ensemble.

Finalement, pour nous, les objectifs de l’acteur qui engage la concertation peuvent être de différents niveaux, parmi les objectifs suivants :

Tableau 6 : appropriation, légitimation, acceptation : des objectifs de plusieurs niveaux

Appropriation Légitimation Acceptation

Niveau élevé Appropriation du projet Légitimation du projet Compromis Niveau de base Appropriation des enjeux Légitimation de l’acteur Consentement

Chaque promoteur de concertation va se donner des objectifs, au sein de cette grille, qui correspondent à ses besoins. Par exemple dans le cas du Parc hydrolien de Paimpol Bréhat, EDF va investir beaucoup d’efforts pour obtenir d’une part l’appropriation du projet par les parties les plus directement concernées, en particulier les pêcheurs et les élus locaux, d’autre part un compromis synonyme d’acceptation « active » de la part de ces acteurs. Par contre, il ne poursuit par d’objectif de légitimation car personne ne met en doute ni la légitimité de ce type de projet, ni la légitimité d’EDF pour le porter. Dans chaque cas, nous pouvons donc identifier les objectifs de l’acteur qui se saisit de la concertation, au sein de cette grille (cases grisées, ici dans le cas d’EDF) :

Tableau 7 : une grille pour saisir les objectifs de l’acteur qui se saisit de la concertation, dans chaque cas

Appropriation Légitimation Acceptation

Niveau élevé Appropriation du projet Légitimation du projet Compromis Niveau de base Appropriation des enjeux Légitimation de l’acteur Consentement